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TROISIÈME ANNÉE
1919
j^rançaise
%
ù ^
T^evue paraissant le 25
de chaque mois.
Volume III
LIGUE DES DROITS DU FRANÇAIS
IMMEUBLE DE LA SAUVEGARDE
MONTRÉAL
110 4 4 4 6
hikx
JMPRIiMÉ AU DEVOIR
43, rue Saint-Vinoont
MON'TBÉAb
1919
LES CLOTURES
Clôturer qui, dans la plaine,
Découpez de larges^ champs
Où le semeur se promène,
Et sème en marchant ;
Et toi qui longes l'école
Et qui- semblés faite exprès
Pour les merles, qui s'envolent,
Dès qu'on est trop près ;
Et toi, la clôture en pierre,
Tout autour du grand verger.
Où Marianne, à Jean-Pierre,
Promet d'y songer ;
Et toi, petite clôture
Qu'on ouvre pour recevoir,
Le dimanche, la voiture.
Les vaches, le soir ;
Et toi, près du presbytère.
Devant laquelle, à pas lents,
Le curé va, solitaire.
Sous ses cheveux blancs ;
Vol. III, No 1. janvier 1919
- L ACTION FRANÇAISE
0 VOUS les clôtures, toutes
Les clôtures du pays
Dont vous parcourez les routes
Et qu'on envahit :
Soyez-nous une cuirasse
Contre le vil assassin
Qui voudrait voir notre race
Un poignard au sein !
Jean Nolin.
Les Précurseurs
ERROL BOUCHETTE
et r Indépendance économique du
Canada français
Errol Bouchette est plus qu'un précurseur, non pas
mieux. Pour plusieurs, il est un maître; et qu'il ait prêché
dans le désert le grandit davantage à leurs j'eux. Jj' Action
française lui rend témoignage avec raison en plaçant son
nom en tête de 1^ liste qu'elle a dressée pour ceux qui de-
meurent, comme une incitation au travail et aux œuvres.
On songe en touchant ces morts pour réveiller leur pensée
que nul effort n'est vain. Ils nous corrigent de nos défail-
lances. Inattentifs aux querelles qui sont chez nous de
tradition, ils ont préféré obéir à la vérité. Ils ont bâti
quelque chose; et, à cause de cela, ils méritent de vivre.
L'avenir d'ailleurs les distinguera : ils auront justice en
lui.
Errol Bouchette a vécu la dernière partie de sa vie
à Ottawa. Il était attaché à la Bibliothèque fédérale où
il poursuivait ses études d'économie politique et de sociolo-
gie. ^ Il a publié plusieurs ouvrages; mais sa pensée essen-
tielle vit dans son Indépendance économique du Canada
français. Il y a jeté les idées jaillies de ses longues et minu-
tieuses observations. C'est là que se trouve la formule de
sa foi. Aussi bien u'avons-nous fait, dans cet article, que
^ Mémoires de la Société royale, 1913: Notice sur Errol Bouchette
par M. Léon Gérin.
6 L ACTION FRANÇAISE
dégager les points saillants de sa doctrine là où il l'a laissée.
Car la mort a mis fin brutalement à la carrière de l'auteur.
Il n'a pas pu revoir les dernières épreuves de son livre qu'il
avait cependant remanié. Dans la préface ciu'il avait écrite,
il affirme de nouveau 'ses intentions et son but : éclairer
l'opinion sur le devoir prochain. Cette préface fut com-
posée d'un trait, avec confiance et certitude. Elle est
brève : elle affirme ce que l'expérience réalise chaque jour.
Elle prévoit le danger et suggère le remède. Nous n'avons
pas fini de lutter et la richesse qui vient nous apporte,
avec des jouissances ignorées jusque là, l'obligation d'ac-
complir d'autres conquêtes et de nous prêter à de nouvelles
générosités. La question nationale devient une question
économique et notre avenir ne sera assuré que par un
effort soutenu vers la possession des industries et l'exploi-
tation méthodique des ressources de notre pays.
On connaît l'étendue du territoire canadien, qui compte
3,745,000 milles carrés, soit une superficie presque égale à
celle de l'Europe. M. Errol Bouchette divise cette immen-
sité en trois régions : le Canada oriental, le Canada central,
le Canada occidental.
Le Canada oriental comprend le groupe des provinces
maritimes (l'Ile du Prince-Edouard, la Nouvelle-Ecosse et
le Nouveau-Brunswick), et la province de Québec, à
laquelle on vient d'adjoindre l'Ungava. C'est dans cette
dernière province surtout que la race française a pris racine
et s'est développée. En 1901, le Canada oriental renfer-
mait plus du tiers de la population totale, soit 2,542,326
habitants. Sur cet ensemble, l'apport de l'élément fran-
çais était, la même année, de 1,462,955. En 1911, la
l'action française
population du Canada oriental était de 2,940,667 âmes,
soit encore plus du tiers de la population totale, et le groupe
français atteignait le chiffre de 1,768,815.
« Si la progression numérique est un facteur impor-
tant dans l'économie d'un peuple, écrit Bouchette, le
degré d'insti-uction ne l'est pas moins. » On peut se
demander si l'instruction répandue dans notre province
a été jusqu'ici suffisamment pratique et méthodique, et
si elle a été adaptée aux nécessités de notre situation.
Il ne suffit pas d'enseigner, il faut aussi former. Si le
défaut capital des Canadiens français est le manque d'ini-
tiative et de volonté, il convient de corriger ce penchant à
l'indolence et de développer chez eux le sens de la responsa-
bilité, le souci de l'action, et de faire que l'instruction
exerce pleinement sa fonction sociale. Il est bon d'orner
l'esprit, il est mieux de préparer à la vie, à notre vie. Nous
sommes une minorité et nous devons puiser dans l'ensei-
gnement le secret de conserver nos qualités ethniques, de
défendre nos droits, de maintenir nos positions acquises,
de grandir notre rôle, d'exercer en pleine connaissance nos
devoirs de citoyens, d'acquérir plus de force en acquérant
plus de valeur. N'allons pas surtout rejeter ce que nous
avons accompli jusqu'ici. Notre système d'éducation
supérieure nous a donné des hommes de mérite et qui ont
fait triompher notre cause : ne détruisons pas l'origine de
ces énergies précieuses. « Détruire, écrit Bouchetèe, c'est
presque toujours rétrograder. Détruire les collèges clas-
siques, ce serait enlever au Canada français son principal
élément de supériorité, ce serait le décapiter une seconde
fois; négliger l'école primaire, c'est préparer un autre genre
de destruction, celle qui atteindra l'influence qu'exercent
aujourd'hui les directeurs de l'enseignement dans notre
pays. » L'instruction doit avant tout dégager les aptitu-
8 l'action française
des d'un peuple, utiliser pour le bien des forces qui peuvent
se manifester maladroitement, ajouter à la vigueur physique
de la race plus de vigueur morale, et donner à ceux qui se
préparent à la lutte, non seulement pour l'existence mais
aussi pour la conquête, des raisons profondes, naturelles et
saines qui tiennent en éveil leur volonté, qui forment leur
personnalité et déterminent leurs attitudes.
Le Canadien français est resté fidèle à ses origines.
Dans le passé, il a su faire preuve d'une merveilleuse résis-
tance. Il obéissait à une discipline. C'est qu'il a été à
l'école de l'adversité; la plus dure et la meilleure qui soit.
Mais depuis que l'évolution économique a bouleversé ses
conditions d'existence, il semble ne s'être pas suffisamment
adapté au milieu nouveau. Il n'a plus les mêmes motifs
apparents de se défendre. L'agriculteur est intelligent
et bien doué, mais il se laisse trop aller à la routine, au goût
du, luxe, à l'insouciance. Sa famille est nombreuse et
robuste, elle n'est pas toujours unie : les enfants quittent
volontiers la terre paternelle et le dépeuplement continue
de dévaster nos campagnes. Quelques hommes, quelques
esprits d'élite, tâchent de résister au courant et de réveiller
les énergies : ils ont vite fait d'être las, « devant la mortelle
apathie publique ». Et pourtant, nous le disions plus
haut, la race canadienne-française a donné naguère de belles
leçons d'endurance et de crânerie : « elle a donné des
preuves éclatantes de patriotisme et d'esprit public, d'au-
dace dans les conceptions politiques, de sagesse, de mesure
et de persévérance dans l'exécution des réformes nécessaires
à la nation ». Elle a manifesté tout cela, mais « depuis
lors, ajoute mélancoliquement Errol Bouchette, elle a un
peu trop dormi sur ses lauriers ». Ils se peut; mais elle
croit encore à ses destinées, et voilà sans doute le grain
qui lèvera de nouveau dans les temps à venir. Instinct
l'action française 9
de conservation, volonté de survivance, horreur de la dis-
parition possible, sont les forces latentes de cette nation;
elles reposent au plus profond de l'ânie canadienne et l'édu-
cateur a reçu la tâche magnifique de les recueillir et de les
faire servir au bien de tous, au salut du peuple.
N'y a-t-il pas un remède à ce malaise que l'on constate
chez le groupe d'origine française ?
Errol Bouchette recherche et distingue les éléments
de notre puissance économique. Quelles sont nos forces
productrices? Comment est répartie la population active
canadienne-française ? Il répond à ces questions par le
tableau suivant :
POPULATION CANADIENNE-FRANÇAISE
Classe agricole au Canada 800. 000
Professions et arts usuels au Canada 400 . 000 1 . 200 . 000
Classe industrielle (puissance écono-
mique en partie perdue) 450. 000
Émigrés aux États-Unis (puis-
sance perdue) 1.000.000 1.450.000
Si l'industrie agricole, grâce au développement de l'in-
dustrie laitière, a pris, ces temps derniers, un essor nouveau
et consolant, il reste qu'une partie de notre population est
dans un état d'infériorité marquée. L'industrie manu-
facturière, la grande industrie, ne s'étant pas encore im-
plantée au Canada, beaucoup de nos travaillem's ne trouvent
pas d'occupation qui leur permette de donner leur pleine
activité. L'émigration nous a décimés et les centres
10 l'action feançaise
industriels des États-Unis attirent encore nos ouvriers.
Au sein d'une richesse superbe et de nombreuses facilités,
l'élément français est comme étouffé; et cela offre d'autant
plus de danger que la prépondérance économique du groupe
est l'une des conditions de sa survivance.
Il faudrait donc ouvrir des voies nouvelles et multi-
plier les chances de succès, en organisant l'industrie. Or,
le Canada oriental est merveilleusement apte à ce dévelop-
pement, si les trois grands facteurs de l'économie nationale,
la nature, le travail et le capital, y peuvent librement
exercer leur influence.
Le milieu est riche. Le climat est favorable à la cul-
ture et au travail; le sol recèle de précieuses ressources
minières; la terre est fertile; les forêts fourniraient au besoin
à l'industrie une matière première abondante; la force
hydraulique est quasi inépuisable. Et le territoire exploité
se déplace sans cesse vers le nord; la civilisation pénètre
de nouveaux centres; des terres que l'on cro3"ait sans valeur
à cause du climat et des neiges sont, au contraire, aussi
riches que celles qui ont été défrichées. « Peu de régions
au monde, conclut Errol Bouchette, offrent d'aussi grands
avantages industriels. »
L'ouvrier canadien est probe, intelligent, actif et dé-
brouillard. M. Charles Levêque écrivait naguère : « Les
ouvriers canadiens-français sont, de l'aveu de tous, les
meilleurs et les plus habiles travailleurs de l'Amérique. Ils
sont très recherchés par les entrepreneurs. Donnons-leur
la culture : cette espèce de patriotisme vaudrait mieux que
beaucoup d'autres. » L'instruction professionnelle et tech-
nique facilitera à nos ouvriers la pratique du métier et leur
permettra de développer en eux les qualités de goût qui les
distinguent. Ils sont très portés vers les arts industriels;
ils ont de l'imagination, de la facilité, de l'invention. Les
l'action française 11
élèves de nos écoles techniques provinciales ont déjà révélé
les plus brillantes aptitudes. Ils seront en mesure, ayant
acquis des connaissances indispensables, de respecter les
traditions d'art et d'élégance que nous impose notre filiation
française. Ils serviront ainsi doublement leur pays.
Pour ce qui est du capital, nous avons déjà analysé la
théorie que Bouchette a fondée sur cette définition : « Le
capital d'une nation est l'ensemble des richesses qu'elle
possède et qui peuvent servir à fournir des produits défini-
tifs, c'est la somme des richesses exploitables. » Des auteurs
américains ont formulé la même doctrine. Ils considèrent
que toute richesse est du capital. C'est renoncer à la dis-
tinction classique, entre les trois facteurs, et réduire la
production à ces deux termes : le capital et le travail.
Soit; mais à la condition que des mots nouveaux distinguent
les fonctions du capital ainsi élargi. M. S.-J. Chapman
propose les expressions capital-nature et capital personnel
(talent et culture), ^ ce à quoi nous joindrions le capital de
mise en valeur. Et l'on voit déjà que, si la statistique
officielle nous venait en aide, nous pourrions déterminer
la masse de notre patrimoine accumulé en revêtant ces
notions d'une forme mathématique.
La province de Québec possède un capital qui est
l'ensemble imposant de ses richesses. Cela pourtant ne
suffit pas. Les ressources naturelles, si vastes et si nombreu-
ses soient-elles, demeurent stériles si elles ne sont pas
exploitées. Si l'on accepte la définition ci-dessus, il faut
convenir c^ue Robinson dans son île était un capitaliste
superbe. Il l'était, mais en puissance, comme disent les
philosophes. Il lui manquait les moyens de mettre en
œuvre ses possessions : il lui manquait le « capital médiat »,
1 Outlines of Political economy.
12 l'action française
le capital d'exploitation. N'est-ce pas précisément notre
cas? Propriétaires d'un domaine abondant, ne sommes-
nous pas empêchés, faute de capital Kquide, de profiter de
ses générosités? On l'a dit; on a eu, jusqu'à un certain
point, raison de le dire : cependant Bouchette n'admet pas
que nous soyons décidément aussi pauvres, aussi dépour-
\ais. Et d'abord, le capital médiat peut nous venir de
l'étranger, de France, par exemple; il peut encore nous venir
de chez nous, de nous-mêmes, de nos efforts, de notre
travail, de notre épargne, de notre crédit organisé; il peut
enfin nous venir de notre prévoyance. De fait, nous en
avons déjà beaucoup plus que nous croyons généralement.
« Voyez, nous disait un jour ]M. Anatole Poindron, voyez
cette carte du Canada : quel ensemble de richesses ! Votre
pays est une vérité économique. »
— Que nous manque-t-il donc pour que nous sachions
la démontrer?
— Une méthode.
Bouchette ne dit pas autre chose. Nous posséderons
le capital le jour où nous saurons le créer par une politique
industrielle systématique, bien orientée et victorieusement
maintenue.
La concentration industrielle est l'aboutissant néces-
saire de l'évolution économique. Le machinisme, l'applica-
tion de la science, le développement des moyens de commu-
nication, l'organisation du crédit, la nécessité pressante
de conquérir de nouveaux marchés et de fabriquer en vue
de l'exportation, la lutte économique internationale et
d'autres influences encore ont précipité l'avènement de
la grande industrie rendue possible par l'agglomération
des capitaux et la souplesse de ce nouveau rouage commer-
l'action française 13
cial : la société par actions. Les trusts aux États-Unis
et les kartels en Allemagne sont les types de ces associations
dont la puissance est énorme et dont les résultats n'ont pas
toujours été bienfaisants, au moins pour le consommateur.
Le kartel a surtout pour but de faciliter la vente des mar-
chandises et de réglementer la concurrence sur les marchés
en répartissant la production entre ses membres; mais les
unités qui le composent conservent une certaine indépen-
dance. Au contraire, les sociétés qui forment le trust
s'absorbent en lui, disparaissent, se fondent dans un tout
et subissent une direction unique.
La concentration industrielle multiplie la productivité
du capital. Elle permet de réaliser une économie considé-
rable sur les éléments divers du prix de revient, les frais
généraux, l'achat des matières premières, les transports, et
d'employer des procédés de fabrication rapides et perfec-
tionnés. Rien de tout cela qui ne soit parfaitement légi-
time : ces avantages sont la conséquence logique du groupe-
ment des forces productrices et si le trust n'employait
pas d'autres moyens d'action que ceux-là, l'opinion n'aurait
pas raison de s'inquiéter, d'autant que ces avantages
naturels de l'organisation industrielle moderne provoquent
souvent un abaissement du prix de vente des produits.
Malheureusement les trusts ont abusé de leur puis-
sance pour se concilier les autorités politiques et déclarer
impimément aux initiatives indépendantes et réfractaires
une guerre à outrance. Ils ont fait violence aux libertés
les plus légitimes, et constitué, en dépit des lois et des
arrêts judiciaires, de véritables monopoles dans le but avoué
de tuer la concurrence et de s'approprier le marché. Ainsi
conçu le trust est nuisible; il fait payer vraiment trop cher
les compensations qu'il prétend nous donner en retour d'une
pareille souveraineté. S'il pénétrait librement chez nous,
14 l'action française
il aurait vite fait d'exploiter et d'épuiser nos richesses pour
son seul Vjénéfice. Aussi bien aurons-nous recours à une
niise en valeur plus rationnelle de l'ensemble de nos res-
sources; et nous éviterons les inconvénients de la concen-
tration en préconisant une politique industrielle méthodi-
que, prudente, et qui soit dans le sens de nos aptitudes et
conforme à notre génie national.
Que sera cette politique? Elle ne jaillira pas de dis-
cussions stériles sur les conséquences du libre-échange total
ou de la protection absolue. Notre marché est restreint,
et, si notre industrie veut se développer, elle doit atteindre
le consommateur étranger : c'est dire que nous avons
besoin de débouchés et que nous aurions mauvaise grâce
à nous montrer peu conciliants lorsque les exigences mêmes
de notre situation nous ordonnent de l'être. Cette pohtique
sera plutôt l'œuvre immédiate et réfléchie du gouvernement
qui tiendra compte au premier chef de notre puissance
productrice et de ses éléments propres.
Il ne s'agit pas de provoquer l'essor industriel du
Canada français aux dépens des campagnes dépeuplées, et
d'assurer la prédominance de l'industrie sur l'agriculture.
Il est clair que cela serait une erreur capitale. L'organisa-
tion économique est complexe et les forces productrices
doivent être maintenues et réparties suivant que l'exigent
les capacités et les aptitudes de la nation, et de façon qu'elles
s'équilibrent et se complètent. Mais saurait-on demander
à l'Ëtat d'intervenir aussi directement dans le domaine
des activités économiques et d'exercer une influence sur le
mouvement des lichesses? La liberté des initiatives ne
vaut-elle pas mieux et les paj's jeunes n'ont-ils pas toujours
compté sur l'effort individuel plutôt que sur l'appui de
l'autorité administrative ? N'ont-ils pas refusé de recourir
aux rouages compliqués, aux lenteurs coûteuses de l'étatis-
l'action française 15
me? Aussi bien n'est-il pas question de confier au gou-
vernement la haute direction des opérations industrielles
ni de lui remettre en pleine propriété les instruments de
production pour qu'il en use à sa convenance; mais on
admettra que l'État doit veiller à la conservation des res-
sources d'une nation et donner son concours et sa protec-
tion aux organisations diverses formées dans le but de mettre
en exploitation le patrimoine national. Gouverner c'est
prévoir et, dans l'espèce, c'est empêcher que les richesses
ne soient dilapidées à plaisir et c^ue les énergies ne s'épuisent
inutilement.
Nous pouvons résumer dès maintenant les grandes
lignes d'une telle politique :
Intervention modérée de l'État en vue de concilier les
bienfaits de la concentration avec les véritables intérêts du
peuple ;
Instruction professionnelle à tous les degrés;
Conservation de la propriété sociale;
Développement sj'stématique des ressources nationales;
Encouragements à l'agriculture et à l'industrie;
Décentralisation administrative et création de minis-
tères provinciaux appropriés aux nouvelles fonctions
du gouvernement;
Organisation du crédit.
Dégageons deux articles de ce vaste programme :
l'exploitation rationnelle des ressources nationales et l'en-
seignement professionnel.
Au point de vue industriel, notre pays n'est pas resté
stationnaire. Les statistiques officielles du recensement
fédéral de 1916 confirment, et au delà, les prévisions des
économistes qui avaient parlé de « l'industrialisation »
du Canada. Le phénomène se précise dans l'Ouest, où
non seulement les usines se multiplient mais où les consé-
16 l'action française
quences de l'industrialisme se font déjà sentir : les syndicats
ouvriers s'organisent et les grèves augmentent dans les
provinces de Manitoba, d'Alberta et de Colombie Britan-
nique.'
Cependant ces résultats ne doivent pas nous leurrer
sur l'extension d'un mouvement industriel encore mal
défini. Un fait brutal ressort également de nos statistiques :
nous n'utilisons pas nos matières premières et nous n'avons
pas organisé notre production dans le but d'exploiter métho-
diquement et sur place les richesses que le sol nous fournit.
Ne serait-ce pas pourtant un moyen assuré de distancer nos
concurrents et, pour certaines industries, de constituer en
notre faveur une sorte de monopole ? Nous avons établi
chez nous, non sans difiScultés, les industries textiles. C'est
fort bien; mais notre situation économique et les ressources
que nous procure notre milieu ne doivent-elles pas nous
diriger de préférence vers d'autres entreprises où notre
succès sera plus certain, moins précaire? Comment
lutterons-nous contre l'Angleterre qui produit en abondance
et à bon compte des cotonnades et des lainages de qualité
reconnue? La main-d'œuvre est chère, au Canada, et le
prix du capital est élevé : il nous faut chercher une compen-
sation dans la matière première et la force motrice. Tour-
nons-nous plutôt vers l'industrie forestière et ses dérivés,
vers l'industrie des métaux; exploitons les produits de nos
mines; faisons servir à la production nos forces hydrauli-
ques; utilisons nos propres matériaux. « Cultivons d'abord
dans notre jardin national, écrit Bouchette, celles de nos
plantes indigènes que les autres pays ne possèdent point
en quantités exploitables. »
Parmi les autres moyens qui nous y aideront puissam-
ment, il convient de mentionner au premier chef l'ensei-
gnement professionnel. Répandue en Europe, l'instruc-
l'actiok française 17
tion technique a été une des causes du progrès économique
des grands pays producteurs. Elle a transformé l'atelier
et discipliné l'armée des travailleurs. La France a voulu
donner aux enfants ayant quitté l'école élémentaire une
instruction plus spéciaKsée, mieux adaptée aux circons-
tances de la vie moderne. Elle a compris l'importance
d'une bonne formation technique pour l'ouvrier. Elle a
mis l'instruction à la disposition des hmnbles, leur ouvrant
l'école et leur permettant d'assurer par une étude raisonnée
du métier l'efficacité de leurs qualités innées et de leurs
dispositions naturelles. L'Allemagne fut encore plus éner-
gique. Elle institua l'instruction technique obligatoire,
la faisant ainsi pénétrer de vive force dans les masses.
Des écoles furent disséminées par tout le pays, avec la
collaboration active des patrons.
Dans la province de Québec, le mouvement est donné.
Des écoles techniques ont été créées, qui sont fréquentées.
En peu de mois, les élèves y acquièrent des connaissances
variées, précieuses, nécessaires; ils de\àennent rapidement
des travailleurs modèles; ils font des travaux que des
ouvriers plus âgés, et qui n'ont guère à leur acquit que les
enseignements de la pratique et de la routine, seraient
embarrassés d'exécuter. Que si, maintenant, on veut
décupler cet enseignement et le répandre partout, il ne sera
pas nécessaire de réorganiser absolument l'ensemble de
notre système scolaire. Nos universités, explique Bou-
chette, se chargeront de l'instruction supérieure en créant
des chaires nouvelles; nos académies pourront donner
l'enseignement moyen et former des contremaîtres d'atelier.
A tous ces élèves, il faudra trouver des emplois : nos fabri-
ques réclament déjà une main-d'œuvre mieux exercée, et,
plus tard, lorsque l'expansion industrielle sera chose faite,
les ouvriers trouveront facilement où se placer et pour leur
18 l'action française
plus grand avantage. Enfin, il sera touj ours possible de mul-
tiplier les écoles techniques élémentaires et de les adapter
aux besoins des différentes régions. Tout cela n'est-il donc
qu'une utopie ? La nécessité d'une instruction qui soit
plus pratique se fait chaque jour sentir davantage. Il
vaudrait mieux, évidemment, qu'on le comprît tout de suite;
mais la force des choses exigera que nous accompHssions
tôt ou tard ces réformes. M. Cohendy, parlant de la France
écrivait : « L'organisation de l'instruction technique n'est
pas une simple question pédagogique; c'est, au premier
chef, ime question vitale pour notre pays. » Il en est de
même pour le Canada.
Les grands principes de la politique industrielle que
nous venons de définir ont déjà été appliqués dans la pro-
\'ince de Québec où leur réalisation a suscité des résultats
merveilleux. En 1882 fut organisée, avec l'appui du gou-
vernement, « la Société d'industrie laitière de la province
de Québec », dont l'objet est de provoquer l'emploi des
meilleurs procédés d'exploitation, de faire des recherches
scientifiques et de seconder l'initiative des syndicats coopé-
ratifs du type agricole. Cette société est à l'origine du
remarquable développement de l'industrie laitière dans notre
province. En 1882, cette industrie ne comptait guère.
En 1891, la valeur des produits laitiers s'élevait à trois
millions de dollars. Elle dépasse aujourd'hui vingt-trois
millions. ' C'est une somme.
Le développement de ces industries est dû à une
action méthodique et réfléchie de la part des syndicats
agricoles et des autorités provinciales, et qui a eu pour
* Annuaire stalislique du Canada, 1916-1917, p. 216.
l'action française 19
conséquence la création, en peu d'années, d'une source
abondante de capital et de revenu pour nos cultivateurs.
C'est là une démonstration éclatante des bienfaits d'une
politique industrielle éclairée. Ces résultats intéressaient
vivement Errol Bouchette : il les suivait avec attention;
il y voyait une confirmation de ses théories. Aussi bien
a-t-il voulu appliquer les mêmes principes à nos industries
forestières. Il consacre à ce projet d'organisation indus-
trielle les deux derniers chapitres de son livre.
Les forêts constituent notre principale richesse. Elles
ne sont pas inépuisables, mais on peut les conserver et les
développer par une culture appropriée et rationnelle. Elles
fournissent la matière de nombreuses industries qui pour-
raient être créées chez nous et nous assurer une sorte de
monopole. Le Canada deviendrait ainsi un pays d'indus-
tries forestières. En 1917, nous avons exporté pour plus
de 56 millions de dollars ^ en produits forestiers et leurs
dérivés. La plupart de ces produits sont exportés à l'état
brut ou à l'état semi-ouvré. Nous perdons ainsi l'avan-
tage que nous offre, au point de vue industriel, l'abondance
de la matière première considérée comme élément du prix
de revient et aussi les profits additionnels que nous pour-
rions tirer de la fabrication sur place et que d'autres pays
touchent pour nous. Voilà un des points précis où, par
une politique industrielle et commerciale, on pourrait
augmenter notre production intériem'e et nos exportations
à l'étranger. Bouchette conseille de recourir à la consti-
tution d'une « Société des industries forestières )) ayant
un but analogue à celui de la « Société de l'industrie lai-
tière » et disposant des mêmes moyens d'action : étude des
procédés industriels, organisation d'un enseignement spé-
1 Annuaire statistique du Canada, 1916-1917, p. 320.
20 l'action française
cial, recherches scientifiques, vulgarisation des meilleures
méthodes, organisation de syndicats locaux et centralisa-
tion des produits en vue d'en faciliter la vente. Ceux que
ces questions intéressent plus spécialement liront avec
intérêt les pages où Bouchette développe son projet. Il
serait peut-être d'une exécution assez lente, mais il repose
sur une idée féconde : l'utilisation de nos ressources immé-
diates et la constitution d'une industrie nationale.
« Si le groupe français du Canada, écrit Errol Bouchette,
veut conserver sa part légitime d'influence dans la chose publi-
que, il ne doit pas se contenter de vivre dans la contemplation
de ses gloires passées. . . Les Canadiens finançais qui ont
déjà la gloire d'avoir dépassé leurs rivaux dans le maniement
de la constitution britannique, pourraient les vaincre également
sur le terrain industriel et commercial, acquérant ainsi la
richesse et l'influence nécessaires à l' accomplissement de leur
œuvre en Amérique. » L'œuvre d'un peuple n'est jamais
terminée et les générations qui le perpétuent reçoivent
chacune une mission à remplir. Les événements qui se
précipitent imposent à nos énergies une orientation nou-
velle. Nous avons triomphé naguère dans l'arène poli-
tique : cette victoire nous a valu des droits que nous devons
maintenir. Là ne s'arrête pas notre effort, ne l'oublions
pas. Nous nous égarons trop volontiers dans des discus-
sions stériles, et nous perdons le meilleur de nos forces à
discourir quand d'autres agissent. Répétons-le : la ques-
tion nationale est devenue une question économique. Si
nous voulons remplir notre rôle et sauvegarder nos origines,
nous devons, comme nous avons fait autrefois, lutter avec
les armes mêmes dont on nous menace. Lorsque nous
aurons acquis la richesse nous pourrons développer en nous
l'action française 21
la culture française et nous tourner vers la suprême con-
quête : la puissance intellectuelle. Xous ne survivrons pas
autrement.
Errol Bouchette était un fervent de cette philosophie
idéaliste de l'action. Il était optimiste, mais sans fai-
blesse. Il n'épargnait pas nos défauts. Il les criblait de
traits, mais il savait envelopper sa pensée pour qu'elle
ne perdît rien, dans son exactitude, de la distinction qui
sied. Il était avant tout généreux et désintéressé. Il
accueillait avec une grâce ouverte tous ceux — et ils étaient
nombreux — qui venaient le consulter. Il aimait ardem-
ment son paj's, comme une chose vivante. Il l'a servi et
défendu, par l'idée, jusqu'à la fin. Il est parti trop tôt,
emportant ce dernier regret de n'avoir pas pu terminer son
œuvre. Sa mort a passé rapidement parmi nous. Il a
laissé bien des souvenirs qui ne se sont pas exprimés.
Plus tard, ceux qui voudront comprendre nos desti-
nées et chercher une raison d'être à nos efforts de demain,
devront demander à sa pensée les arguments qui nous sau-
veront. Il prendra rang parmi tous ces penseurs oubUés
dont le tom-ment superbe fut de nous aider dans notre
existence de lutte, en multipliant pour nous les raisons de
croire et d'espérer; tous ces écrivains à qui notre histoire n'a
pas rendu un suffisant hommage, et qu'une génération
affairée néglige d'honorer comme ils le méritent; tous ces
hommes qui possédaient l'inaltérable amour de la race et
qui, émerveillés des gestes accomplis par nos ancêtres,
cherchaient à en dégager une pensée inspiratrice, à tirer de
la grande leçon des faits un principe de vie, une volonté de
survivance, à renfermer dans une formule féconde la belle
vigueur et la discipline victorieuse de notre histoire fran-
çaise.
Edouard Mgntpetit.
LES PRECURSEURS
L'Action française a terminé en décembre son enquête
sur Nos forces nationales. Nos collaborateurs de Van
dernier ont surtout considéré le présent pour préparer V avenir.
Cette année nous irons vers le passé. Puisqu'il n'est point
de périodes indépendantes dans la vie d'un peuple, toutes
doivent s'adapter afin de se soutenir. Et l'on n'édifie intelli-
gemment le présent que si on l'appuie sans cesse sur ce gui
était avant lui.
Dans ce passé nous irons chercher, pour les faire compa-
raître et les faire papier et agir encore, ceux qui autrefois, par
leurs idées, leurs initiatives, leur action, ont été quelque peu
les artisans de l'époque que nous vivons, parce qu'ils ont posé
des pierres d'attente en songeant au lendemain. Et ce sera
la contribution des « précurseurs » à l'œuvre de /'Action
française.
Nous appelons « précurseurs » ceux-là des ancêtres qui,
dans les divers domaines de la pensée et de l'action, ont élaboré
les premiers les programmes ou les entreprises que nous
essayons d'exécuter ou de développer aujourd'hui. Les uns,
esprits plus hardis, ont pris les devants et ils ont vu loin dans
l'avenir. Pendant qu'autour d'eux- on s'enfermait dans les
préoccupations de chaque jour, eux s' efforçaient de prévoir ;
ils accomplissaient leurs devoirs de chefs et d'éclaireurs en
ouvrant des voies nouvelles, en s'assu7-a7ît les conquêtes essen-
tielles, en préparant pour les générations prochaines des
instruments de travail et de succès. D'autres, plus récents,
laissaient leurs contemporains s'agiter dans les œuvres
vides, et phis particulièrement dans les passions sonores 77iais
1
l'actiox française 23
stériles de la politique. Ils se vouaient, malgré le silence et
quelquefois malgré le mépris, à la défense des intérêts plus
élevés, aux entreprises de bienfaisance pratique; ils mainte-^
naient le souci des choses nationales, ils servaient et défendaient
nos croyances, ils nous rapprenaient nos vieilles attitudes.
Quelques-uns même bravaient l'indifférence universelle et se
donnaient aux préoccupations de V esprit, aux recherches de la
science, aux travaux d'art. Presque tous humbles isolés,
incompris presque toujours, ils personnifiaient cet élément
d'immortalité qui survit en toute race; ils étaient la « mèche
qui fume encore » quand on croyait l'idéal éteint. Leur
force ce fut d'interroger constamment la tradition pour la
mieux servir et d'aller aux œuvres pratiques, à celles qui
construisent. Puis,ils faisaient quand même leur rude journée,
patiemment, pour satisfaire leur conscience, avec une secrète
intuition parfois que leur modeste effort ne serait pas vain,
qu'ils étaient des semeurs d'avenir.
Leur espérance n'aura pas été trompée. Nous voulons
que leur pensée, leur expérience reviennent éclairer les nôtres.
Pour qu'il en soit ainsi nous avons demandé à nos collabo-
rateurs de mettre en relief, dans la vie et l'œuvre de ces ancêtres,
l'idée maîtresse, l'inspiration de fond sans doute, mais aussi
les réalisations pratiques commencées par eux et les obstacles
que, pour agir, ils avaient dû briser.
Après avoir été des précurseurs, ils reviendront ainsi
collaborer au travail qu'ils n'ont pu achever ; ils nous seront
des auxiliaires. Notre génération devait, du reste, cet hom-
mage à ceux qui n'ont jamais désespéré, qui furent, en
quelque manière, les a^gents de la survivance.
Voici la liste des « précurseurs )) qui feront l'objet d'une
étude ; l'on trouvera en regard le nom de nos collaborateurs :
Errol Bouchette Edouard Moxtpetit.
Napoléon Bourassa Abbé 0. Maurault.
24
L ACTION FRANÇAISE
Dr Jacques Labrie Abbé Georges Courchesne
Edmond de Nevers Antonio Perrault.
Pierre Bédard Léon-Mercier Gouin.
Mgr Adélard Langevin Abbé Philippe Perrier.
Ferdinand Gagnon Henri d' Arles.
J. -Adolphe Ckicoyne Abbé Emile Chartier.
Calixa Lavallée Arthur Letondal.
L'abhé L. Provencher Frère Marie-Victorin.
Jules Tardivel Henri Bourassa.
Le Père Lefébvre Un AcaIjien.
Nos lecteurs peuvent s^en rendre compte : nous leur
promettons des études substantielles et d'une tenue et d'une
perfection qui ne le céderont en rien aux articles de Van
dernier. L'Action française entend ainsi continuer son
œuvre qui est d'aller chercher dans les inspirations tradition-
nelles, une direction sûre et efficace pour le présent.
Lionel Groulx, ptre.
Des numéros de mars 1917
demandés.
Poui" compléter des collections de V Action
française de 1917, réclamées par nombre de
nouveaux abonnés, notre revue recevrait avec
reconnaissance les numéros du mois de mars
1917 s'il peut s'en trouver de disponibles chez
nos lecteurs.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Le COmifieïCe En temps de guerre les sen-ices varient. Le
Qfigldis ^^^ capricieux des circonstances impose au soldat
de courir soudainement à tel point menacé, d'opérer
ici une reconnaissance rapide, de précipiter là quelque attaque impré\'ue.
Hier, alors que le commerce — ce champ de bataille où la langue
française subit au Canada de si rudes assauts — était li^Té à l'activité
des fins d'année, je suis allé explorer quelques grands magasins anglais
de la métropole.
En quête de papeterie et de li\Tes, j'ai hardiment dirigé mes pas
vers Almy, Morgan, Goodinn, persuade que j'en rapporterais, sinon
les articles voulus, du moins une assez riche moisson d'obser\'ations
intéressantes. Mes pré\-isions se sont réalisées.
Attitudes Chez Almy — bien qu'on n'y trouve aucun li\Te
difféTeflteS f^'^oÇ^'is — le bUingulsme est ^Taiment en honneur.
Au-dessus de chaque étalage, inscriptions en français
et en anglais : non-seulement les inscriptions permanentes, largement
imprimées, mais aussi celles qu'une main d'artiste a hâtivement des-
sinées à l'occasion des fêtes. Même constatation pour le personnel.
On semble y parler couramment les deux langues; du moins il y a tant
d'employés français mêlés aux anglais qu'on se sent dans une maison
bilingue.
Chez Morgan, tout le contraire. J'ai beau regarder et regarder :
aucime inscription française. Mais après tout, je n'ai que deux yeux;
quelque chose peut m'échapper. J'en appelle à ceux de mon compa-
gnon, ils font le même rapport : rien à l'œil nu. J'avise une espèce ,
de majordome et lui demande, dans ime langue qui ne lui semble pas
famihère, — bien qu'elle soit l'une des langues officielles de ce pays et
celle que parle la majorité des habitants de cette ville, — si je pourrais
me procurer des Mxxes français. Il me regarde d'un air embarrassé,
se fait répéter ma question, puis, souriant, s'excuse en anglais de ne pas
me comprendre et me prie de le suivre. Bientôt je l'entends héler un
de ses confrères qui passe et lui dire que son french langvage est requis.
26 l'action française
Celui-ci s'amène, puis me conduit à la librairie où je constate que les
livres en vente sont aussi unilingues que le personnel.
Quelques bonnes bouffées d'air pur respirées, dans la rue, avec
volupté, et nous sommes déjà chez Goodwin. C'est le milieu entre
Almy et Morgan. Un certain nombre d'inscriptions, pas toutes, pas
la majorité, dans les deux langues. De même parmi les commis quel--
ques-uns seulement sont bilingues. Le premier à qui je m'adressai ne
l'était pas, mais il se retourna vivement vers sa voisine qui sut me
comprendre. EUe ne put cependant me donner les livres désirés.
Rôle des Nous parlions dans notre dernière chronique de ce
fpfyjfyjfc que la femme canadienne-française peut faire pour
sa langue au foyer domestique. C'est là son principal
champ d'action; ce n'est pas, on le conçoit, le seul. Presque toutes
les femmes sont ou acheteuses ou vendeuses. Des premières, le devoir,
est clair et simple. Constamment, où qu'elles soient, qu'elles s'adres-
sent en français au commis. S'il ne peut pas répondre, eUes auront au
moins montré qu'il y aurait avantage pour lui à savoir le français,
qu'il satisferait ainsi plus complètement sa chentèle. Les vendeuses,
elles, sont obligées de tenir compte de la langue de leur cUent. Et de
même que nous voulons être servais en français, nous comprenons que
d'autres veulent être servis en anglais. Mais avec les nôtres, ou avec
les personnes dont elles ignorent la langue, que les vendeuses n'hésitent
pas im instant à parler français. N'est-ce pas là du patriotisme ration-
nel et de bon aloi ?
Je crains bien cependant que plusieurs n'aient pas cette mentalité,
qu'elles conçoivent leur rôle autrement, ou plutôt qu'elles n'aient jamais
songé à cela, qu'elles n'en soupçonnent même pas l'importance, et que,
plongées dans une atmosphère anglaise, elles s'en imbibent et suivent
docilement le courant qui les porte à néghger leur langue.
La Fédération Nationale ii y a là toute une éducation à
Saint-Jean-Baptiste ^^'^^' p^^^ f^"^^' ^° générai, qu'on
ne croit, mais délicate et qui doit
être poursuivie avec constance. Qui pourrait l'entreprendre aussi bien
que la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste ? Dirigée par des
Canadiennes françaises de bonne trempe, elle groupe un grand nombre
de jeunes fiUes employées dans les usines, les bureaux, les magasins, et
exerce sur elles une influence profonde. Qu'elle leur enseigne ce
qu'exige leur patriotisme et peu s'y refuseront.
l'action française 27
Nous sommes heureiLX de pouvoir dire que ce travail est déjà
commencé. Les directeurs de la Ligue des Droits du français ont eu le
plaisir de rencontrer, il y a quelques mois, la distinguée présidente de la
Fédération nationale et quelques-imes de ses conseillères. Après un
échange de vues fructueux, un comité d'action française a été fondé
au sein de la Fédération et confié à des personnes dévouées et actives.
L'une d'entre elles dira sans doute, avant longtemps, à nos lecteurs
quel est leur travail et quels fruits en résultent.
Le vieux L'époque des fêtes avait l'habitude de ramener
SOfltCl ClttUS ^ Montréal le vieux Santa Clans. On le voyait
à tous les coins de rue. Il est revenu cette année,
mais invité par les maisons anglaises seulement. Les maisons françaises
ont trouvé qu'il sentait trop le Boche et lui ont fermé le\irs portes.
J'entends les maisons françaises de Montréal, car je vois qu'un grand
magasin de Québec lui a donné de nouveau une chaude hospitalité.
C'est une faute. Je sais bien qu'on a tenté de prouver, voici deux ou
trois ans, que le vieux gâteux avait ime origine chrétienne. Mais outre
que les preuves n'ont pas paru probantes, qui oserait soutenir que son
nom et sa physionomie actuels commandent le respect et s'harmonisent
avec notre mentalité ? Ne peut-on trouver dans nos traditions catho-
Uques et françaises un autre personnage que celui-là, qui apporte
aux enfants sages des jouets et du bonheiu: ? La plupart des marchands
et des pères de famille ont fini par le comprendre : à Santa Clans ils ont
heureusement substitué le Bonhomme Noël, saint Nicolas, l'Enfant-
Jésus.
CuïtCS cl Cette première réforme devrait en amener d'autres.
COlcndïieTS ^^ P^^^ ^^ plus, il faut nous efforcer de redonner aux
différentes formes de notre activité, à tout ce qui
manifeste notre vie, une teinte bien française. Je signale aussitôt,
puisqu'ils font surtout leur apparition à l'époque des fêtes, les cartes
et les calendriers qui s'échangent alors. Pendant longtemps ils ont
été de facture et d'inscriptions anglaises. Une importante Hbrairie
de Montréal a voulu éditer cette année des cartes postales artistiques
françaises. Elles portent en effet des souhaits dans notre langue :
Joyeux Noël — Heureuse année — Tous mes vœux pour votre fête —
Malheureusement on Ut au verso : Post Card. Correspondence. Address.
Place Postage stamp hère, et pas un mot de français.
28 l'action française
Encore un coup, on ne saurait trop dire combien il est regrettable
que nous laissions ainsi en anglais, dans un grand nombre d'entreprises,
ce qu'on pourrait appeler la partie matérielle ou commerciale. C'est
cela qu'on remarque à l'étranger et par quoi souvent on nous juge.
La librairie qui a édité ces cartes le sait bien. Tout récemment encore
un prêtre de France, auteur d'un excellent catéchisme, lui envoie son
ouvrage, en ajoutant : « Je vous autorise à le traduire dans votre
langue. » Dans notre langue. . . ? En quoi diffère-t-elle de la vôtre.
Monsieur l'abbé ? — Mais de vrai, nous ne l'avons pas volé. Et si l'on
nous prend ailleurs pour des Anglais, les principaux responsables c'est
nous.
P aySQëCS Pom- les calendriers, un immense progrès a été
de chez flous ^^^^^^^- P^^ de maisons canadiennes-françaises en
offrent maintenant avec les noms des jours et des
mois en anglais. Or cela se pratiquait communément il y a quelques
années. Une amélioration importante reste cependant à accomplir.
La plupart des gravures qui ornent ces calendriers représentent des
personnages ou des paysages pris hors de chez nous. Cela s'explique.
Ces gravures viennent des États-Unis. Mais ne pourrait-on les fabri-
quer ici comme on fabrique l'autre partie du calendrier? Il y aurait
même là une très belle occasion de mieux faire connaître notre pays,
ses sites enchanteurs, les grandes scènes de son histoire. M. Mont-
petit a révélé dernièrement Percé à plusieurs Montréalais. Si la gra-
vure continuait maintenant et ampUfiait son œuvre? Si des milliers
de calendriers popularisaient le rocher merveilleux, les hautes falaises,
la plage aux horizons infinis ? Et que d'autres paysages canadiens, que
de scènes historiques ou familiales qu'accompagnerait une brève
légende et dont la simple vue rattacherait au sol les gens de chez nous,
on pourrait ainsi répandre dans les foyers : le Ruisseau de Rivard, un
Soir du mois de Marie à la vieille croix du Bois-Vert, tel que l'a décrit
l'abbé Groulx, la vieille fontaine qu'a chantée Blanche Lamontagne :
Il est au paijs de chez 7ious
Dans les herbages de la plaine,
Près du grand champ de trèfles roux,
Une vieille et belle fontaine.
Je m'arrête. Mille sujets affluent à ma mémoire, les compositions
de Julien, les croquis que contenait le dernier Souvenir annuel du
L ACTION FRANÇAISE
29
Collège Sainte-Marie, les jolies illustrations de VAlmanach de l'Action
sociale catholique, etc., etc. Il y a là une mine à exploiter. Des con-
cours intéressants pourraient s'organiser. Le patriotisme y gagnerait.
Et surtout nous serions débarrassés des American Beauiies, des Sky-
scrapers, des Stars and Stripes, et autres gravures du même genre.
Cdidlo^UCS Je signale d'un mot. en terminant, deux catalogues
bilingues ^^^ m'ont été envoyés et font vraiment honneur aux
maisons qui les ont publiés : la maison J.-D. Camirand
de Montréal, et la fabrique de pianos Lesage de Sainte-Thérèse. Ceux
qui, au point de vue de l'art ou pour quelque autre raison, s'insurgent
contre le biUnguisme, feraient bien de feuilleter ces catalogues. Ils
modifieraient probablement leurs idées.
Pierre Homier.
Al// S
À NOS CORRESPONDANTS
Sauf dans le cas de communications per-
sonnelles, nos amis, lecteurs et clients sont priés
de toujours adresser leurs correspondances soit
à l'Action française, soit à La Ligue des Droits
du français, bureau 32, immeuble de la Sauve-
garde, Montréal. Autrement, par suite d'ab-
sence ou d'autres raisons, il en résulte des
retards.
L'Action française.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
Notre REvrE — Notre re\nie fait naturellement le centre de ce
que l'on pourrait appeler la \-ie de Y Action française. C'est à sa fon-
dation que devaient aboutir nos premières publications, les nouvelles
la complètent, eUe reste, entre nos amis et nous, le grand moyen de
communication et, par là, le principe de la plupart de nos progrès.
Aussi bien, c'est sur elle, sur sa rapide diffusion, qu'il importe de faire
porter ime grosse partie de nos efforts. Elle entraînera le reste.
Nous n'avons certes pas à nous plaindre . Aucime re\'ue n'a peut-
être chez nous cormu un tel succès. Mais il reste encore beaucoup à
faire, et ce beaucoup, si chacun y voulait mettre la main, ne serait paô
très difficile à réaUser. Que chacun loyalement s'interroge et combien
pourront dire qu'il ne leur serait pas assez facile de nous trouver un
nouvel abonné ? Et, pour un certain nombre qui peuvent être incapa-
bles de cet effort, combien qui pourraient nous amener deux, trois,
quatre abonnés ou plus? Il suffirait parfois, pour déclencher ime
adhésion nouvelle, d'un mot. Ce mot, pourquoi hésiteriez-vous à le
dire?
L'Action française n'est pas tout ce que nous la voudrions, mais il
nous semble que, telle quelle, elle vaut un peu plus que la piastre que
nous réclamons annuellement. Quelle revue, chez nous, a publié ime
série d'articles supérieurs à l'enquête sur Nos forces nationales qui s'est
achevée avec l'étude de Mgr Béliveau? En est-il une qui promette
quelque chose de mieux que cette série sur Les Précurseurs, qu'inaugure
ce mois-ci M. Edouard Montpetit? Quelle autre fait à l'information
documentaire une aussi large part ? Laquelle suit d'aussi près la lutte
pour la langue ? D'autres accompUssent une œuvre que nous sommes
heureu-\ de louer à l'occasion, mais nous avons notre besogne à part et
î'on veut bien reconnaître que nous ne nous en acquittons pas trop mal.
Et comme, ni les uns ni les autres, nous n'y trouvons de bénéfice per-
sonnel, nous sommes en excellente posture pour demander à tous ceu.\
qui jugent que nous faisons un travail utile de nous donner un coup de
main.
Ce coup de main, on peut l'apporter sous bien des formes. Nous
prions qu'on sonee pareillement à l'annonce et à l'abonnement. Nous
l'action française 31
nous adressons à un public qui, pour certaines spécialités, fait assuré-
ment de nos annonces un article fort désirable. C'est un motif à
faire valoir, à côté de l'argument de sympathie.
Nous tenons à la disposition de nos amis qui voudront bien l'uti-
liser une pancarte que l'on peut afficher dans les bureaux et qui est ime
invitation permanente à l'abonnement. On n'a qu'à nous la réclamer.
Nos CONFÉRENCES — L'œuvTe des conférences prend un développe-
ment dont nos amis se réjouiront avec nous. La série du Monument
National obtient un éclatant succès. Inaugurée par M. Henri Bourassa,
sous la présidence de M. l'abbé Perrier, elle s'est poursui\'ie avec
M. Léon Lorrain, sous la présidence de M. le sénateur Belcourt, et M.
Antonio Perrault (présidence de M. Aimé Geoffrion). Elle se con-
tinuera, le 19 février, avec le R. P. Louis Lalande, S. J., pour se ter-
miner, en mars et a\Til, avec MM. Armand Lavergne et Edouard
Mont petit.
On aura remarqué que, très différente spar leur objet immédiat,les six
conférences serattachent à ime pensée maîtresse. M. Bourassa indiquait
les hens qui rattachent à la lutte pour la foi, la lutte pour la langue.
M. Lorrain montrait comment la lutte pour la langue est un élément
de supériorité économique, AL Perrault a rattaché à la lutte géné-
rale pour notre surx'ivance nationale la défense de nos lois françaises.
Les conférences suivantes illustreront d'autres aspects du problème.
La conférence de ]\L Bourassa est aujourd'hui pubhée (nous en
parlons ailleurs), celles de MM. Lorrain et Perrault seront bientôt
remises à l'imprimeur. Elles pourront ainsi prolonger l'effet bienfai-
sant qu'elles ont déjà produit. On imprimera de même, nous l'espérons,
celles qui compléteront la série.
Nous avons à peine eu le temps de signaler l'autre mois la con-
férence que venait de donner M. Léon Lorrain. Il faut au moins
ajouter qu'elle constitue un plaidoyer que beaucoup seraient heureux
de voir entre les mains de toiLS les élèves des classes supérieures de nos
collèges commerciaux. On a suggéré à ce propos que d'anciens
élèves des différentes maisons profitent de l'occasion pour faire un
cadeau à leurs jeunes camarades. L'idée mérite d'être retenue et. . .
appliquée. La brochure contiendra naturellement l'allocution, de
32 l'action française
facture si vigoureuse, prononcée le même soir par M. le sénateur Bel-
court.
L'étude de M. Antonio Perrault sur nos lois françaises, donnée le
15 janvier, est probablement le travail le plus complet qui ait encore été
fait sur le sujet. Un professeur de Droit français, de réputation inter-
nationale, disait après la séance : C'est une construction puissante.
Le président d'honneur de la soirée, le distingué bâtonnier du barreau
de Montréal, déclarait de son côté que l'autevir avait à peu près épuisé
le sujet. On voudra lire et répandre cette étude puissante, qui s'appuie
à la fois sur l'histoire nationale et sur la philosophie du Droit et dont
M. Aimé Geoffrion a résumé, en la faisant sienne, la pensée inspira-
trice : Nous devons défendre nos lois françaises parce qu'elles sont un
rempart contre les attaques de l'ennemi assimilateur.
Aucun de ceux qui l'ont entendu n'oubUera l'accent qui marquait
les dernières paroles du conférencier et révélait tout l'esprit de son
travail :
« Que si d'aventure, Von s'étonne de cette attitude, répondons que les
Canadiens français voient, dans la persistance à maintenir tout ce qui
leur fut légué par la tradition, le motif de leur fierté et l'un de leurs InUs
de vivre.
« Vous vous rappelez les termes de la lettre que Maurice Barres
adressa à Frédéric Masson et dont il fit la préface de son livre Colette Bau-
-doche. Rappelant que Colette Baudoche était la sœur de Paul Ehrmann,
e héros du livre Au Service de l'Allemagne, Barres ajoutait : « J'ai
Voulu décrire les seritiments des récentes générations d'Alsace, de Lorraine
ft de Metz à l'égard des vainqueurs. J'admire en elles ce qui me parait
le signe d'une humanité supérieure • la volonté de ne pas subir, la volonté
de n'accepter que ce qui s'accorde avec leur sentiment intérieur. Ces
captifs et ces captives continuent d'ajouter au capital cornélien de la
France. »
« La constance et la fierté qui font . si grandes les populations de
l'Alsace et de la Lorraine ne peuvent pas être chez les Caijadiens français
une preuve d'infériorité. Que si ces sentiments, développés ici depuis
150 ans, n'ont pas encore réussi à nous gagner l'admiration des autres,
que, du moins, ils nous soient une force, une raison de vie. C'est sous cet
aspect que se présente la lutte pour le maintien de nos lois, l'un des signes
distinclifs de notre race. C'est pour ne pas amoindrir notre caractère que
îwus les voulons conserver. Avec elles nous sotnmes entrés dans la Con-
fédération, avec elles nous y resterons. »
l'action française 33
M. Perrault avait précédemment lancé une proposition qui fait
le plus grand honneur à l'Action française, encore qu'elle pxiisse im peu
l'eflfrayer par son importance, et qu'elle étudiera sûrement avec un. très
vif intérêt. « La condition du succès , disait-il, c'est la coordination des
efforts. Qui prendra la direction du mouvement ? Pour que celte soirée
se termine de façon tout à fait utile à la survivance de notre système de lois,
je suggère à Z' Action française de constituer une commission dont les
membres se proposeraient surtout de surveiller, du point de vue qui nous
occupe, la législation fédérale et celle dé la Législature, de préparer les
amendements jugés nécessaires à nos lois civiles, d'encourager les jeunes
et les aînés à poursuivre les études juridiques et à augmenter en cette pro-
vince le nombre des thèses et des ouvrages de droit. Placé sous la direction
de i'Action française, ce groupe aurait chance défaire œuvre forte et dura-
ble. Il recevrait de vous, mesdames et messieurs, sympathie et encourage-
ment. Connaissant mieux nos lois, les aimant, vous seriez prêts à joindre
vos sacrifices à ceux qui se dévoueraient pour les conserveY. »
Il y a sûrement quelque chose à faire en ce sens.
Au DEHORS — Qu'on nous permette d'ajouter à ce propos que
l'Action française n'entend point borner à la série du ]Monimaent National,
pour brillante qu'elle soit, son action par la conférence. Nous sommes
à la disposition de ceux de nos amis qui veulent organiser à Montréal ou
en dehors de Montréal des conférences particulières. Qu'ils veuillent
bien communiquer avec notre secrétariat (32, Immeuble de la Sauve-
garde), exposer leurs desseins et nous nous efforcerons de lem- donner
satisfaction. Nous poin-rons fournir des conférenciers qui traiteront
de l'Action française elle-même ou des sujets qui se rattachent à nos
campagnes.
C'est un service que nous nous proposons de développer.
L'Almanach — La plus ancienne de nos publications périodiques,
c'est l'Almaruich de la langue française. Elle fut, au début, notre plus
sûr moyen de communication avec le public. Elle reste l'une de nos
œuvres préférées, car elle pénètre plus profondément que les autres
34 l' ACTION FRANÇAISE
dans les couches populaires. La rapidité de son succès a été l'une des
meilleures preuves de l'opportunité de notre œuvre et des puissantes
sympathies qu'elle suscite.
Cette année, cependant, nous éprouvions quelques inquiétudes.
Un concours de circonstances malheureu.ses avait retardé notre pubU-
cation, la hausse du papier et de la main-d'œuvre nous avait contraints
d'élever nos prix. Nous nous demandions si tout cela ne paralyserait
pas l'élan ancien.
Or le succès a été foudroyant, presque embarrassant, et fort désa-
gréable pour certains de nos amis dont nous n'avons pu exécuter les
commandes. En quelques jours nos 25,000 exemplaires ont été enlevés
et, comme il était matériellement impossible de réimprimer, nous avons
dû décevoir plusieurs de nos amis. Nous nous en excusons et nous
les prions d'agréer avec nos excuses nos meilleurs remerciements.
Cette campagne de VAbnanach nous a révélé des merveilles de
dévouement et d'ingéniosité. Elle nous a démontré que les mêmes
méthodes généralisées obtiendraient des résultats auxquels nous n'osions
songer que dans nos rêves les plus ambitieux.
Il y faudra penser tout au cours de cette année. De notre côté,
nous nous proposons bien de faiïe V Almanach de 1920 plus varié, plus
populaire encore, que ses prédécesseurs. .
Les Refrains de chez nous — De toutes nos publications, les
Refrains de chez nous sont assurément, avec V Almanach, celle qui peut
atteindre la plus large diffusion. La chanson intéresse tout le monde,
elle peut pénétrer partout. Alors que le tirage de certaines brochures
est forcément limité à quelques milliers, il n'y a point de raison pour
que celui des Refrains n'atteigne ou ne déi)asse les cent mille. Si k'
chiffre vous jîaraît excessif, songez au nombre de fox^ers d'Amérique où
l'on chante en français.
La propagande des Refrains de chez nous est très facile, l'ne
trentaine de chansons, paroles et musique, sous une élégante couvertiu'c,
cela n'est vraiment pas cher. Les réductions consenties par quantités
laissent aux propagandistes ime marge raisonnable. Comme toute
notre série orange (La Fierté, Pour Z' Action française, La Veillée des
berceaux), les Refrains de chez nous se vendent 10 sous l'exemplaire.
l'action française 35
■SI la douzaine, $8 le cent, $70 le mille, frais de port en plus. On peut,
dans les commandes, mêler les diverses brochures et bénéficier des
mêmes réductions que si l'on n'en commandait qu'une.
La série orange — Cette série orange, par laquelle fut inaugurée
notre Bibliothèque et qui se prolongera, comprend actuellement, ainsi
que nous l'indiquions plus haut, la Fierté, presque épuisée, en dépit
d'un triple tirage de 11,000, Pour V Action française et la Veillée des
berceaux. Pour l'Action française, de M. l'abbé Lionel Groulx, est un
exposé du programme et des projets de l'Action française : ce sont des
pages nécessaires à qui veut connaître ou faire connaître notre œuvre
et qui sont du reste rédigées avec le haut souci d'art habituel à M. l'abbé
Groulx. La Veillée des berceaux est la plus prenante étude sur la mor-
talité infantile, ses causes, et ses remèdes, qui ait encore été publiée
chez nous. Elle contient une série de tableaiux et de statistiques qu'on
ne trouvait jusqu'ici que dans les publications officielles et les revues
techniques. Elle devrait être lue par tous ceux qui s'intéressent à
l'avenir de notre race. M. Edouard Montpetit a mis là, avec ses
liabitudes d'économiste et son aptitude à manier les chiffres, le meilleur
(le son cœur.
A la série orange se rattachent naturellement deux publications
hors cadre, du même prix : les Refrains de chez nous, déjà nommés,
et les Choses de chez nous, c^ui reproduisent la sul)stance de l'Almanach
de 1917, l'un des plus intéressants que nous aj^ons publiés. La série
elle-même s'enrichira probablement d'ici quelques semaines de la
Valeur économique du français, de M. Léon Lorrain, de Ce qui fait
la grandeur d'une race, du R. P. Louis Lalande, de Si Dollard revenait. . .
de M. l'abbé Lionel Groulx, et de la Caravane passe. . . , de M. Edouard
Montpetit.
On voit cjue nous avons du pain sur la planche, et la série orange
est pourtant devenue insuffisante. Il a fallu lui donner des sœurs.
« La Langue, gardienne de la Foi » — La Langue, gardienne de
la Foi, inaugure brillamment la série verte. Cette brochurette de
quatre-vingt-six pages, format de l'Action française, contient le texte
36 l'action française
intégral de la grande conférence donnée par M. Bourassa sous les
auspices de V Action française — de l'aveu de tous, l'ime des plus solides
et des plus brillantes qu'il ait encore prononcées — ainsi que le texte
latin et la version française de la lettre Litteris Apostolicis, les commen-
taires qu'ont faits de cette lettre Mgr L.-A. Paquet et le R. P. Rouleau,
O. P., une consultation du R. P. Leduc : Langue et Religion et une
allocution de M. l'abbé Perrier. Le tout forme im petit volume du
plus haut intérêt, excellent comme instrument de propagande. Prix :
25 sous l'exemplaire, $2.50 la dou2aine, S20 le cent, S175 le mille, port
en plus. Au moment où nous allons sous presse, 2,000 exemplaires de
cette brochure sont déjà vendus.
C'est très probablement dans cette série verte que paraîtra le
plaidoj'er de M. Antonio Perrault Pour la défense de nos lois françaises.
Une autre série, de format plus considérable, sera inaugurée par La
naissance d'une Race, de 'SI. l'abbé Groulx et VAu Service de la Tradition
française de M. Edouard Montpetit.
L'hommage a Paul- Emile L.\jiarche — Le mois prochain verra
paraître le volume que l'Action française, d'accord avec les amis de
Lamarche, consacre à la mémoire de ce serviteur insigne de la cause
française. Ce volume contiendra les principales études de Lamarche
et les articles pubhés à son sujet. Le tout couvrira 300 pages environ et
réimira quelques-uns des noms les plus cormus, les mievux notés de notre
pays.
Paul-Émile Lamarche (Oeuvres-Hommages) se vendra SI franco ;
$10 la douzaine, S75 le cent, port en plus.
1917-1918
11 ne nous reste plus de collections de l'Action française de 1917.
Nous réussissons parfois, grâce au retour de vieux numéros, à cons-
tituer une ou deux collections. Elles se vendent alors de S3.00 à $3.50.
L'année 1918, déjà très rare, se vend $2. Elle contient l'enquête
sur Nos forces nationales. On peut se procurer au prix de 15 sous un
certain nombre de livraisons détachées.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
LA PUISSANCE DU CANADA^
C'est le titre que M. l'abbé Groulx a donné à la cinquième et
dernière de ses conférences sur la Confédération. Tout le monde sait
que ces mots traduisent assez improprement la formule anglaise Domi-
nion of Canada; et c'est bien le cas de répéter la boutade célèbre : les
traductions ne sont jamais que de belles infidèles. Je me demande si,
en adoptant ces vocables ambitieux, et en les faisant figurer en tête
de l'étude finale et svTithétique où, ramassant toutes les données éparses
dans les études précédentes, il en tire les conclusions nécessaires, l'auteur
n'y a pas mis ime intention d'ironie. Car il ressort ceci de son œuvre :
que le Canada confédéré n'a jamais été xme puissance, bien plus, qu'il
ne le deviendra jamais sous ce régime, lequel a suffisamment fait ses
preuves. Xi les hommes qui ont présidé à sa formation n'ont été assez
grands politiques, ni ils n'ont eu assez d'élévation d'esprit et de vues
d'avenir, ni ils n'étaient animés tous d'un sens assez profond de justice
et de désintéressement, dans les questions de race et de religion, pour
doter cet organisme d'une vie riche et ample, qui se fût accrue avec son
fonctionnement, et qui se fût conditionnée aux problèmes nouveaux que
le temps et les progrès du paj's devaient faire éclore. Les constitutions
ne sont pas des théories pures et abstraites, comme une République de
Platon; elles sont élaborées et ordonnées en vue de la pratique; elles sont
en puissance prochaine d'action. Et leur mise en œu\Te est la pierre
de touche où se juge leur valeur. A la lumière de ce principe, que faut-il
penser de la confédération canadienne dans l'ensemble ? « Quand je
considère à la fois les anciennes espérances et les résultats actuels, ai-je
le droit de m'étonner si quelques-uns, regardant à certaines pièces de
l'entreprise, prononcent les mots très graves de fiasco et de faillite ? » ^
L'auteur ne prend pas précisément à son compte ces mots « très graves ».
^ Abbé Lionel Groulx, La Confédération canadienne, conférences
prononcées à l'Université Laval de Montréal, 1917-18, 264 pages.
2 P. 237.
' 38 l'action française
Mais la leçon qui se dégage de ses considérations générales est que la
confédération avait au moins un vice radical et originel, puisque, établie
pour porter le Canada vers une forme de vie de plus en plus personnelle
et autonome, sinon indépendante, et pour le faire entrer dans la société
des nations, elle a au contraire abouti à cette régression : « le régime
malfaisant de l'ancien Colonial Office. » ^ Dira-t-on que ce retour,
cette marche en arrière dont nous sommes plus que menacés, est unique-
ment la faute des hommes et des circonstances ? Ceci est une pauvre
excuse. Si la cQnstitution que les « Pères » nous ont donnée eût été
d'une trame plus solide et plus serrée, que son but de nationaUsation
eût été plus nettement défini, et les moyens d'y parvenir honnêtement
marqués, il se fût formé, au cowis des cinquante années qui se sont
écoulées depuis sa mise en vigueur, un état d'esprit public à décourager
toute tentative pour nous faire retomber en tutelle. Si l'arche sainte
de nos lois avait été véritablement bâtie par des maîtres-ouvriers, elle
eût brisé les hommes assez hardis pour oser y porter la main et la plier
à leurs desseins réactionnaires. Au lieu de cela, que n'a-t-on pas vu,
en maintes circonstances? La période qui va de 1898 jusqu'à l'heure
présente, notamment, a été marquée par des concessions toujours plus
larges à l'idée impériaUste, en sorte que le coloniaUsme, loin de se dis-
soudre dans une vie nationale riche de réalités et de promesses, a pris
au sein même d'un système qui devait lui donner le coup de grâce, une
reviviscence qui déroute le penseur. 11 semble bien que nous soyons
plus enserrés dans les mailles britanniques qu'avant la Confédération.
D'autre part, il paraît prouvé que, dans la pensée de ses fondateurs,
cette forme de gouvernement était destinée à produire un résultat tout
autre. Par quel hasard leurs espérances ont-elles été trahies ? N'est-ce
pas que, dans les rouages de cet organisme, il y avait quelque chose de
foncièrement défectueux qui devait se manifester à l'exercice? Les
historiens français sont unanimes à dire que le plus grand grief que la
postérité ait fait aux deux Napoléon a été d'avoir, l'un et l'autre, laissé
la France plus petite qu'ils ne l'avaient prise. Elle leur eût pardonné
tout peut-être, excepté cela. Or, la confédération canadienne a amoin-
dri le Canada, non pas sans doute matériellement, non pas dans ses
frontières, qui sont intactes, non pas dans ses richesses économiques,
qu'elle a au contraire développées beaucoup, mais dans ses légitimes
aspirations vers une existence plus libre d'entraves. Le régime même
'Page 230.
l'actiox feaxçaise 39
qui devait détendre, jusqu'à les supprimer pratiquement, les Uens avec
la Métropole, a, par un renversement des choses, accentué, et re^du plus
étroite notre sujétion. Et ceci autorise l'historien indépendant à con-
clure que ce régime est éminemment transitoire, qu'il a donné, en bien-
faits, tout ce que l'on en pouvait attendre. Il a probablement assez
vécu. S'il doit se prolonger encore, ce ne peut être indéfiniment.
Etant donné le recul moral qui se constate après un demi-siècle d'action,
il ferait mentir, en durant beaucoup encore, la loi éternelle qui veut que
le progrès soit la condition de la vie. Il n'est donc pas téméraire de
prévoir sa disparition plus ou moins prochaine ou une évolution politi-
que qui en soit l'équivalent. Mais l'on ne détruit que ce que l'on rem-
place. Et quelle forme s'instaurera pour reprendre le cours, interrompu,
si non brisé, de nos destinées nationales ? C'est le secret de l'avenir, ou
mieux de la Providence. Dans les élaborations futures, il j' a un élé-
ment qui de^Ta compter pour beaucoup, et c'est le nôtre. Nous nous
sommes considérablement accrus, durant les cinquante dernières années.
Et ceci n'est sans doute pas l'effet direct de la Confédération, mais ceci
s'est produit sous la Confédération, et, en un certain sens, peut être mis
à son actif. Et voici une vue historique qui a été contestée, qui le sera
encore, hélas ! bien que, dans la réahté, à la distance où nous sommes
de toutes les querelles de factions, avec cette sérénité de jugement que
donne la perspective lointaine, elle nous semble incontestable : le mou-
vement nationaliste a imprégné les masses populaires d'idées qui seront
un facteur puissant dans le système politique de l'avenir. Nous défi-
nirons d'un mot le nationahsme : il nous a donné conscience de nous-
mêmes. Et cela de-\Tait suffire à le faire bien venir de tous. Mais,
comme le vent fait les chênes, les oppositions qu'il rencontre ne l'aident
qu'à pousser plus profondément ses racines dans le sol. Une faveur trop
générale dès l'origine l'eût probablement mal ser^d. La lutte lui permet
de développer ses principes féconds et d'étendre son emprise dans les
âmes, se préparant ainsi des réser\-es de plus en plus nombreuses, qui
inter\'iendront eflBcacement quand l'heure fixée par la Providence pour
ses grands desseins sera arrivée.
C'est ainsi que le hvre de M. l'abbé Groulx, se ferme sur une
parole d'espérance. Nous venons de repenser les idées générales qui en
découlent, et dans l'expression desquelles l'auteur s'élève à la plus haute
40 L'ACTtON FRANÇAISE
philosophie historique. Comme tous les voyants, M. l'abbé peut
s'attendre à heurter des états d'âme qu'il ne fait pas bon déranger.
C'est le sort commun aux prophètes de toujours venir trop tôt. Les
esprits éminemment intuitifs ne sont d'abord compris que d'un petit
nombre. Mais le temps travaille pour eux. Et d'aUleurs, les intuitions
lumineuses dont fourmille la synthèse de cet ouvrage sont-elles autre
chose que la résultante d'un examen minutieux, précis, impartial de
la confédération canadienne? Et c'est pourquoi il nous paraît si dif-
ficile d'échapper à leur impitoyable logique. Cependant, cet ouvrage,
à peu près définitif, n'a pas reçu, de la part de nos critiques plus ou moins
oflBciels, l'accueil qu'il méritait, pour bien des raisons qui n'ont rien à
voir avec sa valeur intrinsèque. Et d'abord, tel est l'empire des mots
chez nous ! Au-dessous du titre, siu* la couverture, il y a : Conférences
prononcées à V Université Laval. Et tout de suite, en certains miUeux
l'on s'est redressé, l'on s'est mis en garde. Et pourquoi ? A cause du
mot : Conférences. L'on a vu là de l'éloquence, de cette éloquence
dont Pascal a dit : « l'éloquence continue ennuie » ; l'on a imprimé
ceci : « en certains endroits l'oratevu: fait oubUer l'historien ». Un
autre critique n'a loué l'auteur que de ses dons d'artiste et d'écrivain, —
ce qui, en l'espèce, était médiocrement obhgeant. Bref, l'on a passé
vite, tout comme s'il se fût agi d'un simple exercice oratoire, d'une œuvre
de rhétoricien. Certes, l'on a raison de se méfier d'im certain genre
d'éloquence qui a fait chez nous assez de ravages. Dieu merci ! Et il
faut lire dans l'Avenir du Peuple canadien-français de ce pauvre Edmond
de Nevers les pages où il parle avec tant de verve de ce qui a sévi dans
notre province, à l'état de fléau : l'éloquence pohtique, les discours de
huslings. Mais il y a éloquence et éloquence. Éloquent ? M. l'abbé
Groulx l'est, à la manière des grands écrivains. Dans ces conférences,
par exemple, il l'est comme l'a été Sainte-Beuve, dans son Port-Royal.
Le grand critique a aussi parlé ce hvre avant de l'imprimer. Dira-t-on
cependant que l'orateur y fait oubher le critique ? Et M. l'abbé Groulx
a également parlé son cours. Et cela, certes, ne l'a pas empêché de s'y
montrer avant tout historien, par l'abondance, la diversité, la sûreté de
l'information, la souple et impartiale discussion des textes, la fine
psychologie des personnages qui posent devant ses yeux/ et la philoso-
phie qu'il tire des événements. Cela lui a seulement permis, — et
* Cf. p. 139-140 les portraits de Cartier et MacDonald, c'est de la
grande peinture.
l'action française 41
c'est tout à sa gloire, — de donner, d'insuffler à cette matière qu'il
remuait et sculptait, la vie, la vie de l'art. Pas de déclamation ! Pas
de périodes creuses ou ampoulées ! l'éloquence, oui, le genre d'élo-
quence que comportait le sujet, cette éloquence universitaire, à laquelle
M. l'abbé Groulx aura apporté une remarquable contribution, en même
temps qu'il aura donné à notre Histoire l'un de ses plus solides et dura-
bles travaux^. Pour être prophète à mon tour, j'ose annoncer que
La Confédération canadienne deviendra un ouvrage classique. Que
parlé-je de le devenir? Mais elle l'est d'ores et déjà !
Henri d' Arles.
A PROPOS D'INSTRUCTION OBLIGATOIRE ^
Ce volimae, grand format, de cent vingt pages, contient une série
d'études sur la situation scolaire de la province de Québec, envisagée
surtout en fonction des projets d'instruction obligatoire. Deux des
appendices se rattachent de façon particuhère aux grands thèmes
traités dans notre revue : Le status scolaire des catholiques de langue
anglaise dans la province de Québec et le status scolaire de la minorité
protestante dans la province de Québec (réponse à M. J.-A. Nicholson, de
l'Université McGill).
Ce nouveau livre de M. Magnan se vend 50 sous l'exemplaire,
franco; à la douzaine, $5; au cent, $3ô, frais de port en plus.
1 Nous ferons ime petite remarque à propos d'un passage de la
page 205 : l'auteur y loue les « Pères », Cartier en particulier, d'avoir
introduit la religion dans nos Lois, et il oppose leur conduite sur ce
point aux « Pères » de la constitution américaine qui est neutre devant
les dénominations religieuses, et tout à fait un-sectarian, comme on dit.
Et c'est juste. Mais l'auteur, à cet endroit, parle de l'athéisme officiel,
comme si cela se rapportait aux États-Unis, ou du moins l'on peut
presque inférer, à cause du contexte, qu'il s'agit des États-Unis. Ce ne
fut jamais sa pensée, puisque les États-Um's, officiellement, reconnaissent
l'existence de Dieu et l'invoquent. Chaque congrès s'ouvre par une
prière. Dans une prochaine édition, l'auteur voudra sans doute dis-
siper ce qui peut prêter ici à vm malentendu.
2 A PROPOS D'INSTRUCTION OBLIGATOIRE.— La situa-
tion SCOLAIRE DANS LA PROVINCE DE QuÊBEC, suivics d'appeudices
docuinentaires, par C.-J. Magnan, Québec, 1919.
42 l'actiox française
L'ANGLAIS ET LE FRANÇAIS
M. l'abbé Henri Beaudé {il n'j- a guère d'indiscrétion à noter que
tel est le nom véritable de notre collaborateur Henri d'Arles,) a récem-
ment prononcé devant une assemblée des représentants du comité
d'américanisation du New Hampshire et de l'association dite Canado-
américaine, un important discours dont nous extrayons le passage
ci-dessous :
« La vérité est dans cette thèse, d'une justesse absolue, irrécusable,
et développée au long, avec preuves à l'appui, dans rou\Tage magistral
de M. Jusserand, ambassadeur de France auprès des États-Unis, et
intitulé « Histoire Littéraire du Peuple anglais. » ^L Jusserand
démontre ce point d'histoire à savoir : que la langue anglaise est née
de la langue française. Pendant les trois siècles qui ont sui\n la con-
quête de l'Angleterre par les Normands, le français a été parlé, non
seulement à la cour et parmi les nobles, mais dans toute l'étendue du
roj'aiime. Et n'est-il pas également prouvé que toute l'Ecosse s'était
francisée d'elle-même sous la douce et pacifique influence de l'infortunée
reine Marie Stuart '? Puis, par l'effet d'une de ces évolutions mysté-
rieuses qui sont à la base de tous les parlers des peuples modernes, le
français qui régnait et florissait en Grande-Bretagne a subi peu à peu
une lente tran.sformation; il a en quelque sorte été jeté dans le creuset
populaire et 3' a rencontré un apport plutôt faible de mots saxons;
et c'est du mélange, de la fusion de ces deux idiomes qu'est sorti ce
que l'on appelle l'anglais. Mais le français a prédominé dans la création
de ce nouveau verbe qui est venu varier la physionomie hnguistique
de l'Europe.
L'anglais est en puissance du français. Et de même que les plus
grands philologues, un Ferdinand Bnmot par exemple, définissent ainsi
le français : « Le français, c'est du latin parlé », — nous pouvons
définir l'anglais : « L'anglais, c'est dufrattçais prononcé dijjéremmeiit. »
Dans le vocabulaire anglais, l'on compte jusqu'à 25,000 mots qui ont
été empruntés au nôtre et qui ont passé dans le parler britannique sans
presque subir de modification. En sorte que la langue anglaise est
tributaire de la nôtre dans son existence et sa formation. Et ceci
explique que celui qui sait le français puisse si facilement apprendre
l'anglais. Possédant le français, il maîtrise les éléments, les principes
tlesquels l'anglais a jailU, il est à la source de ce parler, et, pour arriver
à le connaître, il n'a plus qu'à se laisser aller au courant et qu'à descen-
dre avec le flot originel. De même que celui qui sait le latin tient la
l'action fkançaise 43
clef qui lui permet de pénétrer de plain-pied dans l'édifice du français,
de même celui qui sait le français a l'instrument qui lui ou^Te les portes
de l'anglais. Et l'on remarque que tous ceux des écrivains anglais
qui se sont donné une culture française ont une maîtrise de leur langue
qui leur confère une supériorité éclatante sur les autres. Et pour-
quoi ? Si ce n'est parce qu'ils se sont donné la peine de remonter à
la source même de leur langue et de leur art. Voici deux nations ger-
maniques : l'Angleterre et l'Allemagne. L'une produit son plus
grand poète — Shakespeare, — arrive à la suprême efflorescence de
son génie national dès l'époque de la Renaissance; — l'autre ne produit
le sien — Goethe — que trois siècles plus tard, à la fin du XVIIIe. —
Pourquoi le développement intellectuel de l'une a-t-il été si hâtif, et
pourquoi l'autre a-t-elle été si lente avant d'atteindre au sommet ? La
raison en est que l'Angleterre, grâce à la conquête normande, a été
pénétrée de bonne heure de ce génie latin qui a mis en effervescence
le génie national; dans ce contact prolongé avec une civilisation héritiè-
re de toutes les richesses classiques, son âme s'est réveillée, assouplie,
ouverte à la Beauté antique, et, à une heure donnée, Shakespeare a
paru qui a incarné et synthétisé tout ce que la race saxonne devait au
monde gallo-romain. Tandis que l'Allemagne, qui n'avait pas eu cette
chance de subir les infiltrations lumineuses et excitatrices d'un génie
supérieur, l'Allemagne, abandonnée à sa lourdeur native, n'a donné sa
plus belle fleur de Beauté que des siècles plus tard.
« Cela étant, je dis que votre comité, messieurs, n'arrivera jamais
plus sûrement et plus directement à ses fins. — répandre la connais-
sance de l'anglais, langue officielle du pays, — qu'en nous laissant bien
libres d'enseigner à nos enfants le français, tout comme auparavant, et
même plus largement encore. »
Ce discours, avec quelques autres pièces, sera prochainement
publié en tract par la Ligue du Ralliement franco-américain et sera en
vente à nos bureaux, aux prix ordinaires de notre série orange : 10 sous
l'exemplaire, SI. 00 la douzaine, $8.00 le cent, frais de port en plus.
RENO UVÊLLEMENT
Xos abonnés sont priés de ne pas oublier de renouveler le plus tôt
possible leur abonnement pour 1919. On est aussi prié, en faisant les
remises, d'indiquer s'il s'agit d'un renouvellement ou d'im nouvel
abonnement. Ceux qui n'ont pas encore soldé leir abonnement de 1918
voudront bien s'acquitter au plus tôt.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LA LOI LAVERGNE ET LES TRIBUNAUX
Le 19 décembre dernier, la Cour de Révision composée de MM.
les juges Lajontaine, Tellier et Lorangei- a rendu, dans une cause de
Jolicœur contre la Dominion Express, un jugement important, oîi la loi
Laverçne est invoquée. On trouvera ci-dessous le texte des notes de M. le
ju^e Tellier, dont le tribunal a adopté les conclurions. Pierre Homier,
dans Z' Action française d'avril, avait commenté la décision du tribunal
de première instance dans cette même affaire.
COUR DE RÉVISION
Province de Québec
District de Montréal
No 2768
OMER JOLICŒUR Demandeur
vs
DOMINION EXPRESS COMPANY Défenderesse
NOTES DU JUGE TELLIER
Le 13 août 1917, le Demandeur confia à la Défenderesse, à L'Epi-
phanie, une malle que celle-ci s'obligea de lui transporter à Montréal
au no 279 de la rue Chapleau. Le sous-agent de gare qui reçut la malle
la pesa et fit payer 40 sous au Demandeur en lui disant que ce prix-là
était proportionné à la pesanteur de la malle; puis il lui remit ensuite
un reçu de consignation ou lettre de voiture.
La malle se perdit en route et ne fut pas retrouvée. De là la pré-
sente action pour la somme de S150.00, valeur alléguée de la malle
et de son contenu.
La Défenderesse a d'abord plaidé X)ar ime dénégation générale,
et la cause fut inscrite au rôle pour instruction, après contestation liée.
l'action française 45
La Défenderesse se ravisa plus tard cependant et produisit une
confession de jugement pour $50.00 avec dépens d'une action de ,ce
montant réglée après production de la défense. Le Demandeur refusa
cette confession, tout en prenant jugement pour autant sous rései-ve. ,
La Défenderesse produisit alors une défense où elle plaide qu'elle
n'est pas responsable au delà de $50.00, à cause d'une condition spéciale
de la lettre de voiture qui limite à ce chiffre-là sa responsabilité. La
lettre de voiture qui est toute en langue anglaise contient, en effet, à
sa face, la clause ou condition suivante :
« Liabnity limited to $50.00 unless higher value is declared bj'
shipper and inserted herein, in which case an extra charge is made
depending upon the value declared. Xo extra charge if value declared
under $50.00. »
Le Demandeur répond qu'il n'a rien connu de cette clause au
moment du contrat; que personne ne lui en a parlé; qu'il manque
d'ailleurs d'expérience à ce sujet, n'étant qu'un simple ouvrier; qu'il
sait lire le français, mais pas l'anglais; que la loi obligeait la Défenderesse
à lui donner un reçu imprimé en français et en anglais; que le sous-
agent de gare ne lui a pas du tout parlé de la valeur de sa maUe; que
le dit sous-agent l'a plutôt induit à penser que la valeur de la malle
n'importait aucunement, vu qu'il lui a représenté que le prix du trans-
port était proportionné à la pesanteur; et, en un mot, que la dite clause
ne lie pas le Demandeur.
II s'agit donc de savoir si la clause en question libère la Défende-
resse au delà du montant de sa confession de jugement.
La règle générale, c'est que les voitiu-iers sont tenus de recevoir et
transporter les effets qu'on leur offre à transporter, et qu'ils sont res-
ponsables de la perte et des avaries des effets qui leur sont confiés
(C. c. 1673-4-5). Pour limiter leur responsabilité, les voituriers ont
besoin du consentement des intéressés. Ce consentement peut être
exprès ou présumé. Il est exprès lorsqu'on s'exprime formellement
à ce sujet. Il est présumé lorsqu'un intéressé connaissant la limita-
tion, n'y objecte pas en contractant. C'est par fexemple ce qui ressort
de l'article 1576 du Code civil.
« 1576. Les avis par les voituriers de conditions spéciales limitant
leur responsabilité, ne Uent que les personnes qui en ont connaissance . . »
Dans le cas qui nous occupe, il me paraît é^^dent que le Demandeur
n'a rien su au moment du contrat de la clause limitative que la Défen-
deresse invoque aujourd'hui contre lui. Le sous-agent ne lui en a pas
46 l'actiox française
parlé, et ne s'est même pas enqiiis de la valem- de la malle. Nous en
avons la preuve non seulement dans le témoignage du Demandeur, mais
aussi par le reçu lui-même où l'on voit que l'espace réservé pour l'indica-
tion de la valeur de roV)jet consigne est resté en Ijlanc. Le sous-agent
ne s'est occupé que d'une chose, la pesanteur. Pui.sque la valeur de
la malle importait, ne devait-il pas la demander? N'était-ce pas son
devoir d'avertir le Demandeur de la clause limitant la responsabilité
de la Défenderesse ? Au moins, s'il lui eût remis ime lettre de voiture
imprimée en français et en anglais, comme la loi le lui prescrivait,
article 16S2c du Code ci\'il :
« Doivent être imprimés en français et en anglais les billets des
voyageurs, les bulletins d'enregistrement des bagages, les imprimés pour
lettres de voiture, connaissements, dépêches télégraphiques, feuilles et
formules de contrat faits, fournis ou délivrés par une compagnie de
chemin de fer, de na\-igation, de télégraphe, de téléphone, de transport
et de messageries ou d'énergie électrique, ainsi que les avis ou règle-
ments, affiches dans ses gares, bateaux, usines ou ateliers. »
Au lieu de cela, c'est une lettre de voiture imprimée en anglais
seulement que le sous-agent a remise au Demandeur. Comment
veut-on que celui-ci ait eu connaissance de la clause limitative de la
Défenderesse, puisqu'il ne lit pas l'anglais? Et, s'il n'en a pas eu
connaissance, peut-on la lui opposer ? Il me semble que non.
Je suis donc d'avis que le jugement du tribunal de première
instance fait erreur, et je l'infirmerais. Puis procédant à rendre le
jugement auquel a droit le Demandeur, je condamnerais la Défen-
deresse à lui payer $150.00, valeur de la malle et de son contenu, avec
intérêt depuis l'assignation et les dépens tant en première instance
qu'en révision, moins cependant le montant déjà alloué par le jugement
rendu sur la confession de jugement de la Défenderesse.
LA SASKATCHEWAN
Voici, d'après le Patriote de l'Ouest, In version française de l'ancien
et du nouveau texte qui visent la situation scolaire du français en Sas-
katche^can :
1 — L'ANCIEN ARTICLE 177
L'enseignement dans toutes les écoles se donne en langue anglaise,
mais il est loisible à la commission de \m\\ arrondisse iuput d'établir
un cours primaire en langue française.
l'action française 47
(2) La commission de tout arrondissement, peut, subordonnémen
aux règlements du département, employer une ou plusieurs personnes
compétentes pour donner des leçons en toute langue autre que l'anglais
dans l'école de l'arrondissement à tous les élèves dont les parents ou les
tuteurs ont exprimé le désir qu'ils reçoivent un tel enseignement, mais
cet enseignement ne doit pas remplacer, ni gêner en quoi que ce soit,
l'enseignement de l'instituteur chargé de l'école, ainsi que le requièrent
les règlements du département et la présente loi.
(3) La commission a le pouvoir de prélever les sommes d'argent
qiii peuvent être requises pour payer les appointements de ces person-
nes, et tous les frais, charges et dépenses de cet enseignement sont per-
çus au moyen d'une taxe spéciale qui est imposée aux parents et aux
tuteurs des élèves qui en profitent.
II — LE NOUVEL ARTICLE 177
177. (1) Sauf tel que stipulé ci-dessous, l'anglais sera la seule langue
d'instruction dans toutes les écoles et aucune autre langue que l'anglais
ne sera enseignée durant les heures de classe.
(2) Le français peut être employé comme langue d'instruction
mais cet usage du français ne sera pas continué au delà du grade 1, et
dans le cas de tout enfant, ne sera pas continué au delà de la première
année de l'assistance à l'école de cet enfant.
(3) Quand le bureau d'un district adopte une résolution à cet
effet, la langue française peut être enseignée comme sujet d'étude pen-
dant ime période n'excédant pas vme heure par jour, comme faisant
partie du cours scolaire. Cet enseignement comprendra la lecture
française, la grammaire française et la composition française.
(4) Là où la langue française est enseignée d'après les stipulations
des sous-sections (2) ou (3), tous les élèves des écoles qui ne désirent
pas recevoir cette instruction seront profitablement employés à d'autres
travaux scolaires pendant qu'on donne cette instruction.
De ce texte, le R. P. Auclair, directeur du Patriote, écrit d'abord dans
s<i livraison du 25 décembre 191S :
« A considérer la nouvelle législation en elle-même, d'après ce qui
devrait être, on la trouvera bien étroite et bien mesquine. Une année
seulement d'enseignement dans la langue maternelle et ensuite une heure
de français par jour, à condition encore que la commission scolaire
l'exige, c'est bien peu.
48 l'actionTfrançaise
« Le français, nous le répétons, a les mêmes droits que l'anglais dans
notre pays. C'est ce principe qui devrait être à la base de toute la
législation scolaire dans chaque province. En fait que voit-on ? Seule
la province de Québec a l'esprit assez large poiu: donner une pleine
mesure de justice et rester fidèle à l'esprit sinon à la lettre de la Cons-
titution. Partout ailleurs on nous place dans une position d'infériorité
pour l'unique raison, très prussienne, que nous ne sommes qu'une
minorité. Cet état de choses durera tant que la majorité ne sera pas
convertie à des idées plus justes et plus larges, à l'idée véritablement
canadienne.
« C'est dire combien en thèse absolue nous ne pouvons pas nous
déclarer satisfaits et combien nous devons travailler encore à éclairer
l'opinion anglaise, à démoUr les préjugés invétérés, pour qu'vm jour
enfin, justice complète nous soit rendue. La tâche est herculéenne.
Elle ne doit pas cependant décourager des cœurs vaillants. Nous
devons continuer à lutter sans défaillance. Il a fallu quatre années de
guerre pour refouler les Allemands; il en faudra bien davantage pour
faire disparaître de la mentalité anglo-canadienne toute trace de ce
prussianisme qui la domine et dont la plupart du temps elle ne se rend
pas compte. »
Puis, le R. P. Auclair ajoute :
« Maintenant, si l'on compare la nouvelle législation scolaire à
l'ancienne, on peut dire qu'en pratique, la position du français reste
sensiblement la même. Il est vrai que le « cours primaire », si mal
défini jusqu'ici, est réduit à une aimée, mais d'autre part le français, sur
la recommandation des commissaires, peut s'enseigner une heure par
jour dans tous les grades. Comme matière de classe officiellement
reconnue, les inspecteurs devront en tenir compte et ne devront plus
placer cet enseignement sur le même pied que celui des langues étran-
gères. Logiquement aussi le gouvernement devra pourvoir à la for-
mation d'un personnel d'instituteurs bilingues et c'est un point sur le-
quel il sera bon d'insister.
« Tout imparfaite que soit la loi, aujourd'hui comme hier, nous
pouvons encore en tirer parti et nous croyons que le devoir de l'heure
présente est d'en tirer tout l'avantage possible. »
UNE LETTRE DE SON ËMINENCE
LE CARDINAL BËGIN
Son Éminence le Cardinal Bégin a daigné adresser aux
directeurs de la Ligue des Droits du français la lettre sui-
vante :
Archevêché de Québec
Québec, S février 1919.
A MM. les Directeurs de la
« Ligue des Droits du français »,
Montréal.
Messieurs,
Vous avez eu la bienveillance de m'offrir en homrrmge un
exemplaire de la Langue gardienne de la foi, bonne et belle
brochure où les relations de la langue française avec la conser-
vation de la foi catholique sont étudiées par M. Henri Bourassa
de la façon la plus complète et la plus lumineuse.
Je vous remercie de cet hommage et je profite de V occasion
pour vous féliciter de V œuvre tout à la fois patriotique et reli-
gieuse à laquelle vous vous consacrez.
La Ligue des Droits du français à Montréal, le Rallie-
ment catholique et français à Québec n'ont certes pas pour
but d'empiéter sur les droits d'autrui. Il s'agit de conserver à
Vol. III. No 2, rtvBiBB 1919
60 l'action française
la langue française, dans notre pays, la place qui lui est due.
C'est donc une œuvre de justice d laquelle la religion est inté-
ressée, que Sa Sainteté Benoît X V vient de reconnaître comme
très légitime, mais qu'il faut accomplir avec chanté et avec le
noble dessein de grouper toutes les forces catholiques canadien-
nes sur des bases de respect mutuel et de bonne entente.
C'est bien ainsi, Messieurs, que vous comprenez votre rôle
et je ne puis que vous en louer.
Recevez donc, avec mes remerciements et mes félicitations,
tous mes vœux de succès.
Votre sincèrement dévoué en N. S.,'
(Signé) L.-N. Card. BÉGIN,
arch. de Québec.
Les Précurseurs
NAPOLEON BOURASSA
Napoléon Bourassa naquit à Lacadie, au sud de Mont-
réal, le 21 octobre 1827. Son enfance fut bercée par mille
récits de ce « Grand Dérangement » qui avait peuplé son
village d'héroïques réfugiés : il ne fera plus tard, en écri-
vant Jacques et Marie, que fixer ces histoires, plus émou-
vantes encore que les contes de fées.
A treize ans, il entra au Collège de Montréal, où il resta
jusqu'en 1848, subissant diverses influences, surtout celle
de M. Barbarin, musicien de talent et passionné pour les
belles-lettres. Les âmes de ces deux hommes se compri-
rent et l'artiste forma son élève à son image. L'enfant
était d'ailleurs très bien doué, et s'il aima l'étude de la phy-
sique, il aima par-dessus tout la littérature. Il acquit dans
cette matière un bon goût et une maturité qui frappèrent
beaucoup à cette époque professeurs et élèves, Hector Fabre
nous en est garant.
Sa philosophie terminée, il commença son droit. Mais
sa vraie vocation le travaillait : un jour il la déclara. Il
voulait être artiste. On le mit à l'atelier de M. Théophile
Hamel, le meilleur portraitiste du temps. Le maître lui
reconnut un grand talent, et aidé de l'abbé Charles Laroc-
que, ami de la famille, décida le père à envoyer son fils en
Europe. Napoléon Bourassa partit en 1852 pour l'Italie,
séjourna à Rome et à Florence, et se fit disciple d'Oerbeck.
De retour au Canada, en 1856, il épousa bientôt la
fille de Louis-Joseph Papineau. Et alors commença cette
carrière, toute vouée à la diffusion des arts et des lettres
52 l'action française
dans son pays. S'il est quelque part une initiative en ces
matières, soyons sûrs qu'il en est l'auteur ou peu s'en faut. . .
Cabinet de Lecture paroissial, Art Association, Artisans
Canadiens-français, Union catholique, Société Saint-Jean-
Baptiste, Soirées Canadiennes, Revue Canadienne, Conseil
des Arts et Métiers, Académie des Beaux- Arts; à toutes
ces entreprises, son nom est mêlé. Et Napoléon Bourassa
n'était pas seulement un fin connaisseur : il enseigna et il
écrivit. Écrivain et professeur, il fut encore peintre, et
comme tel produisit de nombreuses œuvres; il fut archi-
tecte et construisit des églises. Les grands projets qu'on
fit miroiter à ses yeux et qui lui échappèrent sont plus nom-
breux que ceux qu'il put mener à bonne fin; mais ce qu'il
fit est assez pour lui assurer une renommée du meilleur aloi.
L'âge vint, avec l'âge des deuils douloureux. Il com-
mença à se préparer à mourir, et mourut en effet, à Lache-
naie, le 27 août 1916.
Parmi ceux qui firent l'éloge de ce gentilhomme, il en
est un qui écrivit: « Le pays n'a jamais possédé en un seul
indi\'idu une complexion mentale plus complète. . . » Cela
est vrai. Napoléon Bourassa était un homme cultivé,
d'une culture universelle, pour qui rien d'humain n'était
étranger. Il joignait à ces quahtés de l'esprit, les dons
exquis du cœur. Hector Fabre, qui s'y connaissait en amé-
nité, nous a dit combien son ami était affable et toujours
homme de bonne compagnie. Ceux qui l'ont connu dans
l'intimité, s'accordent à lui reconnaître tous les traits du
parfait gentilhomme canadien : chrétien, patriote, large
d'esprit et fin. . . A nous qui l'étudions dans sa vie pu-
l'action française 53
blique et dans ses œuvres, s'ouvre un vaste champ d'étude :
il fut, avons-nous dit, tout à la fois écrivain, peintre, ar-
chitecte et professeur. Précurseur en toutes ces voies, il
l'a été surtout dans la dernière.
Napoléon Bourassa nous a laissé un roman et des cri-
tiques d'art. Charles Guérin de Chauveau avait paru en
1853, les Anciens Canadiens de Gaspé dix ans plus tard,
Jean Rivard de Gérin-Lajoie de 1862 à 1864, Une de perdue,
deux de trouvées de Boucherville en 1865, et c'est en 1866
que la Revue Canadienne publia Jacques et Marie. Na-
poléon Bourassa fait donc partie de ces romanciers d'avant-
garde qui semblaient préparer une magnifique floraison
du genre, mais qui, au contraire, n'eurent presque pas de
descendants. Son livre est une idj-'lle touchante qui se
détache sur le fond sombre de la dispersion des Acadiens.
L'étude des âmes n'y est assurément pas négligée, mais
cette œuvre est d'un peintre et vaut sans doute surtout
par les tableaux. Quelques longueurs l'empêchent d'être
un parfait chef-d'œuvre; néanmoins, il eut, chez nos pères,
un très grand succès, et contribua beaucoup à gagner des
sympathies à ce peuple frère.
L'homme de cœur avait beau jeu dans ce roman; l'hom-
me d'esprit et de goût se livre tout entier dans ses cause-
ries et ses critiques d'art. Il en est de deux sortes : celles
où il trace de vigoureux raccourcis de l'histoire de l'art en
Europe. Les larges vues et les aperçus ingénieux y abon-
dent. Ses vastes connaissances et son don de généralisa-
tion s'y révèlent. D'autres de ses articles nous intéressent
encore plus que ceux-là, parce qu'ils touchent à l'histoire de
l'art au Canada. Il faut lire ses critiques de nos premières
54 l'action française
expositions, ses appréciations de nos églises (que ce soit
Notre-Dame, Saint-Jacques ou Saint-Patrice). L'entrain
et l'esprit jaillissent sous sa plume, et le plus piquant de
l'affaire, c'est que cet écrivain semble écrire pour nous,
Canadiens de 1919. Le mal a la vie dure, les erreurs « ar-
tistiques » aussi. En parcourant ce qu'il dit des « com-
pétences )) qui martjTisent l'artisan d'art, je croyais avoir
entre les mains une livraison du Nigog : toute la différence
tient en ceci que Napoléon Bourassa assistait à V invasion
du mauvais goût et que nous, nous vivons au milieu de son
magnifique épanouissement. Qu'on me pardonne !
On a souvent reproché aux critiques d'art, de notre
continent et d'Europe, de n'être pas des hommes du mé-
tier. ^L René Bazin réfutait naguère ce grief avec esprit.
Quoi qu'il en soit. Napoléon Bourassa ne l'encourut point :
il était peintre et il était architecte.
Certes, les peintres n'étaient pas nombreux de son
temps. Quand on a nommé Théophile Hamel, son maître,
excellent portraitiste, et Plamondon, artiste bizarre non
sans valeur, il semble qu'on n'oubUe presque personne.
Si Napoléon Bourassa ne fut point le premier en date, il
fut le premier par le talent. Il s'était formé en Itahe et
avait goûté surtout la Renaissance; sa peinture de chevalet
s'en ressent; il n'était d'ailleurs pas encore question d'im-
pressionnisme. . . Dans SCS portraits, il n'apportait pas
non plus nos préoccupations. Gâtés que nous sommes par
l'exactitude de la photographie, nous demandons main-
tenant au portrait peint la révélation du caractère : tout
cela est venu beaucoup plus tard. Mais Napoléon Bou-
l'action française 55
rassa est toujours jeune et vraiment grand dans son œuvre
décorative.
Porté, en toutes choses, vers ce qui est le plus élevé
et le plus noble, il avait mis sa prédilection dans la pein-
ture murale. Procédant, dans sa technique, d'Ingres et
de Flandrin, il avait, en plus, des idées très personnelles
qu'il exprimait volontiers : on en trouvera quelques-unes
dans sa diatribe contre Saint-Patrice. . . Instruit de l'his-
toire de l'art, il voulait, comme les artistes du Moyen-Age,
que l'église fût le livre illustré de ceux qui ne savent pas
hre. Et peut-être il est vrai que Napoléon 'Bourassa eut
des déboires dans sa longue vie, et peut-être beaucoup de
ses projets ont-ils avorté; en tout cas, une fois au moins
il put décorer en paix une église, son éghse, du haut en bas,
et cela est unique chez nous. Il faut en parler, d'autant
plus que ce monument seul suffirait à la gloire de notre ar-
tiste.
Nous y avons passé dernièrement un avant-midi de
dimanche, très lumineux, et nous avons pu en jouir plei-
nement, au milieu du silence. L'impression générale est
harmonieuse. Rarement on a l'occasion, chez nous, de
contempler un ensemble si bien composé, tant du point
de vue des idées que de celui de l'art picturaire. Cette
chapelle fut élevée à la gloire de l'Immaculée-Conception :
U n'est pas une inscription, pas un tableau qui ne s'y rap-
porte. La nef, jusqu'à l'entrée du chœur est consacrée
à l'Ancien Testament, à la préparation de l'incomparable
privilège. Au sommet des voûtes, quatre grisailles re-
présentent des figures de la gloire de Marie. De cliaque
côté, en couleur sur fond d'or, les prophètes. Plus bas,
sous les fenêtres, des écussons illustrant les litanies. Dans
le transept et le chœur, voûtés en cul-de-four à leur extré-
mité, l'artiste a placé, au-dessus du maître-autel l'Annon-
56 l'action française
dation, dans la voûte de droite la Visitation, dans celle
de gauche l'Adoration des bergers et des mages. Au-des-
sous de ces deux compositions du transept, et répondant
aux prophètes de la nef, on compte une douzaine de grands
saints du Nouveau Testament, qui ont parlé de l'Imma-
culée-Conception. Dans le rond-point du chœur, de cha-
que côté de l'autel, on admire deux grandes toiles : l'As-
somption et le Couronnement. Si maintenant vous levez
les yeux vers le dôme, quatre anges ornent les pendentifs.
Dans le fond de la coupole trône Marie parmi les anges;
tout autour, en grisaille, se déroule une admirable proces-
sion de papes, d'évêques, de militaires : c'est la proclama-
tion du dogme de l'Immaculée-Conception-. D'autres
tableaux devaient compléter cet ensemble déjà si beau
et l'artiste méditait de rempUr les huit grands panneaux
du bas, actuellement azm'és, de scènes historiques. Il ne
l'a pas fait, nous ignorons pourquoi. Ce que nous pos-
sédons constitue néanmoins la meilleure œuvre du genre
au pays. Voici comment un critique la jugeait naguère.
«... Les moyens les plus simples et les plus directs
« sont les seuls nécessaires à l'expression, et l'idée est d'au-
« tant plus accessible à la foule à qui elle s'adresse, qu'elle
« s'embarrasse moins de subtiles recherches de couleurs
« ou de pittoresque. Bourassa le comprit si bien qu'il ne
« se servit de couleurs que tout juste ce qu'il fallait pour
« modeler ses figures et leur donner les accents de la vie.
« Son attention se porta principalement sur le dessin, sur
« le contour fermement appuyé de la forme, et encore de
« cette forme il ne retint que les lignes essentielles et vrai-
(( ment caractéristiques. Les fonds d'or sur lesquels elles
« se profilent ordinairement ajoutent encore à leur séche-
« resse. Mais toujours, par une savante dégradation de
« teintes délicates et fondues, Bourassa sauvait le « mor-
l'action française 57
« ceau » et de ce qui aurait dû produire une impression
« de dureté, il tirait la plus suave harmonie. »
Nous avons d'autres preuves de cette maîtrise dans les
projets de décoration pour la cathédrale de Saint-Hyacin-
the, œuvre qui ne fut jamais exécutée; dans sa chapelle
de Nazareth; dans sa restauration si heureuse de l'é-
glise de la Rivière-du-Loup ; et surtout dans son im-
mense toile : r« Apothéose de Colomb ». Ce tableau a
son hjistoire, vraiment lamentable. S'il est vrai que
l'artiste fut parfois sur le point de décorer les murs
des temples et finalement en fut empêché, plus souvent
encore il espéra orner nos salles profanes et nos palais lé-
gislatifs et se vit frustré de son rêve. Depuis le jour où
on lui laissa entendre qu'il pourrait bien couvrir de couleur
la nouvelle salle du Cabinet Paroissial, en 1860, jusqu'à
celui où il parut le seul capable d'orner l'Hôtel du Gouver-
nement, à Québec, Napoléon Bourassa fut hanté par de
sublimes compositions et notamment par cette « Apo-
théose ». L'esquisse des soixante personnages en fut exposée
à l'exposition universelle de Paris en 1867; il entreprit de
l'agrandir, la travailla longtemps, spécialement de 1904
à 1912, et l'abandonna quand les forces lui manquèrent.
Elle nous reste, témoignage émouvant et grandiose de la
puissance de conception de ce puissant artiste.
La peinture, même décorative, n'offrait pas un champ
assez vaste à son activité; Napoléon Bourassa rêvait d'un
art plus complet : il fut architecte. Non content de cou-
vrir avec son pinceau de larges espaces, il voulut les cons-
truire, les créer à sa guise. Il y avait eu des architectes,
au Canada, avant lui, et il y en avait de son temps. A Que-
58 l'action française
bec, les Baillargé, de père en fils depuis trois ou quatre gé-
nérations, étaient architectes et sculpteurs. Les premiers
avaient été formés en Europe, le dernier au Canada. Dans
la région de Montréal, au moment où Napoléon Bourassa
revint d'Italie, nous avions Bourgeau et Ostéll, l'un de for-
mation indigène, l'autre de formation anglaise. Le pays
tout entier a été couvert des constructions de cette demi-
douzaine d'architectes. Quels que soient leur talent et le
nombre de leurs productions, aucun ne nous a légué une
œuvre aussi complète que cette chapelle de Lourdes dont
nous avons parlé tout à l'heure. Napoléon Bourassa en
a dessiné les plans et il en a surveillé la construction. La
façade n'est peut-être pas de marbre blanc comme il au-
rait fallu, les deux petites coupoles qui devaient la surmon-
ter sont encore à venir, les quatre tourelles qui accompa-
gnent le dôme sont en ferblanc : soyons sûrs que l'archi-
tecte a été forcé, à son corps défendant, de subir ces ava-
nies. De plus, grâce à cette indifférence absolue à l'égard
de la perspective, qui caractérise notre ville, cette cha-
pelle est enfouie parmi des maisons trop hautes, et son
dôme rivalise avec une cheminée de brique tout auprès.
Mais il reste que, à l'examen, elle apparaît ce qu'elle est
vraiment : correcte, élégante et originale.
Nous devons encore à Napoléon Bourassa le couvent
des Dominicains, à Saint-Hyacinthe, la petite église de
Montebello, « une de ses plus charmantes créations », et
l'église Sainte-Anne à Fall-River, cette dernière dessinée
à soixante-quatorze ans. Ce sont des œuvres très diffé-
rentes les unes des autres et très étudiées.
Il faudrait peut-être parler ici de Bourassa sculpteur :
il fut en effet le premier maître de Philippe Hébert. Mais
l'action française 59
passons, pour en arriver au trait de son talent où il appa-
raît vraiment et sans conteste un précurseur : Napoléon
Bourassa fut l'apôtre de l'enseignement des arts chez nous.
Nous savons que dès la fin du XVIIe siècle, une École
des Arts et ^Métiers, fondée par ]Mgr de Laval, existait à
Saint-Joachim. Cette école ne vécut qu'un an, mais les
cours de sculpture, peinture et architecture furent conti-
nués au Petit Séminaire de Québec, pendant le XVIIIe
siècle. Nous savons en outre que, sous la supériorité de
Messire Jérôme Demers, l'architecture religieuse était en-
seignée au Séminaire de Québec. Nous ne savons rien de
plus. Peut-être, ici et là, dans quelque maison de la pro-
vince, y eut-il des cours de dessin, intermittents, comme au
Collège de Montréal. ]\Iais sûrement, dans son ensemble,
l'enseignement des arts plastiques était nul.
Quand Napoléon Bourassa revint d'Italie, il se trouva
donc dans une société peu capable d'apprécier les tableaux.
Et s'il est vrai qu'en ce temps-là il existait une critique ht-
téraire qui jugeait les œuvres selon le parti politique au-
quel les auteurs appartenaient, on peut dire que la critique
artistique était encore plus insignifiante. Notre artiste
comprit que, avant de faire de la peinture chez nous, il fau-
drait former un miheu capable de la comprendre, ime am-
biance qui pourrait à la longue faire naître des talents nou-
veaux. A cette œuvre, il se consacra : elle devait être le
labeur de sa longue vie. Ce travail ingrat et si peu récom-
pensé lui a mérité non pas seulement notre admiration, — ce
serait trop peu, — mais aussi notre profonde reconnais-
sance. Lors d'une exposition de ses œu^Tes, — quand
son ateHer passa en d'autres mains, — M. Jean-Baptiste
Lagacé, qu'il avait un jour appelé « son fils spirituel », fit
ressortir, dans une conférence, jusqu'à quel point il avait
été un précurseur, un sagace initiateur. Ce texte ferait
60 l'action feançaise
ici fort bien l'affaire : il remplirait avec une compétence
que je n'ai pas la tâche que je me suis fixée.
(( En étudiant l'histoire de la Renaissance, disait le con-
(( férencier de M. Bourassa, il avait été frappé de ce fait in-
(( discutable que la cause fondamentale du merveilleux dé-
« veloppement de l'art à cette époque avait été le sentiment
« religieux;. . . ce sentiment était encore augmenté de l'amour
« de la cité que tous voulaient grande et belle; de là les ca-
« thédrales de marbre ou de pierre et les palais publics parés
« de toutes les séductions de la peinture et de la sculpture.
(( Dans cette œuvre d'orgueil salutaire et bienfaisant, laïcs
« et ecclésiastiques unissaient leurs efforts et leurs ressour-
(( ces. . . )) Et Napoléon Bourassa crut que cette œuvre était
possible au milieu de la jeune civilisation canadienne du
XIXe siècle. Il se jeta dans la mêlée avec entrain et se
heurta bientôt à toutes les difficultés que devaient rencon-
trer après lui, les autres artisans d'art. Loin de se décou-
rager et de prendre le parti d'aller vivre en Italie, il resta
fidèle toujours au but qu'il s'était proposé.
Il eut la bonne fortune de rencontrer dans ses débuts
un abbé qui le comprit. . . M. Verreau lui laissa enseigner
le dessin à l'École Normale. Au bout d'un an le ministre
qui payait cette classe, s'étant informé si le nouveau pro-
fesseur était un « rouge », celui-ci ne daigna pas répon-
dre. . . et les subsides furent supprimés. Mais les « motifs
puissants » qu'on avait eus d'établir ce cours subsistaient.
Napoléon Bourassa les avaient exposés dans une « lecture » ;
il continua de les répandre par sa parole et surtout par sa
pratique. N'ayant plus à sa disposition de cours payés,
il en fonda de gratuits. Six ans après son amusante mé-
saventure politique, il devenait, en 1868, professeur de des-
sin aux classes du soir des « Artisans Canadiens-français ».
Trois ans plus tard, on le rémunéra, et, en 1874, il fut nommé
l'action française 61
directeur de ce cours qui exigeait alors plusieurs profes-
seurs. En 1877, pour répondre à ses appels réitérés en
faveur des écoles de dessin au Canada, le gouvernement
provincial lui confia la mission d'aller s'enquérir en Franqe,
des écoles d'arts et métiers : fonctionnement, programmes,
personnel. Sa correspondance avec les autorités ne nous
est pas connue, mais nous savons qu'après avoir visité plu-
sieurs établissements français, il fit un choix de modèles
pour l'étude de la mécanique et du dessin industriel et d'ou-
vrages concernant l'enseignement dans ces écoles. Le
« Conservatoire des Arts et Métiers » lui prépara une série
de dessins que, à son retour, il remit au gouvernement, ainsi
qu'un mémoire sur les méthodes de ventilation, d'éclai-
rage et de chauffage en usage en France. Tous ces rap-
ports sont bien faits, pratiques et clairvoyants. L'écri-
vain ne se borne pas aux écoles d'art, il prévoit la néces-
sité des écoles techniques et il en recommande la fonda-
tion aux autorités civiles. Il devance son temps, et ré-
clame des bourses pour permettre aux jeimes gens d'aller
étudier dans les vieux pays.
Malgré tous ces travaux, le spirituel critique qu'il était
trouvait le moyen de donner à la Revue Canadienne de fines
chroniques sur nos Salons de peinture, sur nos constnic-
tions, sur l'état des arts au pays. Son autorité en ces ma-
tières était incontestée, et sa voix se faisant entendre pres-
que seule, il était considéré par tous comme le champion
de la haute culture artistique. Cette situation était si
bien reconnue que, en 1880, lorsque le Marquis de Lorne
fonde l'Académie des Beaux-Arts, Napoléon Bourassa en
est élu vice-président.
Et le musée désiré par lui depuis si longteînps allait
donc recevoir un commencement de réalisation ! Ce n'était
pas trop tôt. Décidément notre province est réfractaire
62 l'action française
aux musées. De nos jours même, n'est-il pas étonnant
qu'une métropole de l'importance de Montréal ne possède
pas son Musée d'histoire naturelle, par exemple, son Jardin
zoologique, son Musée d'Arts et Métiers (nous avons des
embryons de tout cela, mais rien en rapport avec notre
population) . Et pourtant, il y a des années qu'on en parle !
Quand Napoléon Bourassa commença sa carrière artis-
tique, Mgr Bourget avait souhaité que ses toiles « mar-
quassent le point de départ d'un musée national », et l'on
exprimait le vœu que le gouvernement «vînt en aide à une
entreprise qui ne pom'rait qu'honorer notre pays. » Bou-
rassa n'y cherchait pas un moyen de soigner sa propre ré-
putation : bien plutôt un instrument nécessaire d'éduca-
tion. Il put voir, de son vivant, des Galeries de Beaux-
Arts s'ouvrir dans nos villes : c'est à peine si quelques-unes
de ses toiles y figurent. Mais il a laissé de nombreux ta-
bleaux et de nombreux dessins, — de l'immense Apothéose
de Colomb jusqu'à ses projets de décoration d'église. Cette
œuvre à elle seule formerait un musée ou du moins rem-
plirait toute une salle dans quelque vaste bâtiment. Nous
souhaitons qu'un jour elle trouve le palais où elle serait
mise en valeur. . .
Cependant ne nous plaignons pas trop : Napoléon
Bom-assa eut quelques aubaines dans sa vie. S'il est un
précurseur dans bien des voies, notamment dans celles des
désappointements et des désillusions où tant de nos artistes
se sont engagés, il faut dire que, une fois au moins, il eut
l'occasion d'appliquer ses vues et de produire une œuvre
satisfaisante. Bien d'autres n'ont pas eu cette consolation.
Nous voulons parler, — c'est la quatrième fois, mais il
faut y revenir, — de la chapelle de Lourdes.
« L'histoire de l'art, avait-il écrit, n'a qu'un ensei-
«gnement. .. La vraie école a été, dans tous les temps,
l'action française 63
((l'atelier et V œuvre du maître, c'est-à-dire renseignement
«avec la pratique; la science acquise avec l'expérience; le
« talent et le caractère éprouvés par la tâche de tous les jours;
« la carrière ouverte sous l'œil rigoureux du patron, pour-
(( suivie à côté de lui dans de grands travaux publics, et con-
« tiaués, après lui, avec les traditions et l'esprit de suite d'une
« véritable et puissante famille. VoUà la source, véritable-
« ment féconde et vigoureuse d'où sont sorties ces puissantes
« écoles de Sienne, de Florence, de Pérouse, de MUan, de
« Rome et de Venise. )>
Une école de Montréal !. . . Il fit ce rêve, et vrai-
ment à lire comment il construisit et décora cette chapelle
de Lourdes, on se croirait transporté dans quelque ateher
florentin du XVe siècle. Alaître et élèves travaillent de
concert ! On a cité trop de fois la conférence dans laquelle
l'artiste a révélé à ses admirateurs cette intimité de quel-
ques mois avec de jeunes artistes qu'il initiait aux secrets
de l'art : qu'il nous sufi&se de la résumer.
Pendant qu'il s'occupait de la construction, il formait
ses apprentis au dessia. Quand le temple fut ^l'prêt à re-
cevoir la décoration, il entreprit d'y faire travailler ses élè-
ves. Très au fait des difficultés de tels^ou tels motifs, il
ne les confiait qu'à des élèves capables demies exécuter. Au
moyen d'une gradation très pédagogique, intelligente aussi,
et en même temps source d'émulation, il fit passer ces jeunes
gens, ces enfants, de l'ornement simplement plaqué, à la
figure humaine en grisaille, de la grisaille à la couleur, etc.
Évidemment ce sj-stème exigeait une surveillance constante
de la part du patron et l'obligea à maintes retouches fati-
gantes. Mais pendant que le maître corrigeait, les élèves
s'instiTiisaient, et cette chapelle une fois terminée, ceux-ci
purent gagner leur vie en se servant des connaissances qu'ils
y avaient acquises. Qui sont-ils donc ces élèves que Na-
64
l'action française
poléon Bourassa néglige de nommer ? M. Lagacé les con-
naît peut-être, car il leur reproche d'avoir oublié les leçons
de sobriété et de goût que leur avait données le maître. Pas
tous, évidemment, puisque l'un d'entre eux — Philippe
Hébert — a atteint la gloire.
Arrêtons-nous ici : nous ne saurions tout dire et nous
risquerions de répéter les excellents articles pubUés à l'oc-
casion de la mort de notre artiste; ou plutôt, finissons par
une citation de l'un, de ces auteurs anonymes qui veut ran-
ger ce grand peintre, « père des beaux-arts au Canada »,
parmi les pionniers de notre gloire nationale. « Napoléon
Bourassa a été, dit-il, pour son vaste domaine, ce que Gar-
neau a été pour l'histoire, Crémazie pour la littérature,
le curé Labelle pour la colonisation, l'abbé Tanguay pour
l'arbre généalogique de notre race. Il fut, jusqu'à l'abné-
gation, l'effacement et les sacrifices pécuniaires, l'apôtre
de l'esthétique au Canada. » Nous avons le devoir de nous
en souvenir !
OUvier Maurault, p. s. s.
LES NUMEROS
Comme il arrive que des numéros de l'Action française sont perdus j
au cours de la distribution, nous invitons désormais nos lecteurs à faire j
leur réclamation pas plus tard qu'un mois après la publication de la]
livraison égarée. Ainsi, pour le numéro de février, publié à la fin duj
même mois, on aura jusqu'à la fin de mars pour réclamer. Ces contre-]
temps, du reste, tendent de plus en plus à disparaître, par suite du re-|
maniement que nous sommes à faire subir à nos listes d'abonnés.
LA NATIONALISATION DE NOTRE
LITTERATURE
par l'étude de noire histoire
L'Action française publie cette étude avec plaisir — pour
sa valeur intrinsèque et comme témoignage de l'état d'esprit
d'une partie, tout au moins, de la jeune génération. U auteur
est étudiant à la Faculté de Droit, à Laval (Montréal).
La littérature canadienne-française trouvera son exis-
tence et sa perfection dans l'originalité de notre âme
nationale. Sans cette originalité, point d'assises à une
manifestation intellectuelle indigène. Il faut prendre cons-
cience de nos diversités profondes, les aimer et les dire avec
la saveur particulière que donneront à notre style et à
notre pensée les qualités de notre génie.
C'est une tâche difficile. Gardant une intime ressem-
blance avec la patrie dont elle est détachée, toujours sou-
mise à son influence intellectuelle et morale, notre race n'a
pas la perception vive de ce qui la distingue, et ses livres,
peu nombreux, ne lui rendent pas le témoignage net d'une
individualité propre.
Il paraît bien que le premier devoir littéraire de
l'heure est l'affirmation de notre personnalité distincte.
Prouver qu'il existe en notre peuple cet équilibre, ce
dosage particuUer des facultés de l'intelligence et des qua-
lités du cœur par quoi diffèrent les races, c'est poser les
fondements mêmes de notre littérature. H. Taine apprit,
autrefois, à ses compatriotes en mal de systèmes pohtiques
imités de Londres, que « l'âme d'un Français n'est point
66 l'action française
l'âme d un Anglais ». Les écrivains du terroir nous rendent
un service de cette sorte en dégageant certains éléments
de notre originalité. Leur talent nous rend l'âme canadien-
ne-française attrayante et sympathique.
L'histoire, non seulement expose les influences forma-
trices qui altèrent le tempérament du colon français, mais
elle offre en regard les événements et les séries de faits qui
attestent la réahté de ces influences et leur profondeur.
Dans l'éloignement des siècles, nous distinguons bien leur
action eflScace et les singularités qu'elles produisent. La
même page qui suggère l'hypothèse sert à la vérification.
La grande loi de l'adaptation, de la formation des races
par le milieu physique, le cKmat, les circonstances histori-
ques, renferme le secret de notre âme nouvelle. L'homme
est un être matériel sUr lequel une empreinte se grave;
il est inteUigent et comprend la cause des événements,
compare et juge; ensuite, il est un être volontaire qui
façonne énergiquement sa nature poiir la mjeux approprier
au succès. S'adapter, c'est toujours subir, dans une cer-
taine mesure, et pais, c'est réagir.
Des conditions particuhères de vie physique, intellec-
tuelle ou morale enveloppent la race française au Canada.
Inefficaces sur les colons venus directement de France,
elles modifient, peu à peu, les générations nées en terre
canadienne. Elles constituent un moule où l'âme française
se modèle, dans le temps, des traits et des caractéristiques
singulières. Il n'est pas nécessaire d'exposer ici ces con-
ditions, ni de dire dans quel sens et sur quels éléments
humains elles ont agi. M. l'abbé Groulx célèbre cette
année l'avènement de notre nationalité, et nul mieux que
lui n'est qualifié pour cette tâche de gloire.
Un agent vivant de transformation collabore, plus
tard, avec ceux-là : la race anglaise s'établit parmi nous.
l'action française 67
Une autre organisation politique et civile remplace les ins-
titutions anciennes; elle comporte des mœurs et des habi-
tudes nouvelles. Désormais condamnés à vivre sous le
même toit, les deux adversaires historiques n'oublient pas
les griefs accumulés, et la lutte, commencée au fond des
siècles, se poursuit en champ clos. Toujours sur la défen-
sive, nous adoptons les armes que les ennemis ont choisies;
n'ayant pas la triste initiative de l'attaque, le lieu de la
bataille nous est imposé. Notre volonté de survivance
inflexible ordonne les disciplines opportunes, provoque les
réformes appropriées, commande les œuvres qui sauvegar-
dent notre intégrité. Le mouvement économique, le réveil
pohtique ou historique contemporain sont inspirés par une
pensée de résistance, impérative comme l'instinct de con-
servation. Mais, par le contact quotidien, subi ou voulu,
se produit l'infiltration des idées et des sentiments qui
changent notre mentahté.
Une plante étrange croît dans les régions tièdes de
l'Equateur; ses branches se courbent, touchent le sol et
poussent des racines qui donnent naissance à des tiges
nouvelles; chaque arbuste reçoit de la terre, d'abord, une
sève nourricière, puis, par les mille canaux entrecroisés,
une circulation de la même vie rayonne à travers la forêt.
C'est un symbole révélateur de noti-e « âme locale et fran-
çaise tout à la fois », selon l'expression de M. Gabriel
Hanotaux. Après avoir pris racine au sol canadien, nous
y avons vécu, nous y avons souffert. Cela ne va pas sans
créer des liens entre les vivants et les morts, entre les hom-
mes et les choses. Aujourd'hui nous sentons bien que le
Canada est notre patrie, nous savons que notre peuple
forme une entité ethnique, avec ses préoccupations politi-
ques ou sociales, ses besoins et ses aspirations uniques, ses
problèmes complexes qui résultent de causes particulières.
68 l'action française
Oserais-je affirmer aussi que notre idéal n'est subordonné à
celui d'aucune nation étrangère ? que nous n'avons d'autre
but national que nous-mêmes, c'est-à-dire la grandeur et
la gloire de notre race ? que nos goûts, nos devoirs, nos pré-
férences, ne nous sont imposés par personne? Nous
n'abandonnons pas aux étrangers le soin d'ordonner l'orien-
tation de nos activités. Un peu intolérante et farouche à
la façon du jeune homme passionné de Maurice Barrés,
notre nationaHté croit que rien ne vaut ses idées, ses pas-
sions, son patrimoine; elle les étudie, et les affirme, avec une
belle audace, « sous l'œil des Barbares », et sent une révolte
instinctive en face des autres peuples qui veulent garder son
âme en tutelle, ou substituer leurs caractéristiques aux
siennes.
D'où l'on voit que de l'action simultanée des circons-
tances extérieures et de sa volonté sur elle-même, une race
est née qui possède une âme originale, inexploitée, une âme
opulente d'austères et rayonnantes beautés. Ce qu'elle
a de vivace et de particuher est à l'intelligence, comme aux
lèvres un goût nouveau et frais, comme aux yeux un paysage
clair et pur. Nul n'a le secret des chants qui l'émeuvent
autant que les passionnés qui ont empli leur cœur de son
amour.
Mieux étudier notre âme nationale, c'est mieux la
connaître; et si mieux la connaître n'est pas nécessairement
mieux l'exprimer, il n'en demeure pas moins vrai qu'on ne
peut la bien exprimer sans la bien connaître. Or, rien ne
supplée l'histoire pour nous en donner, avec la connaissance
précise, l'amour ou le sentiment de ses particularités. La
littérature nous manque qui est le miroir où se contemplent
et s'examinent les peuples. Il n'est pas indifférent que nous
ignorions cette âme, puisque se dire complètement, pour un
écrivain, c'est toujours dire l'âme nationale qui est au
l'action française 69
fond de lui-même. L'éducation doit tendre à la libérer.
Elle doit tendre à la fortifier aussi, à l'enrichir selon ses
préférences, toutes choses que la nôtre n'accompht pas.
Une race, en effet, se rencontre un jour, que des disposi-
tions initiales modifiées par des circonstances historiques
prédisposent à l'idéal d'une certaine beauté, à l'amour de
formes d'art particulières. Elle tient de là un caractère et
des tendances propres. Chaque indi\'idu de cette nation
est une reproduction plus ou moins parfaite de cette pre-
mière image : il en a toujours les traits essentiels. Des
méthodes spéciales sont nécessaires pour développer cet
être spécial. Lorsqu'il s'agit de la sensibilité et de l'intelli-
gence d'un écrivain surtout, instruments déhcats, les con-
séquences d'un vice de culture sont désastreuses et de
longue portée. Trois éléments forment un tempérament
littéraire et lui procurent, en même temps, la matière et
le canevas de son œuvre : l'éducation, les lectures et le
milieu. Les leçons du professeur; les influences de la
société, l'enseignement des livres doivent intensifier dans
l'adolescent toutes les caractéristiques de sa race qui sont
ses vertus profondes. Ils doivent travailler, dans une
intimité étroite, à l'élaboration de vérités et de sentiments
qui ne se contredisent point, mais s'ajoutent les uns aux
autres, dans une belle harmonie. Parce que tout individu
est de sa race et de son temps, il a besoin d'une éducation,
de lectures et d'un milieu national pour son développement
complet et normal.
Cette théorie est un peu abstraite, mais l'étude de notre
situation l'illustrera bien. Autrefois, nos écrivains n'eurent
pas une cultiue littéraire assez forte pour oser une forme
personnelle. Comme des débutants, ils imitent des auteurs
parfaits; ou bien, ils racontent les faits, aridement, et, sans
apprêts, disent lem- pensée. Toutes ces œuvres, nées du
70 l'action française
désir louable de servir une cause, furent utiles en leur temps.
Aujourd'hui, elles ont ce tort de tendre, au-dessus des
choses canadiennes, un voile terne qui en dérobe la secrète
nouveauté. Habitués aux perfections de la littérature
française qui nous rendent sympathiques des objets étran-
gers, nous ne nous plaisons plus dans la contemplation de
nous-mêmes, et les beautés de notre pays nous sont indif-
férentes, presque inconnues. Nous n'avons pas de littéra-
ture canadienne-française parfaite et riche. Les livres
français sont l'unique ahment de notre esprit. « Au heu
de choish" dans la pensée de France et de l'accueillir comme
une éducatrice, nous nous en sommes forgé un vasselage »,
suivant la formule de M. l'abbé Groulx. Notre originahté
ne peut s'épanouir. C'est une lacune dans la formation
Uttéraire du Canadien français, et, par ce fait, tous les
talents subissent un amoindrissement.
La littérature française, en effet, n'est pas la fleur
spontanée de notre civilisation. Elle ne cultive pas les
parties canadiennes de l'adolescent, ses « réserves hérédi-
taires )), et lui impose, du dehors, des qualités étrangères.
Au lieu d'être un levain intimement mêlé à la substance
elle est un ferment disséminé à des endroits divers, et qui ne
produit pas ailleurs son effet. Presque tout ce qui est
canadien en lui reste inculte. D'où un affaiblissement de
personnalité encore accru par les mauvaises habitudes
intellectuelles contractées. Si la faculté d'oBservation lui
manque, si une lecture le laisse trop passif et que les juge-
ments des auteurs lui semblent des apophtegmes, ne le
doit-il pas aux livres français qui l'obligent à toujours
regarder dans son imagination pom^ reconstituer les paysages,
les tableaux de vie sociale ou politique, exposent des sujets
dont il ignore tout et aboutissent à des conclusions qu'il ne
peut vérifier?
l'action française 71
Ces lectures préparent mal le jeune littérateur à dire
ce qui lui chante au fond de l'âme. Par cela seul que
nous vivons dans une société et dans un pays, que nos ancê-
tres ont subi les mêmes influences, nous sommes déterminés
à exprimer toutes ces choses dont nous avons l'impression,
la perception quotidienne, immédiate et directe. La vie,
par ses multiples contacts, les répète et les grave dans notre
sensibilité, toujours identiques, depuis l'enfance jusqu'à la
vieillesse. Lorsque nous en prenons conscience, il nous est
loisible de nous exposer, de nouveau, à l'atmosphère d'un
lieu, de refaire l'expérience ou de recommencer l'enquête
pour fortifier la pensée, raviver la sensation ou recueillir
de plus abondants renseignements. L'exercice est fruc-
tueux, car personne ne nous vaut pour pénétrer notre race,
et la nature qui nous entoure nous livre ses beaux mystères.
Dans l'intérêt de leur gloire, les écrivains doivent utiliser
ces riches trésors déposés en eux. Ils excelleront seulement
dans l'expression de tous ces sentiments et de toutes ces
pensées, longtemps amassés et couvés avec une inquiétude
ardente.
Mais nos lectures françaises exclusives ne renforcent pas
ces émotions, ni elles n'augmentent ces connaissances pré-
cises. Elles ne provoquent pas leur méditation, ni une
activité mentale qui les étudie, les coordonne et les éclaire;
elles ne nous excitent pas sur les sujets qui nous sont connus.
Elles nous imposent d'autres émotions et d'autres connais-
sances : c'est une culture en surface et non en profondeur.
Ce qu'il y a de plus grave encore, la littérature française, par
sa force attractive, nous détache des choses qui nous sont
chères et nous attache à des objets étrangers. Troublés
par ces voix de sirènes, les auteurs canadiens dédaignent les
sources puissantes qui jaillissent en eux pour creuser des
puits artificiels. Les choses canadiennes sont sans attraits.
72 l'action française
Il en résulte une apathie singulière et l'indifférence pour
toutes les préoccupations de leurs contemporains, et le
mépris qui oublie que la race canadienne-française est aussi
digne que la race française, que le monde canadien est aussi
beau que le monde français, même si nos écrivains, empê-
chés par des circonstances plus fortes qu'eux, n'ont pas su
les décrire avec une perfection pareille.
Encore s'il était possible de construire solide sur ces
bases exotiques. Mais, qu'on le sache et qu'on le retienne,
l'observation passagère et fragmentaue, l'impression unique
et subite, toutes les réminiscences, les sentiments livresques
n'ont jamais produit et ne produiront jamais que des œu-
vres sans consistance, sans vérité et sans vie. Elles pour-
ront avoir la beauté mignarde des plantes de serre, mais non
la vigueur saine des grands chênes dans le ciel. Une
imagination, des sentiments sm-menés, une invention totale
des paysages et des décors, un échafaudage de théories sur
des faits imparfaitement connus et mal interprétés n'ont
pas la force qui soulève et anime les talents.
On peut conclure que les lectures françaises exclusives
produisent ceci : le désaccord entre la formation par les
livres et la formation par le milieu et l'éducation; le désac-
cord ou plutôt la dissemblance entre les émotions, les infor-
mations des livres, et les impressions et les connaissances
acquises par l'éducation et dans le milieu; la tendance,
pour l'écrivain, à exprimer des choses étrangères, ce qu'il
ne peut faire avec puissance, et le dédain pour les choses
canadiennes qu'il dirait avec tant de bonheur. Et cela
produit les « déracinés » intellectuels. Sans racines pro-
fondes dans la société où ils vivent, sans racines dans le
passé de leur race, sans racines dans la terre qui les porte,
ils n'ont pas l'avantage des sèves généreuses et vivaces qui
hâtent les frondaisons merveilleuses. Ils s'amusent aux
l'action française 73
féeries légères et brillantes. Le déracinement, c'est la
grande maladie envahissante dont souffrent les intellec-
tuels canadiens, et qui dissout des forces utiles et nécessai-
res. ■
n ne faudrait pas, de ces conclusions un peu sévères,
déduii'e qu'il faille rejeter toute littérature française. Ce
serait une entreprise absurde qui tournerait à notre détri-
ment. Outre qu'elle est l'universelle informatrice des
doctrines et des idées, elle nous apprend encore des méthodes
et la technique de l'art. ]Mais ce qu'il faut à tout prix,
c'est un contrepoids à nos lectures françaises. Elles ne
doivent plus être exclusives. Et comme la marque nationa-
le est profonde en nous, un ensemble solide de lectures
canadiennes suffirait, avec les influences du milieu, pour la
maintenir distincte et claire.
Notre histoire, parce qu'elle forme la partie la plus
considérable de notre Uttérature, la plus attrayante et la
mieux appropriée au but désiré, détruira les inconvénients
de notre situation anormale. Elle contrebalancera, de
manières diverses, les conséquences d'une formation désas-
treuse. Reconstituer autour de son âme l'ambiance his-
torique qui enveloppa notre peuple au cours de sa vie,
c'est créer l'atmosphère propre à le fortifier dans ses ins-
tincts et ses quaUtés héréditaires, à l'orienter dans la Ugne
de ses tendances secrètes. Et s'il est vrai qu'un homme
ne prend dans les hvres que ce qui s'accorde avec ces
mêmes tendances, une œuvre d'un auteur de sa race offre
toujours plus d'aliments pour les fortifier. Les mots sont
alors chargés de plus de sens, de plus de souvenirs, de plus
d'évocations. Affermir en nous notre personnalité cana-
dienne-française, l'imprégner de tous les effluves d'atavisme
qui assainissent, la rendre si vigoureuse qu'elle soit capable
d'assimiler tous les éléments étrangers, me semble un travail
74 l'action française
préparatoire nécessaire sans lequel notre intelligence risque
d'être asservie. Aurons-nous la crainte d'opposer, même
aux Français, notre individualité, et de l'enrichir de ce
qu'ils nous offrent? Ayons l'ambition de n'être les serfs
de personne et de vivre sur notre fonds.
La méditation de notre histoire nous rendra cet autre
service d'égale importance, de nous donner un système
d'idées et de sentiments sur notre peuple et notre pays.
Lorsque nous sommes jeunes, dans l'aventure de notre
personne à travers les Uvres et la vie, des pensées se dépo-
sent en nous. Plus tard, elles s'ordonnent et s'organisent
de manière à constituer comme la structure mentale de
notre cerveau. C'est un cadre où viendront se placer les
connaissances et les émotions. Il importe que ce système
soit national afin de bénéficier de l'enseignement journalier
des hommes et des choses. Autrement, nos observations
nous occupent un moment, et s'échappent. Peut-être
aussi que, préoccupés de théories que nous nous voudrons
apphquer ou dont la vérification doit être faite, nos regards
sauront mieux voir notre société et l'observer avec minutie.
Tous les problèmes contemporains ont aussi des élé-
ments historiques. Le présent n'est qu'un effet dont le
passé est la cause. Nos annales nous indiquent les mouve-
ments pohtiques, intellectuels ou religieux, les mouvements
sociaux et économiques, elles nous inspirent le désir d'en
suivre le cours et l'évolution, elles nous les révèlent même
dans le temps présent. Il est impossible de comprendre
et de résoudre sûrement toutes les questions discutées sans
connaître leur origine et leur développement. Autrement
on préconise les initiatives vaines, ou l'on porte des juge-
ments inexacts. Une lumière s'épanche du fond de l'his-
toire qui éclaire notre miheu social. C'est pourquoi les
amants du passé nous paraissent les meilleurs observateurs
l'action française 75
du temps présent, ceux qui voient le plus clair, le plus juste
et le plus de choses, et que l'on peut suivre avec foi.
Si les historiens, en général, sont des sociologues ou des
politiques avertis, ils sont aussi des patriotes convaincus.
Ils appuient de faits leur instinct, et le nourrissent de
raisons. Ils connaissent les causes des infériorités de leur
race que les conditions difficiles de sa croissance ont occa-
sionnées, et les mâles angoisses de sa vie sont lourdes à leur
cœur. Notre nationalité a besoin de tous les talents :
jamais une aube ne lui présage une journée pacifique, et
pour le travail national les forces communes suffisent à
peine. Les écrivains canadiens-français ont besoin de ce
patriotisme profond. Principe extra-littéraire si l'on veut,
mais qui, comme toute passion maintient l'attention sur
son objet, sur les idées et les faits qui l'animent. Un écri-
vain patriote se considère comme une fonction de sa race,
son interprète véridique ou son héraut retentissant. Il
aspire à dire la fierté ou la douceur calmante de ses rêves,
à formuler ses aspirations et ses besoins. Rien ne lui est
inconnu des inquiétudes qui la troublent, et il impose une
austère discipline à sa vie, afin que sa gloire rayonne en
lui, et que par lui, magnifique, elle s'épande sur le monde.
Que les auteurs fatigués des redites banales aillent
puiser dans notre histoire les idées neuves, l'inspiration des
sentiments lumineux et la fraîcheur des émois d'une race
nouvelle dans l'immensité béante d'un monde nouveau.
Rien, d'aUleurs, n'égale la valeur fécondante d'une lecture
nationale. Elle remue les observations, les émotions accu-
mulées. Traitant de choses connues, elle tient l'esprit en
éveil et, par une comparaison instinctive entre la pensée
de Fauteur et la nôtre, nous contrôlons ses jugements; des
aspects neufs nous découvrent des perspectives d'idées qui
soUicitent au travail notre intelhgence.
76 l'action française
Par ces voies nombreuses, l'étude et la méditation de
notre histoire nous conduisent au nationalisme littéraire.
Le nationalisme littéraire, c'est l'expression de notre âme
nationale, de notre société, de notre milieu physique;
c'est, dans nos Uvres, non seulement notre âme ancienne,
les mœurs du temps passé ou les souvenirs héroïques qui
s'en exhalent, mais encore notre âme contemporaine, avec
ses ardeurs et ses fiertés. Quelques-uns le nommeront
régionahsme, mais c'est un régionalisme élargi, plus compré-
hensif et capable d'embrasser plus de choses. Nos écrivains
doivent se rendre compte que les écrivains de tous les pays
sont des nationalistes Httéraires. Ils ne cherchent pas en
terre étrangère la matière de leurs œuvres, si ce n'est à titre
d'information ou de curiosité. Nous sommes destinés à dire
le « canadianisme », par hasard de naissance si l'on veut,
mais surtout pour ne pas nous diminuer. Et c'est le devoir
de la jeunesse à l'heure où beaucoup de nos intellectuels en
ont le dédain, de pubher cette vérité avec crânerie, de la
défendre, même avec un peu de fracas, pour qu'il en reste
quelque chose.
En pratiquant cette discipline, on étabUt une Httérature
canadienne-française. On lui donne des bases solides, une
âme nationale. Canadienne par la sensibihté, les idées et
les objets, par la psychologie des consciences, les questions
étudiées, par son fonds enfin, elle s'élancera d'un jet puissant
« vers la supériorité ». Certes, nous écrirons toujours en
français; mais qui ne voit que la langue, pour être la diffé-
rence la plus matérielle entre les littératures, n'est pas la
plus forte, ni la plus concluante? Ce n'est pas un travail
qui se puisse retarder : les groupes français disséminés dans
l'Amérique ont plutôt notre caractère et notre tempéra-
ment. Nos origines sont communes : il est naturel qu'ils
reçoivent de nous la vie intellectuelle. Il faut que la vieille
l'action française 77
province, comme un cœur fort, aux pulsations victorieuses,
refoule jusqu'à l'extrémité de ses veines un sang régénéra-
teur et abondant.
Que les jours soient proches où les enfants pourront
s'émouvoir aux seuls livres de leurs pères. Notre histoire
n'apprend pas à craindre l'existence de pionniers intellec-
tuels. Celle-ci est pourtant bien décevante et bien rude en
notre pays. Les écrivains usent leurs forces dans le double
souci du pain quotidien et du travail littéraire. La tristesse
leur est commune de réussir à moitié dans leurs deux tâches
et, dévoyés, conscients de ne pouvoir manifester jamais la
meilleure partie d'eux-mêmes, et la plus riche et la plus
noble. Acculés à cette impasse, aux moments d'amère
sohtude, qu'ils se souviennent des défricheurs hardis,
autrefois, à l'heure du crépuscule d'hiver. Une angoisse
s'épanche de la forêt hostile qui se détache sur la blancheur
de la neig© et le bleu trop dur du ciel ; on dirait que la nature
immobile subit la souffrance indicible du froid, que les
choses ont des plaintes, que le pressentiment d'une douleur
surhumaine envahit les êtres. Isolé dans son abri de billots
équarris, seul avec la femme dont il aime l'apaisante, la
silencieuse douceur, le colon français, pénétré de toute la
mélancolie immense de la terre, sentant l'insécurité de sa
vie, de son amour et de son rêve triomphant, s'abandonne
à la nostalgie troublante de la France, cependant qu'au
dehors le vent soulève la neige en larges nappes qui claquent
comme des voiles.
Il a persévéré, malgré tout, le Français nostalgique, et
la pérennité de son œuvre témoigne de la grandeur de ses
sacrifices.
Léo-Paul Desrosiers.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Pût oies A-t-on assez remarqué, dans V Action française de dé-
de chef cembre, les quelques lignes où de sa haute autorité, l'émi-
nent archevêque de Saint-Boniface signale et encourage
cette humble mais pviissante lutte « par les détails », d'où est née la
Ligue des Droits du français et qm demeure l'im de ses principavix ob-
jectifs ?
Le digne successeur de Mgr Langevin trace d'abord, en quelques
phrases lapidaires qu'on croirait tombées des lèvres mêmes du « grand
blessé de l'Ouest », tant elles rappellent ses nobles accents, les directives
de la lutte pour la conservation de notre langue : « La meiUevire garan-
tie du français au Canada c'est qu'un peuple fier veut le garder. — Si
nous voulons du français au Canada, c'est à nous d'en mettre. — Remi-
sons les grandes déclarations sur la beauté du patriotisme, si nous n'avons
pas le courage, chaque fois que l'occasion s'en présente, de nous montrer
patriotes agissants. »
ImpOïtanCB Puis, dégageant de ces principes les conclusions
des détttils pratiques, ne craignant pas d'entrer dans les détails,
s'y arrêtant même avec une insistance qvii, de la
part d'un tel chef, dit toute leur importance, il écrit : « J'ai ime lettre
à adresser; pourquoi ne pas l'adresser en français? Quelle vétille, di-
ront un grand nombre ! Quand la vétille se sera répétée dix ou douze
millions de fois au cours d'une année, la résultante sera-t-elle vaine?
Vous écrivez à un ministère du gouvernement fédéral; le français y est
officiel; quelle bonne raison pouvez-vous avoir d'écrire en anglais ? Votre
dignité personnelle aussi bien que l'avantage des vôtres demandent
l'emploi du français.
« Vous avez à mettre une enseigne au-dessus de votre porte; la ville
ou le village que vous habitez est aux trois quarts de langue française;
sied-il à un Canadien français conscient des droits de sa langue, d'em-
ployer l'étiquette anglaise? Substituer ainsi l'anglais au français, c'est
infliger à sa race une marque d'infériorité et c'est en même temps donner
aux étrangers l'impression fâcheuse qu'il y a peu de français au Canada,
ou que l'on n'y tient pas. »
l'action française 79
Certes, de telles paroles sont à retenir. EUes consacrent ouver-
tement l'humble campagne menée depuis dexrx ans dans cette re^'ue.
De voir ainsi un grand évêque la prendre sous son patronage, en sonner
lui-même la charge, lancer vaillamment ses mots d'ordre, nous est un
puissant réconfort.
Lq pQTt Nous nous permettons d'ajouter, puisque l'occasion
du clCT^é ^'^^ présente, que le clergé — mieux peut-être que tout
autre corps social — a su comprendre l'importance de
cette lutte et y coopérer. Ce qu'il a fait pour le maintien de notre na-
tionalité sur les vastes champs de bataille où se jouait son existence,
sur le terrain de la paroisse, de la colonisation, des écoles, il a voulu l'ac-
compUr aussi dans les humbles tranchées de la \'ie courante. Là comme
ailleurs on le trouve au premier rang, prêt à remplir les rôles variés qu'im-
pose le péril qui passe : sentinelle \àgilante, soldat aux rudes randonnées,
chef même, s'il le faut, intrépide et clairvoyant !
Ainsi, n'est-ce pas vm prêtre — un prêtre, dont je n'ai pas à louer
ici, dans ces pages de V Action française, le patriotisme actif et éclairé —
l'abbé Lionel Groulx, qui jetait à un auditoire vibrant ces énergiques
paroles : « Nous voulons qu'elle (la langue française) règne en ce pays,
partout où eUe a le droit de régner, depuis le discoiirs du trône lu par
le représentant de Sa Majesté, depuis les actes officiels du parlement
fédéral, jusque sur l'effigie du timbre-poste, jusque sur le bUlet de che-
min de fer, jusque siir la correspondance de tramway. » Et ces autres :
« Pouvons-nous prétendre à la qualité de race française \nvante, nous
qm permettons qu'on ne nous ser\-e presque partout que des affiches
et des armonces en langue anglaise, excepté poiu" les Défense de fumer
ou les Défense de cracher ? qui, sur nos chemins de fer, svir nos compa-
gnies de bateau, tolérons qu'on ne nous parle qu'en anglais; qui, jusqu'à
ces tout derniers temps, ne demandions le numéro de téléphone qu'en
anglais, n'acceptions des compagnies d'utilité pubhque que de la cor-
respondance en anglais, ne Usions dans nos cafés et nos restaurants que
des menus en anglais ? Croyez-voas que beaucoup d'autres races, aj'ant
l'orgueil de leiu: origine et la volonté de \-ivre, toléreraient longtemps
chez elles un pareil régime ? »
N'est-ce pas encore un prêtre, l'abbé Emile Lambert, chanceher
du diocèse de Montréal, qui faisant écho à ces fières déclarations, de-
mandait en juin dernier, aux membres de l'A. C. J. C, réunis en con-
grès, de ne pas considérer ces détails dans la lutte pour la langue comme
80 l'action française
des vétilles, mais de leur accorder au contraire une grande importance,
de les mettre au premier rang dans leurs préoccupations patriotiques ?
Des pQTOleS VoUà bien — car nous pourrions apporter plu-
aUX GCtCS sJ-eurs autres témoignages — les directions du clergé
sur ce sujet. Mais il ne s'en contente pas, il veut
lui-même donner l'exemple. Aux paroles il ajoute les actes, il agit com-
me il demande d'agir. Quelques faits entre mille.
En août dernier revenait à Québec, après im séjour d'une dizaine
d'années en Eiurope, un Canadien français, prêtre de la Congrégation
de Saint-Vincent-de-Paul. Il alla s'inscrire aussitôt afin d'obtenir un cer-
tificat d'enregistrement. Ce ne fut qu'au bout de deux mois que celui-ci
lui arriva d'Ottawa. Et encore il n'était pas satisfaisant. Le nom,
par exemple, du destinataire avait été lourdement estropié. Il écrivit
sans tarder la lettre suivante :
« Monsieur le secrétaire du Bureau-chef d'Enregistrement,
Ottawa.
« Monsieur,
J'ai l'honneur de vous renvoj^er un certificat adressé ici sans doute
« par erreur. Car nous ne connaissons pas dans notre établissement
« de Rev. Jvles John Plamoundon. Xous n'avons ici que le Père Jules-
« Joly Plamondon qui s'est fait enregistrer en août et non en Aiigust
« dernier.
« Veuillez avoir la bonté de m' expédier im certificat aussi sérieux
« que celui-là, sans y faire deux énormes fautes qui sentent VengJish à
« plein nez, dans le nom et le prénom, et daignez pousser la délicatesse
« jusqu'à remplir eti français les blancs d'un texte français. »
Uîî bon Ah ! si tous les nôtres avaient le courage d'agir, dans
T exultai ^^^ mêmes circonstances, aussi vaillamment que ce prêtre !
Pour lui, sa récompense ne se fit pas attendre Presque
aussitôt il recevait, signée d'un nom bien français, la lettre suivante :
« Mon révérend Père,
J'ai reçu votre lettre ce matin et j'ai corrigé les deux fautes men-
« tionnées. C'est regrettable que ces demoiselles anglaises ne sachent
« pas mieux écrire le français. Nous recevons souvent plusieurs lettres
« comme la vôtre, et par malheur ceux qui sont en tête de ce départe-
« ment ne les voient pas. Nous sommes chargés de répondre.
l'action française 81
« On m'a dit de corriger votre certificat et d'écrire une petite note.
« Excusez-moi si cette note est plutôt longue. Je ne voulais pas laisser
« votre lettre inaperçue.
« Veuillez agréer les respects d'ime petite Canadienne.
« VrVB LA liAXGUE FRANÇAISE ! ! t.
Les billets X'est-ce pas que voilà une démarche fruc-
dè cheTniflS d€ fCT tueuse ! Toutes ne donnent pas des résul-
tats aussi rapides, mais aucune n'est stérile :
elles préparent au moins le terrain où la bonne semence finira par lever.
Ainsi la suivante. Il s'agit cette fois de chemin de fer. On sait que
les membres du clergé reçoivent du gouvernement un certificat leur
permettant de voyager sur son réseau à moitié prix. Cette année, im
livret contenant ime série de billets a remplacé le certificat. On l'ob-
tient sur demande personnelle. Or il est rédigé uniquement en anglais.
Un Père du Saint-Sacrement s'e.st hasardé à demander si on ne pour-
rait lui envoyer un Hvret français. « Beg to adiise that we hâve not any
of thèse in French », fut la réponse. — Eh bien ! alors, réphqua le Père,
je vous retourne celui que j'ai reçu, car je le considère plutôt comme
vme injiire que comme ime faveur. Et je ne cesserai de protester que
vous ne m'ayez donné satisfaction.
Voilà qui est bien fait. D'autres, m'a-tK)n dit, ont agi de même.
Que le mouvement se généralise, que des protestations soient faites en
haut heu, et justice sera rendue.
AÏGTChdiîdS Ces deux exemples viennent du clergé régulier.
de V OntCLTW '^^ pourrais en citer encore plusieurs dus à des mem-
bres d'autres ordres: dominicains, jésuites, fran-
ciscains, oblats. Ils prouvent que l'habit religieux n'étouffe pas le pa-
triotisme. Mais prenons quelques faits chez le clergé sécuher.
Plusieiu^ maisons de commerce ontariennes ont une grosse clien-
tèle dans notre pro%'ince. Elles oubUent trop souvent que notre langue
est le français. Telle cette maison d'ornements d'église qui envoyait,
il y a quelques mois, une circulaire uniquement anglaise à im bon nom-
bre de nos prêtres. L'un d'eux, récemment nommé chanoine, l'avertit
charitablement qu'elle ne devait pas songer à traiter avec les Canadiens
français aussi longtemps, non seidement qu'elle écrirait en anglais, mais
même que le règlement XVII existerait ! Si tous les marchands onta-
riens, ajoutait-il, qui ont des cHents dans notre pro\ànce voulaient
exiger le retrait de cette mesiue, ils l'obtiendraient. Nous attendrons
leurs actes pour les encourager.
82 l'action française
EtîQU€tt€S P^r contre, des épiciers montréalais dont les produits
hilin^UeS portent des étiquettes bilingues, ont reçu des comman-
des de plusieurs curés, nouveaux clients gagnés,
avouaient-ils eux-mêmes, par le bilinguisme qu'arboraient enfin les boî-
tes de conserves et les estagnons d'huile d'olive, trop longtemps \inilin-
gues.
C'est aussi im curé, le regretté M. Perron, de Sain te- Anne-de- Belle-
vue qui, dans un beau geste, décerna une médaille aux jeimes du collège
de Rigaud pour leur ténacité à exiger qu'vm employé de chemin de fer leur
parlât français. Et lorsque nous avons signalé, dans cette chronique,
l'usage habituel que font nos ouvriers des termes de métiers anglais,
le premier à relever nos remarques, à suggérer quelques initiatives pro-
pres à enrayer cette tendance, fut un prêtre, atunônier des unions ou-
vrières.
Lg lutte Q^6 conclure de tout cela ? Au patriotisme de notre
fléceSSQÎïe clergé? Oui, certes; mais aussi à l'importance, à l'op-
portimité, à la nécessité de cette lutte par les détails.
Tant d'hommes éclairés ne l'entreprendraient point, ne s'astreindraient
pas aux minuties, aux démarches, aux ennuis qui lui sont liés, si elle ne
s'imposait impérieusement, s'il ne fallait réagir contre une funeste apa-
thie. Chaque jour d'ailleurs se charge d'apporter de nouvelles preuves.
Tout récemment encore, les administrateurs de cette ville que fondèrent
le sang, le labeur, l'idéal français; qui, par la langue et les traditions de
ses habitants, est la quatrième ville française du monde; les adminis-
trat€iu"S de Montréal, dont quatre sur cinq sont de descendance fran-
çaise, s'attiraient d'un officier mihtaire anglais le reproche d'ignorer
le français dans un de leurs actes officiels.
Et ce n'est pas la première fois. Et ce ne sont pas les seuls cou-
pables. Qu'on entre actuellement dans les gares de notre métropole.
On y verra des affiches concernant les soldats qui reviennent au pays.
Elles sont toutes uniquement en anglais, même celles posées par des so-
ciétés qui, pour les payer, ont recueilU de l'argent chez les Canadiens
français !
Sans doute la campagne énergique et constante que mène un petit
groupe est efficace, mais pour être décisive elle devrait être appuyée
par vm plus grand nombre de nos compatriotes. Qu'au moins tous les
lecteurs de l'Action française nous apportent cette aide !
Pierre HoinER.
\
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
Les « Billets du soir » de M. Albert Lozeau
M. Lozeau, par un mérite poétique incontestable, s'est imposé à
l'attention du public qui ne lui a pas ménagé ses sympathies. Ses trois
recueils de vers : L'Ame solitaire (1906), Le Miroir des jours (1912),
Lauriers et feuilles d'érable (1917) lui assui'ent une place d'honneur au
Parnasse canadien.
Nous n'avons pas dessein d'étudier ici ces ou\Tages. Un de nos
meilleurs critiques l'a fait avec sa déHcatesse habituelle^. M. l'abbé
Camille Roy a rendu pleine justice au talent de l'écrivain et fait res-
sortir la valeur de l'œuvre publiée jusqu'à présent. Notre tâche est
plus modeste : signaler simplement au lecteur la troisième série des
Billets du soir et parcourir rapidement les trois volumes. Le genre sans
doute n'est pas nouveau, et, sans parler des ouvrages analogues
en France : Billets du matin de Jules Lemaîtrç, Carnets d'un sauvage
de Henry Maret, Billets de Junius, dans l'Écho de Paris, plusieurs vo-
lumes semblables ont depuis quelques années enrichi notre httérature
canadienne. Lettres de Fadette, Autour de la maison de Michelle Le Nor-
mand, croquis de Bilodeau et de Ginevra, nous avons là tout un recueil
de billets dont la lecture est pleine de charme. Chaque page ne sau-
rait prétendre à l'immortalité, mais il y a des morceaux d'une belle ve-
nue et l'ensemble est agréable à parcourir.
M. Lozeau reste poète, même en prose, et sent parfois le besoin
de revenir à la forme ailée du vers. Cela ne doit pas nous surprendre.
Il l'avoue lui-même :
Celui qui mil un jour sa lèvre,
Poésie, à ton vase d'or,
Dans la peine, l'amour, la fièvre,
Y reviendra jusqu'à la mort.
(1ère série, p. 123).
1 1ère série (1911); 2e série (1912); 3e série (1918) — Imprimerie
du Devoir, Montréal.
» M. Albert Lozeau, par l'abbé Camille Roy, dans La Nouvelle-
France, de février 1917, pp. 49-63.
84 l'action française
C'est ainsi que, sur une quarantaine de billets, le dernier volume
renferme six ou sept poèmes badins ou gracieux et, dans un grand nom-
bre d'articles en prose, on sent passer le souffle divin de la muse.
Un premier trait qui nous frappe dans les Billets du soir, c'est l'hor-
reur du terre à terre et du convenu. Sur un ton souvent ironique et
qui se hausse parfois jusqu'à l'indignation, l'artiste combat tout ce qui
lui semble xoilgaire. Le tintamarre des rues et le cri strident des auto-
mobiles, le papotage des salons et le ridicule des modes excitent sa verve.
Relisez Pages intimes (2e série, p. 81), vous y trouverez une satire trop
vraie pour n'être pas attristante. M. Lozeau déplore le sort de l'artiste
« condamné à pétrir avec son sang des poèmes plus rouges que les pom-
mes des pommiers » (3e série, p. 22.) L'esprit pratique qui contraint
le poète à faire de sa plume vm instrument banal et le force, pour ga-
gner son pain, à consacrer au travail de la traduction ou de la réclame
des heures qu'il voudrait réserver à l'inspiration, l'irrite surtout. Il se
contente habituellement de railler le manque d'esthétique et de goût
(1ère série, p. 50 : L'art souverain, etc.), mais sous l'ironie un peu
amère une impression piquante se dégage de certains billets. Dans
L'art souverain, il flétrit justement les paroles d'un gros pohticien
qui disait de Nelhgan : C'est un brave garçon, il est très intelhgent,
mais il a la manie d'écrire en vers (1ère série, p. 52). Et ailleurs :
« Depuis qu'un labeur mercantile rempht mes jovirs, même aux instants
de loisir je ne lève plus les yeux au ciel. . . J'ai perdu la faculté de me
recueiUir sur autre chose qu'une phrase anglaise, — quand je traduis ...»
(1ère série, p. 80). Les traits semblables abondent dans les trois vo-
lumes : le sourire ne réussit pas toujours à dissimxiler l'émotion que lui
inspire l'indifférence générale en présence des œuvres d'art et des ar-
tistes.
M. Lozeau se dégage vite de ces pensées déprimantes et pour se
consoler, il contemple la nature, comme il la voit autour de lui. Ses
voyages ne s'étendent guère plus loin que le Mont-Royal et le parc La-
fontaine, mais il sait, dans cet horizon restreint, découvrir l'incompa-
rable beauté des choses. Ce qu'il aime surtout, en vrai poète, c'est
l'automne : ne lui renvoie-t-il pas l'écho de son âme solitaire f
« Dans le ciel d'aujourd'hui, il voyage un peu d'automne. Une
brume aérienne tamise les rayons du soleil, le vent léger est frais, et les
arbres frissonnant annoncent l'envolée prochaine des premières feuilles
mortes. . . C'est septembre, un mois de nuances et de transition, un
mois d'air argenté, de lumière adoucie. La fumée traverse dans l'es-
l'action française 85
pace comme fatiguée, et sa teinte gris foncé s'épand sur le gris pâle de
l'horizon rapproché. En vérité l'été se meiirt. » (2e série, p. 89).
Relisez Fin d'automne (3e série, p. 27) et Le verd d'automne. (3e série,
p. 47) et surtout Septembre, octobre, (3e série, p. 67) et vous y admi-
rerez le talent de l'auteur :
« Septembre, octobre, quelquefois novembre, les mois les plus poétiques
de l'année, les plus profonds aussi par les pensées qu'ils éveillent et les
impressions qu'Us font naître; septembre, octobre, embués d'argent,
dorés de soleil, aziu-és de ciel; septembre, octobre, enguirlandés de feuilles
multicolores, éventés de brises tièdes et langoureuses aux musiques affai-
blies; septembre, octobre, quand ils ne pleurent pas sans cesse, donnent
à l'esprit de grandes ailes qui planent au-dessus du monde, et s'élèvent
dans l'infini du rêve ! »
L'hiver, il aime de son balcon, se faire ensevelir sous la neige qui
rafale {Dans la tempête, 3e série, p. 103), ou derrière les vitres blanches
contempler « les images dessinées en gi^Te sur la vitre, et qui sont de
toutes les flores, de toutes les formes. Quand la fenêtre a reçu l'im-
pression de l'hiver, elle présente le tableau le plus délicat à l'œil humain.
Nul pinceau n'en rendrait la nacre mate, le glacis immaculé, ni surtout
cette arrière-pensée d'éblouissement solaire. L'azur n'y transparaît
pas, on n'en voit pas la teinte, mais on le sent mêlé, fondu comme une
couleur dans une autre, à l'éclat du jour vibrant sur la \itre. C'est
un rayonnement apaisé, pâle et clair, qu'on dirait tamisé par d'invi-
sibles rideaux, pour une chambre de malade qui dort » (1ère série, p. 103).
M. Lozeau aime beaucoup aussi à décrire ce qui l'entoure, à racon-
ter les menus faits de la vie quotidierme. Il a beaucoup d'obser\'ation
et pourrait faire siens les vers de Rostand :
J'écoute d'une oreille artiste et qui s'aiçuise
Des bruits que nul ne percevrait que mm.
Sur des riens il brode mille détails délicieux. D'une touche déU-
cate, il sait ne pas appu}-er et nous faire sourire d'un incident presque
banal. Nous nous intéressons à sa chatte « blanche, onduleuse et sim-
ple, aux yeux de phosphore vert, qui rôde silencieusement par la maison
et fait encore moins de bruit que l'horloge » (1ère série, p. 13), à ses
poissons rouges, que la chavix va faire mourir (3e série, p. 51). La pe-
tite coiisine et sa poupée nous sont maintenant familières et, comme
M. Lozeau, du toit nous écoutons la conversation des cantonniers de
86 l'action française
la rue (2e série, p. 81) ou des gamins heureux de voir « leurs moines qui
donnent avec une complaisante paresse, en dévidant longuement un
léger bruit de soie harmonieuse. . .» (2e série, p. 19). Le cheval qui
passe avec son chapeau (2e série, p. 53), le moineau qui s'ébat sur la
chaussée (1ère série, p. 27), la femme lourde « menant gravement en
laisse un embrj-on de chien » (3e série, p. 37), tout cela nous réjouit ou
nous agace. Nous aimons surtout les entretiens du poète avec son ami
qui lui ressemble comme un frère, et où se discutent sous la forme du
paradoxe, tant de vérités profondes. Nous nous attardons à rêver
avec le maître du logis, à regarder « les petites cheminées ayant sans
cesse un léger panache qui flotte » et dont les fvmaées, « dans les beaux
soirs d'été, montent droit vers les étoiles, aussi invisibles que des pen-
sées » (1ère série, p. 23). Que l'heure soit harmonieuse, nonchalante
ou silencieuse, nous sommes en agréable compagnie pour admirer l'hi-
rondelle qui s'envole vers l'azur et prêter l'oreille aux murmures du
vent « qui tourne, vole, tel qu'un oiseau rapide et se précipite où nous
allons tous : vers l'infini. »
Si la plupart des billets nous donnent l'impression de fantaisies
gracieuses, de bibelots finement ouvrés, il faut bien avouer que parfois
le trait est forcé, la plaisanterie un peu lourde, et que certaines expres-
sions étonnent et déplaisent chez un poète aussi déUcat. Comment
ne pas regretter aussi que l'amour, chanté souvent avec tant de dou-
ceur, inspire ailleurs des images trop réalistes? Ce sont là taches lé-
gères, et combien plus fréquents, même dans les billets badins, sont
les coups d'ailes vers l'idéal !
En reUsant quelques billets on ne peut s'empêcher — si parva lied
componere magnis — d'évoquer la manière de Hérédia ou\Tant au der-
nier vers de ses plus beaux sonnets une perspective presque infinie. Sou-
vent aussi chez le billellisle du Devoir, après une description détaillée
et même minutieuse, au trait final l'horizon s'élargit et la pensée stu-
péfaite prend son essor à travers l'immensité.
Lisez Deux odeurs (3e série, p. 13). L'auteur y chante l'odeur du
pain « à la croûte souple et dorée, qui garde encore autour d'elle, pou-
dre immaculée, un duvet de farine » et l'odeur « retenue et persistante
de l'eau antique, de l'eau toujours pareille à elle-même qui tombe de-
puis des siècles et des siècles, imprégnant la terre, depuis qu'elle tombe,
de son parfum vénérable, unique, universel ! » Et voici la conclusion :
« Vive l'eau ! et gloire éternelle au pain quotidien, force des corps,
au pain qui sent aussi bon tjue l'eau et dont la farine auguste compose
le petit soleil blanc de l'hostie sur les autels chrétiens 1 »
l'action française 87
Et plus loin, méditez la fin de l'hymne au printemps intitulé : En
marche : « Dans un mois beaucoup d'hommes naîtront, beaucoup d'hom-
mes mourront; mais ce sera le printemps quand même, — le printemps
fugitif pour ceux qui naissent, le printemps éternel pour ceux qui meu-
rent...» (3e série, p. 124).
M. Lozeau aime à l'occasion donner de fortes leçons de vrai pa-
triotisme ou de philosophie chrétienne. Qu'on relise : Au feu dans la
seconde série, Vive contrariété, S'oublier et surtout le billet final : La paix,
dans la troisième série, on y trouvera matière à réflexion.
Quand M. Lozeaxi délaisse la prose pour les vers, il écrit aussi
de gentils billets. L'étroite colonne de journal se prêterait mal^à la
gravité de l'alexandrin, et il dit lui-même avec esprit :
Si la colonne était plus large
J'écrirais en alexandrins :
On vous donne si peu de marge,
Pauvres vers liés en quatrains !
. . . D'ici là que ces rythmes frêles
Vou^ apportent quelque plaisir :
Comme les fleurs ils n'ont point d'ailes
Et vous pourrez mieux les... saisir
{Entravés, 1ère série p. 63)
En dépit de l'aflSrmation du poète son vers a souvent des ailes et
chante gracieusement ses amours, la montagne ou le jardin, et fait l'éloge
de nos beaux érables :
Ceux-là prodiguant leur richesse
Car toute la splendeur des ors
Et des rouges est en promesse
Dans leurs rameaux souples et forts.
{La montagne, 3e série p. 11).
En vers et en prose, M. Lozeau trouve les images qui frappent. Il
sait peindre avec bonheur en peu de mots et donner l'impression de la
vie. Il fait ainsi ressortir à nos yeux les scènes qu'il évoque. Les ex-
traits que nous avons cités en sont la preuve, et en parcourant les trois
88 . l'action française
volumes de « Billets » le lecteur en trouvera de nombreuses démonstra-
tions.
Peut-être sent-on çà et là chez l'auteur une trop grande facilité.
Dégagé de l'entrave du vers, il ne cisèle pas toujours assez la phrase.
Il écrit cependant une langue harmonieuse et souple qui plaît à l'oreille.
Il ne lui en coûtera guère de lui donner une forme parfaite et d'ajouter
ainsi à notre Littérature quelques pages qui lui feront honneur. « Re-
garder en soi passer les autres, et sans en rien dire, c'est amusant », a-t-il
écrit un jour. M. Lozeau aiirait tort de taire ses impressions sur au-
trui. . . et sur lui-même. Ce serait priver ses nombreux lecteurs d'un
plaisir réel.
Alphonse de Grandpré, c. s. v.
L'INSTRUCTION OBLIGATOIRE
La question de l'instruction obligatoire fait éclore toute une série
de pubUcations. Après le livre de M. Magnan, que nous signaUons
l'autre jour, et qui contient son examen général de la situation
scolaire de la province de Québec, d'importantes études sur le status
des minorités de langue anglaise (catholique et protestante), voici
un livre du P. Hermas Lalande, S. J., sur l'Instruction obligatoire — ■
Principes et conséquences (40 sous, plus 5 sous pour le port) et la réim-
pression par l'Oeuvre des Tracts d'un chapitre de Mgr Paquet sur le
même sujet (5 sous l'exemplaire).
LE DROIT DES LANGUES
Le marquis de l'Estourbeillon, député du Morbihan, président de
l'Union Régionaliste bretonne^ dans un appel aux délégués de la Con-
férence de la paix {Libre Parole, Paris, 31 janvier 1919), demande que
le futur traité de paix « affirme et proclame nettement, en l'établissant
désormais comme une règle intangible, le droit imprescriptible des peuples
de parler et d'enseigner libremerit leur langue. . . ».
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
LaLigxje des Droits du français. — L'assemblée générale annuelle
de la Ligue des Droits du français est toujours, dans la vie de l'Action
française, un événement considérable, puisque c'est la Ligue qui publie
l'Action française et ses filiales. Cette assemblée a eu lieu au siège so-
cial de la Ligue, 32, Immeuble de la Sauvegarde, le samedi 1er février.
M . Louis Hurtubise, secrétaire général de la Ligue, a présenté le rapport
suivant :
« Vous connaissez, sans qu'il soit besoin d'y insister beaucoup, le
' bilan de notre Ligue. Organisée de la façon la plus modeste, son œu^Te
s'est développée de telle sorte que deux cent miUe brochures et brochu-
rettes portent déjà à*travers l'Amérique, et jusqu'en Europe, notre pen-
sée et nos projets.
« Notre première publication périodique, VAlmanach de la Langue
française, d'abord tirée à 10,000 exemplaires, a dû presque aussitôt être
portée à 25,000. Cette année, nous craignions l'effet siu- sa diffusion
de retards accidentels et de la hausse du prix, imputable à l'augmen-
tation du coût du matériel et de la main-d'œuvre. Le succès a été fou-
droyant, déconcertant. En quelques jours, nos 25,000 exemplaires
ont été enlevés. Nous n'avons pu répondre aux demandes de nos amis;
l'an prochain, il faudra tirer à 40,000, à tout le moins.
« Notre revue, l'Action française, n'a pas encore atteint de pareilles
hauteurs; mais, si l'on tient compte de son caractère particulier, le ré-
sultat est aussi remarquable. Alors que dans notre pays, le nécrologe
des revues est l'un des plus riches qui soient, nous vivons et, dès notre
deuxième année, nous avons dû porter notre tirage de 2,500 à 4,000.
Cette année, nous passons à 5,000 et ce n'est qu'un commencement.
« Vous savez qu'41 a ïallu, pour compléter l'action de la revue, créer
un nouveau type de pubUcations : notre Bibliothèque de l'Action fran-
çaise. Quatre brochures à 10 sous, La Fierté, du P. Louis Lalande, S. J.,
Pour l'Action française, de M. l'abbé Lionel Groulx, la Veillée des ber-
ceaux, de M. Edouard Montpetit, et les Refrains de chez nous ont déjà
paru dans cette collection orange. D'autres suivront, notamment
la Valeur économique du français, de M. Léon Lorrain, et Si Dollard re-
venait. . ., de M. l'abbé Groulx. Puis, la série à 10 sous ne suflasant
90 l'action fe ANC aise
point, nous avons dû aborder des formats plus coûteux : La Langue,
gardienne de la Foi, de M. Henri Bourassa, inaugurera, sous couleur
verte, une collection à 25 sous où paraîtra, très vraisemblablement, le
plaidoyer Pour la Défense de nos Lois françaises, de M. Antonio Perrault.
La collection à 75 sous sera inaugurée par VAu Service de la Tradition
française de M. Edouard Montpetit et La Naissance d'une Race de M.
l'abbé Groubc. L'hommage à Paul-Émile Lamarche, qui paraîtra d'ici
quelques jours, sera peut-être le premier numéro d'une série à ime pias-
tre.
« Vous voyez que, de ce point de vue, la besogne ne manque point.
D'autres projets sont d'ailleurs à l'étude.
« L'œuvre de la revue et de nos publications diverses se complète
par celle des conférences. Vous savez quel éclat prend la série du Mo-
nument National, où nous avons eu le plaisir d'entendre jusqu'ici, sous
la présidence de M. l'abbé Perrier, de M. le sénateur Belcourt et de M.
Aimé Geoffrion, MM. Henri Bourassa, Léon Lort-ain et Antonio Per-
rault. D'autres conférences s'ajouteront à celles-ci, car nous n'enten-
dons confiner notre effort ni au Monument National, ni à la ville de
Montréal.
« Conférences et brochiu-es n'épuisent point cet effort. Nous vi-
sons à une action plus immédiate, plus directe encore, pour assurer au
français la place qui lui convient. Le travail fait de concert avec un
certain nombre de fabricants de biscuits et de bonbons, et qui a abouti
à la constitution de catalogues bilingues, au choix de noms français, etc.,
est le type d'une action que nous espérons bien multiplier. D'autres
interventions se produiront aussi. Il en est plusieurs que nous avons
dû ajourner parce que nous n'avions pas le moyen matériel de les mettre'
à exécution.
« Car, il en faut bien revenir là, nos ressources sont encore très li-
mitées. Nous n'avons en abondance que la sympathie et le dévoue-
ment, et c'est par ceux-ci, presque exclusivement, que nous avons pu
vivre. C'est à ceux-ci que nous faisons appel pour le progrès et le dé-
veloppement de notre œuvre. Il n'est personne qui ne puisse nous
aider, par l'abonnement, l'annonce, la diffusion de nos livres et de nos
brochures, aussi bien que par la conférence et l'article. Ce qui m'in-
téresse parliculibrcmcnt dans votre œuvre, disait un jour un orateur ami,
c'est qu'elle offre de la besogne à tout le monde. Et vous avez encore dans
l'oreille le comphment que voulait bien nous adresser M. Aimé Geof-
frion : Quand d'autres songent à agir, V Action française, elle, agit !
l'action française 91
« A tous ceux qui nous ont aidé dans le passé, à tous ceux qui nous
aideront dans l'avenir, nous adressons d'avance le plus cordial merci. »
Ce rapport a été adopté par l'assemblée, en même temps que le
compte rendu des opérations financières de l'année. Deux des mem-
bres du comité directeur de la Ligue, MM. le Dr Joseph Gauvreau, an-
cien secrétaire général, et Pierre Homier, achevaient, cette année, leur
terme d'office. Leurs noms et ceux de MIVL l'abbé Phihppe Perrier
et Hervé Roch, avocat, ont été présentés au choix de l'assemblée. MM.
Gauvreau et Homier ayant fait savoir que leurs occupations ne leur
permettraient pas d'occuper au comité des fonctions permanentes, MM.
l'abbé Perrier et Roch ont été élus par acclamation.
La Ligue espère que INIM. Gau^Teau et Homier, deux de ses fon-
dateiurs et de ses plus ardents collaborateurs, pourront tout de même
continuer à lui apporter le fruit de levu* travail et de leiu* expérience.
SER^^CE DE LIBRAIRIE. — L' Action française vient, sous la pres-
sion des circonstances, d'instituer un service qui prendra probablement
une importance assez considérable. Beaucoup de ses amis profitaient
de leurs lettres à l'administration pour réclamer tel ou tel volume pubHé
ailleurs, mais qui se rattachait à leurs préoccupations habituelles. Nous
avons tôt constaté qu'il }• avait là l'occasion de rendre à nos clients ha-
bituels de multiples services, de leur épargner des lettres et des frais
inutiles. Nous avons donc décidé de régulariser et de systématiser
le service de hbrairie qui s'était établi presque tout seul.
Nous serons heureux, à l'avenir, de foiu-nir à nos correspondants
les livres et brochures, les Canadiana particuUèrem.ent, dont ils pourront
avoir besoin. On trouvera dans l'une des pages d'aimonce l'indication
de quesques-uns des ouvrages que nous tenons présentement à leur dis-
position. Cette hste est naturellement fort incomplète. Nous re-
chercherons tous les h\Tes qu'on nous demandera. Nous nous ferons
ime spéciahté de la difî'usion des œu\Tes de propagande des grandes
sociétés de défense nationale du Canada et des États-Unis. C'est ainsi
que nous avons déjà commencé la distribution de l'un des premiers tracts
de la Ligue de Ralliement français en Amérique : Le français dans nos
écoles, que nous signahons le mois dernier. Cette pubHcation se vend
10 sous l'exemplaire, SI la douzaine, S8 le cent.
Nous disposons de brochures comme les Chroniques de M. Léon
Lorrain (25 sous, plus 2 sous pour le port), A bout -portant, de Nap. Tel-
lier (même prix), A -profos d'Instruction obligatoire — La situation sco-
laire dans la province de Québec, de C.-J. Magnan (50 sous, plus 5 sous
92 l'action française
pour le port; $5 la douzaine et $35 le cent, port en plus) l'Instruction
obligatoire, du P. Hermas Lalande (40 sous, plus 5 sous pour le port;
S4 la douzaine, port en plus) et, d'une façon générale, des dernières pu-
blications parues.
Les membres des commissions scolaires, les organisateiu-s de bi-
bliothèques paroissiales, trouveront profit à se mettre en relations avec
nous.
Notons en passent (que la Fierté, l'une de nos premières publica-
tions, est aujoiu-d'hvii épuisée. Par contre, plusieiu-s milliers d'exem-
plaires des Refrains de chez nous viennent d'être réimprimés.
L'aboxxbmbxt DR S5. — Sur versement de So, nous adressons
aux souscripteurs, sans qu'ils aient à le demander, toutes les publica-
tions nouvelles de l'Action française, au fur et à mesiire qu'elles parais-
sent. Si le client désire commander plus d'un exemplaire de ces pu-
blications ou d'autres li\Tes, il n'a qu'à jeter à la poste une carte pos-
tale. Les S5 épuisées, il lui suffit de renouveler cette provision pour
continuer à recevoir les nouveautés et commander ce qui lui plaît.
Nos CONFÉRENCES. — La quatrième conférence de la série du Mo-
nument National a obtenu un succès très considérable, que nous ne
pouvons que signaler ici. Le Dr G.-H. Baril, président de-V Association
de la Jeunesse, le R. P. Louis Lalande, S. J., et IMgr Béliveau, arche-
vêque de Saint-Boniface, ont successivement pris la parole dans cette
soirée, l'une des plus brillantes que nous aj'ons encore eues. Il y a là
la matière d'une brochure qui sera bientôt pubUée.
Le prochain conférencier sera ^L Armand Lavergne.
Nos COLLECTIONS. — Quelqucs collections de 1918 se vendent $2.
On réussit parfois à former des collections de 1917 qui se vendent $3.50.
Jean BeauchexMix.
FABRICANTS DE BONBONS ET BISCUITS
Nos fabricants de bonbons et de biscuits travaillent ferme de ce
temps-ci, de concert avec l'un de nos comités, pour franciser leurs pro-
duits. L'ouvrage sera terminé dans quelques jours. Et l'on comnien
cera alors une vigoureuse campagne.
i
TRIBUNE DE NOS LECTEURS
CALENDRIERS FRANÇAIS
Il nous vient de l'Ontario un appel intéressant. Plusieurs braves
gens de Sudbury ont cherché en vain à obtenir des calendriers français.
Plutôt que d'en suspendre dans leiu^s demeures qui soient rédigés en
anglais, Us s'en passeront, mais. . . si quelques maisons de Montréal leiur
faisaient un cadeau, combien ils seraient heureux. Nous recomman-
dons cet appel aux marchands ou aux hommes d'affaires qui publient
des calendriers français ou encore à nos amis qui en auraient de trop.
Qu'on les adresse au Collège du Sacré-Cœur, Sudbury, Ont; — X.
MARS 1917 — DECEMBRE 1918
Nous accusons réception avec reconnaissance- des numéros de mars
de 1917 de Y Action française qu'on a bien voulu nous faire parvenir.
Ceux de nos lecteurs qui possèdent cette Uvraison en double, nous ren-
draient service en nous la faisant tenir.
De même le numéro de décembre 1918 est épuisé et ne peut plus
être vendu, sauf en série complète avec les onze autres U\Taisons de
l'année, à ?2 franco pour la collection. Nous recevrons avec plaisir les
numéros de décembre 1918 disponibles chez nos lecteurs.
AVIS AUX ABONNES
Pour mettre nos livres en ordre, nous prions les abonnés de l'Action
française qui n'ont pas encore versé le prix de leur abonnement de 1918
de bien vouloir nous faire tenir leur remise par le prochain courrier.
Nous les prions aussi de profiter de l'occasion pour nous verser l'abon-
nement de 1919. Cette dernière invitation s'adresse également à tous
ceux qui n'ont pas payé 1919. La bande d'abonnement sert d'indica-
tion : Jan. 1918 signifie que l'abonnement est dû depuis le 1er jan\-ier
1918; Jan. 1919 indique que l'abonnement est dû depuis le 1er janvier
1919; Jan.. 1920 sert de reçu pour le paiement de l'année.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LIGUE DE RALLIEMENT FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
Cette ligue a été constituée le 23 janvier 1919, avec ce mot d'ordre :
Tene quod habes. Son biu-eau est ainsi constitué : président d'honneur :
M. l'abbé G.-A. RainAolle, Salem, Mass.; président : M. l'abbé J.-J.
Richard, Nashua,' N.-H.; 1er vice-président : M. l'abbé J.-S. Fortin,
Woonsocket, R.-I.; 2e ^^ce-prcsident : M. l'abbé C. VilHard, Woon-
socket, R.-I. j secrétaire général : M. l'abbé Henri Beaudé, Manchester,
N.-H.; asst .-secrétaire : M. l'abbé A.-O. Poirier, Manchester, N.-H.;
trésorier-général : M. l'abbé Horm. Tetreau, Nashua, N.-H. Le co-
mité des finances se compose de M. l'abbé L.-J.-A. Doucet, Manches-
ter, N.-H.; M. l'abbé A. Prince, Woonsocket, R.-I.; M. l'abbé L.-C.
Béland, Beverly, Mass. Le comité des relations extérieures se com-
pose de l'honorable Adélard Archambault, Woonsocket, R.-L; de ^L
l'abbé J.-A. Fauteux, Woonsocket, R.-I. et de M. WiKrid-J. Lessard,
Manchester, N.-H. Le comité de censure se compose de M. Henri
d'Arles, Manchester, N.-H.; de M. l'abbé Geo. Courchesne, S. Th. D.,
Manchester, N.-H., et de M. Adolphe Robert, Manchester, N.-H.
La Ligue a pubhé l'appel suivant :
LIGUE DE RALLIEMENT FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
I. L'heure est grave pour tous les Français d'Amérique. Nous
sommes menacés dans nos intérêts les plus chers. Le problème qui
se pose devant nous peut se définir à l'aide des mots célèbres : Être ou
ne pas être. L'n vaste mouvement d'angUcisation par l'école se pré-
pare : en certains milieux, il est déjà lancé. La vague d'assaut s'en
vient et ses larges ondulations balaieront, si nous n'y prenons garde,
le trésor sacré de notre langue maternelle-. C'est au nom d'un sophisme
que se fait cette campagne : Sous prétexte de nous aynéricaniser, l'on
veut nous frapper de mort; et jamais peut-être le noble mot de patrio-
tisme n'aura été davantage profané, car il sert ici à couvrir un plan qui^
est la négation pure et simple de ce sentiment.
l'action française 95
II. Que, dans un pays où l'anglais est la langue officielle, la langue
de la politique et des affaires, il faille apprendre l'anglais, nous le con-
cédons, et nous l'avons d'ailleurs toujours fait. Qu'une langue com-
mime serve de terrain d'entente entre les diverses races qui sont venues
chercher aux États-Unis la paix dans la liberté, et puisse favoriser l'éclo-
sion et l'expansion d'un état d'esprit national, nous l'admettons égale-
ment. Mais que, pour arriver à cette fin légitime, — la cohésion en
faisceaux des forces ethniques variées disséminées dans toute l'étendue
du territoire américain, — chacim des éléments hétérogènes doive re-
noncer à la langue de ses pères pom- s'en tenir uniquement et absolu-
ment au seul parler anglais, — voilà le sophisme qui insulte au bon sens;
et toute mesure basée là-dessus est à la fois déraisonnable, injuste, op-
pressive.
III. En conséquence, nous Français d'Amérique, reconnaissons
la nécessité d'organiser \me résistance pacifique, ferme, loyale, aux ten-
tatives d'assimilation qui se voilent sous des apparences illogiques et
trompeuses. Notre patriotisme a toujours été au-dessus de tout re-
proche; notre fidéUté au drapeau étoile a été scellée dans le sang de nos
fils et de nos frères; notre adaptation à la langue anglaise s'est toujom-s
accomplie avec une facihté qui a étonné ceux-là seuls qui ignoraient
que la langue française étant la source et comme la racine de l'anglais,
savoir le français donne la clef du parler anglais Quant à renoncer à
cultiver notre langue maternelle dans nos écoles, quant à la supprimer
de notre enseignement primaire, cela, non possumus, nous ne le pou-
vons pas, pour toutes sortes de raisons : ce serait abdiquer notre âme,
nos traditions, notre passé; l'apostasie sur ce point entraînerait l'apos-
tasie rehgieuse, ou en tout cas une grave diminution de nos convictions
cathoHques, notre langue, pétrie de catholicisme, étant la gardienne de notre
foi ; les États-Unis eux-mêmes perdraient à cet abandon, parler deux
langues valant mieux qu'en parler seulement ime, et la langue française
étant considérée unanimement comme la plus riche et la plus glorieuse
de toutes les langues modernes, comme la langue de la diplomatie et des
relations internationales, comme la plus haute expression de la civili-
sation hiunaine.
IV. Nous ne pourrions pas, sans honte, sans nous abaisser à nos
propres yeux, souscrire à l'abdication Unguistique; et le pouvoir public
ne pourrait non plus légiférer en ce sens, et d'ime manière absolue, sans
96 l'action française
violer le droit naturel, et par suite sans outrager notre conscience, sans
porter atteinte à la vraie liberté dont le drapeau américain est le sym-
bole, sans renier l'idéal au nom duquel ce drapeau a traversé les mers
et est devenu pour tous les peuples un signe d'espérance, de libération
et de salut.
V. Forts de nos droits imprescriptibles, nous avons fondé la Ligue
de Ralliement français en Amérique, pour les affirmer respectueusement
et clairement en face de tous, pour travailler à les restaurer là où ils
ont été méconnus, à les maintenir et à les affermir là où ils nous sont
encore assurés, à empêcher qu'on y touche là où l'on n'a pas encore
osé le faire.
VI. En attendant que le développement de notre œuvre nous four-
nisse des moyens d'action plus nombreux et plus étendus, notre apos-
tolat s'exercera sous forme de tracts populaires, traitant sous leurs divers
aspects les questions les plus pressantes, et les plus essentielles à la con-
servation d'un héritage complexe et sacré, qu'aucune puissance au monde
n'a le droit de nous ravir, et qu'aucune puissance ne pourra nous enlever
effectivement, pour peu que nous sachions nous défendre à la limaière des
principes éternels.
VII. La signature du feuillet ci-joint, et son renvoi au bureau cen-
tral, constitueront l'enrôlement dans la Ligue de Ralliement français
en Amérique, et l'engagement personnel de promouvoir, par tous les
moyens légaux et légitimes, l'œuvre pour laquelle elle a été fondée. Afin
de procurer l'impression et la diffusion de plus en plus large des trads,
tout membre de la Ligue est prié de vouloir bien faire parvenir à notre
Trésorier-Général, en même temps que la feuille d'enrôlement, une con-
tribution dont le montant est laissé à sa générosité et à son patriotisme.
Pour la Ligue de Ralliement français en A mérique,
Lb Comité Exécutif.
A LA MEMOIRE
DE
CHARLES GILL
Tous les deux, nous aimions les arbres vénérables
Qui, sur notre montagne, élèvent leur beauté ;
Mais, toi, tu les peignons avec fidélité :
Ormes, saules, bouleaux, peupliers, pins, érables.
Ton fin pinceau traçait les branches admirables,
Tu saisissais la forme en sa diversité.
Tu mariais la grâce avec la majesté
Et tu savais capter les couleurs innombrables.
Et maintenant, mon vieil ami, tu dors en paix
Tout près des troncs rugueux et des rameaux épais
Dont, avec tant d'amour, tu fixais la mémoire. . .
Dors !. . . Le mont familier jamais ne t'oubliera !
Quand, dans les cœurs humaine, ton nom s'effacera,
Lui, par ses grandes voix, rappellera ta gloire !
Albert Lozeau.
Vol. III. Xo 3, M.^n.s l'Jl'J
Les Précurseurs
LE DOCTEUR JACQUES LABRIE
(( C'est en montrant ce qu'ont été nos ancêtres, que
l'on peut inspirer à la génération présente, comme à celles
qui la suivront, le désir de les imiter dans tout ce qu'ils ont
fait de bon et de remarquable. ^ )) L'idée n'est pas neuve,
ni l'expression. Ce qui fait honneur au docteur Jacques
Labrie, c'est de s'être fait mourir à tâcher de donner aux
Canadiens de son temps la leçon qu'il y énonce. Sa vie
tient entre les dates rapprochées de 1784 et 1831. Nous
n'avons de lui qu'une brochure signée, de quatre-vingts
pages, sur les Premiers rudiments de la Constitution britan-
nique ; encore n'est-ce qu'une traduction libre de l'ouvrage
The fool of quality, d'un certain Brooke, augmentée de quel-
ques pages, à la vérité substantielles, de la plume du traduc-
teur. Les articles qu'il a écrits au Courrier de Québec, de
janvier à juin 1807, ne sont pas signés mais son biographe,
l'abbé Auguste Gosselin, n'hésite pas à lui en attribuer
qui contiennent les idées de ce publiciste des temps héroï-
ques. A sa mort, il laissait en manuscrit une Histoire du
Canada qui devait remplir trois ou quatre volumes in-octavo.
Elle a péri tout entière à Saint-Benoît dans l'incendie
allumé par les Anglais, en 1838. Pour le dire en passant,
quelqu'un qui voudrait écrire un livre attristant, pourrait
se contenter de dresser la liste rouge des œuvres d'art et des
monuments historiques de toute sorte que des incendies
' Lettre du docteur Jacques Labrie à M. Bibaud, mars 1827
Mémoires de la Société hislorique de Montréal, 5e livraison, page 24
J
l'action française 99
chroniques ont anéantis dans notre pays, simplifiant
d'autant la tâche sinistre des démolisseurs.
Restent, aux archives du séminaire de Québec, quel-
ques-unes de ses lettres à des contemporains de marque.
Les Mémoires de la Société historique de Montréal (5e livrai-
son) en contiennent deux, adressées à M. Bibaud, et l'abbé
Gossehn cite d'autres lettres, des fragments que nous
utiliserons ici. ^ C'est tout. Il est mort pauvre, à 47 ans,
père d'une dizaine d'enfants qui avaient multiplié ses deuils
en mourant presque tous jeunes. L'aînée, veuve du docteur
Chénier, dut se soumettre à l'épreuve d'un examen pour
brevet d'institutrice, afin de gagner son pain.
C'est une vie où tout, âge et œuvre, apparaît irrémé-
diablement inachevé. Et malgré cela, plutôt pour cela,
V Action française range bravement Jacques Labrie parmi
ceux qui, le long de notre vie nationale, « ont posé des pierres
d"attente en songeant au lendemain ». Encourageons-
nous-en. L'oubK lamentable où croulèrent parfois des
vies brisées sous le poids même du devoir, ne sera plus autant
offert en scandale à la faiblesse de nos jeunes gens.
« Figure distinguée, encadrée de beaux cheveux, aux
traits fins et délicats, à l'œil vif et intelligent, au sourire
bienveillant sur les lèvres » : tel est le portrait que l'abbé
Auguste Gosselin a vu de son grand-oncle maternel, le doc-
teur Jacques Labrie, dans la grand'chambre de la maison
paternelle de ce patriote, à la rivière Boj^er, sur le chemin
qui mène de Saint-Charles de Bellechasse à Beaumont
{Ouv. cité, p. 31). Le Bulletin des Recherches historiques,
à la page 50 du volume YIII, contient ce portrait en ^dgnette.
Ajoutons, pour situer le modèle dans son époque, qu'il
^ Le docteur Jacques Ijdbrie, par l'abbé Auguste Gosselin, Québec,
1907. Vol. de 244 pages in-12.
100 l'action fkançaise
paraît y avoir la trentaine, qu'il a le costume empire,
veston sanglé, cravate touffue, collet et faux-col haut mon-
tés, cheveux soigneusement négligés, comme on les portait
dans les deux mondes au temps du romantisme naissant.
L'œil porte au loin, franc, méditatif et doux.
La phj^sionomie de cet ancêtre intellectuel déjà loin-
tain nous aide à deviner la direction de sa vie. C'est une
belle ligne droite. Quelques idées limpides, désintéressées,
généreuses, à la française, en font la trame. Il n'y a pas
une heure oisive. Il naît une vingtaine d'années après la
conquête, comme Philippe Aubert de Gaspé. Il grandit
dans un coin de pays où la main du vainqueur a pesé
lourdement, pour s'adoucir ensuite, sous Carleton, pas
assez toutefois pour enlever des cœurs toute amertume.
En 1827, il estimera que ceux qui, en 1775, prirent les armes
contre le gouvernement, furent moins nombreux « qu'ils
eussent dû être si l'on considère la manière dont ils avaient
été traités. UActe de Québec, qui réparaît en partie le mal,
ne leur était pas, ni ne pouvait pas leur être encore connu ». '
Il a, tout jeune, entendu raconter l'histoire des excommuniés
de 1775. Quelques-uns, à Saint-Michel de Bellechasse,
moururent révoltés. On les a lugubrement enterrés sur le
bord des routes, privés des bénédictions de l'Église.
Il faut penser à tout cela pour se représenter le travail'
qui doit se faire dans les esprits du temps. La situatioiij
de nos pères n'est pas simple, la nôtre non plus, d'ailleurs.
L'angoisse poétique du vieux soldat de Carillon :
Dis-moi, mon fds, ne parai ssent-ih pas ?
a dû s'exprimer chez nos gens d'une façon plus pratique
non moins aiguë. Enfin, faut-il se consumer en regreti
' Lettre (lu 27 avril à Jacques Viger, citée pur l'abbé Gosseliui
p. 223.
l'actiox française 101
pour la domination française perdue ? Ne fei'ait-on pas
bien d'ou\Tir les voiles au vent de liberté qui souffle du
sud ? Ou bien enfin, pourquoi ne pas tâcher d'utiliser le
titre de sujet britannique avec ce que la logique française
en peut extraire d'avantageux ?
La première influence qui agit sur l'esprit du jeune
Labrie est celle du curé Sarault. Sa paroisse, pourtant
limitrophe de Saint-Michel, n'a pas connu d'excommuniés.
Instruit, discret, prudent et ferme, il a contenu ses fidèles
dans les limites posées par Mgr Briand. Quand Jacques
Labrie entre au séminaire de Québec, vers 1798, à 14 ans,
il apporte, avec l'instruction élémentaire, ce que l'on pense
dans son milieu, ce que l'influence du clergé a inculqué dans
l'âme populaire. Voici en substance.
L'allégeance britannique nous lie en conscience jusqu'à
ce qu'un accord mutuel et pacifique nous ait relevés des
serments de la capitulation. Rien pourtant, sous cette
tutelle, ne nous empêche de rester tout bonnement nous-
mêmes, catholiques et français. Toute situation où l'on
est sans sa faute, est bonne : c'est Dieu qui y a vu.
JJActe de Québec, concédé de peur ou non en 1774,
élargi en 1784 par le privilège de l'habeas corpus, et en
1785 par celui des procès devant jury, nous a apporté
l'essentiel de la liberté civile avec la survivance de nos lois
françaises. La liberté religieuse s'en vient. Elle a des
garanties dans le même document. D'autres tractations
devront vaincre le préjugé anglican et obtenir à l'Église
une existence légale, par la reconnaissance donnée à sa
hiérarchie comme à son droit de posséder. Reste la liberté
politique.
Le régime français ne nous y a pas ha])itués. L'accep-
tation du régime américain serait le saut dans l'inconnu,
sinon pis : les démocraties ont bien leiu" façon de tyranniser.
102 l'action française
A tout prendre, mieux vaut dépendre d'une démocratie
lointaine, occupée de ses intérêts, que d'un congrès tout
proche, plus porté à vouloir tout assimiler à la majorité
primitive qu'il incarne. On n'a pas si tôt oublié le ton
rogue de ses déclamations de 1775 contre le papisme. Et
puis, la constitution de 1791 est un progrès, elle achemine
notre peuple vers la conquête de la liberté politique, moins
urgente en somme que les deux autres. Laissons à l'in-
telligence française le temps de prendre connaissance de la
constitution britannique. Elle y projettera des lumières
encore insoupçonnées du Family compact. La logique
latine déduira, des principes de cette merveilleuse charte,
d'humaines applications auxquelles l'obstination britanni-
que ne pourra pas finalement se dérober.
Voilà, sauf erreur, ce qu'a pensé Mgr Brian d. C'est,-
à n'en pas douter, le sentiment de Mgr Plessis. Tout
indique que l'on ne raisonne pas autrement au séminaire de'
Québec, où Jacques Labrie connaît des maîtres comme mes-
sires Antoine Bédard et Jérôme Deniers, des condisciples]
comme Louis- Joseph Papineau, Philippe Aubert de Gaspé,>
Louis Plamondon, Pierre-Flavien Turgeon. Il ne connaîtra]
que plus tard Denis-Benjamin Viger, plus âgé de dix ans, e^
Antoine-Norbert Morin, plus jeune d'autant; mais de
affinités électives auront vite fait de rapprocher ces âme
distinguées.
Puisque nous en sommes à tenter de nous reconstitue
la pensée de nos devanciers d'un siècle, il peut être bon"
d'ouvrir une parenthèse sur leur façon de poser le problème
de nos relations avec l'Angleterre et avec la France. Ils ont
pris leur parti de garder à l'âme canad'cnne les tra"ts essen-
tiels de l'âme française : respect de la famille basé sur la
loi chrétienne; fidélité aux traditions de la paroisse, cette
autre famille, image agrandie de la première; respect des
l'action française 103
lois, mais sans superstition étatiste : la famille est antérieure
à l'État, et c'est pourquoi il ne faut pas laisser périmer les
lois civiles françaises qui sauvegardent la gestion et la pai-
siljle transmission de l'héritage domestique; respect à l'école
et aux institutions destinées à compléter l'œuvi'e de la
famille; prudente réserve vis-à-vis des créations fastueuses,
institution royale ou université mixte, dont l'œuvre serait
le sabotage méthodique des petits cerveaux français et
catholiques; clarté et franchise dans la pensée, avec l'hor-
reur des équivoques et de l'illogisme protestant, cette vague
de l'esprit poussif des Allemands qui a inondé la pensée
et la langue anglaises, ^ avant d'embrouiller la langTie des
Français du X^'IIIe siècle, même de ceux qui ont le style
le plus clair : formam hahe sanorum verhorum; respect donc
à la cultm'e française par les études gréco-latines qu'elle
suppose, et par la pénétration de la pensée catholique, sans
laquelle on ne saurait expliquer le meilleur de la littérature
française et son caractère humain, universel, proprement
classique.
Tels sont les traits essentiels de l'âme française. Il y a
la part des accidents. C'en est un pour elle d'osciller en
Europe, depuis 1789, entre les dogmes de la déclaration des
droits de l'homme et la soumission servile au génie militaire
de Napoléon. « Jamais le plus absolu des rois de France
n'exerça une autorité aussi arbitraire que celle qu'exerce le
parvenu corse ». ^ Nos pères demandent la permission de
ne pas suivi-e ces fluctuations. C'est un autre accident
ciui leur fait une situation politique toute nouvelle. On a
bien soutenu « qu'avant la Révolution, la France avait une
^ Xewman a dit plus tard de la littérature classique anglaise tout
entière : Il not only needs to be expurgated, it must be exorcised.
* Article du Courrier de Québec (1807), attribué au docteur Labrie
par son biographe, ouv. cité, p. 102.
104 l'action française
constitution, mais cette prétention est l'œuvre inutile d'un
romancier, panégyriste du vieux régime français. » ^ Ils
n'avaient rien fait pour se soustraire aux lisières de ce
régime. Ils acceptèrent la situation qui leur fut faite par
la force majeure, par l'abandon de la mère-patrie distraite
ailleurs, et beaucoup par un dessein déjà manifeste de la
Providence sur eux.
Ils ne veulent rien oublier de ce qu'ils doivent à la
France. Ils se souviennent. Mais ils se croient autorisés,
sinon à perdre de vue la fortune politique de la France, du
moins à s'intéresser d'abord aux choses de chez eux, en
appliquant, aux problèmes qui les sollicitent, une âme
nationale qui n'est point passée par les mauvais rêves de
1793.
Ils ne peuvent pas négliger la situation matérielle de
leiu" pays. Sans être encore surtout une question écono-
mique, la question nationale dépend largement de leur
prospérité. Il faut vivre, pour que sm^vive leur pensée.
Or, « qu'est devenu le Canada sous un gouvernement si
différent de celui auquel il obéissait sous la domination de
la France? La population, que les combats ,3^ avaient
diminuée, s'est accrue. . . On l'estime à trois cent mille. . .
C'est la paix qui a produit cet heureux événement. En
changeant de domination, le Canadien a oublié ses anciens
penchants », — éléments psychologiques susceptibles d'une
évolution légitime — « les exercices de la guerre, qu'il ne
faisait plus, ne lui ont plus semblé mériter son attention;
les ressources précaires de la chasse ont été laissées de côté,
et l'agriculture qui s'est élevée sur leurs ruines a fait des
progrès. . . L'aisance s'est accrue, et le pays a pu exporter
' Premiers rudiments de la Conslilulion britannique, par Jacques
Lal)rie, M. P. P. Introduction, p. VII. L'auteur dcnonco ainsi une
lirochuro puhli(''o en 1S27 sur la constitution ot signée C. D'K.
l'actiox française 105
plusieurs des articles qu'il était obligé de faire venir des
marchés étrangers, sous l'ancien régime. . » ^
Au reste, ils sont une colonie, en attendant mieux. Ils
se souviennent toutefois que cette colonie, dès 1650, a déjà
pris l'initiative d'envoyer proposer à Boston une alliance
offensive et défensive entre colonies, avec cette entente
qu'elles garderaient la paix même si les deux mères-patries
allaient encore se quereller pom- des questions européennes.
Le fait qu'on a rebuté dans le temps leurs envoyés, ne les
empêche pas de penser que leur devoir a toujours été de
travailler au bien de leur pays avant tout autre. Ils avaient
des traditions politiques avant que d'avoir un parlement où
elles se donneraient des formules.
Ils ont hésité en 1775. Tenus en tutelle, ils estimaient
n'être pas partie dans le conflit qui divisait les Anglais des
deux mondes. De par la constitution de 1791, ils sont
sortis de la condition de mineurs; on ne semble plus vouloir
les traiter autant en étrangers dans leur pays : ils n'hésite-
ront pas à en défendre la possession contre un agresseur,
d'où qu'il vienne. « Ils deviennent sujets du roi, a prononcé
A.mherst, c'est-à-dire qu'ils partageront le sort des autres
t qu'ils serviront comme eux quand le bien de la colonie
oourra le requérir. » -
C'est un autre accident pour leurs âmes françaises,
:iue d'être en contact avec la langue anglaise. Ils l'appren-
dront pour ce qu'exigent leurs relations avec l'élément
mglais, nouveau venu. Ils se réservent de penser d'abord
^ Aiticle du premier numéro du Courrier de Québec (janvier 1807),
ité par l'abbé Gosselin (ouv. cité p. 95), qui attribue cet article à
Labrie.
- Lettre de Jacques Labrie à M. Bibaud (1827). Mémoires de la
'société historique de Montréal, ôg livraison, p. 75. Jacques Labrie,
dèle à .ses principes, servit pendant la guerre de 1812, comme médecin
u second bataillon de milice.
106 l'action française
en leur langue. Le jour où, par une aberration servile, ils
croiraient se grandir en adoptant, comme langue unique,
celle des vainqueurs, ils seraient dignes de la servitude
intellectuelle où ils tomberaient. D'ailleurs, le premier
gouverneur n'a pas « prétendu faire à l'ordre de choses éta-
bli avant la conquête d'autres changements que ceux que
requerraient les circonstances. . . De fait, il ne pouvait pas
faire davantage; car de tous les principes qui servent de
règle à la conduite des nations civilisées, il n'en est point
de plus universellement respecté que celui qui prescrit de
laisser à un peuple conquis ses lois et ses institutions locales
« — il n'en est pas de plus chère que la langue avec la
religion — » et de se contenter de son allégeance. Que de
flots de sang ont arrosé les plaines de l'Irlande, parce qu'on
a adhéré à des principes différents. Elle est peut-être pour
toujours destinée à languir dans la misère et l'anarchie
qu'y entretient la mise en pratique de principes, aussi
erronés qu'ils sont inhumains et se ressentent des temps de
barbarie où ils ont pris naissance. )) ^
On ne risque rien en affirmant que cet ensemble d'idées
a été inculqué par ses professeurs à Jacques Labrie et à la
pléiade d'esprits distingués qui l'entourent au temps de
ses études.
Frédéric Le Play a écrit de nous : « Aucun peuple
n'a mieux mis en lumière par sa propre histoire les forces
incomparables que l'humanité trouve dans le catholicisme
quand celui-ci dispose de clercs pauvres et dévoués à leur
mission. . . Au milieu des souffrances provenant de la guerre,
des épidémies, des famines, des désordres atmosphériques,
puis de l'abandon de la mère -patrie, les clercs ont constam-
ment soutenu les courages et conservé l'esprit national.
^ Lettre de J. Labrie à M. Bibaud, mars 1827. Mémoires de la
Société hislorique de Montréal, 5e liv. pp. 26 et 27.
l'actiox française 107
Quand sont venus de meillem-s joui'S, sous la domination
britannique, ce sont également les clercs qui ont lié indis-
solublement à la langue française l'enseignement de la religion,
la culture des arts, des sciences et des lettres. » ^
Cet éloge servira ici à expliquer un fait important :
l'emprise gardée par notre clergé sur le peuple et sur les
classes dirigeantes, en dépit du terrible vent d'impiété qui
traverse notre province au moment où Jacques Labrie fait
ses études.
Voltaire circule sous le manteau. Il s'étale dans des
bibliothèques privées. Raynal est pris au sérieux. Gar-
neau plus tard n'aura pas réussi à secouer ce fétiche. Dès
1794, Mgr Hubert se plaint des progrès de l'immoraHté
dans les villes et s'en prend à la lecture des mauvais H\Tes,
à l'abord des vaisseaux étrangers, à la résidence d'une
garnison nombreuse.
Louis-Joseph Papineau semble avoir été déiste à \'ingt
ans. Denis-Benjamin Viger, qui avait étudié à ]\Iontréal,
avouera plus tard avoir eu à lutter dans sa jeunesse contre
l'incrédulité et l'immoralité, répandue surtout au sommet
de la société. (L'abbé Aug. Gossehn, ouv. cité). Il est bon
de songer à ces faits pénibles pour comprendre, sans en être
choqué, que le clergé d'alors parle d'un ton un peu dégagé
de l'ancien régime et des importations httéraires qui ont
suivi le traité de Versailles.
Le clergé accepte la situation faite à la nation; il la
console, non sans de bons motifs, de ce qu'elle a perdu.
Puis, il lui ouvre la perspective sur ce que contient en puis-
sance la constitution britannique apphquée au Canada.
Il est bien difficile de soutenir que tout cela n'est pas le bon
sens même.
* Frédéric Le Play, Organisation du travail (1872).
108 l'action française
On peut (lire que c'est le moment où notre esprit public
prend conscience des nouvelles tâches qui s'offrent à lui.
Voici que des tribunes surgissent où les laïques vont parler.
Le droit d'assemblée est promulgué avec la liberté de la
presse, cette arme à deux tranchants. Qui dira que nos
laïques, quand ils élèvent la voix dans le Canadien (1806),
dans le Courriel de Québec (1807), ne partagent pas la pensée
même des prêtres qui leur ont donné l'éducation ? Voltaire
a beau circuler, son cynisme n'a pas détruit chez les nôtres
l'union sacrée du patriotisme et de la religion. Nous som-
mes sauvés !
Le grand patriote Papineau est personnellement
incroyant : il reste quand même respectueux de la foi des
siens. Quelqu'un finira peut-être par éclaircir, d'après sa
correspondance encore inédite, le mystère de cette incroyan-
ce. Si cette étude attachante se fait, enfin, on y verra quej
le respect pour l'Église et sa mission sociale reste che?
Papineau une marque de haute intelligence, de patriotisme*
sensé, et un bel hommage de son âme à la valeur intellec-
tuelle et morale des éducateurs qui furent ses maîtres.
Ce qui ne fait pas de doute, c'est que le docteur Jacques'
Labrie apporte à la vie publique une foi intacte. Papineau,
à force d'intelligence, devra contenir, dans le secret de son
âme ardente, ime incroyance qu'il ne peut pas souhaiter voir
se répandre chez les nôtres. Labiic ne connaît pas ce
douloureux duahsme, qui impose une immense et respec-
tueuse commisération à nous tous, chez qui la foi n'a pas
connu d'éclipsés.
Et c'est pourquoi, dès le début de sa vie publique,
Labrie se livre à une besogne de portée sociale. Il s'y met
bien avant de songer à faire de la politique, tandis que
Papineau, sachant que toute question sociale est avant
tout une question religieuse, ne se voit pas d'autre théâtre.
L ACTIOX FRANÇAISE
100
dès sa jeunesse, que le terrain toujours plus vague de la
politique. Il est regrettable que son exemple, dû à des
circonstances exceptionnelles, ait créé chez les jeunes gens
de notre race une sorte de tradition qui dure peut-être trop.
Ce qui presse, pour Labrie, c'est la tâche positive
d'aider le clergé à instniire le peuple de ses devoirs. C'est
de lui fournir le moyen de les remplir. Lui suggérer un
prudent triage dans ce qui vient du paj-s de ses pères, lui
donner à lire quelque chose qui soit dans le sens de ses des-
tinées, voilà la meilleure façon d'enrayer les ravages des
mauvais livres venus d'ailleurs. Améliorer son sort
économique, relever son niveau intellectuel par les écoles,
ce sera le mieux l'aider à donner tout-e sa valeur dans le
monde politicpe. Ceci suppose cela, mais ne saurait le
devancer.
Il étudie la médecine chez le docteur Blanchet qui,
après trois ans de journahsme au Canadien, avec Pierre
Bédard et Taschereau, aura les honneurs de la prison sous
Craig.
Sans tarder, Labrie fonde lui-même, avec F. Perreault
et Louis Plamondon, le Courrier de Québec. On peut dis-
cuter l'opportunité de cette création. Elle di\àse les
forces dès le début. Il y a des nuances dans ces esprits.
Labrie a déjà du goût pour le calme des discussions qui
conviennent à son futur métier d'historien. Pour lui la
constitution est une admirable machine. Il n'est que de
s'en bien servir. Pas de \dolences. Il faut accepter ce
qu'on nous cède, pour continuer à réclamer « par séries ».
On n'ose pas risquer à son sujet le mot opportunisme qui a
couvert de si discutables progranmies. En 1831, à la veille
de mourir, il accepte en principe la réserve de la liste civile
prise sur le budget, sans contrôle de la chambre. C'est
se séparer de Papineau. On sent qu'il y a parenté d'esprit
110 l'action française
entre lui et D.-B. Viger. Eût-il approuvé l'esprit de con-
ciliation de ce dernier jusqu'à le féliciter de son attitude
sous Metcalfe? On peut en douter.
Dans le courant qu'alimente le Courrier de Québec,
les idées se pressent moins violentes qu'au Canadien.
Elles sont plutôt parallèles que divergentes. A distance,
ces nuances ne nous semblent pas un mal. La sympathie
des tempéraments groupe les hommes autour de chefs qui
servent une même cause avec une sincérité égale et d'iné-
gales ardeurs. Le tort des modérés en l'espèce est souvent
de mettre de la violence à blâmer les violents, de se tailler
une réputation de largeur d'idées à même le manteau des
leurs, sans grand profit pour la cause commune. . . Jac-
ques Labrie ne donne pas dans ce travers. Dans sa
galerie historique, M. Dionne le range à côté de Pierre
Bédard parmi les défenseurs des libertés constitutionnelles,
mais il lui trouve moins de caractère. ^ Le mot est proba-
blement juste : le docteur Labrie l'eût accepté doucement
et se serait remis à travailler.
La fondation du Courrier ne paraît pas avoir autrement
brouillé le docteur Blanchet et son élève. On pense que
ce maître généreux fournit au jeune Labrie les ressources
d'un voyage d'études médicales dans la capitale de l'Ecos-
se. ^
L'étudiant n'a eu que le temps de mettre en marche le
journal. Il revient d'Edimbourg un an après. Le gagne-
pain l'oblige au souci de sa profession. Sa santé un peu
frêle lui fait choisir, après un court essai à Montréal, le
village de Saint-Eustache (1809). Là commence pour lui
une vie excessivement prise, une vie de Médecin de campa-
gne, où le travail social occupe autant de place que dans le
1 Pierre Bédard et ses fils, p. 78.
' Abbé Gosselin, ouv. cité, p. 108.
l'action française 111
récit de Balzac, avec, en plus, beaucoup d'œuvres de cha-
rité et d'éducation chrétiennes dans l'esprit qui les anime.
Déjà absorbé par sa profession, il subit l'assaut des clients
qui recourent à son équité dans leurs différends. Il vit
avec économie « pour apphquer ses épargnes à l'ouvertiu^e
des chemins de colonisation et au secours des pauvres ». ^ Il
établit dans la paroisse « deux écoles supérieures, l'une pour
les garçons, tenue par M. Rochon, l'autre pour les filles. » ^
Cette dernière est une école normale. Choix des sites,
embelhssement, confort, programme d'études, tout y
répondrait aux plus modernes exigences. Le clergé, qui
se charge d'ordinaire de ces initiatives^^ sait qu'elles sont
peu payantes. Il faut savoir, en outre, que le docteur
Labrie voit à rédiger des manuels d'histoire du Canada çt
de géographie. Il prépare des scènes, des drames destinés
à intéresser le pubhc aux séances de fin d'année qui devien-
nent un événement dans la région. Et cependant ce
médecin, que l'on consulte de loin, tient sm' le métier une
Histoire du Canada qui remplirait trois ou quatre volumes.
En 1829, en pleine fièvre de travail, il lance le pro-
gramme d'une revue. Le coin du feu, jom-nal pohtique,
industriel, rehgieux et littéraire, qu'il rédigera avec A.-N.
florin. Le projet est arrêté par la transformation de la
Bibliothèque canadienne de i\I. Bibaud.
Si paradoxal que cela paraisse, souvent, pour qu'une
besogne soit bien faite, il faut la confier d'm'gence à qui a
déjà trop à faire. En tout cas il arrive au peuple de juger
ainsi. Le comté des Deux-Montagnes (York) confie donc
à ce laborieux docteur Labrie un mandat de député. Or,
1827, c'est l'année de la crise provoquée par Dalhousie.
^ Éloge de J. Labrie à la Chambre, par M. Tessier (1831).
^ Le docteur Meilleur, Mémorial de l'éducation.
112 l'action française
Le nouveau député est préparé. Il publie justement Les
premiers rudiments de la Constitution britannique, « ouvrage
utile à toute sorte de personnes, et principalement destiné
à l'instruction politique de la jeunesse canadienne » : c'est
une partie du titre de sa brochure.
La question aiguë, c'est celle des subsides. Par
derrière, il y a celle du Conseil législatif, dont on dénoncera
bientôt sans douceur « les vieillards malfaisants ». Plus
haut encore, il 3^ a celle de la responsabilité des ministres qui
tiennent l'oreille du gouverneur, l'indisposent contre la
(^hambre et le précipitent, au péril de sa dignité et de la
paix, dans les petitesses de la cabale électorale. Là est
le nœud de la question. Jacques Labrie l'a-t-il bien saisi ?
Pense-t-il, comme les auteurs des 92 résolutions plus tard,
que tout le mal est dans la composition du Conseil législa-
tif, et le remède, dans le système électif appliqué à ce corps ?
Ce n'est pas tout à fait sa thèse.
Il met le doigt sur le vice constitutionnel du régime :
« C'est à cette époque reculée (1791), à celle qui a vu
former le premier conseil, qu'il faut rapporter la réunion
des pouvoirs exécutif et législatif, par celle des personnes qui
en étaient revêtues et qui les exerçaient simultanément
toutes pour le mieux, souvent pour le mal de la colonie. » ^
A-t-il vu plus outre? A-t-il compris, ce qu'aucun
Anglais du pays ne semblait soupçonner, ce que Downing
Street s'obstinait à ne pas comprendre, que le vrai mal tenait
à ce que le gouverneur n'avait pas de conseillers exécutifs
ou de ministres responsables à la Chambre et, par là, au
peuple ?
Dans sou upuscule, il rappelle la décision du roi
(îeorges IV, que « les gouverneurs sont responsables de
' Les /»•(•/;/ (Vcx riidiinfuls, p. 43.
l'action française 113
leur conduite ». Il la croit constitutionnelle, il y trouve
l'avantage de nous permettre « de diriger tout le poids de
la critique contre l'administration du gouverneur », et le
désavantage « d'enhardir ses conseillers à être moins cir-
conspects, et à le précipiter dans des excès criminels dont
tout l'odieux retombe sur lui, et non sur eux, les vrais coupa-
bles. » Il conclut : « Par les dictées du bon sens, ces
conseillers doivent être responsables du mal qu'ils font
faire, autant de fois qu'on pourra prouver de leur part une
participation active dans les délibérations qui l'ont causé ».
Il faut laisser à Pierre Bédard le mérite entier d'avoir
formulé avec précision, dès 1810, toute la doctrine de la
responsabilité ininistérielle et d'avoir pour cela tâté du
cachot. Ces principes ne devaient triompher que plus
tard, grâce à l'énergie de La Fontaine, annulant du coup
la question des subsides et les pires méfaits de l'Union.
Labrie semble croire, en 1827, qu'il faudrait commencer
par réformer le Conseil législatif, en quoi il partage l'opinion
de Papineau. Mais son projet de réforme est moins
radical. Il suffirait que la couronne n'appelât à ce sénat
canadien que des hommes indépendants de fortune. Ils y
siégeraient pour l'honneur et sans emplois lucratifs. Le sens
de leur dignité et l'amour instinctif de l'ordre suffiraient
à inspirer à ces bourgeois cossus des conseils sages. Ils
seraient investis du coup de la majesté des pairs d'Angle-
terre. Bref, il y a dans tout cela des vues très justes sur
les principes et une belle candeur dans l'idée que tout serait
bien dans la pratique, si tout allait comme en Angleterre.
Il ne faut pas oublier qu'on est alors dans l'enthousiasme
de la découverte de la Constitution et du régime parle-
•mentaire.
Labrie ne passe pas pour un orateur. Son travail au
parlement se fait dans les comités où s'élabore la législa-
114 l'action française
tion et s'en rédigent les textes qui subiront le feu des dis-
cours. C'est un ou%Tier actif, averti. Les lois sur la
sécurité de la route fluviale, sur les grands chemins de colo-
nisation, sur la réglementation de la profession médicale,
sur l'instruction élémentaire dans les paroisses (1829), le
trouvent parmi les plus ardents travailleurs. Il a payé de
sa personne à Saint-Eustache, sans attendre l'État. Il
continue à travers son comté; il va de paroisse en paroisse
catéchiser ses électeurs sur les sacrifices que requiert
l'éducation, afin de gagner par la persuasion que la loi de
1829 porte effet. C'est dans ime de ces courses éreintantes
qu'il prendra son coup de mort, dans l'automne de 1831.
La question des biens du séminaire de Saint-Sulpice
pend depuis la conquête. Mgi' Plessis l'a traitée à Lon-
dres en 1819. Les convoitises anglaises la ravivent en
1827. L'éducation supérieure est en cause. L^n jour on
apprend que le vénérable M. Roux, de guerre lasse, a parlé
de transiger. Le docteur Labrie s'alarme de « ces démar-
ches indiscrètes ». Si le gouvernement recommence « à
nous dépouiller, oïl s'arrêtera-t-il ? » Il pense que le meil-
leur argument serait l'unanimité avec laquelle les habitants
du paj's parleraient en faveur de la possession du séminaire.
Il donne le branle. Un pétitionnement s'organise. « J'es-
père que nous réussirons, quoiqu'il soit peut-être tard. » *
Il n'était pas trop tard, le vol fut empêché.
Entre temps le député poursuit son Histoire du Canada.
Il utilise la documentation du collectionneur émérite de lai
Saberdache, Jacques Vigcr. A Québec, en pleine session,,
il veille tard, et dépouille les liasses que lui passent M.]
Cazeau, du séminaire, et M. Portier, de l'archevêché.
C'est le beau temps ! L'n groupe de chercheurs est à]
* Lettre à M. Fortier, de l'archevêché de Québec.
l'actiox française 115
l'œuvre : Bibaud père, les deux Viger, Dominique Mon-
delet, Louis Plamondon, F. Perreault. On s'échange des
compliments sans réserve académique : « M. Bibaud,
permettez-moi de vous féliciter de l'intérêt croissant qu'ac-
quiert la Bibliothèque canadienne. . . Et pour commencer
par la Saberdache, quelle délicatesse dans les pensées,
quelle élégance ! » Pas la moindre jalousie de métier.
On se félicite de ce que les Canadiens soient « sortis depuis
peu de leur condamnable apathie pour les choses de leur
pays ». ^ On discute les textes que l'on s'échange sur le
Règne militaire. C'est entremêlé de citations classiques :
Qui manet in patria et 'pairiam cognoscere temnit,
Is mihi non civis, sed peregrinus est.
Puis, au milieu d'une dissection de textes, on se laisse
aller à des effets de style figuré, d'un goût à la vérité bien
rance. C'est le pseudo-classicisme qui sévit. Il s'agit de
l'ukase royal de 1764 qui supprimait les lois civiles fran-
çaises : « Muse de l'histoire, tire le rideau sur la surprise
extrême où cette nouvelle jeta tous les nouveaux sujets de
sa IMajesté, déjà portés d'inclination vers un gouverne-
ment qui s' étsiit nationalisé )) — le mot est juste — «par
quatre années d'une administration qui avait su respecter
leur religion, leur langue, leurs lois civiles; dérobe à nos
regards les sensations déchirantes qu'éprouvèrent nos
ancêtres lorsque Thémis commença à leur parler un lan-
gage inconnu » . -
Tirons le rideau à notre tour. Pendant leurs humani-
tés, les écoliers parodient quelquefois le mot-à-mot des
^ Lettre de J. Labrie à M. Bibaud, mars 1827. Mém. de la Société
historique de Montréal, oe li^Taison.
» là.
116 l'action française
traductions pour se donner le plaisir d'être irrévérencieux
envers les vénérables classiques. On voudrait être cer-
tain que Labrie a de même souri à part lui en commet-
tant ces na\Tantes prosopopées. D'autres passages nous
donnent une meilleure idée de ce qu'eût été sa vraie manière
dans VHistoire. Voici, par exemple, son jugement sur
l'Acte de Québec et sur la constitution de 1791 :
« Cet acte, bon pour régler nos droits privés, nous
dépouilla du plus important de nos droits constitutionnels,
celui d'avoir, aussitôt que les circonstances le permettraient,
un corps représentatif. . . Accueilli pour ce qu'il avait de
bon, il excita des plaintes pour ce qu'il avait de vicieux. .
Après plusieurs années de souffrances la présente Cons--
titution fut enfin accordée aux vœux des habitants du pays,
qui la jugèrent de suite pour ce qu'elle était, savoir, pom*
moins parfaite que celle de la mère-patrie, moins favorable
que celle qu'ils avaient demandée, mais infiniment préfé-
rable à celle qu'elle remplaçait ». ^
C'est au moins plus sobre, si ce n'est pas encore d'un
artiste consommé. Il a dû s'improviser historien, comme il
s'était improvisé journahste. Il dut écrire trop vite aussi.
A Saint-Eustache, il rédige : « Mais un homme qui a une
profession, une famille, des terres, et qui est de plus astreint
à remplir plusieurs devoirs publics, n'a pas tout le loisir
qu'il désirerait ». - Il est décidément victime de sa tâche.
Il a trop vu, et dans trop de domaines, ce qu'il y aurait à;
faire. Pour ces clairvoyants, le malheur est que si la mois-
son abonde, les ouvriers sont toujours trop peu.
Les matériaux manquent, qui nous permettraient des'
hypothèses sur sa domination française. Elle n'eût pas'
^ Les premiers rudiments, p. 36.
^ Lettre à M. Cazeau, citée par l'abbé Gosselin, ouv. c. p. 207.
l'action française 117
sensiblement différé de celle de Bibaud, depuis longtemps
dépassée. Les préjugés gallicans qui infirment cette partie
de rœu\Te de Garneau, même dans les éditions corrigées,
n'auraient probablement pas déparé l'œuvre de Labrie.
Pour la période anglaise, ce dernier apportait des
aperçus alors nouveaux sur le régime militaire (1760-1764),
sur la part des nôtres en 1775, sur l'aventure de Burgoyne,
sur les mérites de Murray et de Carleton. Sans être un
légiste, il a prononcé sur l'imperfection des lois civiles
anglaises un jugement qui mérite d'être retenu : « Ce
droit (civil anglais) nous semble offrir l'étonnant phénomène
d'un peuple qui, dans le même temps qu'il a devancé les
autres nations européennes dans l'amélioration de ses lois
constitutionnelles et criminelles, est demeuré en arrière de
la plupart d'entre elles, dans le perfectionnement de son
droit ci\'il ». ^ Ceci a bien encore son actualité. Admira-
teur de la Constitution britannique bien appliquée, il ne
dirait peut-être pas ce que Garneau écrivait de Londres, en
1832, à un ami : « La domination étrangère est le plus
grand mal dont un peuple puisse être frappé )).- Il y a
chez lui un optimisme tenace qui l'eût rangé, s'il eût vécu,
dans l'école politique d'Etienne Parent et du Canadien
seconde manière. Garneau en était là, en 1845, quand il
mit la dernière main à son œu\Te. Rien ne prouve, toute-
fois, que Labrie eût encouru les reproches adressée à Bibaud
père, qui « penche trop du côté bureaucratique ». ^
On n'avait pas encore fait de l'histoire exclusivement
une science désintéressée, sans patrie, à ce titre, comme
l'art et la science. Prenons-y garde, d'ailleurs, ces défini-
^ Les premiers rtidiments, p. 35.
' Lettre à M. Winter, citée par P.-J.-O. Chauveau, Vie de F.-X.
Garneau.
* Chauveau, Vie de F.-X. Garneau, Introduction, p. X.
118 l'action franc aisb
lions qui entendent en faire une science amorale, servent
souvent à ceux qui monopolisent « l'histoire impartiale »
pour faire des histoires partiales contre quelqu'un. Il
est de même de braves gens qui, au nom du catholicisme,
prêcheraient volontiers 1 abdication nationale à des races,
dont le bon sens têtu sait bien que la première tâche de
r Éghse universelle est de prêcher le respect des commande-
ments de Dieu, sans exclure le quatrième : Honore tes pères.
Ceci ne fait allusion qu'aux conflits historiques entre
Polonais et Lithuaniens ou Ruthènes. Ces choses-là, on le
comprend, ne sauraient arriver en notre libre Amérique du
nord.
L'histoire est une science. Elle ne crée pas son objet,
elle le découvre et le démontre. Elle ne doit pas pour
cela « solliciter doucement les textes » et les pher au sens
des préjugés nationaux. Elle doit être objective, selon
l'expression allemande qui a fait la fortune de tant de
romanciers de l'histoire, auprès des monsieur Homais de
partout. Il reste tout de même qu'il y a des « préjugés
nécessaires » et il reste que l'historien est un homme avec
des devoirs. S'il ne sait pas suggérer les leçons qu'appor-
tent les faits, s'il ne sait pas y voir la main de Dieu qui se
sert du libre jeu des forces humaines pour atteindre ses
fins avec force et douceur, il est un médiocre penseur. Pour
nous en tenir à notre histoire, s'il ne consent pas à y lire
et à y développer cette leçon de chaque page, que la lutte
d'un peuple pour des principes de justice n'est jamais
inutile, il n'est pas seulement un pauvre philosophe, il est
délibérément un faussaire.
Le docteur Jacques Labrie fut un doux. Son Histoire
du Canada eût été sereine. Mais sa vie prouve qu'il ne se
retrancha point dans une tour d'ivoire pour l'écrire. Le
passé, le contact des morts ne lui fit pas un moment oublier
l'action française 119
qu'il est des devoirs présents pour lesquels, quand on a le
cœur bien fait, on vit, on pense, on prie, on travaille et
l'on meurt prématurément, si Dieu le veut.
Il paraît que nous souffrons encore de paresse intel-
lectuelle, que trop de nos professionnels de la campagne et
d'ailleurs se laissent aller, après la besogne du gagne-pain,
à la douceur de vivre sans tant remuer d'idées fatigantes.
Il en est que la politique a scandalisés. Le spectacle
d'égoïsmes déconcertants a défloré ce qu'ils appellent avec
un sourire éteint « des idéals de collège ».
Qu'ils se reprennent à travailler en bons soldats du
Christ et d'une race qu'il aime. Leur cœur recouvrera
son rythme normal- Si l'exemple d'un doctem' Labrie leur
paraît inimitable parce qu'héroïque, ils pourront s'aviser
qu'il y a des degrés praticables entre la flânerie des tabagies
et le surmenage intellectuel, auquel rien ne les expose.
Ceux qui travaillent, à la suite des précurseurs, sont
à tracer des programmes d'action assez amples pour donner
de la besogne à tous les talents. Le temps vient où l'on
sent qu'ils vont réussir à rétabhr ce que l'un des plus bril-
lants d'entre eux appelle « la hiérarchie des problèmes ))
de chez nous. Il ne restera plus qu'à répartir les tâches
patriotiques les plus pressantes. Ceux qui accompliront
ce prodige auront bien mérité de la patrie, pour avoir mobi-
lisé vers une seule fin des énergies qui se perdent en inaction
ou s'égarent en agitation stérile, et d'autres qui seraient
consumées trop tôt à défaut d'une coopération fraternelle-
ment organisée.
Georges Courchesxe, pire.
IL NOUS FAUDRA COMBATTRE
LONGTEMPS. . .
Il nous faudra combattre longtemps. . . La vérité est
ancienne et la formule n'a rien d' extraordinaire. Si nous
relevons aujourd'hui ce mot, c'est qu'il tombait de lèvres qui
lui donnent une portée presque testamentaire, en des circonstan-
ces tragiques.
■'Nous étions à Ottawa. Les Canadiennes françaises ten-
daient la main, faisaient Id quête du charbon. Il fallait as-
surer aux petits enfants, aux maîtres et aux maîtresses qw,
dans la capitale de notre pays de liberU, défendaient leur âme
française le moyen de ne pas geler. Un orateur montréalais,
dont le nom est cher à Z'Action française, était venu apporter
à nos compatriotes de là-bas V appui d'une parole formée aux
disciplines ewopéennes, mais passionnée pour les choses du
pays. Sur V estrade, deux vieillards V encadraient, adversaires
d'un demi-siècle, pour la première fois peut-être associés dans
un effort commun : l'ancien président du Sénat, l'ancien pre-
mier ministre du Canada.
Et lorsque Vabbé Cioulx eut terminé sa conférence, M.
Laurier se leva.
En quelques phrases sobres, élégantes comme il savait les
faire, il remercia l'orateur ; puis, comme si l'ultime et déce-
vante expérience de sa longue carrière lui fût remontée aux
lèvres, comme s'il eût en même temps sondé de lointaines pers-
pectives d'avenir, il laissa tomber cette phrase : « Il nous fau-
dra combattre longtemps ...»
C'était la constatation de la lutte ancienne, de la lutte iné-
luctable, que nulle concession n'avait pu enrayer, que l'on doit
I
l'action française 121
regretter, mais que le plus douloureux regret et les plus géné-
reuses illusions sont également impuissants à écarter.
A ce mélancolique constat, M. Laurier donnait ce soir-là
sa conclusion logique : il apportait à la résistance effective,
à celle qui se traduit par des sacrifices et des actes, l'appui de sa
parole. -
A l'heure où disparaît le vieux chef qui fut le cent) e de
tant de débats, dont les méthodes et les tactiques appartiennent
à l'hiStoire, c'est cette formelle et lucide constatation de la lutte
inévitable et prolongée, c'est ce suprême conseil d'action directe
qu'il nous paraît le plus utile de recueillir ici ; c'est le meil-
leur hommage à déposer sur la tombe de celui qui nest plus.
Orner Héroux.
Le service de librairie de l'Action française
se tient à la disqosition de nos clients pour
leur procurer non seulement les publications de
la revue, mais toutes les publications intéres-
santes, particulièrement les CANADIANA.
LA COLONISATION FRANÇAISE
DANS VONTARIO
Les Canadiens-français soiit^rcominG chacun sait, er-
rants et migrateurs. On en trouve d'établis dans tous les
États de la république voisine; on en trouve également dans
tous les comtés de l'Ontario. C'est un malheur, car, lors-
qu'ils sont isolés au milieu des protestants, leurs enfants
perdent presque fatalement leur langue et leur foi. Nous
voulons, dans cet article, faire rapidement l'histoire, non
des individus, mais des groupes canadiens-français d'On-
tario.
I
LA COLONISATION AU X^VIIie SIÈCLE
Les premiers colons français d'Ontario sont ceux qui
se fixèrent dans la Pé linsule, aux comtés de Kent et d'Essex.
Il ne semble pas que les commencements d'établissement
au fort de Kataracoui aient subsisté. Vers 1700, le Fran-
çais Lamothe-Cadillac fonda au Détroit, sur la rive améri-
caine, le fort et le poste de Pontchartrain, dans le but poli-
tique et commercial d'assurer la souveraineté de la France
sur le pays environnant et de faire la traite avec les nations
sauvages. Autour du fort un certain nombre de familles
françaises commençaient des défrichements sur les deux
bords de la rivière Sainte-Claire. Nous n'avons pas à nous
occuper ici du Détroit ni de ses vicissitudes. Cette grande
ville du Michigan a conservé jusqu'à nos jours de nombreux
souvenirs de ses origines, mais ses premiers habitants se sont
l' ACTION FRANÇAISE 123
graduellement américanisés. Disons seulement que, pen-
dant toute la durée du dix-huitième siècle, les soldats du
fort et les colons du voisinage furent régulièrement desservis
par des Récollets, des Jésuites, des Sulpiciens, des prêtres
du Séminaire de Québec, etc.
Lors de la cession du Canada aux Anglais, 1763, on
comptait trente-sept familles françaises dans les limites
du comté d'Essex actuel. La population grandit rapide-
ment et prit une telle importance que, en 1793, la chambre
des députés de la nouvelle province du Haut-Canada vota
une résolution à l'effet de faire traduire en français toutes
les lois et tous les débats de l'assemblée à l-'intention des
Canadiens-français d'Essex et de Kent. Quelle était la
population française de cette région au commencement
du XIXe siècle ? Nous l'ignorons, mais nous savons que le
recensement de 1819 comptait deux mille catholiques à Sand-
wich et dans les autres points de l'Ouest. Pour nous, ces
deux mille catholiques sont tous ou presque tous des Fran-
çais.
Après ce premier et faible essai de colonisation au sud
d'Ontario, un second et plus important fut inauguré aux
confins mêmes des deux provinces, c'est-à-dire dans les ré-
gions de l'Est. Nous allons en raconter les origines.
Lors de la révolution américaine, en 1775, tous les ha-
bitants des colonies ne se rangèrent point parmi les Rebelles.
Un certain nombre, au contraire, prirent fait et cause pour
la métropole. On les appela Loyalistes. Après la guerre,
la plupart de ceux-ei acceptèrent, plus ou moins joyeuse-
ment, le nouveau régime et firent de nécessité vertu. D'au-
tres, en grand nombre, se voyant persécutés, ou poussant
la fidélité jusqu'au bout, quittèrent les États-Unis et pas-
sèrent au Canada.
124 l'action française
Le gouverDement britannique accueillit ces infortunés
avec les égards qu'ils méritaient. L'argent, les provisions,
les instruments aratoires, les terres leur furent libéralement
distribués. A partir de la signature de la paix, à Versailles,
1783, le courant d'immigration se régularisa. Vingt mille
Loyalistes s'établirent dans les Provinces Maritimes, dix
mille dans les Cantons de l'Est, Québec, dix mille, enfin,
dans l'Ontario, sur les rives septentrionales du Saint-Lau-
rent et des Lacs.
Le gouvernement, en vue de favoriser ses compatriotes,
di\isa alors la vieille province de Québec en deux parties
autonomes : le Bas-Canada, surtout français, et le Haut-
Canada, surtout anglais, 1791.
Depois cette époque le mouvement d'immigration an-
glaise au Canada alla s'accentuant chaque année pendant
près d'un siècle, colonisant d'abord le Haut-Canada (l'On-
tario moderne), puis les provinces du Nord-Ouest.
La plupart de ces premiers émigrants étaient protes-
tants. Parmi eux, cependant, un certain nombre d'Écos-
sais catholiques débarquèrent, vers 1784, sur nos bords et
se fixèrent dans les Provinces Maritimes et dans l'Ontario.
Les comtés de Glengarry, de Stormont et de Frontenac
furent ouverts en partie par ces derniers. Les Irlandais
n'arrivèrent que trente ans plus tard en nombre notable.
Ce fut après 1815, lors du licenciement des troupes du
duc de Wellington, après la bataille de Waterloo. Les au-
torités distribuèrent alors aux vétérans et à leurs chefs des
terres en abondance, non plus seulement sur les bords du
Saint-Laurent, mais dans les comtés de Carleton et de La-
nark, sur les rives de l'Ottawa. Parmi ces vétérans, un
bon nombre étaient Irlandais et catholiques. Au milieu
de ces nouveaux venus, du côté d'York (Toronto), et du
Niagara, quelques émigrés français conduits par le comte
l'action française 125
de Puisaye, et le régiment franco-suisse des Meurons re-
çurent des terres et commencèrent des défrichements qu'ils
abandonnèrent dans la suite.
• Les premiers Canadiens-français qui envahirent l'On-
tario à cette époque, vinrent naturellement des comtés voi-
sins de la hgne provinciale, c'est-à-dire de Soulanges et de
Vaudreuil. Les bords de l'Ottawa étaient bas et maréca-
geux; les concessionnaires anglais les revendirent pour quel-
ques piastres à de puissantes sociétés foncières de Toronto.
Ces sociétés les cédèrent, dans la suite, à de bonnes condi-
tions aux Canadiens qui y réussirent à merveille, comme
nous le constatons aujourd'hui. Telle est l'origine des deux
beaux comtés de Prescott et de Russell, comtés actuellement
aussi français que les comtés voisins de Québec.
L'Ontario possédait, en 1806, 70,000 habitants, dont
10,000 seulement catholiques. De ces dix mille catholiques
combien étaient français, nous l'ignorons.
II
LA COLONISATION FRANÇAISE JUSQU A
LA CONFÉDÉRATION
A partir de 1810 la colonisation française commença
à faire quelques progrès. Le grand Philémon Wright fonda
Hull, inaugura le commerce du bois carré et rempUt de chan-
tiers les forêts voisines, où les Canadiens affluèrent. Le
colonel By commença le canal du Rideau et présida à la nais-
sance de Bytown (Ottawa). Les Canadiens affluèrent au
milieu des autres nationalités. Leurs cabanes se dressaient
sur les bords de la Grande Rivière depuis Bytown jusqu'à
Rigaud. Ils s'insinuèrent même parmi les Écossais de
126 l'action française
Glengarry, Monseigneur McDonnell, premier évêqiie de
Kingston, 1818, nous a laissé un recensement précieux des
catholiques à cette époque. Le voici :
POPULATION CATHOLIQUE DU HAUT-CANADA
EN 1819
Saint-Raphael 4,300 1 gyj-^gut
St-André 2,150 \ p
Mathilda, Prescott, BrockviUe.. 1,200 J ^^^^^^^
Perth et Rideau settlementè. . . . 365 ] Irlandais
New-Richmond 400 !^ et
Hamilton et Curran 450 j Canadiens
Hawkesbury et vallée de l'Ot- 1^ ,.
-, rr.r. > Canadiens
tawa . 1,500 j
Kingston, Guananoqui, baie de
Quinte 2,000
York et lac Simcoe 300
Niagara, Queenstown, Fort Êrié,
Tête du lac Ontario 250
Sandwich et d'autres points à
l'ouest 2,000
>■ Irlandais
Canadiens
Total 14,915
Nous calculons donc approximativement qu'en 1820,
les Canadiens-français d'Ontario étaient au nombre de
quatre mille : deux mille dans la Péninsule, deux mille dans
les comtés de l'Est.
l'action française 127
Le recensement de 1842 nous fournit pour la première
fois des renseignements officiels :
POPULATION d'oNTARIO EN 1842
Population
totale
catholique
française
487,053
65,203
13,969
On le voit l'immigration bat son plein, les Canadiens
français ne comptent pour ainsi dire pas dans le pays. Com-
ment sont-ils répartis? Selon nous, dix mille à l'Est, trois
ou quatre mille dans la Péninsule.
Vers cette date, un grand événement, la création du
diocèse français de Bytown (Ottawa), 1847, donna le branle
à l'invasion pacifique de l'Ontario. Le recensement de
1851 nous fournit pour quatre comtés les chiffres suivants :
Canadiens-français.
Prescott 3,438
Russell 688
Bytown 2;056
Carleton . . . • 898
Total 7,080
Le recensement de 1861 se lit comme suit :
Population
totale
catholique
française
1,396,091
258,151
33,287
128 l'acti-on française
De ces trente-trois mille Français, dix-sept mille, en-
viron, appartiennent au groupe de l'Est. Les autres sont
en grande partie des hommes de chantiers qui travaillent
dans le diocèse actuel de Pembroke, comté de Renfrew,
dans le diocèse de London, comtés d'Essex et de Kent, dans
le diocèse de Toronto, comté de Simcoe. Ces nouveaux
venus renforcent rapidement les vieux colons de Sandwich
et prospèrent dans une région fertile en raisins et en fruits.
Sur ces entrefaites, avec la Confédération s'inaugure
l'ère contemporaine au Canada, 1867.
LA COLONISATION FRANÇAISE EN ONTARIO DEPUIS LA
CONFÉDÉRATION
Un fait social domine l'époque qui commence, au point
de vue de la colonisation ontarienne; c'est l'arrêt total de
l'immigration irlandaise et le ralentissement de l'immigra-
tion anglaise. Les Irlandais ne vont plus dans les colonies
britanniques; quant aux Anglais, ils poussent plus loin,
dans la direction des plaines du Nord-Ouest qui s'ouvrent
et offrent aux colons des facilités d'établissement extraor-
dinaires. L'inauguration du chemin de fer Pacifique Cana-
dien, en 1886, donne le signal du mouvement vers l'Ouest
qui va déplacer l'axe économique de la Confédération.
Quant aux Canadiens-français, selon leur tactique tra-
ditionnelle, ils gagnent de proche en proche et font dans
l'Ontario des progrès chaque jour plus marqués. Dans les
comtés depuis longtemps défrichés ils achètent les fermes
que les Anglais abandonnent, procédé lent et coûteux ; dans
les pays nouveaux ils s'installent plus rapidement et en plus
grand nombre.
l'action française 129
Le recensement de 1871 nous fournit les renseignements
suivants :
Population
totale
catholique
française
1,620,851
274,162
75,383
Un seul commentaire suffit à caractériser les progrès
de cette décade. Tandis que, de 1861 à 1871, les Cana-
diens-français ont augmenté de 42,096, la population ca-
tholique totale ne s'est accrue que de 16,011. Or tous les
Canadiens-français sont catholiques. La conclusion se
déduit d'elle-même.
Comment se distribue cet accroissement régulier des
Canadiens ? Normalement. Ce n'est que à partir de 1880, '
que nous les verrons envahir de nouveaux territoires.
Depuis 1880, en effet, des faits nouveaux dont il faut
tenir compte vont modifier profondément le status des Ca-
nadiens français dans l'Ontario. Tandis que, dans les vieux
comtés, l'augmentation de la population provient de la
croissance naturelle si remarquable des familles canadien-
nes, dans les comtés récents qu'ouvrent les chemins de fer
et l'exploitation des mines, c'est à la seule émigration de
la province de Québec et des anciennes paroisses surpeu-
plées d'Ontario que l'occupation du sol est imputable. Nous
faisons allusion aux comtés d'Algoma, du Nipissing et de
Thunder Bay, ainsi qu'aux régions encore mal organisées
du Nord.
Ces comtés sont de création toute moderne, ou pour
mieux dire, en voie de création. Le commerce des bois et,
comme nous venons de l'observer, l'extension des chemins
de fer et la découverte des mines, mines de nickel à ud-
bury, d'argent à Cobalt, ont attiré dans le pays unj icule
130 l'action française
d'émigrants, italiens, autrichiens, allemands, ruthènes,
anglais, etc., etc. Les Canadiens-français, concurrencés
par ces étrangers, se sont, pour la plupart, établis sur des
terres, lesquelles, d'ailleurs, sont rares dans ces montagnes -
généralement stériles, et se sont emparé du sol. Eux seuls,
ou presque seuls, s'3^ livrent à l'agriculture, ce qui nous sem-
ble un phénomène providentiel. Et, en effet, lorsque les
mines seront épuisées, lorsque les chemins seront achevés,
lorsque les forêts seront rasées, la main-d'œuvre étrangère
s'éloignera forcément de ces territoires, où les fermiers res-
teront.
Dans les régions du Grand Nord ouvertes récemment
à la colonisation par le Transcontinental canadien, on a
découvert une immense zone fertile, la clay helt, qui, mal-
gré les rigueurs du climat et l'humidité du sol, promet d'éga-
ler pour la culture des grains la fécondité du Manitoba.
Nos colons s'y précipitent, au grand émoi des Orangistes
et des fanatiques d'Ontario.
Afin de rendre plus sensibles les progrès des Canadiens-
français, nous ferons abstraction des recensements de 1881,
de 1891 et de 1901, et nous donnerons le tableau compa-
ratif des statistiques de 1871 et de 1911.
RECENSEMENTS d'ONTARIO
Population
totale
1871 1,620,831
1911 2,523,274
Que ce tableau est suggestif et plus éloquent que des
discours ! Il nous montre, en effet, que, dans l'espace de
quarante ans, tandis que la population d'Ontario s'est ac-
catholique
française
274,162
484,997
75,383
202,442
l'action française 131
crue d'un peu plus de moitié, que les catholiques ont aug-
menté des trois quarts, les Canadiens-français ont presque
triplé.
Il nous reste maintenant à étudier dans quelles por-
tions de la province ces augmentations s'opérèrent.
Nous comptons, à la date de 1911, une vingtaine de
comtés où la population canadienne-française dépasse le
chiffre de mille habitants. En groupant ces comtés et en
comparant avec les totaux du recensement de 1871 ceux de
1911, la chose nous sera facile.
GROUPE DE l'est
Années 1871 1911
Comtés
Carleton
Dundas
Glengarry
Hastings
Ottawa
Prescott
Russell
Stormont
Divers, environ
Totaux 35,190 94,521
797
4,157
1,031
1,339
2,607
8,710
2,785
3,490
7,214
22,210
9,623
20,124
5,600
22,475
2,233
7,016
3,300
5,000
132 l'actiox française
groupe du sud
Années 1871 1911
Comtes
Toronto 572 4,569
Simcoe 3,024 6,686
• Essex 10,539 20,733
Kent 3,480 5,956
Divers 3,000 5,000
Totaux 20,615 42,944
GROUPE DU XORD ET DE l'oUEST
Renfrew 2,882 6,107
Peterborough 1,024 1,309
Algoma 995 14,347
Nipissing 358 26,277
Parry Sound 169 2,188
Thundcr Bay 4,731
Totaux 5,428 54,959
De ce triple tableau ressortent les faits suivants :
1° La population du groupe de l'Est, comprise dans
les diocèses d'Ottawa, d'Alexandria et de Kingston, aurait
triplé en quarante ans, par la seule puissance de sa nata-
lité, sans immigration sensible, sauf pour la ville d'Ottawa
dont la prospérité croissante a attiré beaucoup d'étrangers,
si, dans le diocèse de Kingston, nous n'avions à constater
un véritable recul, dû manifestement à l'amlMance protes-
tante. Les Canadiens dispersés semblent fatalement des-
tinés à disparaîtr(\
l'action française 133
2° Le groupe du Sud a vu sa population se doubler
dans le même espace de temps, sans immigration d'aucune
sorte.
3° Enfin le groupe du Nord et de l'Ouest est sorti, pour
ainsi dire, du néant. La population a décuplé et a trouvé
la fortune dans le défrichement des terres nouvelles.
De telles constatations sont bien faites pour nous con-
soler et pom" ranimer notre confiance dans la Providence.
Aucune puissance humaine n'est capable, scmble-t-il, dé-
sormais, de changer le cours de nos destinées."
fr. Alexis, cap.
A NOS AMIS
Abonnements dûs. — Pour la bonne administration de l'Action
française, nous invitons les lecteui's qui n'ont pas encore versé leur
abonnement de 1919 à bien vouloir le faire le plus tôt possible. Une
invite toute particulière est adressée aux lecteurs qui ont omis jusqu'ici
de faire remise pour 1918; ceux-ci pourront profiter de l'occasion pour
acquitter en même temps 1919. Ils nous éviteront d'onéreux frais de
correspondance, car il nous faudra d'ici peu réclamer par lettres les
abonnements en retard.
Comptes au débit. — De même de nombreux clients dont les comptes
à l'Action française ou à la Ligue des Droit sdu français sont au débit
depuis déjà quelque temps, voudront bien nous éviter le travail assez
considérable de leur faire tenir un nouveau relevé, en nous faisant
parvenu' les montants dûs par le prochain courrier. Pour que l'Action
française poursuive son œuvre, les rentrées ponctuelles sont alxsolument
indispensables.
V ÉCOLE DE LA RUE
Jamais, dans notice bonne ville, on ne s'était tant préoccupé
d'instruction publique, du moins dans les journaux. C'est
heureux sans doute puisque, comme dît Vautre, si ça ne fait
pas de bien, ça ne fait pas de mal.
Ce qui fait du mal â l'enfance écolière, je ne sais si vous
l'avez remarqué, c'est l'incorrection qui s'étale sur les. murs
et sur les clôtures, daiis les trams, aux façades des magasins,
dans tous les endroits passants : les jeu7ies têtes, où les leçons
filtrent par l'oreille et où les fautes affluent par l'œil, se brouil-
lent. Et personne ne prend garde que nous préparons une
génération qui se livrera avec nonchalence à la pratique de
l'orthographe libre.
Écrire correctement, c'est mettre de l'ordre dans ses phrases,
c'est-à-dire dans ses idées. Les bolchévistes l'ont compris et,
logiques, ils ont déclaré la guerre à l'orthographe, puisque c'est
une manifestation de l'ordre. D'après une information assez
invraisemblable pour paraître exacte, un journal de Petrograd
publiait il y a quelques semaines l'avis suivant : « Les
manuscrits correctement orthographiés ne seront ni insérés, ni
pris en considération. Seuls les bourgeois écrivent selon la
syntaxe. »
Hélas! bon nombre d'entre nous, vous et moi exceptés
bien entendu, so7it à cet égard de bien piètres bourgeois. Notre
ignorance de l'orthographe est d'autant plus grande que nous
apprenons deux langues dont les dissemblances sont plus
nombreuses peut-être que les analogies et que celles-ci émous-
sent notre défense contre celles-là.
l'action française 135
Lire de bons auteurs, certes, cest l'un des moyens d'ap-
prendre V orthographe et bien d'autres choses aussi; triais
peut-on espérer que tout le monde lise de bons auteurs ? En
revanche, il est des choses que tout le monde lit, malgré soi,
plusieurs fois par jour, ce sont les enseignes, affiches, pancar-
tes qui sévissent partout.
Si le mal est évident, le remède ne l'est pas ?noins. Il a
déjà été suggéré. Que V administration municipale inter-
vienne. Vous croyez qu'elle ne serait pas justifiable ? Vous
oubliez que le public montréalais paie annuellement pour
l'instruction de ses enfants des centaines de milliers de dollars.
L'administration municipale n'a-t-elle pas le droit, 7ta-t-elle
pas le devoir d'empêcher que les fruits de l'instruction ne se
gâtent par l'ignorance ou le mauvais vouloir de quelques-uns ?
Le moyen de faire disparaître les affiches fautives f II
est simple et serait d'une application facile. Il suffirait
d'ajouter un petit appendice à la charte de la Cité de Montréal,
qui en a vu bien d'autres, comportant la fondation d'un bureau
de revision. Tous ceux qui affichent quelque chose quelque
part seraient tenus, avant V expiration d'un délai déterminé,
de soumettre leurs textes à ce bureau. A partir de l'expira-
tion du délai, on n'aurait le droit d'afficher que la matière
approuvée par le bureau. Et une sanction frapperait les
contrevenants. La taxe minime perçue pour la revision
laisserait vraisemblablement, tous frais payés, un excédent de
recettes qui ne donnerait à nos administrateurs que l'embarras
du choix entre les trous à boucher.
Je vous vois venir, lecteur lettré; vous souriez. Oui, oui,
je sais. Dans les Fâcheux, le pédant Caritidès, voulant
corriger les enseignes de Paris, suppliait le roi de créer une
charge de contrôleur, intendant, correcteur, reviseur et restaura-
teur général desdites inscriptions. C'est comique parce que
136 l'actiox française
c'est ridicule. Mais, s'il vous plaît, méfions-nous du ridicule :
loin de tuer celui qui en est l'objet, il paralyse celui qui en a
un sens trop vif. Cela se fait-il quelque part ? demandera
timidement l'adversaire de toute innovation, sans songer
que si personne n'avait jamais rien fait qui n'eût déjà été fait
ailleurs, personne n'aurait jamais rien fait nulle part.
Léon Lorrain.
LA LIGUE DE RALLIEMENT
FRANÇAIS
La Ligue de Ralliement français en Amérique, dont le siège est îi
Manchester, N. H. (adresse postale : casier 14), a entrepris la publica-
tion d'une intéressante série de tracts. Ont déjà paru : Le fi-ançai.^
dans le Connecticut; Le français dans nos écoles; Iax langue française cl
le christianisme (discours de Mgr Guertin au congrès du Parler français).
Paraîtront prochainement : en avril : Le français dans le A'eiv Hamp-
shire; en mai : Ce que les Étals-Unis attendent de nou^; en juin : Le fran-
çais au -foyer; en juillet : La croisade des enfants. Les trois tracts
parus se vendent 50 sous la douzaine, $4 le cent, port en plus. Le prix
des autres sera annoncé au fur et à mesure de leur publication.
L'Action française est dépositaire pour le Canada de toutes les
publications de la Ligue de Ralliement français.
AVEZ- VOUS SONGÉ A NOUS DONNER
UN NOUVEL ABONNÉ ?
—-
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Chez un ^^u" l'enseigne fraîchement peinte s'étalait un nom bien
COîffeUT français qu'encadraient deux inscriptions : Salon de
coiffure — Barber Shop. Du bilinguisme, ça m'aUait :
j'entrai. La figure avenante du patron, l'allure dégagée des garc.ons
me dirent que je ne, me trompais pas, que j'étais chez un compatriote.
Salle comble. Les neuf chaises sont occupées. Je m'assieds sur un
banc. Quelques revues sont là, à la disposition des clients qui atten-
dent. Je prends la première : Life. Merci ! L'ne deuxième : Baseball
Magazine. Que diable ! voici un coiffeur qui n'encourage guère les
publications canadiermes. Mais voyons les autres : Popular Mecha-
nics, The Journeyman Barber, etc., et«. Elles sont toutes de la même
espèce, toutes made in United States.
Et cependant quel puissant véhicule d'idées est la presse, quelle
machine incomparable pour modeler les esprits ! Est-il prudent
d'en user ainsi sans discernement?
Salon Je ruminais ces choses quand j'entendis un vigoureux
an5.lciis ^^^f> Please. Je levai la tête. C'était un employé
canadien-français qui m'interpellait ainsi. Après la voix
des h\Tes, la voix des hommes. En vérité, j'étais bien tombé ! J'obéis
quand même, mais confortablement assis dans la chaise d'opération,
je promenai mes yeux de côté et d'autre. Hélas ! du bihnguisme
affiché sur l'enseigne extérieure, aucune trace visible. Depuis les mul-
tiples bouteilles aux formes variées contenant poudres, onguents et
parfums, jusqu'aux pancartes suspendues çà et là, soit pour faire con-
naître ces produits, soit pour annoncer que « From January lst,thisshop
uill close saturday nighl al 10.30,y> tout était en anglais. Une exception
toutefois que je finis par découvrir : un modeste calendrier étalait dans
un coin ses feuilles aux noms français.
Entre eiLx, et avec les clients qui le désiraient, les employés — je le
constatai — parlaient français, mais l'allure de la boutique était fran-
chement anglaise. Les hommes qui la fréquentent sont cependant des
deux langues, elle est située elle-même dans un milieu mixte, plutôt
français qu'anglais : pourquoi alors cet exclusivisme, pourquoi surtout
cet amoncellement de revues américaines ?
138 l'action française
Revues Je m'arrête à ce dernier point. Car nous touchons
GtnéïicCliiîeS ^^ ^^® véritable plaie. Elle n'est pas particulière
aux coiffeurs, bien que presque tous en souffrent.
Elle atteint aussi bon nombre d'hommes d'affaires, de médecins, de
dentistes surtout. Ceux-ci en effet ont fréquenté les universités des
Etats-Unis. On dirait qu'ils en ont rapporté le goût des pubUcations
américaines, ou encore que, les ayant vues dans les salons de leurs con-
frères de Boston, de Philadelphie ou de New- York, Us croient de bon
ton de les imiter. Quoi qu'il en soit, le magazine américain sévit dans
leurs saUes d'attente. De braves personnes le rencontrent là poiu" la
première fois. Elles le feuillettent machinalement : affaire de tromper
les heures. Et bientôt l'aventure romanesque ou pohcière, qu'illustrent
d'impertinentes gravures, secoue leurs nerfs, trouble leur âme, déforme
lem- esprit.
Ce mal n'est pas spécial à notre métropole. Un prêtre, qui l'avait
constaté ailleurs qu'à Montréal, vient de le dénoncer en ces termes,
dans l'Action catholique : « Vous entrez chez im avocat, chez un
médecin, chez im dentiste, chez un industriel; qu'est-ce que vous trou-
vez trop souvent pour passer le temps en attendant que d'autres chents
arrivés avant vous aient défilé dans le biueau du maître? D'abrutis-
sants ou ineptes magazines anglais ou américains : des tas de Motion
Pictures, de Life, de Punch, de Munseij's, de Pholoplay, de World, et
autres épaisseurs du même acabit et de même langue. Pour ce qui est
de la bonne lectiu-e française instructive, saine, amusante, elle brille par
son absence. »
Le Tefnède a nos lecteurs de réagir énergiquement contre
oui s' ifHÙOSe ^^ ™^^' ^'^ ^'^^ sentent eux-mêmes coupables,
qu'ils « nettoient » sans tarder leurs salles d'attente;
si, au contraire, ils n'ont rien à se reprocher qu'ils aident alors leurs
amis à s'amender.
Par quoi remplacer ces revues? Nous n'avons guère, il est vrai,
de publications de ce genre, mais puisqu'elles sont de mauvais goût,
ne le regrettons pas. .Aucun chent ne se rend chez tel coiffeur ou tel
dentiste à cause d'elles. Il en use parce qu'elles sont là, sous sa main.
Il ne se plaindra pas si on les lui enlève. Qu'on ne lui donne rien plutôt!
Mais on peut donner quelque chose, quelque chose qui fasse du bien,
qui affine le goût, qui élève l'âme, qui sème de bonnes idées, qui crée
de généreux sentiments. Je ne parlerai pas de nos publications reli-
gieuses qu'on trouvera peut-être trop sérieuses pour ces miheux. Im
pourtant. . . Mais il y a des revues profanes, V Action française, par
l'action française 139
exemple. Tous ceux qui connaissent cette revue en raffolent, paraît-il.
Elle plaît en effet par sa variété, par son actualité, par son sens patrioti-
que, par la vie saine dont elle déborde. Qui l'a lue une fois veut la lire
chaque mois. Eh bien ! voilà une belle occasion pour nos amis de faire
de la propagande. Qu'ils en mettent quelques exemplaires dans leurs
salons. Leiu-s clients ne s'ennuieront pas en les lisant. Ça agira
même sur leur moral et, par répercussion, sur leur physique. Ils seront
mieux disposés, plus en train pour régler leurs affaires, à demi guéris
même si ce sont des malades. Qui s'en plaindrait? Pas, à coup sûr,
le médecin ou l'avocat, ou l'homme d'affaires qui vont bénéficier des
bonnes dispositions de leurs clients, encore moins l'Action française
dont le groupe de lecteurs augmentera, et par suite le rayonnement de
son action.
ExÙéïîêHCêS ^^ ^^^ ^^ *^^ ^^ cette revue peut s'appliquer à
hûurûijçûç quelques autres de chez nous, à certaias almanachs
aussi. L'Almanach de la Langue française, VAlmanach
de l'Action catholique constituent de véritables magazines, intéressants
ceux-là, et d'une haute tenue littéraire et morale. A chacun de voir ce que
son milieu demande, ce qui lui plairait davantage. Mais qu'on ne le juge
pas plus léger qu'il n'est, et incapable de supporter de la saine littératiu-e.
Un essai loyal vaut d'être tenté. Il donnera, je crois, des résultats
étonnants. Que d'urgentes réformes, que d'excellents projets qui
réussiraient on laisse ainsi malheureusement tomber à l'eau, sans faire
d'efforts sérieux pour les réaliser, sous le prétexte commode et faux que
ça ne prendra pas, que ce n'est pas pratique. Sans sortir de notre
domaine, n'a-t-on pas parlé ainsi quand il s'est agi de donner des noms
français aux biscuits et aux bonbons ? — et cependant c'est maintenant
un fait accompU; — quand il s'est agi d'opérer la même transformation
pour les termes de métiers en usage chez les ouvriers ? — et la chose est
actuellement en bonne voie d'exécution !
Non, la difficulté ne rend pas telle réfome ou tel projet impossible.
S'ils sont excellents en soi, elle ne devrait avoir comme résultat que de
stimuler davantage nos énergies.
A.HS.licisftlC Aussi je n'hésite pas à dénoncer aujourd'hui un
à rciptPT ™^^ ^^ haute fortune, condamné déjà comme indigne
•' de \'i^Te par maintes autorités, qui continue quand
même à circuler librement dans les meilleurs milieux, et que notre
respect pour la langue française nous oblige à guillotiner le plus tôt
possible. C'est le trop fameux Révérend pris dans le sens d'abbé :
Révérend J.-A. Bérubé, Révérend Hector Lamalice. N'ai-je pas aperçu
140 l'actiox française
l'autre jour, son \nlain visage, en pleine Université française, trônant
richement sur une plaque de cuivre ou de marbre, comme s'il était un
des maîtres de cette forteresse ! Or ce Révérend est un anglicisme de
la plus" belle eau. Jamais on ne dira en France Révérend Thellier de
Ponche\-ille, Révérend E. Duplcssis, Révérend G. Letourneau. On ré-
serve ce titre aux religieux : Révérend Père Jan\aer, Révérend Père
de Grandmaison. Dans le sens où nous l'employons nous faisons de
tous nos prêtres des ministres protestants ! Larousse le dit clairement.
Après avoir indiqué la première signification du mot Révérend, celle qui
s'applique aux religieux, il ajoute cette autre ; « Titre que les Anglais
donnent à leurs pasteurs ». Nous en avons d'ailleurs maints exemples ici:
Révérend J. A. McDonald, Ra'erend Herbert SjTnonds, etc,. Rejetons
donc cette expression dans ce qu'elle a de fautif, appelons nos prêtres du
nom bien français d'abbé, comme la Ligne des DroiU du français, qui a
l'honneur d'en compter deux parmi ses directeurs, le fait à la deuxième
page de sa re\'ue : Abbé Philippe Perrier, abbé Lionel Groulx.
A.U Polois ^ r* îinii me signale, comme je termine cette chronique
d€ justice ^^ sceau qu'on emploie au Palais de Justice de Montré a
pour marquer les livres. Il ne contient que ces mots :
Advocales' Library. Ceci me rappelle que passant, le mercredi des cen-
dres, devant l'annexe du même Palais, j'y lus à la porte une large pan-
carte, unique elle au.ssi, et unilingue : Closed. Légal Holiday. On
chercherait d'ailleurs en vain ce mot : Palais de Justice dans l'Index
téléphonique, c'est Court House qui s'y étale, suivi d'vme série d'indica-
tions intéressantes, mais toutes encore, dans une seule langue, la langue
anglaise.
Le gouvernement qui jjréside aux destinées de notre province et
doit veiller à ce que chaque classe de citoyens soit traitée avec équité,
a-t-il donné par dérision le nom de Palais de Justice à son immeuble de
la rue Saint-Jacques ?
Pierre Homier.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
La vie de V Action frauçaise est si abondante que nous voilà con-
traints d'ajourner à la jjrochaine livraison une chronique bibliographique^
et une étude sur les noms de bonbons et de biscuits composées poi
celle-ci. Et nous ne pouvf)ns <pie signaler au.ssi le succès continu
l'actiox française 141
uns coni'érences, dont la dernière a été donnée par M. Armand Laver-
gne, sous la présidence d'honneur de M. Victor ^Morin, président
général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. A peine
pouvons-nous signaler encore la publication de nos dernières brochures
de la série orange (dix sous l'exemplaire, SI la douzaine, $8 le cent,
$70 le mille, port en plus) : La Race supérieure (avec allocution de
Mgr Béliveau) du R. P. Louis Lalande, S. J., dont neuf mille ex-
emplaires sont déjcà vendus, la Valeur économique du français (avec
allocution de M. le sénateur Belcourt)) et Si Dollnrd revenait... de
M, l'abbé GrouLx, qui viennent de paraître. Notons rapidement aussi
l'apparition de Paul-Êmile Lainarche, Œuvres-Hommages (SI franco,
$10 la douzaine, $75 le cent, port en plus), la réédition des Refrains
de chez nous et la prochaine publication de Potir la Défense de nos lois
françaises, de M. Antonio Perrault, et de la Naissance d'une race, de M.
l'abbé Groulx.
On voit que notre service de publications ne chôme point. A nos
amis d'accélérer la diffasion. Nous les prions de vouloir bien, dès
maintenant, s'occuper de VAlmanach, qui sera vendu aux mêmes con-
ditions que l'an passé : 20 sous l'exemplaire, $15 le cent, $115 le mille,
et pubhé beaucoup plus tôt. Il faut se hâter de réimir les commandes
poiu fLxer un tirage suffisant.
L'une de nos prochaines manifestations pubUques sera le pèlerinage
au paj'S de Dollard. Nous y reviendrons.
Jean Be.^uche^.ux.
PARTIE DOCUMENTAIRE
EN SASKATCHEWAN
Le premier congres de /'Association des commissaires d'écoles
franco-canadiens de la Saskatchewan, tenu à Regina les 18 cl 19 février
dernier, a adopté la délibération suivarite :
Les commissaires d'école franco-canadiens de la Saskatchewan,
réunis en convention à Regina, en leur qualité de dépositaires de l'au-
torité des parents,
1 ° Réitèrent l'expression de leur entière loyauté et de leur parfaite
fidélité au Roi et à la Couronne britannique.
142 l'action française
2° Ils affirment la volonté de toiis les Franco-Canadiens de faire
apprendre correctement à leurs enfants la langue anglaise qui est la
langue principale de l'enseignement dans toutes leiu-s écoles. Comme
témoignage de l'efficacité de leurs écoles, ils peuvent citer les résultats de
plusieurs concours régionaux où le plus grand pourcentage des récom-
penses a été obtenu par les écoles franco-canadiennes.
3° Ils affirment le principe de droit naturel que l'éducation est
une chose sacrée qui appartient d'abord aux parents et ils demandent
que l'État respecte en matière d'éducation ce droit sacré.
4 ° Ils déplorent la campagne de fanatisme qui a été menée à travers
la province par certains journaux et certaines organisations et considè-
rent cette campagne comme antipatriotique, parce qu'elle suscite des
divisions funestes de race et de religion et est absolument contraire à
la cause de l'éducation.
En conséquence, ils protestent formellement contre les propositions
nos 12, 20 et 21 de la convention de la Saskatchewan School Trustées
Association, tenue à Regina les 22 et 23 janvier dernier, propositions de
nature à continuer cette agitation; ils protestent également contre les
propositions nos 9, 22 et 26, qui démontrent que cette association et
ceux qui la dirigent visent la question de langue. ^
5° Ils expriment leurs sincères remerciements aux ministres et à
la majorité de la députation pour la reconnaissance qu'ils ont consa-
^ Voici les résolutions visées :
9 — Que la clause 9 de la loi scolaire soit amendée en retranchant
les mots : « dont deux, au moins, catholiques romaines. »
(La clause 9 est ainsi conçue : Il est établi un conseil de l'ins-
truction pubhciue composé de cinq personnes, dont deux au moins,
cathohques romaines, à être nommées par le heutenant-gouverneur en
conseil, lesquelles sont rénumérées de la façon que détermine le heute-
nant-gouverneur en conseil.)
12 — Attendu qu'il est communément admis que le Canadien fran-
çais n'a pas de droit légal aux privilèges de sa langue en Saskatchewan;
attendu que treize ou quatorze autres nationalités font partie de notre
corps politique, en conséquence il est résolu : « Que dans l'opinion de
cette convention, te privilège de langue accordé au français dans notre
milieu est préjudiciable aux meilleurs intérêts de notre dominion. »
20 — Que l'anglais soit la seule langue enseignée dans nos écok-
pul)liques pendant les heures de classe et la seule langue d'instruction.
21 — Que personne ne soit éligible à la charge de commissaire qui est
incapable de lire et d'écrire la langue anglaise.
22 — (Qu'aucune école élémentaire, académie ou collège privé ne
soit permis dans la province, sauf avec une licence, et que toute insti-
l'action française 143
crée du principe de l'enseignement du français, tout en regrettant que
ce principe n'ait pas été étendu dans son application à la Saskatchewan
d'une façon plus large.
6° Ils demandent au gouvernement, et spécialement à l'honorable
ministre de l'Éducation, de faciliter aux districts franco-canadiens
l'enseignement du français par les mesures pédagogiques nécessaires.
7° Ils recommandent au gouvernement de fixer un minimum de
traitement et d'établir un sj^stème régulier de pension pour les institu-
teurs et institutrices après un certain temps d'enseignement.
8° Cette convention recommande que dans les écoles rurales et
de village l'instituteur voie à la surveillance des enfants durant l'heure
du dîner et que ceci soit mentionné dans le contrat d'engagement. Pour
faciliter cette surveillance, cette convention recommande également la
construction obligatoire d'une maison contiguë à l'école poiu* le logement
de l'instituteur.
9 ° Il serait désirable que les commissaires visitent leurs écoles au
moins une fois par mois.
10° Cette convention est d'avis que le programme scolaire accorde
plus d'importance à l'enseignement agricole.
11° Cette convention exprime le vœu qu'une plus grande place
soit donnée, dans le programme d'études, à l'histoire du Canada dans
les grades inférieurs et que le manuel soit revisé au point de vue des
omissions et des erreurs historiques.
12° Cette convention exprime le vœu qu'un plus grand nombre de
nos jeunes gens se consacrent à la carrière de l'enseignement.
13° Cette convention recommande aux commissions scolaires de
faire distribuer chaque année des Uvres de prix aux élèves les plus
méritants, afin de stimuler le progrès des études.
14° Cette convention exprime le vœu que les écoles franco-cana-
diennes s'unissent aux concours scolaires régionaux et qu'elles s'y
fassent représenter par leurs élèves.
tution ainsi licenciée soit soumise aux règlements du département de
l'éducation en ce qui concerne la direction et l'inspection, exactement
de la même manière que les écoles publiques, mais qu'aucun octroi ne
soit accordé à ces écoles privées.
26 — Que toutes les corporations soient imposées et taxées au profit
de l'école pubhque, comme autrefois, qu'aucune division des taxes
scolaires des corporations ne soit faite avec les écoles cathohques et que
la stipulation demandant la division des taxes des corporations soit
rappelée, cette division étant préjudiciable aux écoles publiques.
144 l'action française
15° Pour éviter les conflits de religion et de race, pour établir la
paix et l'harmonie entre tous' les éléments de notre province, cette
convention émet le vœu que toutes les questions d'éducation dans la
province soient soumises au contrôle d'un Conseil de l'Instruction
publique à double section, catholique et protestante, composé des
hommes les plus compétents en matière d'éducation et entièrement
indépendants des partis pohtiques.
LA FÉDÉRATION CATHOLIQUE FRANCO-AMÉRICAINE
ET L'AMÉRICANISATION
A sa réunion du 25 février 1919, tenue à Wwcester, Mass., la Fédé-
ration catholique fratico-américaine a adopté la délibération suivante :
Il est arrêté :
1 ° Que la Fédération catholique franco-américaine admet que la
connaissance de lalangvie anglaise peut favoriser ime plus intime union
politique, sociale et économique entre les divers groupes qui forment
la nation américaine;
2° (Jue la Fédération cathohque franco-américaine n'admet pu-
cependant que cette union exige l'abandon de la langue maternelle et
des qualités ethniques de ces mêmes groupes;
3° Que la Fédération cathohque franco-américaine soutient même
que la conservation de la langue maternelle et des quahtés ethniques ne
peut qu'être utile à la culture intellectuelle et morale, et augmenter la
valeur civique et économique des divers éléments de la nation.
4° Qu'en conséquence, la Fédération cathohque franco-américainr
s'inscrit en faux contre toute tentative de supprimer et de restreindra
l'usage et l'enseignement des langues autres que la langue anglaise dans
la famille, à l'école ou dans la presse;
5° (Jue la Fédération catholique franco-américaine engage ses mem-
bres à employer tous les moj-ens légitimes à leur cHsposition pour em-
pêcher le projet dit d'américanisation de dévier de ses fins raisonna-
bles;
6° Que la Fédération catholique franco-américaine suggère conunc
moyens d'action pratique :
a) de se servir de l'influence des chefs et des groupements franco-
américains pour agir par la jiersuasion auprès des chefs et des grouixs
politiques et industriels au bénéfice des principes ci-dessus énoncés;
h) de recommander à ceux des nôtres qui ne savent jias assez l'an-
glais d'en compléter leur connaissance par la fréquentation des cours
sjjéciaux <|iii s'orjî;rnis(>nt à cette fin.
l'Action française
AVRIL 1919
Les Précurseurs
FERDINAND GAGNON ET LA
SURVIVANCE FRANÇAISE
AUX ETATS-UNIS *
« Toute bonne pensée qui nous sauve
a toujours son précurseur. »
BossuET.
Après la guerre de Sécession se produisit un fort mou-
vement d'émigration canadienne-française aux États-Unis,
surtout en Nouvelle-Angleterre. Ce mouvement dura
plusieurs années, tantôt s'accentuant, tantôt se ralentis-
sant, jusqu'à une époque qu'il est assez difficile de préciser
avec exactitude, mais déjà assez lointaine. Diverses causes
avaient amené cet exode de la race, dont les plus sérieuses
sont impropres à le justifier entièrement. Il s'explique
un peu par un goût inné du voyage et de l'aventuré chez
les descendants des explorateurs et des coureurs de bois.
Mais je crois qu'il faut en chercher la principale raison dans
ce mirage doré dont la séduction est si forte sur les popu-
lations des campagnes. Toute guerre est suivie d'une
période de (( reconstruction sociale ». Les temps présenta
le montrent bien. A la guerre civile américaine succéda
* « La place d'un homme dans l'histoire se détermine moins en-
Icore par sa valeur propre que par la signification que cet homme a prise
à un moment donné et par l'influence qu'il a eue. Si cette influence a
abouti à provoquer un événement considérable, si elle a marqué un
J changement d'orientation profond et décisif, il n'j- a plus à épiloguer,
Ion se trouve en présence d'une personnaUté élue. . . »
I [Paul Verlaine, par Alfred Pcùzat, dans Le Correspondant du 2.5
Inovembre 1918, page 623.]
146 l'action française
donc une reprise intense des ajff aires. Dans l'Est s'ou-
vraient les manufactures, les industries se multipliaient.
Or, il fallait des bras pour faire marcher les machines des-
tinées à produire les choses dont le pays avait besoin. Et
l'on offrait de gros prix. La nouvelle s'en répandit dans
la province de Québec, moins par les jom'naux que par l'in-
termédiaire de ceux de nos compatriotes déjà établis ici,
y gagnant de forts salaires, et s'en retournant, de temps
à autre, visiter leur « ancienne place », tout de neuf habillés
et porteurs de sommes d'argent qui paraissaient fabuleuses
aux 3^eux de nos gens. « De la belle argent, )) comme ils
disaient. Les habitants en touchaient si peu à cette épo-
que. Et c'était un maigre privilège réservé au chef de
famille. Garçons et filles n'en entendaient guère le son.
Au delà de la frontière, tout le monde faisait de l'argent.
En échange d'un travail régulier, qui vous laissait vos soirs
et vos dimanches libres, l'on vous versait des flots d'écus.
Le travail ? mais il faut l'accomplir partout. N'est-ce pas
la loi de la vie? Et sur une terre, il est si absorbant; il
prend les matins et les soirs. Jamais de plein congé. Même
le dimanche, il y a le « train » à faire. Et le résultat en
est toujours douteux. L'on ne peut jamais compter sur
une moisson. Tant de causes peuvent la faire manquer.
Et puis, beaucoup d'habitants avaient dû s'endetter pour
« se bâtir )) une maison et une grange. D'autres se décou-
rageaient en face des durs labeurs du défrichement. Alors,
pourquoi ne pas aller là-bas, au moins le temps d'amasser
de quoi payer son bien ? Et les « maisons abandonnées »
devenaient de plus en plus nombreuses dans nos conces-
sions ; ^ et des villages entiers se dépeuplaient. En foule,
l'on « montait aux États ». Des Cantons de l'Est, de la
' Lire ou relire, clans le charmant Chez nous de M. Adjutor
Rivard, La Maison condamnée
l'action française 147
région de Montréal, de la Beauce, « d'en bas de Québec »,
jusque du fond du Saguenay, s'acheminaient vers la terre
étrangère des générations vigoureuses que les manufac-
tures américaines allaient happer au passage. Beaucoup
partaient avec espoir de retour. Ils clouaient des planches
aux fenêtres de leur logis, disposaient de leurs animaux,
mais gardaient tout le reste, en attendant de pouvoir venir
se réinstaller à demeure chez eux. Et le fait est que, pendant
bien des années, il y a eu un mouvement de va-et-vient
entre la province de Québec et les États de l'Est. Fata-
lement, les choses devaient se stabiliser. S'il en est qui
sont rentrés au pays, et si un grand nombre des « vieux » ,
qui ont dû continuer à rester ici, tournaient mélancolique-
ment leurs regards vers la terre natale avec le vague espoir
d'y rentrer un jour, fût-ce pour y dormir leur dernier som-
meil, des milliers et des milliers d'autres, venus aux États-
Unis très jeunes, devaient vite en prendre leur parti, et
s'accommoder d'une condition qui leur semblait toute na-
turelle, n'en ayant jamais connu de différente, et qui leur
assurait des avantages directs et tangibles, préférables à
tous les hasards de la vie agricole et à toutes les austérités
du travail sur les terres neuves. La fécondité de la race
contribuait à fixer le problème et à lui donner un aspect
permanent. Les naissances en sol américain créaient entre
les États-Unis et les fils d'émigrés des liens durables. Et
c'est ainsi que dans l'espace de cinquante ans s'est consti-
tué en Nouvelle-Angleterre, grâce à l'apport considérable
fourni par les nôtres, un noyau social fort intéressant à
observer, et dont l'évolution a exercé et exercera pendant
longtemps la sagacité des amateurs de « géogiaphie hu-
maine » . Ce que nos futures destinées, les contingences
de l'histoire nous apporteront, beaucoup s'essaient à le dire;
1
148 l'action française
et leurs spéculations sont ou sombres ou couleur-de-rose,
suivant la nature de leur tempérament intellectuel.
C'est un jeu difficile, qui offre tous les attraits et aussi
tous les risques de l'aventure, de vouloir calculer ce que
l'avenir réserve à un groupement ethnique placé en cer-
taines conditions anormales. Aussi bien n'est-ce pas notre
intention de chercher à percer le mystère de nos destinées
en ces milieux. Premièrement, ce n'est pas notre sujet;
ensuite nous reconnaissons simplement que l'art divina-
toire nous fait totalement défaut. C'est sur le passé et sur
le présent que nous allons tabler. Des considérations posi-
tives auxquelles nous allons nous livrer sortiront peut-être
des conclusions qui dépasseront l'heure actuelle, et qui
permettront, dans une certaine mesure, de pressentir ce
qui fermente et ce qui se prépare au delà de la ligne de
l'horizon. Mais, d'avance nous nous interdisons toute
solution définitive concernant des possibilités qui échap-
pent à notre emprise, nous souvenant du mot du poète :
« L'avenir est à Dieu. » ^
Et donc, à un moment qui n'appartient pas encore
à l'histoire ancienne, la Nouvelle-Angleterre, grâce à un
afflux migratoire venu de chez nous, de nos belles paroisses
de campagne, se trouvait plus riche d'une population de
sept à huit cent mille âmes d'authentique souche française.
Il est rare, si cela arrive jamais, que ce qui enrichit l'un
n'en appauvrisse un autre. M. Edouard Montpctit, dans
son étude sm* Errol Bouchette qui ouvre cette série des
Précurseurs où les pages présentes auront le trop grand
honneur de figurer, supputant la population canadienne-
française par classes et professions, porte le nombre des
émigrés aux États-Unis à 1,000,000, et il ajoute entre pa-
' Victor FIuKo, Ntipoh'oii If, (l;ms I,es Chntilx du cirpiificiih'.
l'action française 149
renthèse : «puissance perdue».^ Du point de vue où
il se place, l'éminent économiste a parfaitement raison.
Xos frères américains sont, pour le Canada français et
pour le Canada tout court, une « puissance perdue ». Sous
l'empire de telle ou telle cause plus ou moins raisonnable,
du caprice peut-être, de l'inconstance, ou de quoi que ce
soit, une fissure s'est opérée dans le mur d'enceinte d'ail-
leurs purement fictif qui sépare le Canada des États-Unis;
par cette fissure le sang généreux de la race a coulé abon-
damment chez nos voisins. Que cela ait anémié la source
originelle, la chose n'est que trop certaine. Et l'on se prend
à rêver à ce qui fût advenu si le bloc canadien-français
n'avait pas été ainsi durement entaillé et entamé. Ed-
mond de Xevers a dit ce mot profond : « Le Canada fran-
çais n'a pas cette attraction unique ciu'exercent les patries
bien définies et fermées. » ^ Cela était très vrai, il y a cin-
quante ans et au delà. La réflexion est-elle encore juste
aujourd'hui ? Xous ne le cro3-ons pas. Par la force des
circonstances, par le ministère d'une école transcendante
aux vues étroites et intéressées des simples partis politi-
ques, l'idée nationale a pris corps chez nous, elle s'est déve-
loppée, elle est descendue dans les couches populaires et
y a fait une œuvre dont les résultats déjà tangibles comp-
tent parmi les plus grands bienfaits que nous devons à la
Providence. Si, pour un individu, avoir conscience de
son âme, de ses droits, de ses responsabilités, s'ouvrir à la
vie personnelle, être orienté dans sa vraie vocation, est
la suprême grâce et qui amène toutes les autres, n'est-ce
donc rien pour cette âme collective ciui s'appelle une race
' Cf. L' Aciion française, Xo de janvier 1919, page 9.
- J'ai cité cette phrase dans une étude sur cet auteur: je pense,
sans en être sûr, qu'elle est tirée de son Avenir du Peuple canadien-fran-
\çais.
150 l'action française
d'être éveillée enfin à son rôle et à ses devoii's immédiats ?
N'est-ce rien pour elle de concevoir l'idée de patrie ? C'est
assez récemment que cette idée s'est concrétée parmi les
nôtres; le fait qu'elle n'existait qu'à l'état épars et confus,
avant que le mouvement dont nous parlons en eût ramassé
les éléments et en eût fait quelque chose de solide et de
précis, est peut-être l'explication la plus rationnelle du
fort courant d'émigration qui a singulièrement réduit nos
forces nationales. Autour de l'idée de patrie, tout natu-
rellement, et comme par un efïet nécessaire, d'autres ont
germé, le retour à la terre, l'amour du sol natal; notre lit-
térature même a pris une phj^sionomie qu'on ne lui con-
naissait pas; elle s'est dépouillée de ses ornements volon-
tiers exotiques et est devenue franchement canadienne.
Autant d'éléments qui contribuent à enfoncer dans les
cœurs l'attachement au pays d'origine, et qui sont restés
trop longtemps en puissance, et qu'il aurait fallu voir éclore
plus tôt, et qui s'imposaient plus impérieusement qu'ail-
leurs dans ce Canada français, aux frontières mal définies,
mal fermées, par conséquent faciles à franchir, pour peu
qu'une attraction éblouissante venue du dehors, le mirage
d'une vie aisée vinssent tenter des myriades de ses fils en
qui l'éducation patriotique n'avait pas fait surgir ces sen-
timents qui ne sont guère servis et aidés, chez nous, par
la conforination géographique et ce que j'appellerai l'in-
fluence du milieu, jMie\ix vaut tard que jamais, certes,
et les conquêtes contemporaines sur ce point marquent
un moment solennel de notre évolution sociale. Il n'en
reste pas moins que lorsque cette forme précieuse d'action
a commencé de se dessiner, un tort irréparable avait été
fait à la souche commune par un « coulage » qui l'avait
beaucoup appauvrie et allait rendre plus lent et plus diffi-
cile à réaliser le progrès général. En sorte que la constata-
l'action française 151
tion de M. Montpetit, en ce qui est des Canadiens émigrés
aux États-Unis, est d'une incontestable justesse, du point
de vue du Canada français. Cf million d'âmes est une
« puissance perdue ».
Mais une autre question se présente à propos de cette
force qui a passé à un autre territoire et à une autre allé-
geance, opérant un déplacement d'équilibre qui ne pouvait
en bonne logique être à l'avantage du noyau primitif et
de la patrie d'origine. Et il y a un autre angle sous lequel
il nous faut maintenant envisager cette donnée ethnique.
Cette puissance était-elle perdue en soi et absolument?
En d'autres termes, voici quelques centaines de mille « dé-
racinés », transplantés tout à coup dans un milieu aussi
étranger que possible à leur langue, à leurs coutumes, à leurs
traditions, à leurs façons d'être et de penser, à leur religion
même. En 1903, je crois, Laurier disait à un journaliste
de New- York qui lui parlait du sujet toujours débattu de
l'annexion du Canada aux États-Unis : « Qu'irions-nous
faire dans cette fournaise ? » Eh ! bien, voici une part con-
sidérable des nôtres plongés dans ce fou ardent, dans ce
creuset où s'élabore un monde dont nous ne savons pas la
formule définitive. Et tout le problème est en ceci : que
vont-ils devenir, du moins dans leurs grandes masses ? Vont-
ils périr dévorés par les flammes ? ou au contraire, comme
les trois jeunes gens dont parle la Sainte Écriture, rester
intacts dans cette « fournaise » ? Nous faisons abstrac-
tion pour le moment des faits réels et si consolants que nous
avons sous les yeux; nous faisons en quelque sorte une thèse;
nous nous plaçons dans l'idéal; nous supposons que nous
sommes en 1868 ou 69. Or, quel va être le sort, je ne dis
pas matériel, — il semble assuré, — mais intellectuel, mo-
ral, rehgieux, de ces émigrés que les trains déversent dans
le grand tout américain. Y seront-ils engloutis, après
152 l'action française
avoir peut-être surnagé quelque temps à la surface de l'abî-
me ? Seront-ils absorbés, fondus dans la masse amorphe ?
Ou bien réussiront-ils, naviguant contre vents et marées,
à gagner la terre ferme, à se constituer en survivance dis-
tincte, laquelle, comme une île au milieu d'un océan où
toutes les eaux de l'univers convergent, permettra aux
traits éternels de la race de se garder intacts?
L'enjeu en valait la peine. Et il y avait certainement
lieu d'entretenir de graves inquiétudes au sujet de l'avenir
ethnique de ces groupements canadiens-français. Un
principe de philosophie, et de bon sens, dit que dans les
choses humaines : major pars trahit ad se minorem, ce
que la sagesse populaire a traduit ainsi : « Ici-bas, le gros
mange le petit. » Cette loi est à la base du règne animal;
et il semble qu'elle se retrouve dans la vie des sociétés. Les
faibles, les minorités sont condamnés à souffrir de la part
des « plus forts », selon le titre d'un roman de M. Clemen-
ceau, riche d'observation humaine, et non seulement à
souffrir, mais à être constamment menacés dans leur exis-
tence même. Et toutes les chances étaient que les nôtres
ne pourraient résider longtemps aux puissances d'absorp-
tion auxquelles diverses causes venaient de les livrer. Non
pas qu'il y aurait tyrannie de la part de ces puissances,
ou qu'elles auraient recours à la violence pour assimiler
ces éléments nouveaux dont le corps social venait tout à
coup de s'augmenter. Pareil procédé n'était pas dans la
tradition d'un pays né d'une idée de liberté. Ce qui était
à craindre, c'était que la fusion ne Cût en quelque sorte
fatale, ne se produisît par le simple jeu naturel et doux des
circonstances de milieux. Espérer un autre résultat serait
compter sur le miracle, sur une dérogation au cours ordi-
naire des événements. Et l'on n'a pas le droit de fonder
une théorie régulière sur ce qui (>st par essence une excep-
l'action feais'Çaise 153
tion. Et ceux qui prédisaient ranéantissement des nôtres
dans cette immense mêlée sociale pouvaient paraître rai-
sonner fort sensément.
Or, il s'est. trouvé quelqu'un, à ce moment psycholo-
gique de l'histoire de notre race en Amérique, qui a abordé
résolument le problème ethnique posé par son émigration
en terre étrangère, et qui a prétendu lui donner une solu-
tion, paradoxale au premier abord, impossible, utopique,
et que les événements devaient cependant justifier. Nous
avons nommé Ferdinand Gagnon.
Ferdinand Gagnon a eu une carrière courte par le
nombre des années, mais extrêmement féconde. Et quand
je dis féconde, je prends ce mot dans son sens, première-
ment le plus obvie, et le moins métaphorique. Il s'est
en effet marié à vingt ans, et il est mort à trente-six, après
avoir eu dix enfants, dont sept lui survécurent. C'était
déjà un très bel exemple qu'il avait donné. Se marier jeune
est tout à fait conforme aux intentions de la Sainte Église,
pour des raisons d'ordre moral et phj^siologique. A ce
dernier point de vue, l'on sait que le bien des générations
s'en ressent. Ce n'est pas quand l'arbre a vieilli que sa sève
coule le plus généreusement. D'autre part, à combien
de dangers échapperaient les jeunes gens, s'ils fondaient
de bonne heure un foyer? Cela se pratiquait assez géné-
ralement autrefois chez nous. Cette coutume patriarcale,
dont la société bénéficierait non moins que la religion, n'est
plus guère observée L'on invoque là contre les condi-
tions économiques. Pur sophisme ! En un temps comme
le nôtre où l'on parle beaucoup de « reconstruction sociale »,
pourquoi ne pas donner comme base à tout programme
en ce sens les « mariages jeunes » ? Le bonheur des peu-
ples s'en trouverait du coup assuré. Mais l'autre doctrine
malheureuse, qui fait que l'on retarde de plus en plus cet
154 l'action française
événement qui est pourtant selon la vocation du plus grand
nombre, est la conséquence de la diminution de la foi dans
les âmes. Cela explique tout, mais n'excuse rien, hélas !
En se mariant à vingt ans, Ferdinand Gagnon est donc
resté dans la tradition chrétienne de notre nation. Comme
l'on a vu, la Providence a béni abondamment cette union
C'est aussi dans le sens le plus large que la brève car-
rière de cet homme fut féconde. Il nous semble bien qu'il
a posé tous les principes dont l'observation et le dévelop-
pement ont abouti à notre survivance ethnique en ces mi-
lieux; c'est à lui qu'il faut remonter pour trouver un plan
net et précis dont l'application a valu aux nôtres d'émerger
du sein de cet océan, et de s'y faire une existence où les mo-
dalités imposées par les circonstances s'allient avec la pré-
servation intégrale des caractéristiques foncières de la race
Gagnon était sorti du petit séminaire de Saint-Hyacin-
the avec la bonne culture moyenne que l'on donnait et que
l'on donne toujours dans nos maisons d'enseignement se-
condaire. Il n'avait rien du métaphysicien ou du rêveur.
Et qu'est-ce que serait venu faire un métaphysicien parmi
ces Canadiens-français, simples ouvriers pour la plupart,
sans lettres, et dont l'école avait été surtout la tradition
orale? Lacordaire a dit, en songeant probablement au
sort du pauvre Lamennais, quelque chose comme ceci :
« L'on n'a d'action ici-bas qu'à la condition d'être à la me-
sure réelle de son temps. )) ^ Et c'est M. Anotole France
qui a écrit ces mots où il faut faire la part du paradoxe et de la
vérité : « Le cerveau de Napoléon ne pensait rien de plus
rare que ce que pensait le cerveau du dernier de ses sol-
* Je crois que cette phrase est dans son Éloge funèbre de Mgr de
Forhin-Janson.
l'action française 155
dats, mais il le pensait plus fortement. » ^ Notre com-
patriote fut bien à la mesure de son temps, et des circons-
tances où la Providence l'avait placé. Et ses idées n'eu-
rent rien d'extraordinaire; elles furent, comme il fallait,
très saines, très justes, très claires, et il a eu le grand mé-
rite de les penser fortement et de les imposer.
Voici comme la synthèse de sa doctrine : l'on va voir
qu'elle est plus que jamais d'actualité. Des centaines de
mille Canadiens se sont implantés dans un sol étranger,
la plupart à demeure. Ils ont changé d'allégeance. Ils
se trouvent placés dans des conditions qui, à la longue,
et même assez vite, influeraient sur leur langue pour en
changer la nature et finalement l'étouffer, sur leur religion
pour la noyer dans le matérialisme ambiant, sur leur âme
pour en changer le caractère et l'espèce, en faire quelque
chose d'hybride qu'il serait impossible de classer dans au-
cune catégorie connue. Mais ont-ils le droit, si défavo-
rables que soient leurs nouveaux entours, d'abdiquer ce
que la nature et la Providence leur ont donné? Gagne-
raient-ils à une transformation radicale de leur être, trans-
formation qui dépasse peut-être la puissance humaine la
plus énergique? Pour sacrifier les biens supérieurs qu'ils
possèdent maintenant, en acquerront-ils d'autres capables
de les remplacer avantageusement ? ou ces sacrifices n'abou-
tiront-ils pas simplement à les appauvrir sur toute la Ugne
et à les laisser indéfiniment en marge de tout groupement
ethnique précis ? La langue française ! mais elle fut parlée
ici avant toute autre ; elle a donc des droits historiques et
^ Nous donnons le sens. Je n'ai pas le loisir de chercher le texte
même, qui est certainement plus harmonieux et j'ai bien le droit de ci-
ter cet auteur, sans que d'ailleurs ma citation soit un brevet de recom-
mendation de tous ses ouvrages. "La plus fine fleur du génie latin"
selon le mot de, Jules Lemaître, M. Aiiatole France est im écrivain
très dangereux, malheureusement.
156 l'action fraxçaise
primordiaux à continuer à retentir en ces régions qu'ont
ouvertes nos pionniers. L'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud
des États-Unis furent explorés par nos découvreurs. Pour-
quoi, nous, leurs descendants, irions-nous oublier des vo-
cables qui éveillèrent les échos au sein de ces immenses
territoires ? Il faut que les nôtres apprennent la langue
officielle de ce pays, l'anglais. ^Mais leur cerveau n'est-il
pas assez bien constitué pour donner asile à ce nouveau
parler sans éconduire celui qu'ils tiennent de leur origine,
et qui seul et à jamais pourra servir d'expression à la voix
de leur sang ? Au nom de quel motif raisonnable leur de-
manderait-on de consentir au renoncement de leur langue
maternelle? Cet abandon en amènerait un autre, beau-
coup plus grave, essentiel. C'est notre foi même qui en
serait entamée, et qui, chez le plus grand nombre, finirait
par se dissoudre dans un christianisme vague et peut-être
dans l'apostasie, dans une indifférence totale à l'égard de
toute croyance. Nos compatriotes, venus ici pour y res-
ter, doivent devenir citoyens du pa."s, s'3' faire naturaliser.
C'est leur devoir pressant. S'ils veulent pouvoir se pro-
téger, faire reconnaître leurs droits, il faut qu'ils puissent
voter, participer aux affaires. Autrement, ils seraient
regardés comme des parias. On leur reprocherait d'être
venus ici uniquement pour faire de l'argent, pour des fins
intéressées, et de ne pas assumer les responsabilités et les
charges qui incombent à tout citoyen. Plus il y aura d'ail-
leurs d'électeurs catholiques dans ce pays à majorité pro-
testante, et mieux ce sera pour le bien général de l'Église,
Le droit de vote est une puissance qu'il est urgent pour les
nôtres de se préparer à exercer. Les écoles ici sont neutres,
sans religion; et tout l'enseignement s'y donne en anglais :
double écueil. D'un autre côté, la loi commune oblige
tous les parents à faire donner une certaine somme d'édu
l'action française 157
cation à leurs enfants. Comment parer à ce danger, si
ce n'est en ayant, à côté de nos églises desservies par des
prêtres de notre nationalité, des écoles vraiment catholi-
ques et où notre langue maternelle soit sur le même pied
que l'anglais ? Autrement, notre survivance ne sera bien-
tôt plus qu'un mythe. C'est l'école qui forme les généra-
tions. Et il est impossible de rêver pour les nôtres la con-
servation de leur héritage ancestral s'ils ne se retrempent
pas à cette source de vie. Avec nos églises et nos écoles,
il nous faut des sociétés nationales. Aux États-Unis, il
y a comme une fièvre d'association. L'on « s'associe »
pour tout et à toutes fins. Les associations foisonnent.
Elles se chiffrent par milliers. Elles sont neutres, ou anti-
catholiques, ou antifrançaises. Elles guettent nos com-
patriotes, qui n'en voient pas les dangers, qui se laisseront
tenter peut-être par les secours matériels qu'elles offrent,
et qui s'enrôleront, sous des prétextes purement financiers,
dans des organisations dont l'effort apparent ou caché est
au détriment de ce que nous avons de plus cher. Alors,
la seule chose qui nous reste à faire est de fonder nous-
mêmes des associations catholiques et françaises.
Pour répandre ses idées, Ferdinand Gagnon se servit
de ce grand moyen d'apostolat qu'est le journal. Après
avoir rédigé en collaboration, soit à Manchester, soit ail-
leurs, tel périodique, il fonda à Worcester, en 1874, Le Tra-
vailleur, auquel il consacra les douze dernières années de
son existence, et qui fut la tribune du haut de laquelle ce
patriote sincère lança les mots sauveurs. « Fais ce que
dois )) était la devise de ce journal.^ Le directeur y ayant
1 Parler des vivants est toujours assez délicat ; mais je ne puis
m'empêcher de noter ici l'impression qui s'est emparée de moi tout le
temps que j'étudiais la carrière de Ferdinand Gagnon, je me disais :
avec toutes les différences dans le talent, le tempérament, le caractère,
ie degré de culture, cependant quels nombreux points de contact et
quelles aflSnités électives entre cet homme et M. Henri Bourassa!
158 l'action française
ses coudées franches, il y parla ouvertement et y donna
la mesure de sa belle intelligence, extrêmement droite.
Quand on parcourt la file de cette feuille de combat, la plus
remarquable que le journalisme franco-américain ait en-
core produite, l'on est frappé de voir à quel point cet écri-
vain avait le sens de l'orthodoxie; comme, sur les sujets
vitaux, il avait des notions à la fois justes et bien hiérar-
chisées, comme son jugement le gardait de tout écart et de
toute exagération, soit de pensée, soit de formule. Sa
langue était bonne, sans être éclatante. Je ne sais si, chez
Ferdinand Gagnon, les dons du cœur n'ont pas encore sur-
passé ceux de l'esprit. Il avait évidemment, cela est sen-
sible dans le ton de tous ses articles, un cœur très tendre
et très bon et très large. Pedus est quod disertos facit. C'est
le cœur qui rend éloquent. Éloquent, il le fut dans tous
ses écrits, il te fut aussi, il le fut surtout dans ses nombreux
discours et conférences. Comme M. Hanotaux l'a dit de
Gambetta, il avait une « âme sonore », ^ une âme aimante
dont les aspirations jailhssaient dans un verbe ample et
musical. La parole fut chez lui uniquement au service
de sa pensée et de son cœur; il ne l'employa jamais que pour
aider à la noble cause de notre survivance catholique et
française. Saint Paul parle d'une épée à deux tranchants
qui pénètre jusqu'à la division du cœur et de l'esprit. Pour
le grand apôtre, cette double épée, ce furent ses immortelles
épîtres et ce furent ses discours inspirés. La parole et la
plume, telle fut également l'arme une et diverse que mania
celui auquel nous venons de consacrer des pages que nous
aurions voulu faire plus dignes de sa mémoire. En 1886,
Ferdinand Gagnon vit tomber de ses mains défaillantes
l'instrument de lutte, il sentit se glacer sur ses lèvres ce
• Histoire de la France contemporaine. Tome I.
l'action française 159
verbe si chrétien et si français qui n'avait jamais vibré que
pour la religion catholique et le patriotisme qui en est in-
séparable. Il n'avait que trente-six-ans, et ce colosse ^
tombait épuisé de labeur, quand, au regard humain, il était
à peine au milieu de sa course, et qu'il lui restait une longue
et fructueuse carrière à fournir. Il se soumit sans murmu-
rer au décret providentiel qui le rappelait si tôt au terme
de toute existence terrestre; il accepta la mort avec con-
j&ance et résignation. Il avait toujours été très religieux
non de principes seulement, mais de pratique. Le cha-
noine Ouellet, supérieur du Séminaire de Saint-Hj^acinthe,
qui vint prononcer son éloge funèbre, nous le montre, allant
souvent à confesse, « attendant son tour » comme le plus
humble de ses compatriotes, et venant ensuite puiser à la
Table Sainte force et lumière. Admirable exemple ! Voici
les dernières hgnes qu'il publia, dans Le Travailleur du
19 mars 1886. Elles reflètent toute son âme : Nos Adieux.
« Un changement subit dans notre maladie nous met aux
'portes du tombeau, et notre sort paraît maintenant inévitable.
Avant de quitter ce lieu d'exil et de misère, nous devons jeter
un regard en arrière, afin de nous rendre compte des humbles
efforts que nous avons faits pour le triomphe des idées saines
et de la cause canadienne. Si nous avons pu faire quelque
chose pour nos compatriotes, nous en avons été amplement
récompensés . . . notre œuvre a été appréciée par nos compa-
triotes éclairés; et le vieux Travailleur, suivant toujours la
ligne droite, a rencontré partout des amis fidèles et des sym-
pathies ardentes. Notre disparition n'affectera en rien la
^ De taille moyenne, Ferdinand Gagnon pesait 350 livres. Mardi
le 22 avril, j'avais le plaisir de causer avec l'un de nos plus sincères et
plus distingués compatriotes des Etats-Unis, M. le Dr Auger, de Wor-
cester. M. Auger était l'intime ami de Gagnon. Il m'a dit des choses
tort intéressantes concernant sa puissance oratoire, en particulier..
11 était un remueur de masses. Et il se serait fait tuer pour ses amis.
160 l'action française
marche du journal. Le vieux Travailleur aura toujours
pour devise : Fais ce que dois. . . il sera toujours le champion
des intérêts catholiques et canadiens, enseignant avec modé-
ration les grands principes qui doivent servir de base à notre
élément national, aux Etats-Unis. . . En continuant à favo-
riser notre journal de leur encouragement, nos lecteurs feront
droit à la prière d'un mourant, qui leur recommande la veuve
et les orphelins qu'il quittera bientôt. Merci à tous nos lec-
teurs et aux amis du journal, pour ce qu'ils nous ont fait de
bien. Qu'ils soient heureux; qu'ils jouissent d'une bonne
santé; que la fortune leur soit favorable; qu'ils soient bénis
de Dieu ! Nous demandons pardon à ceux que nous au-
rions pu offenser, comme nous pardonnons à nos ennemis
ce qu'ils ont pu nous faire de mal. Que tous soient en paix,
dans le bonheur et le contentement ! Adieu ! A Dieu ! »
Et là-dessus s'est fermée à jamais une vie de travail,
de dévouement patriotique, de foi vive. Ferdinand Ga-
gnon s'en allait là d'où l'on ne revient pas, avant d'avoir,
humainement parlant, rempli la moitié de la tâche qu'il
s'était assignée. Dante était rendu « à moitié du chemin
de la vie, » ^ quand il entreprit son pèlerinage outre-tombe.
Mais ce pèlerinage ne fut, pour le grand florentin, qu'un
rêve sublime de son génie. Pour notre compatriote, ce
fut une réalité. L'un sème, un autre moissonne. La Pro-
vidence lui avait confié ce rôle, faire « le geste auguste du
semeur ». Il a semé à pleines mains et à plein cœur; il a
conçu, énoncé, mis en relief tous les principes capables
d'assurer notre survivance en terre américaine. Peu im-
porte qu'il n'ait pas récolté, qu'il n'ait fait qu'entrevoir
' Nel mezzo del cammin di nostra vila. . . {Inferno, C. I.)
l'action française 161
les germinations et les moissons de l'avenir ! Il a semé.
C'était là sa vocation, qu'il a admirablement remplie, qu'il
remplit toujours. La mort n'a pas éteint sa parole : ses
chaudes prédications vibrent toujours dans notre atmos-
phère; elles ont d'autant plus de prestige que l'expérience
concrète, — pierre de touche des doctrines, — en a montré
la haute qualité humaine et la valeur sociale. Écoutons-les
religieusement : elles émanent d'un homme qui fut, en ces
milieux, le plus grand bienfaiteur de notre race.
Henri d'Arles.
NOS CONFÉRENCES
h' Action française temiinera le 8 mai, au Moniunent National,
la série de ses grandes conférences de 1918-1919.
Après M. Bourassa, le P. Louis Lalande, MM. Perrault, Lorrain
et Lavergne, nous aurons le plaisir d'entendre M. l'abbé Groulx qui,
sous le titre Chez nos ancêtres, traitera de la vie intime de nos pères.
M. le Dr L. de Lotbinière Harwood, doyen de la Faculté de Médecine
de l'Université Laval, a bien voulu accepter la présidence d'honneur de
cette réunion. L'allocution d'ouverture «sera prononcée par M.
Edouard Montpetit.
Nous nous tenons à la disposition de ceux de nos amis qui vou-
draient organiser des conférences au dehors.
LE PÈLERINAGE DOLLARD
Noire deuxième pèleriruige au Long-Sault est chose déci-
dée. Nos amis n'ont jms oublié notre initiative de l'année
dernière. En l'annonçant dans la revue j'avais écrit : (( Rien
qu'une éclatante manifestation pourrait réparer un peu ce
coupable oubli de deux siècles. Les misères de ce temps ont
commandé aux directeurs de T Action française de faire moins
grand. Ils iront tout de même en éclaireurs, faire la première
battue vers cette lointaine histoire. Et il faudra qu'après eux
les grandes foides se mettent en route vers le Long-Saxdt. Il
faudra qu'un jour, sur ce carré de sol acheté et consacré, se
dresse, face à l'Outaouais, la statue de Dollard. »
Ce vœu aura le 24 mai prochain une réalisation presque
complète. Ce jour-là le comité du Monument Dollard fera
dévoiler au Long-Sault, par quelque petit descendant de Biaise
Juillet, l'un des premiers « dix-sept », un buste du héros, et
une grande foule, nous l'espérons, applaudira le geste du sou-
venir.
La fête du 24 mai devrait fonder à jamais le pèlerinage
Dollard. Le fait d'armes de 1660 aui-a reçu aux lieux mêmes
où il s'accomplit, la consécration suprême. Quand de l'hé-
roïsme a été déposé quelque part, la terre qui garde la semence,
attend quelquefois longtemps. Mais enfin, y fallût-il des
siècles, la gloire plus forte que l'oubli pousse un germe vigou-
reux; sur la tombe du héros s'épanouit une floraison de pierre
ou de bronze et le sol ainsi consacré appelle des pèlerins comme
une terre sainte.
La floraison s'apprête à jaillir et le petit village du Long-
Sault en prendra tout de suite un caractère auguste. La na-
l'action française 163
ture avait, ce semble, préparé ce coin de terre au rôle qu^il va
tenir. Aux lieux consacrés par un grand fait nous aimons
voir de la solennité grave et pieuse; nous voulons que le décor
s'approprie aux souvenirs qu'il encadre. Il faut que le pay-
sage peu chargé de choses étrangères ne nous renvoie que le
passé éteint et laisse à notre âme la liberté de ses méditations'.
Beaucoup de ces caractères se réunissent dans le décor
du Long-Sault. C'est le calme profo7id et pieux des lieux soli-
taires. Le village minuscule et paisible, échelonné au bord
de la grève, bien enfermé dans l'enceinte de ses coteaux et la
ligne de la forêt, est fait pour rester longtemps le reliquaire
d'une noble histoire. On lève les yeux vers les éminences pro-
chaines, on écoute au bas la chute solennelle des eaux, et l'on
se dit que là-haut des arbres vivent encore qui furent les témoins
des combats tragiques, que dans leur feuillage passe avec le
vent un souffle de légende, pendant que le Long-Sault orchestre
au loin et jusque sur les galets une sonore rumeur de gloire.
Au-dessus de tout cela il y a l'histoire qui solennise en-
core le paysage. Que d'empreintes glorieuses ont jadis inarqué
ces grèves ! Impossible de faire deux pas au bord de l'eau,
sans que se lèvent du sol des légions d'illustres souvenirs. Ici,
en 154:1, s'est arrêté en sondant des yeux le pays profond qu'à
l'aide de bâtonnets lui montraient les Indiens, Jacques Cartier,
le premier découvreur; soixante-douze ans plus tard, en 1613,
y atterrissait le père de la Nouvelle-France, Samuel de Cham-
plain, qui se prenait à écouter la rumeur des courants, (( si
grande, dit-il, qu'elle faict un bruict effroyable » ; ici se sont
arrêtés encore, pour se préparer au portage, les missionnaires,
les doux évangélisateurs, qui montaient au pays des Hurons,
le bréviaire au cou, les yeux agrandis d'espérances célestes;
ici ont passé pendant longtemps les grands explorateurs, les
chevaliers errants de la Nouvelle-France, d'Iberville et les
siens qui allaient fabriquer une épopée à la baie d'Hudson,
164 L ACTION FRANÇAISE
et tous ceux qui portaient sous leur front le rêve d'un continent,
et tous ces canotiers au poignet de frêne, coureurs de bois, cou-
reurs 'de fleuves, héros anonymes qui allaient aux fourrures
et aux découvertes.
Mais le Long-Sault c'est surtout le lieu où les « dix-sept »
sont tombés. Ici, au dessus de palissades enflammées, frap-
pent encore Vair les grands moulinets de Dollard. A quelques
pas du rivage s'est engagé, il y a deux cent cinquante-neuf ans,
le combat suprême d'où a dépendu la vie de notre jeune race.
Pour garder leur poste choisi par serment, pour que la pairie
naissante fût sauvée, pour que la civilisation chrétienne eût
raison de la barbarie, dix-sept jeunes gens, une élite, se sont
fait tuer. En eux avait soudainement éclaté l'explosion pré-
parée par plus de vingt ans d'ardeurs enthousiastes, de rêves
saints et collectifs dans Villemarie; en eux se résumaient toutes
les émotions apostoliques et chevaleresques de la Nouvelle-
France; les « dix-sept » incarnaient un moment unique de
notre histoire, celui peut-être où les âmes sont montées le plus
haut, où l'on fut le plus près de la très grande humanité.
C'est dire la puissance évocatrice de ce coin de pays, la
signification d'un pèlerinage au Long-Sault. Quels sont
ceux parmi nous qui ne voudront point aller communier à
ce passé sans égal f Les pères, les mères y voudront conduire
leurs enfants. Tout jeune Canadien-français qu'on voudra
élever selon l'idéal de sa race, dans Vâme de qui Von voudra
voir prédominer les fins supérieures de la vie, devra se rendre
au pays de Dollard, laisser émouvoir sa jeune sensibilité aux
pressions de ce pur héroïsme, ajuster ses rêves à la mesure
de notre histoire, entrer dans un ordre d'idées et de sentiments
qui appellent le meilleur de l'homme. Là il saura, dans une
prédication concrète, à quoi l'engagent ses CLScendances fran-
çaises et chrétiennes, comment s'achèvent les enthousiasmes
dans une âme sincère de jeune Français, et que ceux-là seuls
L ACTION FRANÇAISE
165
sont vraiment beaux qui se réalisent en un magnifique devoir.
Tous nous avons besoin de nous accorder à ces émotions,
nous qui pouvons juger combien étrangère et lointaine nous est
déjà cette histoire. Notre provision d'héroïsme en est une
qui a besoiii de se constamment alimenter. On aura beau faire:
les devoirs difficiles chez un peuple, et même les plus précis,
ont besoin de s'appuyer sur la puissance de l'émotion. Au
sein de toute vie profonde comme au commencement de tout
sacrifice qui nous élève au-dessus de nous-mêmes, se retrouve
l'élan d'une sensibilité héroïque. Ne laissons pas se dissiper
même les valeurs sentimentales de notre histoire. Les collines
du Long-Sault, lieu de méditations enivrantes et austères,
pourraient devenir le temple en plein air, dont parle Barrés
dans la Colline inspirée, où nous éprouvons le besoin de briser
de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière,
où notre énergie se déploie toute et s'élance à de grandes affir-
mations.
Lionel Groulx, ptre.
Rappelez-vous que l'abonnement
à l'Action française est l'une des
plus utiles récompenses qu'on puis-
se offrir à un écolier.
A NOS AMIS
On veut bien nous dire que V Action française témoigne
d'une acti%àté considérable : plus de quarante mille bro-
chures de sa série orange ont déjà été jetées dans le public,
à part les soixante mille exemplaires de son Almanach, les
milliers et les milliers de livi-aisons de sa re^'ne, les milliers
d'exemplaires de sa série verte, le li^Te de Lamarche,
etc.; d'autres publications sont à la veille de paraître; des
conférences dont on s'accorde à louer la valem' ont réuni
au Monument national de magnij&ques auditoires; des
initiatives variées sont en voie d'exécution ou en prépara-
tion.
Mais tout cela ne représente qu'une partie des choses
que nous croyons nécessaires, urgentes même, et V Action
française pourrait faire bien davantage si elle disposait
de moyens plus considérables. Ces moj^ens, c'est à ses
amis qu'il appartient de les lui fournir.
L'Actio7i française n'a point à se plaindre, certes, de
ses amis. Elle a reçu des concours, elle a bénéficié de
dévouements qui commandent la plus vive gratitude;
mais combien de dévouements et de concours possibles
n'ont pas été utilisés, parce qu'on ne les connaissait point,
parce qu'ils n'osaient pas s'offrir?
Et voilà précisément pourquoi nous prions aujour-
d'hui nos amis de vouloir bien nous écrire, nous dire en
toute simplicité : Voici ce que je pourrais faire, sous
quelle forme, de quelle façon je pourrais contribuer à
rœu\Te commune. . . Et encore: Je connais en tel
endroit, telle personne, tel groupe qui pourrait rendre tel
service. . , Ou bien: Il y aurait, ce me semble, telle
L ACTION FRANÇAISE 167
chose à faire, à laquelle on ne pense pas assez ou que l'on
ne travaille pas suffisamment. . .
Ainsi, nous pourrons étendre notre champ d'action,
élargir et fortifier nos cadres.
Que personne n'ait d'hésitations : comme le faisait
un jom* observer l'un de nos amis, le propre de l'Action
française, c'est précisément d'offrir de la besogne à tous.
On peut l'aider en lui fournissant des articles ou la matière
de livres nouveaux; on peut pareillement l'aider en facili-
tant la diffusion de ces articles et de ces livres; on peut
s'ingénier à provoquer des réunions publiques ou multiplier
les actes individuels; on peut donner du temps ou de
l'argent : tout cela compte, tout cela sert. Nous réclamons
des idées nouvelles, nous sommes heureux d'accueillir des
projets nouveaux, mais, dès maintenant, nous avons assez
de travail en vue pour occuper toutes les bonnes volontés.
Qu'on n'ait, de ce côté, aucune inquiétude 'M^^B^^^
Et qu'on nous écrive tout de suite :^ Voici mon|nom,
mon adresse, ce que je puis faire pour la cause. . . Voici
le nom et l'adresse de tel de mes amis qui pourrait vous
aider. . . Qu'on ne craigne point d'indiquer des services
qui pourraient paraître d'un ordre trop modeste: lorsqu'il
faut rapidement adresser et expédier mille ou deux mille
lettres, c'est un grand avantage, et une économie sérieuse,
que de pouvoir compter sur le concours d'aides de bonne
volonté; lorsqu'il faut répandre dans le public, par milliers,
des brochures de propagande, il est important d'avoir de
bénévoles vendeurs et nous sommes très fiers des jeunes
gens et des jeunes filles qui, dans nos réunions publiques,
ont l'obligeance d'offrir aux auditeurs nos publications
diverses.
1
168 L ACTION FRANÇAISE
Que nos amis les plus dévoués, ceux qui ont donné
déjà les meilleures preuves de générosité, qui se savent
connus de nous, veuillent bien aussi répondre à cet appel —
pour compléter l'enquête d'abord, pour nous apporter
ensuite le fruit de leur expérience.
Nous faisons une sorte de recensement des bonnes
volontés d'Action française. Que personne ne manque au
rendez-vous. . .
Omer Héroux.
I
LA LIGUE DE RALLIEMENT
La Ligue de Ralliement français en Amérique ajoute à ses publica-
tions nouvelles La Reconstruction sociale, analyse du programme social
formulé par un comité d'évêques américains. Elle avait déjà publié
Le français datis nos écoles, Le français dans le Connecticut, La langue
française et le christianisme (discours de Mgr Guertin au Congrès du
Parler français, en 1912) ; elle annonce une série d'autres publications :
Le français dans le New-Hampshire. Ce que les États-Unis attendent de
nous, Le français au foyer, La croisade des enfants, La langue et la civili-
sation américaine, etc.
Tous ces tracts se vendent 50 sous la douzaine, $4 le cent, port en
plus, h' Action française est dépositaire au Canada de toutes les publi-
cations de la Ligue de Ralliemsnt.
RETARD
Nous prions nos lecteurs d'excuser le retard de cette livraison.
Nous reprendrons avec mai notre publication normale.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
U UtihsottOn On trouvera plus loin le rapport définitif du comité •
de Ig victoiïC ^^^''g^ de franciser l'industrie des bonbons et des
biscuits. La longue liste de mots français qu'il
contient parle par elle-même. Elle dit à la fois et son rude labeur et
son magnifique triomphe. L'un d'ailleurs va rarement sans l'autre.
Le premier est la rançon ordinaire du second. Recuîer devant la tâche
ardue, quand il s'agit d'opérer une réforme utile, c'est se condamner
à l'insuccès.
Mais ce résultat, si beau soit-il, ne saurait terminer l'œuvre entre-
prise par la Ligue des Droits dufranrais. Elle doit au but qu'elle pour-
suit, elle doit à ses amis d'en tirer tout le parti possible. C'est main-
tenant l'heure — pour employer un mot d'actualité — de V utilisation
de la victoire. Or, parmi les fruits que celle-ci peut donner il faut pla-
cer, en premier, Ueu la preuve que la langue française ne nuit pas au com-
merce, que même son usage — tel que nous le demandons, tel que nous
l'avons obtenu des fabricants de bonbons et de biscuits — lui est \Tai-
ment utile. C'est pourquoi nous avons fait appel à nos amis, nous leur
avons demandé d'encourager les maisons qui ont adhéré à notre mou-
vement.
La VgIcUT Je développais, l'autre jour, cette idée devant
dêS fnClTChcifldiSBS ^^ directeur d'une importante institution. « Je
veux bien encourager les nôtres, me répondit-il,
surtout ceux qui font preuve de patriotisme. Les affaires cependant
sont les affaires. On ne peut pas oubher complètement ce côté de la
question. Vos fabricants de bonbons et de biscuits donnent-ils une
boime marchandise ? C'est là un point important. J'ai actuellement
comme fournisseur la maison X. Elle est anglaise. Ses produits sont
excellents. Si je l'abandonne pour la maison Y qui est canadienne-
française, non seulement de nom — comme quelques-unes — mais aussi
de fait, mes chents, mes pensionnaires ne souffriront-ils pas du change-
ment ? Garantissez-moi que non et dès demain la chose est faite. »
Ce langage ne pêche certainement pas par défaut de clarté. Aussi
avant de m'engager, j'ai voulu me renseigner. Les fabricants cana
170 l'action française
diens-français avec qui j'ai pu causer admettent volontiers que leurs
maisons ne produisent pas ces biscuits et ces bonbons superfins, de prix
très élevé, que fournissent quelques maisons anglaises. Quant à la
marchandise ordinaire, celle que consomment habituellement les famil-
les, ils prétendent en donner une, à prix égal, d'aussi bonne qualité.
Une exposition simple affirmation, dira quelqu'im. et encore,
ÙïOChciine intéressée! — Soit, aussi allons-nous permettre
à ses auteurs de faire leur preuve. A notre de-
mande, une exposition de bonbons et de biscuits, fabriqués par des Ca-
nadiens français et portant des noms français, aiua lieu bientôt. Il
sera loisible à nos îftnis de s'y rendre, de voir, de palper, de goûter et . . .
d'apprécier ces différents produits.
La date et le heu de cette exposition seront annoncés sous peu.
Aucvm droit d'entrée ne sera exigé. Nous ne demanderons aux visi-
teurs qu'une chose : Si ces bonbons et ces biscuits sont de leur goût,
qu'ils leur donnent la préférence, qu'ils trouvent le moyen de les obteair
non seulement à la table de famihe, non seulement chez l'épicier, mais
encore — ce qui est peut-être plus difficile — à la table d'hôte, au res-
taurant et à l'hôtel.
Dans les Avec les chemins de fer, les grands hôtels — puisque
hôtels l'occasion s'offre d'en parler — doivent être rangés
parmi les principales forteresses de la langue anglaise
dans notre pays. Un prêtre américain me racontait récemment, qu'ar-
rivant à Montréal, l'autre matin, par la gare Bonaventure, il entra dans
un hôtel voisin, dont le propriélaire est canadien français. Quel ne
fut pas son étonnement de constater que le service se faisait exclusive-
ment en anglais. On aurait dit que la langue française était strictement
bannie de ces heux.
Je ne sais s'il en est ainsi au Château Frontenac, à Québec, mais
le menu du 5 février dernier que m'envoie un voyageur de commerce
semble l'indiquer. « Si les mets varient suivant les jours, écrit en marge
mon correspondant, la langue, elle, ne change jamais. Est-ce que nos
députés qui logent ici durant la session ne pourraient pas exiger des
menus français ? » Certes, oui. Non seulement ils le pourraient, mais
ils le devraient. Je leur propose bien volontiers l'idée. Je souhaite
qu'ils l'exécutent. Je serais cependant plus certain de son succès si les
voyageur sprenaient, eux aussi, la chose en main. . . Ce qu'ils ont déjà
l'action française 171
obtenu en différents endroits de la province, à Sherbrooke notamment,
ils l'obtiendront à Québec et à Montréal, s'ils le veulent.
UtI Qïticlc La chose, pour légère qu'elle puisse
du ''Correspondant'' paraître à quelques-uns,, en vaut la
peine. Plus que jamais en effet s'accré-
dite en Europe la légende que la langue du Canada, même du Canada
français, est l'anglais. Et ce sont de tels détails observés par des hôtes
de passage qui la créent. Veut-on de cette légende une nouvelle mani-
festation, toute récente ? Le Carespondant du 10 mars consacre à sir
Wilfrid Laurier, sous la signature de Miles — pseudonjone qui, depuis
le commencement de la guerre, .=ert à divers écrivains en veine de crayon-
ner des silhouettes mihtaires — un article d'une vingtaine de pages.
Or pour donner comme une couleur locale à cette étude, celui qui l'a
traduite — car elle a été évidemment écrite en anglais — va laissé un
bon nombre de mots qu'il croit \Taisemblablement en asage dans notre
province, parmi les compatriotes de sir Wilfrid. Ainsi il nous apprend
que le Great Old Man du Canada, dont le père était land survzyor, allait
souvent dans sa jeunesse chez un elder de l'Église d'Ecosse. Ses succès
commencèrent — devinez où — à la Bar! Oui, c'est écrit en toutes
lettres, dût la Ligue antialcoolique en frémir d'indignation ! Mais
voici que s'ouvre la carrière politique du « Righl Honourable Sir Wilfrid
Laurier ». 11 est nommé, dès sou entrée au parlement de Québec, où *à
cette époque le français était la langue dominante » (on remarque le
mot « à cette époque » : c'est faire entendre clairement qu'une autre
langue domine maintenant dans notre parlement provincial), il est nom-
mé pour appuj'er l'Address en réponse au discours du Trône, honneur
qui devait lui être décerné de nouveau, plus tard, à Ottawa, ayant été
choisi, dans une occasion semblable, comme seconder. Là, il est bientôt
appelé à être ministre de V Irdand Recense, et défait dans son comté,
il réussit à se faire élire dans Quchec Easi .... Voilà le comble ! La vieille
«irconscription si française de Saint-Sauveur et de Saint-Roch baptisée
d'un nom anglais, assimilée à un comté anglais, mise sur le même pied
que Toronto ou Winnipeg ! Nous pourrions continuer à enfiler de
telles perles, mais après celle-ci, nous n'avons plus qu'à tirer l'échelle. . .
et à laisser sécher notre plume.
Lb souci Ou plutôt non. Xe restons pas sur ce mauvais plat-
du détail ^* félicitons le député de Verchères-Chambly, M. Jo-
seph Archambault d'avoir fait se ressouvenir la Cham-
bre que le français est encore langue officielle dans notre pajs. Voici
172
L ACTION FRANÇAISE
comment le chroniqueur du Devoir rapporte brièvement l'incident:
« M. Arcbambault, de Chambh'-Verchères, a été plus persévérant ven-
dredi dernier, alors qu'il a positivement empêché M. Meighen d'expli-
quer vtn bill pour la raison que celui-ci n'était pas encore imprimé en
français. Il a fallu envoyer faire des recherches, et passer à une autre
législation en attendant. »
Sans doute, ce n'est là encore qu'un détail, mais comme l'a dit
éloquemment au Monument National, après l'avoir rappelé dans notre
revue, le clairvoyant archevêque de Saint-Boniface : « Le détail nous
sauvera, si nous savons le faire passer dans l'ordre des réahtés, partout,
toujours et dans toutes les sphères d'action. » Et Sa Grandeur con-
firmait ces paroles par l'exemple mêm.e de nos adversaires : « Le mode
de procéder de ceux qui tiennent à faire du Canada im pays de langue
anglaise, avec une réserve française, a été le souci du détail; c'est petit
à petit qu'ils ont réussi à détruire l'Acte de IManitoba et l'Acte des Terri-
toires du Nord-Ouest : il y a trente ans qu'ils sont à l'œuvre chez nous.
C'est petit à petit, en posant des actes avec un esprit de suite inquiétant,
et une détermination qui se laisse difficilement ébranler que, dans le
domaine fédéral, les m-êmes forces battent en brèche la lettre et encore
plus l'esprit de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord qui met sur
un pied d'égalité l'anglais et le français dans tous les domaines fédé-
raux. »
Nous aussi, «petit à petit », et par « le souci du détail », efforcer
nous de redonner à notre langue toute la place qui lui revient en terre'
canadienne.
Pierre Homier.
I
Avez-vous soldé vos arrérages?
L'abonnement à la revue est
payable d'avance.
LA VIE DE U ACTION FRANÇAISE
Elle se manifeste surtout, par le temps qui court, dans le domaine
des publications.
Notre série orange, qui comprenait déjà La Fierté et La Race
supérieure, du P. Louis Lalande, S.J., Pour l'Action françaùse et Si
Doîlard revenait . . . de M. l'abbé Lionel Groulx, La Veillée des berceaux,
de AL Edouard Montpetit, et La Valeur économi/jue du français, de M.
Léon Lorrain, s'enrichira tout prochainement de deux pubhcations
nouvelles : La Déportation des Acadiens, de AL Henri d'Arles, et
Che: nos ancêtres, de M. l'abbé GrouLx. (On sait que tous les numéros
de cette série se vendent 10 sous l'exemplaire. SI la douzaine, S8 le
cent, S70 le mille et que l'on peut grouper et mélanger les commandes,
et bénéficier des réductions afférentes au chiffre global de l'achat.
En d'autres termes, deux ou trois amis peuvent s'entendre pour com-
mander une centaine d'exemplaires, variés, de ces diverses pubhcations
et bénéficier de la réduction de 209c- Nous ferons même les expéditions
à des adresses différentes, mais il va de soi que nous ne ferons qu'une
facture et ne de%Tons avoir affaire qu'à un seul débiteur. Les frais de
port sont à la charge de l'acheteur).
La série verte ne contenait jusqu'ici que la brochure de AL Bou-
rassa : La Langue, gardienne de la Foi Elle s'augmentera, d'ici quel-
ques jours, de la remarquable étude de AL Antonio Perrault, profes.seur
de Droit à l'L'niversité Laval : Pour la Défense de nos lois françaises.
De l'a'vis de beaucoup, cette pubUcation fera date dans l'histoire de
notre défense intellectuelle. (On trouvera dans l'une de nos pages
d'annonce les conditions de vente de ces deux brochures et des li^Tes
dont il sera question plus loin).
La série bleue sera inaugurée tout prochainement aussi par la Nais -
sance d'une Race de AL l'abbé GrouLx. La pubUcation à'Au service
de la Tradition française, de AL Alontpetit, qui lui fera suite, est remise
au mois de septembre.
Le hvre de Paul-Émile Lamarche (Paul-Émile Lamarche, Œuvres-
Hommages), qui est encore seul dans la série à SI, obtient un fort beau
succès. Près de 2,000 exemplaires en ont déjà été vendus.
174 ■ L ACTION FRANÇAISE
En même temps que ces publications, nous lançons deux grosses -
éditions: Le Canada apostolique, de M. Henri Bourassa, et Les RapaU-
lages, de M. l'abbé Groulx.
Le Canada apostolique est une revue, avec faits et statistiques à
l'appui, des oeuvres de missions des communautés religieuses franco-
canadiennes. (Par suite d'une entente spéciale entre l'auteur et nous,
les commandes des communautés religieuses, des maisons d'éducation
et des évêchés dc.Tont être adressées au Devoir, et celles des libraires,
des commissions scolaires et des particuliers à V Action française) .
La réédition des Ropaillages doit être, dans notre pensée, le début
d'une grande campagne destinée à répandre dans la fovile les œuvres
d'inspiration canadienne. Deux éditions seront faites, toutes deux
portant douze illustrations inédites de Franchère et qui de\Tont satis-
faire tous les goûts. Nous prions nos amis de consulter tout de suite
la liste des réductions que portent nos pages d'annonces et de se prépa-
rer à mener ime grande campagne de propagande, dans le genre de celle
qui a si rapidement assuré le succès du dernier Almanach.
Et comme ce sera bientôt l'heure des distributions de prix, nous les
prions aussi de recommander aux commissions scolaires l'achat de celles
de nos publications qui peuvent leiu" être particuMèrement iitiles.
Qu'ils se rappellent en même temps, et qu'ils rappellent autour d'eux,
que le service de librairie de l'Action française est toujoiu-s prêt à pro-
curer à ses clients tous les bons livres dont ils peuvent avoir besoin.
Jean Beau chemin.
A VOTRE PORTE
Désireuse de fournir à ses clients le maximmn de facilités, l'Actic
française vient d'inaugiuer, pour tous les endroits desservis par messa-j
geries, le système de vente contre remboiu-sement. C'est-à-dire quej
dans tous ces endroits, ses clients peuvent jeter à la poste une simple
carte postale commandant les ouvrages dont ils ont besoin et régler
la note, plus les frais de port, siu- réception du colis. Par suite d'une
entente entre l'Action française et les compagnies de messageriesl
celles-ci perçoivent à la fois le prix de la marchandise et celui de l'ex-^
pédition. Et ainsi se trouvent épargnés une faute d'ennuis, de frais de
correspondance, etc.
Nous esiiérons que cette innovation sera particulièrement agréable
à nos clients.
NOMS FRANÇAIS DES BONBONS
ET DES BISCUITS
Nous commençons aujourd'hui la pubKcation des noms de biscuits
et de bonbons adoptés récemment par un groupe important de fabri-
cants canadiens-français réunis sous les auspices de l'Action française.
De ces fabricants les ims vont nettement substituer aux mots
anglais, employés jusqu'ici, les mots français correspondants; les autres
se contenteront de rendre leurs produits bilingues. Pour être francs,
nous préférons dans les circonstances le premier mode. Il ne s'agit
pas en effet, ici, de renseignements, de recettes utiles à connaître, mais
du nom que portera un produit manufacturé par des Canadiens français.
Laisser subsister, de façon permanente, à côté du nouveau' nom peu
connu, l'ancien très connu, n'est-ce pas risquer d'atteindre difficilement
le but poursuivi ? D'autant plas que parfois, comme nous le verrons,
la traduction n'étant pas littérale, les deux mots diffèrent sensiblement.
Quoiqu'il en soit, ce bilinguisme lui-même est im progrès sur le système
actuel et noas devons féliciter chaudement tous les fabricants qui ont
adhéré à notre mouvement.
Plusieurs espèces de bonbons et de biscuits étaient désignées
jusqu'ici par deiLX ou trois termes qui en indiquaient la composition,
ainsi Marsmallow Chocolaté Bars. Voilà, on l'avouera, un nom assez
long. On trouvera dans nos hstes la traduction de chacun de ces ter-
mes. On n'aïu-a qu'à les unir pour substituer au nom anglais un nom
français du même genre. Mais nous tendons à écarter cette sorte de
noms. En France, on remploie rarement. Il est plus élégant de donner
au produit une appellation brève et significative : Succulent, Savou-
reux, Digestif.
Quelques mots anglais se prêtent facilement à une bonne traduc"
tion ; Jumble : Gimblette; Wafer : Gaufrette; Crisps : Croquants,
etc. Nous avons adopté sans hésitation ces mots français. Pour
d'autres, la tâche est plus difficile : ils ne sauraient être traduits
Uttéralement d'une façon élégante, ou encore, mal choisis, ils ne répon-
dent pas du tout au produit. Dans ces cas, nous y sommes allés sans
scrupule. Ainsi Fhited Svgar a été traduit par Ondulé, parce que ce
176
l'action française
mot désignait bien la forme du biscuit et que plusieurs l'avaient déjà
spontanément choisi; Klondykes a été traduit PapUlottes, TU Bits
Friandises, etc. Qu'on ne s'étonne donc pas de rencontrer des mots fran-
çais qui semblent n'avoir rien de commun avec le mot anglais corres-
pondant.
Restent certains termes dont la signification originale s'est peu à
peu étendue et embrasse maintenant ime si grande variété de produits
qu'il est impossible de les traduire par un seul mot, telle l'expression
drop. Quelques marchands français les ont adoptés sans changement.
Nous ne saurions povu" notre part suivre cette poUtique qui, dans les
circonstances, nous serait funeste. Nous préférons employer différentes
expressions appropriées aux produits variés que le terme désigne, ainsi
Chocolaté Drops : Pyratnides de chocolat; Cough Drops : Pastilles con-
tre la toux ("ou pastilles noires); Drop strawberries : Fraises, etc. Par
contre, quelques mots \'Taiment francisés comme sandwich, arrowroot,
ou désignant des personnes ou des heux, comme Windsor, Oswego, etc.,
ont été conservés tels quels . il
Qu'on nous permette de terminer ces notes préhminaires par un
aveu bien franc. Dans ces questions il y a toujours place à des diver-
gences d'opinion. Poiu" tel mot, telles personnes auraient mieux aimé
une autre traduction. Leur préférence peut s'appuyer sur d'assez
bonnes raisons. Nous attirerons cependant leur attention siu: les faits
suivants :
1 ° Tous les mots que nous avons choisis sont bien français (nous
exceptons, bien entendu, ceux qui, désignant des lieux ou des personnes,
ne peuvent être changés).
2" Ils n'ont été choisis qu'après plusieurs réunions où se son-
rencontrés des hommes au courant de la langue française et des fabrit
cants représentant les intérêts de leur industrie.
3" Pour que cette réforme importante réussisse, il est nécessaire
qu'il y ait entente.
s
Après ces explications, il nous semble que les consommateur
devraient imiter la bonne volonté des fabricants. Et de même que l'un
ou l'autre se sont inclinés devant les opinions de leurs confrères, qu'ils
fassent, eux aussi, confiance au travail que vient d'accomplir V Action
française et adoptent sans récrimination les mots choi.sis.
l'action française 177
Notre liste est divisée en trois parties. La première contient des
mots communs aux bonbons et aiLX biscuits. Ils désignent ordinaire-
ment les éléments qui entrent dans leur composition : fruits, pâtes, etc.
La deuxième est consacrée presque exclusivement aux biscuits, la
troisième aux bonbons.
Almond Amande
Apricot Abricot
Arrowroot Arrowroot
Bananas Bananes
Barley Orge (Sucre d')
Beans Fèves
Burnt almonds Amandes grillées
Burnt Peanuts Pistaches grillées
Butter Beurre
Butter Scotch Beurre écossais
Cherry Cerise
Chocolaté Chocolat
Cloves Clous de girofle
Cocoa Cacao
Cocoanut Coco
Cream Crème
Currants Raisins
Fig Figues
Fruit Fruits
Ginger Gingembre
Graham Avoine (Farine d')
Honey ]Miel
Horehoimd Marrube
Jam Confiture ou Marmelade
Jelly Gelée
Jersey Lemon Citron jersiais
Lemon Citron
Maple Érable
Marshmallow Guimauve
Milk Lait
178 l'action française
Molasses Mélasse
Orange Orange
Oyster Huître
Peach Pêche
Pear Poire
Peanut Pistache
Peppermints Menthe
Pineapple Ananas
Raspberry Framboises
Rice Riz
Rye Seigle
Soda Soda
Soft Lemon Citron doux
Strawberry Fraise
Walnut Noix
Wine Vin
Wintergreen bernes Thé des bois
II
Apollo Apollon
Assorted Assortis
Balls Boules
Bars Bâtons
Boy Enfants
Cakes Gâteaux
Colonial Colonial
Columbus Colomb
Coronation Coiuronnement
Cottage Mixed Cottage, assortis
Cracknell Craquelins
Crisps Croquants
Crockets Croquettes
Cupids Cupidon
Daisy Marguerite
Dessert Dessert
Diamond Diamant
Duke Duc
l'action française 179
Empress Impératrice
Fingers Languettes
Fluted Ondulé
Impérial Impérial
Jubilee Jubilé
Jumble Gimblette
Limch Goûter
Oswego Oswego
People Mixed Mélange populaire
Precilia Précilia
Pic Nie Pique-nique
Pyramid Pyramide
Rich Riche
Rifle nuts Mélange favori
Round Rond
Sandwich Sandwich
School Cakes ÉcoUers
Snaps Croquignolles
Snow Bail Boules de neige
Social Social
Square Carré
Star Étoile
Sugar Sucre
Sweet Mary Tante Marie
Tarts Tartes
Tit Bits Friandises
Universal Universel
Vienna Vienne
Wafers Gaufrettes
Windsor Windsor
III
Bars Bâtons ou Tablettes
Black Joe Ti-Noir
Blocks Carrés
Bologna Bologne
Boston Baked Beans Fèves de Boston
180 l'action française
Bricks Briquettes
Butter cups Satinés
Chromo Rolls Bâtons avec images
Cinnamon Cannelle
Clear Toj's Jouets clairs
Cough Drops Pastilles noires
Cream Eggs Œufs à la crème
Cream Puff Dîners
Dais}' Marguerite
Drum Sticks Baguettes de tambour
Evertonia Carrés au beurre
Fancy Rock Sucre candi
Favorite Favoris
Frappé Cream Eggs Œufs à la crème
Angel Food Nourriture angélique
Humbug drops Pastilles au marrube
Jap , Japonais
Jumbo Jmnbo
Klondykes Papillottes
Lady Caramels Caramels de dames
Lozenges Losanges
Marbres Billes
Minto Favorite Mélange Minto
New York Mix Mélange de New-York
Old Fashion Vieux style
Pepper Mince Pastilles de menthe
Rock Candy Sucre candi
Rolls Rouleaux
Rosebuds Boutons de rose
Ruban candy Bonbon ruban
Slices Tranches
Snow Balls Boules de neige
Snow Bars Bâtons à la neige
Swiss caramel Caramels suisses
Tubs Cuvettes
Victoria Victoria
Whips Fouets
Whistles Sifflets
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
LES CAILLOUX ^
Prince de la Critique, allume
Ton esprit vif, ton œil profond.
Crevé ces vers avec ta plume :
Ce sont des bulles de savon.
Tel est l'Envoi de la Ballade des hvlles de savon, où M. Jean Xolin,
étudiant aux Hautes Études Commerciales, caractérise d'abord sa bal-
lade, puis un peu toute l'œuvre, irisée, fluide et gracieuse. Les princes
de la critique se sont donné bien garde de toucher ces ballons éthérés
qui montent et qui durent. Le jeune poète, comme tout débutant,
redoutait, sinon la critique, les critiqueurs, qui ne goûtent que l'excel-
lent ou même l'inexistant :
Selon toi, les jeunes ont tort
De tenter un louable effort,
Aristide.
Car leur livre ne sera pas
Un noble essai, miisun faux-pas. . .
Mais non ! La juste, l'unanime critique a sovu"i à l'alerte volume
blanc, d'un travail tj-pographique parfait, relevé encore d'élégants des-
sins. On lit avidement les quelque quarante pièces — rondels, son-
nets, ballades, triolets, quatrains et strophes diverses — , que notre
auteur de vingt ans a recueiUies et semées sur la route de sa Vie, telle
la poignée de cailloux de l'ingénieux petit Poucet. Affections famiha-
les, scènes de collège, des pointes d'épigramme, de la mélancoUe, un peu
de brume, beaucoup de soleil, un courant de sensibiUté fine, jaiUie d'un
coeur d'adolescent, voilà le fond. Traduisez-le en joUs vers, spirituels,
jamais précieux, de toutes mesures et cadences, indices d'une virtuosité
* Les Cailloux, par Jean Xolin. Imprimé au Devoir, Montréal.
182 l'action française
déjà remarquée et prometteuse de riche poésie quand elle s'appliquera
aux grands thèmes lyriques, vous avez la forme.
M. NoUn n'a pas voulu poser à l'enfant sublime : sa muse est la
Musa pedestris du ciseleur de mots que fut Horace, mais quand même
elle marche, on sent qu'elle a des ailes. EUe aime la vie, la santé, le
soleil : M. Nolin est de la race forte, il n'a rien du pâle esthète à l'œil
vide, au front jaune, à la mèche fatale, qui meurt toujours par méta-
phore. Arrière les déhquescents René ! En lisant ces vers de jeu-
nesse, on songe plutôt au Racine adolescent du parallèle fameux de
l'abbé Lecigne : « Son âme est saine, elle voit gai. Et le petit Racine
écrit des vers où passe im furtif rayon d'aube fraîche. A Combourg
(demeure de Chateaubriand) on pleure; à Port-Royal, on "sourit. A
Combourg, on s'éprend de l'âpre volupté de mourir; à Port-Royal, on
chante la jeune joie de vivre. Ici et là, on lit et on rêve, mais quelles
différences entre les rêves et les lectures. . . Là-bas, c'est le roman-
tisme qui naît dans un aspect de funérailles; ici, c'est l'art classique. . .
Deux enfants, deux httératures, deux France sont là. . . j'aime mieux
la France de Jean Racine. »
M. Jean Nolin est, lui aussi, de la race de ceux qui vivent et qui
luttent. Il rêve, sans doute, il se blesse aux cailloux gris qui font « mal
à l'âme » ; mais le bon sens guide le rêve et la folle du logis trouve à qui
parler. Il enseignait naguère à ses condisciples la beauté du Rêve et
s'insurgeait contre les abus et les contrefaçons :
. . . Rêveur ! celui-là qu'effarouche
L'instant morose des le(,.ons f . .
Ces vieillards de quinze ans, ces moules :
Des rêveurs, des rêveurs ? Jamais !..
. . . Ne jamais agir mais bâiller
En songeant à quelque oreiller
Où l'on pourrait coucher son rêve,
N'est pas rêver, c'est sommeiller !
Le vrai rêveur étudie ferme ses classiques, puis se repose en admi-
rant les coloris du printemps, le rythme de nos érables, l'or clair de nos
matins, et « les trouvailles que son labeur lui révéla ». C'est la forte
morale de La Rentrée, où l'écolier songe bien à la joie enfuie, au vert
sentier, au canot sur l'eau qui se moire, mais sans faiblesse :
l'action française 183
Oublions les fainéantises
Et n'ayons plus qu'une hantise,
Notre devoir !
Alors, gais de leur sacrifice,
— Car la joie est le bénéfice
De qui fait bien —
On voit, dès que le loquet bouge,
S'engouffrer par la porte rouge
Les collégiens.
La vie de collège, surtout pour un externe, a de bons moments,
avouons-le : et puis, on est philosophe ou poète, et les cailloux s'illumi-
nent. Un petit nouveau, égaré, pleiu:e dans le corridor : oh ! la vie !
C'est une affreuse injustice
Qu'il faille que l'on grandisse.
On devrait rester petit.
Pas de sympathie pour la vieille horloge « où toute mon enfance
dort», qui gère l'heure des cours et parfois exagère :
. . . Sans hâte, en haletant,
Très lente, elle endette le temps
Et jette, à regret, ses instants.
Le rêve se venge en traversant les vitres comme le rayon de soleil,
et pendant que le pauvre maître avive l'Histoire de Rome ou de Napo-
léon,
Chaque élève songe à demain,
Quand on s'ébattra dans la plaine,
A perdre haleine.
Le professeur exalte-t-il le bonheur grave de la science, du devoir
Et la beauté du sacrifice,
En soi-même chacun se dit
Que, si le temps se refroidit,
On s'en ira, demain jeudi.
Là où l'on glisse.
184 l'action française
C'est après de tels efforts que, de retour du repos, on ose écrire à la
fillette qui sonnait au parloir du couvent :
Nous avons beaucoup travaillé,
Beaucoup peiné, pendant la classe.
Mais de te voir là, ça délasse,
Et ça nous fait tout oublier !
Poète, vous abusez, vous aurez le sort de l'externe du Thé dansant
qui, lui, du moins, reconnaît que la classe a du bon :
Un collégien qu embarrasse
Le thé trop chaud qu'on lui donna
Se dit en lui-même qu'on a
Moins de souci pendant la classe.
Car il a peur de laisser choir
La tasse avec peine tenue
Et sera mis en rete n ue
Pour n'avoir pas fait son devoir.
Mais je me vois obligé de couper court à travers les pièces de sen-
timent plus profond, de ciselure plus fine, et de poésie plus émue : les
morceaux d'artistes. L'auteur me pardonnera de m'être attardé aux
choses du chez-nous immédiat et d'aimer trop les caiUoux blancs et les
roses : ce sont probablement les plus originaux et les plus vécus (si l'on
peut dire). L'auteur ferme son livre sur ses vingt ans, dans un adieu
à son adolescence et après quelques expressions de rêve presque sombre
qui sont le tribut à la fibre romanesque, sinon romantique.
D'un bout à l'autre, la forme est bien jolie; le vers, bien souple et
bien moderne, se prête à d'heureux effets et à d'ingénieuses combinai-
sons, à la Rostand. On est frappé de cette filiation de Rostand, du
Rostand des Musardises, de l'esprit et du clinquant, de l'inattendu des
mots, de la Muse qui marche et sautille, des beautés plutôt que de la
beauté. C'est le moins rccommandable à imiter. Infiniment mieux
vaut l'autre, le Rostand avec un grand R, comme dirait Maurras; celui
de la Musc qui plane, le professeur d'héroïsme et d'envol, le créateur
de Cyrano, de Flambeau et du Coq gaulois, le Français à l'âme corné-
lienne qui vivra en dépit de son vers curieiLx, fantaisiste, maniéré, trop
spirituel, un peu précieux et parfois de mauvais goût, qui passe en con-
trebande à la faveur du panache.
l'action française 185
Xon, ]\I. Xolin, si naturel, si ennemi de l'effet, devra lui laisser les?
mots ingénieux, mais pas encore français : L'air s'enchaleure, le regard se
mélanœlise, musardiser, le tomber des feuilles; il n'y en a que quatre.
De même, la coupe ternaire ne supprime pas l'hémistiche dans l'alexan-
drin, et la dislocation du vers a des Hmites. Soyons de la meilleure
époque, de la plus belle France, et ne jouons pas au peuple \'ieux : les
Français en seraient marris, tout les premiers. Qu'attendent-ils de
nous?
« Que les jeimes Canadiens ne cisèlent pas trop, écrivait M. Ar-
nould en 1908; qu'ils ne jouent pas au peuple vieux, eux qui sont si jeu-
nes, et que, d'un franc essor d'imagination, ils nous donnent au plus
tôt, s'il plaît à Dieu, une troisième saison poétique qui tiendrait des deux
premières en les échpsant, et qui nous ferait, noas, battre des mains. »
En 1912, au Congrès de Québec, M.duRoure nous demande des écri-
vains régionaUstes qui chantent notre nature d'hiver et d'été, notre
histoire de luttes et de foi, nos traditions parfumées de vieille France
et de Canada jeune.
« Le Saint-Laurent n'a pas inspiré les vers dont il est digne, nous
crie à son tour M. Ch. ab der Halden. Pareille à l'hirondelle des Mille-
Iles, ne cherche pas les lointains paj's. Xe nous promène pas en Espa-
gne, en Italie, en Égj-pte. . . Observe la vie des habitants au miUeu
desquels tu naquis. Dis-moi les splendides paysages du pays natal,
fais chanter l'âme de tes compatriotes. . . Dans la peinture de ta patrie,
tu sauras mettre ce qui ne vieillit pas, le quelque chose qui nous permet
d'être émus par un vers de Racine après deux cents ans, ou de Sophocle
après deux miUe. Mais laisse les chiffons qui sortent de nos magasins
de nouveauté, . . et va. Canadienne aux joHs yeux doux, va boire à
la claire fontaine ! »
M. Xolin est dans le mouvement, il désire une httérature à noas.
Son coup d'essai lui permet des aspirations de maître. Quelqu'un a
dit que la httérature allemande contient « peu d'esprit et beaucoup de
consonnes ». M. Xolin a donné peu de vers et beaucoup d'espérances.
Il manie facilement le rythme, il sait voir et sentir, il est magnifique-
ment équihbré, qu'il se frappe le cœur ! Qu'il sorte du cercle intime,
qu'il chante les grandes choses, les grands thèmes IxTiques, notre na-
ture incomparable, la patrie d'aujourd'hui, de demain et d'hier, cette
histoire « écrin de perles ignorées, » l'humanité, la foi, Dieu, le Beau,
source de toute beauté. M. Xolin aime la nature, les champs, le pays;
186 l'action française
il emploie ses vacances à s'imprégner des parfums rudes du terroir, à
vivre chez nos gens de vieille souche.
Que le bruit de la ville a tué de pensers !
Hélas ! que de grands cœurs, boulevards, sont passés
Sur tes âpres trottoirs où le poète plie !
Le poète ne s'illusionne pas sur la Ville qui a pris Verlaine et Nel-
hgan; s'il n'a que peu touché la campagne, c'est qu'il redoutait le con-
venu, l'artificiel et qu'il attend d'avoir fait plus ample connaissance
pour la chanter non dans des chants qu'on cherche, mais « qu'on reçoit
du sol natal comme vme sève ». D'aiUeurs, la pièce des Clôtures,
sincèr et forte, nous est un garant des efforts prochains.
Que M. Nohn donc, qui se spécialise dans le haut commerce, s'ap-
plique à fournir ce qui est en demande toujours croissante sur le marché
Uttéraire français; que sa virtuosité ne se complaise pas aux joUes rimes,
« ces bijoux d'un sou » ; qu'elle soit l'aiguille d'or qui fasse passer le fil
solide. Qu'il soit nôtre comme Paul Harel est de Normandie, Verme-
nouze d'Auvergne, et Botrel de Bretagne. C'est un Français, Louis
Hémon, qui a écrit le roman le plus canadien, « Maria Chapdelaine » ;
laisserons-nous à d'autres la tâche d'exalter le lyrisme de nos héros et
de nos œuvres? Les Rapaillages et Chez nous ne trouveront-ils pas
bientôt leur équivalent en vers ? . . .
Alexandre Dugré, S. J.
LES SYNDICATS CATHOLIQUES, UNE DIGUE CONTRE LE
BOLCHÉVISME '
Le R. P. Archambault a réuni, sous ce titre, trois études sur
l'organisation des ouvriers catholiques. Deux de ces études ont été
publiées déjà, l'une en 1911, l'autre en 1913; la troisième est inédite,
croyons-nous. Le but que l'autciu: se propose, c'est d'éclairer les
esprits sur ce que doivent être, dans un pays comme le nôtre, les unions
' Les Syndicats Catholiques, une digue contre le Bolchévisme'
par le R. P. Joseph-Papin Archambault, S. J. ( Editions de La Vie
Nouvelle. Prix : 35 sous.)
l'action française 187
ouvrières. Question de grande importance et de grande actualité,
comme on sait. « Combien parmi nous, dit-il, ont du sjoidicalisme une
idée exacte? Combien conçoivent l'association ouvrière, non comme
un instrument de révolution, mais comme un organisme sain que peut
\'ivifier l'esprit surnaturel ? . . . Soyons francs. L'idée catholique
sociale n'est pas claire dans nos esprits. Aussi elle ne façorme pas nos
mentalités, elle n'affermit pas nos actes. Nous hésitons, nous chance-
lons même devant le premier problème que soulève la question ouvrière,
incapables, semble-t-il, d'appliquer, parce qu'insuffisamment comprises,
les décisions pourtant si nettes de Rome. » Au Canada, même dans la
province de Québec, l'on est volontiers partisan des associations inter-
confessionnelles et neutres, où les cathohques doivent s'interdire de
raisonner en catholiques, où ils n'ont, comme cathohques, aucune
influence sur la direction générale ou sur les décisions immédiates,
bien qu'ils fournissent leur nom, leur nombre et leur argent. Et cepen-
dant la doctrine de l'Éghse sur ce point est claire et précise : c'est à
l'association confessioimeUe que les catholiques doivent tendre. Ce
genre d'association est réalisable : l'exemple des cathohques de Hollande,
proposé dans le deuxième chapitre, suffirait à nous en convaincre. Dans
des conditions plus difficiles que celles où nous sommes, les associations
professionnelles cathohques sont nées et se sont développées dans ce
pays. Dans son troisième chapitre, l'auteur nous fait connaître un
mouvement analogue qu se répand dans notre province. Déjà
vingt-sept groupements, représentant plusieurs milliers de travailleurs,
se sont unis avec un programme franchement cathohque. Ce mouve-
ment doit grandir. Aucim citoyen ne peut se désintéresser aujourd'hui
de l'organisation ouvrière : il y trouve im appui nécessaire ou un danger
menaçant. Seules les associations cathohques sauront protéger
l'ouvrier sans menacer le patron. Les patrons cathohques, plus que
tous, ont donc intérêt à favoriser ces associations. Les ouATiers, tous
les ou\Tiers, ne peuvent que gagner à leur diffusion. Ce sera là, sou-
haitons-le, la conclusion des nombreux lecteurs de ces pages sobres,
claires, essentiellement pratiques.
A. D.
Ajoutons que S. É. le Cardinal Bégin a bien voulu adresser au
R. P. Archambault, le 22 avril courant, la lettre suivante :
Révérend et cher Père,
J'ai pris connaissance de votre belle brochm-e siu" les Syndicats
188 l'action française
catholiques qui doit paraître ces jours-ci. XuUe publication n'est
jamais venue plus à son heure.
La vague socialiste qui menace de submerger l'Europe, déferle
jusque sur notre pajs. 11 est souverainement important de grouper
nos ôu^Tiers catholiques dans des organisations ou\'Tières catholiques
au lieu de les laisser s'eruregimenter dans les cadres d'associations basées
sur de faux principes, et qui ont le tort fondamental d'ignorer ou de
négliger, dans la question sociale, le côté moral et religieux. Vous
rappelez très opportunément à ce sujet les enseignements et les direc-
tions de Pie X.
Déjà notre presse cathohque, dans de très bons articles que j'ai
été heureux de Ure, a jeté le cri d'alarme. Votre opuscule, mon révé-
rend Père, apportera à cette campagne mi concours précieux. Il dira
avec quels succès des unions cathoUques ouvrières ont pu se constituer
dans certains pays d'Europe, et dans notre province de Québec, à
Chicoutimi, à Trois-Rivières, à Montréal et dans mon diocèse où ce
travail d'organisation s'est fait surtout par l'intelUgence et le dévoue-
ment d'un prêtre très compétent, 'SI. l'abbé Maxime Fortin, auquel vous
rendez un si juste hommage.
Agréez donc, mon Révérend et cher Père, mes sincères féUcita-
tions, en même temps que l'assurance de mes sentiments les plus
dévoués.
L. X. Cardinal Bégin, arch. de Québec.
LE DROIT PAROISSIAL DE LA PROVIXCE DE QUÉBEC i
La paroisse canadienne-française est en soi une communauté
extrêmement intéressante. Elle a ses coutumes, ses lois, son organisa-
tion définies. L'étudier, codifier ses lois, noter ses coutumes, montrer
comment elle se fonde, comme elle s'administre, comment elle se
perpétue, cela n'est-il pas d'excellente action française, au sens le i)lus
large de la chose ?
Un jeune homme de chez nous, ^l. Jean-François Pouhot, inscrit
au barreau du district de Kamouraska, vient de pubher sur le droit
paroissial de la province de Québec un ouvTage de plus de 625 pages où
' Le Droit paroissial de la province de Québec, par Jean-François
Pouliot, avocat. L'Imprimerie « Le Saint-Laurent », limitée, Rivière-
d u-Loup (en bas).
l'actiox feaxçaise 189
Il a groupe avec clarté, justesse, précision, l'historique de la paroisse
en France, celui de la paroisse au Canada, des notions sur la liberté
des cultes, toute une série d'études sur les biens ecclésiastiques, leur
acquisition, leur administration, ainsi que sur l'évêque, le curé, ses
droits, civils et politiques, ses attributions, et le reste. A cela, il a
ajouté des chapitres sur la fabrique, ses actes, les marguilliers, la pa-
roisse, les assemblées de paroisse, les édifices religieux, les bancs, la dîme,
le respect du dimanche et sur d'autres sujets qui tiennent de près à
cette cellule sociale qu'est la paroisse de chez nous. Un formulaire du
droit paroissial, par un praticien expert en ces matières, ]\I. Wilfrid
Camirand, avocat au barreau de Nicolet, ime remarquable lettre de
Mgr Paquet, ime introduction de M. Ernest Lapointe, député de
Kamouraska et confrère de l'autem- au barreau de la Rivière-du-
Loap, une lettre-préface de Mgr Mathieu et des appendices précieux
complètent l'ouvrage, fort bien présenté, du point de vue typographi-
que, par l'Action Socid^e Catholique, aux ateliers de laquelle le volume
a été imprimé.
L'auteur de ce beau travail sur notre droit paroissial a déjà publié,
il y a quelques années, le A'onveau Code Municipal annoté; il paraît
vouloir employer son temps à présenter aux avocats, aux hommes de loi,
au pubUc éclairé, toute une série d'ou\Tages sur notre droit. Il peut
difficilement faire œuvre plus méritoire que de nous éclairer sur la
valeur de nos institutions et de nos lois.
Son ouvrage sur le droit paroissial lui a déjà valu les comphments,
l'approbation, l'encouragement des esprits dirigeants de notre clergé,
de nos praticiens et d'un grand nombre de citoyens de chez nous. Nous
prenons plaisir à le signaler aux lecteurs de V Action française dans l'idée
qu'ils ne doivent pas ignorer cette nouvelle manifestation de l'esprit
qui est leur, ce nouveau jalon posé le long de la route où progresse leur
belle œuvre.
G. P.
RÉCITS LA URENTIENS
Nous recevons, au moment de fermer cette livraison, les
Récits laurentiens du R. F. Marie-Victorin. Nous en parlerons dès
le mois prochain.
TRIBUNE DE NOS LECTEURS
POUR LA SAINT-JEAN-BAPTISTE
Voici que bientôt les mois d'été ramèneront la fête de Saint-Jean-
Baptiste et les longues files d'automobUistes étrangers. Proposons-
nous donc de célébrer remarquablement le premier Patron et de rece-
voir convenablement les visiteurs.
La Saint-Jean-Baptiste passe trop inaperçue dans les trois-quarts
de nos paroisses rurales. On a tort de ne pas profiter du 24 juin pour
insuffler ime bonne leçon de patriotisme à notre peuple et surtout aux
nombreux enfants qui partiront peut-être demain pour les usines améri-
caines, préoccupés du seul intérêt pécuniaire. Alors que nos puissants
voisins s'exaltent et se chauffent à blanc, le 1er ou le 4 de juillet, alors
que les uns jurent de nous écraser et que les autres, ne nous voyant
même pas, escomptent les splendeurs toujours plus grandes de l'avenir,
nous, les faibles, en proie à la défection, au coulage et à la routine, nous
ne ramasserions pas nos forces, nous ne stimulerions pas nos rares ba-
taillons à soutenir la lutte un contre quarante, nous ne mettrions pas
nos sans-grade, tous ces volontaires de la cause, qui ne demandent qu'un
mot d'ordre, nous ne les mettrions pas au courant des dangers qui les
menacent, des efforts qui les attendent, du but où ils doivent viser, du
sommet où ils doivent parvenir ? Nous ne leiu- dirions pas qu'ils doi-
vent sauver lem-s enfants de la mortalité infantile et plus tard de la
tuberculose ? Nous ne les instruirions pas de la manière d'établir leurs
grands garçons sur des terres neuves, sans jamais les laisser venir à
Montréal ou s'exiler aux États-Unis? Nous ne lewc dirions pas les
périls de corps et d'âme qui guettent leurs filles tentées de s'engager
comme servantes, coutiu-ières ou commis dans les grands centres ? Nous
n'enseignerions pas à faire la Nouvelle-France toujours plus belle en
améliorant les vieilles paroisses, et toujom-s plus grande en colonisant
ces terres, grandes comme la France, que sont les millions d'acres de
l'Abitibi, de la Matapédia et de la Gaspésie? En un mot, nous ne
crierions pas à nos gens qu'ils ont tons un devoir national à remplir et
que si tous font Iciu" part, depuis les députés et ministres jusqu'au der-
nier laboureiu-, la patrie sera grande et prospère, selon le proverbe :
« Si chacun balaie devant sa porte, toute la rue sera nette ? »
Organisons donc la célébration de la Saint-Jean-Baptiste dans tou-
tes les paroisses. Ce n'est pas nécessaire d'échafauder laborieusement.
l'action française 191
des chars allégoriques : une messe solennelle, le matin, avec sermon par
quelque prêtre du collège voisin en vacances; l'après-midi, chants natio-
naux par les enfants des écoles, discours patriotiques et pratiques par
des orateurs du cru et par d'autres, s'il le faut, auxquels on aura deman-
dé de parler sur tel ou tel sujet précis afin d'éviter les redites et les phra-
ses creuses : Patriotisme éclairé, Colonisation, FidéUté à la Terre, Ame
française, Correction du langage. Zèle pour l'Éducation, Mise en garde
contre certains fléaux, routine, désertion, luxe, etc. Voilà autant de
sujets sur lequel il faut toujoiKS entretenir l'âme populaire, si l'on veut
qu'elle s'intéresse à la Cause et qu'elle accomplisse sa tâche.
Il pourrait encore y avoir des jeux, des courses d'enfants, des con-
cours sportifs, même entre deux paroisses voisines. Quelqu'un suggé-
rait naguère vme distribution des prix, pour toutes les écoles de la pa-
roisse, à faire dons l'église, ce qui serait une glorification, une consécra-
tion de l'étude, et un touchant symbole de notre éducation tout impré-
gnée de foi. Les drapeaux flotteraient dans le sanctuaire parmi les
images saintes, et les couronnes de feuilles d'érable des élèves les plus
méritants seraient ensuite offertes à Dieu pendant une bénédiction du
T.-S.-Sacrement, comme cela se pratique, je crois, au collège Sainte-
Marie.
Que la Saint-Jean-Baptiste se célèbre d'une manière ou de l'autre,
peu importe, pourvu qu'elle ne passe pas inaperçue et qu'on y fasse
l'éducation du patriotisme. Mgr Langevin répétait souvent : «Avant
« mon arrivée à Saint-Boniface, j'ignorais ce que c'est que le patriotis-
« me. » Trop de nos artisans et laboureurs qui ont gagné les plaines
de l'Ouest ou les usines américaines ne l'ont jamais su, et se sont dé-
plorablement assimilés, faute d'avoir été mis en garde et de savoir l'émi-
nente valeur de leurs ascendances françaises. L'annuelle fête patrio-
tique est là pour ancrer nos convictions : qu'on la célèbre partout, et
qu'on fasse paraître dans les journaux tous les rapports de ces manifes-
tations, qui ne manqueront pas d'être touchantes et originales en beau-
coup d'endroits, et qui seront une sonnerie de clairon partout.
*
* *
L'autre point que je voudrais signaler brièvement regarde l'accueil
que les étrangers doivent trouver chez nous, particulièrement chez notre
jeunesse. Walter Scott a dit qu'il e:uste entre les jeunes gens de tout
pays une sorte de franc-maçonnerie, disons plutôt une sorte de frater-
nité secrète qui établit vite la bonne entente et l'amitié. Nous
voyageons un peu dans les provinces maritimes, l'Ontario et l'Ouest:
profitons donc des rapprochements de tables d'hôte, de chemins de fer,
192 l'action française
de promenade, pour ouvrir les idées et les cœurs trop fermés à notr^
égard. Un cigare bien placé commence l'œuvre d'apostolat, une pa"
rôle souriante ou ferme — jamais de discussion acerbe — une invita-
tion à venir dans Québec, une rectification sur le patois canadien, la
domination cléricale, etc.; parfois de simples points d'interrogation
feront jaillir des doutes et briseront cette croûte de préjugés dont
on nous écrase.
Recevons aimablement ceux qui viennent ici. Je sais bien qu'à
peu près partout les visiteurs ne recueillent que d'excellentes impres-
sions, les comptes-rendus de voyage en font foi ; mais il suffit de quelques
rares taches pour briser le charme. Que tous nos villages, du long des
routes provinciales siu-tout, soient bien propres, que les parterres, les
gi'anges, les cours, les parcs soient bien entretenus; que les enfants et
les autres à qui l'on demande des renseignements ne se montrent paS
rébarbatifs ou timides à l'excès. . . Un rien attire ou choque des obser-
vateiu-s de passage.
Quant à ceux qui viennent passer des semaines à nos stations bal-
néaires ou dans nos campagnes pour apprendre le français, c'est auprès
d'eux surtout qu'on peut exercer une action heureuse. Si les Français
de France se préoccupent de se gagner les étudiants étrangers, que ne
devons-nous pas faire ici, où nous avons tant besoin d'être sympathi-
quement connus ?
M. Ernest Lavisse exprimait naguère cette mission de la jeunesse
française : « Si j'étais étudiant, comme je ferais la cour aux étudiants
étrangers ! je serais aimable avec eux jusqu'à la coquetterie. Je leur
ferais les honneurs de la bonne hospitalité française. S'ils vivent entre
eux, comme ils font d'ordinaire, je trouverais bien moyen d'aller jusqu'à
eux et de leur faire aimer ma compagnie. Puis je les attirerais dans les
groupes français, je les égaierais au contact de notre gaieté. Je leur
parlerais de leur pays et du mien, des choses qu'ils voient et qu'ils ne
voient pas en France. Je plaiderais devant eux notre cause, et je la
gagnerais. »
Ne serons-nous pas nos avocats, nous aussi ? Qui ne sait que l'au-
teur du « Clash » est un ami de cœur de M. Sam Genest, le lutteur
d'Ottawa ? Quelle n'est pas l'importance d'avoir des défenseurs, même
plus modestes, un peu partout ? Si dix mille Canadiens-français se don-
naient la tâche annuelle de conquérir chacun une amilié ontarienne,
américaine ou autre, nous aurions bientôt i)artout des légions de défen-
seurs, véritables artisans do bonne entente. La chose ne vaut-elle pas
la peine d'être tentée 'f* Yves.
l'Action phatjçaise
MAI 1919
Les Précurseurs
EDMOND DE NEVERS
De sa main, déjà livide en la pâleur de la mort appro-
chante, de Nevers écrivit dans son carnet intime la traduc-
tion de ce poème italien :
Quand je serai mort et que tu viendras
Chercher ma croix au cimetière,
Dans un coin ignoré tu la trouveras peut-être
Et mille fleurs seront nées autour d'elle.
Cueille alors pour tes blonds cheveux
Les fleurs nées dans mon cœm",
Ce sont les poésies inspirées que je n'ai pas écrites.
Peut-être quelques âmes, conduites par l'amitié vers
ie souvenir, songent-elles parfois à certains côtés inexprimés
le son esprit. Se rappelant la bonté dont il s'était fait une
ègle de vie, le tour particulier de son talent si sensible aux
"ormes chantantes du verbe français, elles laissent leur ima-
rination former des gerbes de fleurs, — poèmes que de
S^evers voulut écrire, mais qu'il ne publia point. Pour
lous qui recherchons chez quelques-uns de nos compatrio-
es des pensées directrices, c'est à sa prose que nous nous
rrêtons. U Action française y trouve des réflexions, des
lées, demeurées opportunes et dont l'élévation, la jus-
esse, la longue portée font à de Nevers figure de précur-
:'ur.
Pour donner à son œuvre la durée, il la coula en un
loule de marque supérieure. « Ses ouvrages fortement
ocumentés, remplis d'observations judicieuses, l'ont placé
Li premier rang de nos écrivains canadiens », prononce
Ijl. III, No 5
194 L ACTION FRANÇAISE
M. l'abbé Camille Roy. Henri d'Arles, ciseleur émérite
de la phrase française, le classe dans « la grande lignée des
voyants et des penseurs ». Il lui trouve des affinités par-
ticulières avec Montesquieu, Fustel de Coulanges, Tocque-
ville. Ces critiques de chez nous renferment plus et mieux
que leur indulgence. M. Louis Arnould, qui dit n'avoir
appuyé ses jugements que sur la justice, qualifie de Nevers
« d'éminent publiciste ». S'il n'eût pas été de cet avis,
Ferdinand Brunetière aurait-il consacré, dans la Revue des
Deux Mondes, à VAme américaine, une étude en somme sym-
pathique? Pour atteindre à ce résultat, de Nevers s'est
livré à un labeur opiniâtre. Il a persévéré parce que l'amour
intense de sa race l'animait. Par ce côté de sa vie, il doit
servir d'exemple. En un temps où tant de professionnels
remplissent de futilités maintes heures de leur vie, où foule
de jeunes gens gaspillent leur vigueur et croient accomplir
leur devoir à passer les trois-quarts de leurs journées et de
leurs nuits dans une mondanité fiévreuse ou une monotonie
vide, il n'est pas mal de rappeler le souvenir de de Nevers.
Il peina pour cultiver son esprit et, en dépit de la réalité
douloureuse et déprimante d'une maladie de quinze ans,
il lui fit produire une œuvre remarquable.
Sa vie a tenue en moins de 44 ans (né à la Baie-du-Feb-
vrc en 1862, décédé à Central-Falls, Ê.-U. le 15 avril 1906).
Au séminaire de Nicolet où il étudie de 1873 à 1879,
ses professeurs sont frappés de l'originalité de son carac-
tère, de l'étendue et de la vigueur de son talent. Il est du
nombre des élèves qui, repoussant comme maître l'amour
persévérant du travail, oscillent entre le premier et le der-
nier rang selon qu'ils daignent ou non étudier. En rhéto-
rique, son père lui annonce que c'est sa dernière année de
collège. De Nevers se ressaisit. Il devient le premier
do sa classe, étudie, entre temps, la philosophie et les scien-
LACTIOX FRANÇAISE 195
ces. A la fin de l'année, le succès à ses examens lui gagne
un certificat d'étude. A Trois-Rivières, où il fait son droit
en suivant l'étude de Mtre Hould, il retombe dans son in-
souciance ancienne. « Je me lève à neuf heures, écrit-il,
je me rends au bureau, je dessine le portrait des plaideurs,
je regarde passer les jeunes filles, je joue du violon, je passe
la soirée auprès d'un piano. )) Il s'éveille six semaines
avant l'examen final. Ce court temps est encore assez
long pour qu'il obtienne le titre d'avocat. Les premières
années de sa vie professionnelle sont faites de nonchalance
et de mélancolie. Il débute (( en se couchant sur le Ht de
l'indifférence », avoue-t-il. Le salut vient en 1888 quand
il part pour l'Europe. C'est l'éveil de l'esprit. La période
fructueuse commence. ^
Cette histoii'e, banale en apparence, est pleine d'en-
seignement. Demeuré ici, de Nevers eût été avocat comme
tout le monde. Son talent, borné par les petitesses du
métier, se serait étiolé. Combien de jeunes hommes aux-
quels il ne manque qu une occasion pareille pour s'adonner
à une action féconde et accomplir une œuvre de haute va-
leur. Il ne suffit pas de traverser les villes européennes
pour devenir grand homme. Mais celui qui y est prédis-
posé, trouve là du moins une lumière, une méthode, une
disciphne de l'esprit qu'il cherchera en vain en ce pays.
L'idée d'un séjour en Europe hantait de Nevers depuis
longtemps. Étudiant en droit, il notait : « Si j'eusse eu
S50.00 je partais pour l'Emope chercher des sensations
et d'autres points de la vie. . . Quand je serai reçu avocat,
je traverserai l'océan. » C'est en songeant sans doute à
^ Nous avons emprunté ces détails biographiques à un article paru
dans Le Soleil de Québec, le 29 avril 1906. L'auteur qui signe Mémo,
dit avoir été l'intime ami de de Nevers et l'avoir suivi tout le long de sa
carrière.
196 L ACTION FRANÇAISE
ce voyage que le 25 novembre 1879 il écrivait : « Il me fau-
drait une vie agitée, n'importe de quelle manière, il fau-
drait un but cher à ma volonté, mais je suis indifférent à
tout. »
A l'ombre des universités et des bibliothèques de Vien-
ne, de Londres ou de Paris, ses énergies se canalisent. Elles
se font ardentes, persévérantes. Son désir de sensations,
de vie agitée, se change en une ténacité admirable à l'étude.
Il aperçoit enfin le but cher que sa volonté réclamait, c'est
le service total de sa race. Il est allé en Europe pour dé-
couvrir le Canada. Dans les verrières des cathédrales
de Cologne et de Notre-Dame de Paris, se reflètent les clo-
chers des égUses québecquoises, et les fleuves qu'il descend
le font rêver des rives lam'entiennes. Son séjour en Europe
développe, affine son sens patriotique. Quelles occasions
pourtant il eut de le perdre ! De 1888 à 1889 il étudie à
Berlin où il suit les cours de l'historien Mommsen. Il sé-
journe à Vienne et à Rome, à Florence et à Naples, à Ma-
drid et à Lisbonne. Il apprend, au com's de ces visites,
l'allemand et l'italien, l'espagnol et le portugais. Et, à
part six mois vécus à Londres, il demeure sept ans à Paris
où il fait du journalisme à l'agence Havas. Si ce mélange
de littérature allemande et anglaise, italienne et française,
fait gagner en variété et en couleurs à sa façon de penser
et à sa manière d'écrire ce qu'il leur enlève en unité et en
cohésion, admirons-le du moins d'avoir conservé, en dépit
de ses pérégrinations et de tant d'impressions diverses,
un amour si ardent pour le petit peuple canadien-français,
laissé là-bas au pied des Laurentides. Il n'a vécu que pour
sa race. Toutes ses pensées s'y ramènent. Son œuvre
entière n'a pas eu d'autre objet que de la servir. Et que
de sacrifices il lui a joyeusement consentis. Laborieux,
solitaire, il étudie, avec l'unique ambition d'être utile à
L ACTION FRANÇAISE 197
ses compatriotes. Dans ses lettres intimes, il revient sans
cesse sur ce thème. Il insiste sm* son dessein de devenir
une compétence, de se mettre en état de « mener à ]VIont-
réal une vie de travail et de dévouement à la cause cana-
dienne-française ». « Depuis la date de ma dernière lettre,
écrit-il de Londres, je n'ai pas eu occasion de causer avec
qui que ce soit, pas un traître mot. Ma solitude a été ab-
solue. Je me trouve très heureux cependant. Je pense,
j'écris, je rêve : je pense au pays, à son avenir, je forme des
projets patriotiques »... Et de Paris le 28 septembre
1899 : « Je suis au centre du monde, tout au milieu de la
grande scène sur laquelle se portent les regards irrités d'une
partie de l'univers. Mon logement est en face de Notre-
Dame. A ma fenêtre, tous les soii's, je contemple la tour
de Quasimado. Je suis certainement le plus solitaire et le
plus silencieux des trois millions d'habitants de Paris. La
solitude dans laquelle je vis ne serait pas plus profonde dans
les forêts du Saint-Maïu-ice ou de l'Ottawa. . . Ma santé
a décliné continuellement depuis dix ans sans aucune in-
terruption. . . Je prends mon mal en patience, je me cou-
che vers neuf heures et je me dis : allons, souffrons !. . .
A huit heures, je me lève, fais une heure de violon, puis
je prends ma plume et je travaille tant bien que mal jus-
qu'à une heure. L'après-midi, je vais généralement à la
bibUothèque. . . De sept heures à huit heures, je fais une
promenade autour du jardin du Luxembourg. » ^
Ce genre de vie le tue peu à peu. Dans une lettre adres-
sée à Françoise, il avouait que l'Ame américaine avait abrégé
1 Nous devons à l'obligeance de M. le docteur J.-M. Brisebois,
de Longueuil, d'avoir eu la bonne fortune de lire les lettres qu'il reçut de
de Nevers et d'en pouvoir citer quelques extraits. Nous tenons à lui
exprimer ici notre gratitude. Quelques-unes de ces lettres sont pré-
cieuses par le jour qu'elles jettent sur le caractère de de Nevers et les
jugements qu'elles contiennent sur quelques-ims de nos compatriotes.
198 L ACTION FRANÇAISE
sa vie de moitié. Pour imprimer 770 pages il en écrivit
6,000. Il lut et feuilleta 2,000 volumes. Le livre paru,
la veille de son départ de Paris, il apprit que depuis dix ans
il souffrait d'une maladie dont la guérison était impossible.
« Je ne regrette rien », se contenta-t-il de conclure. Et
pourquoi tout ce labeur ? Faire une œuvre utile à sa race.
Ses livres publiés, il rêve de se fixer à Montréal, de faù-e
profiter notre province des lumières acquises au prix de tant
d'efforts. Il souhaite occuper une chaire universitah-e et,
à défaut, donner des com's libres. Son destin était autre.
Revenu d'Europe, il recueille la position d'Arthur Buies,
à SI, 000. 00 l'année. Son sentiment patriotique le tient
toujours. PubUciste attaché à un ministère de Québec,
il songe à « préparer des Uvres de lecture pour les écoles
dans lesquels il mettra sous une forme très simple, beau-
coup de conseils patriotiques et pratiques ». La maladie
l'en détourne. Elle l'amène au recueillement. Il meurt
après avoir réveillé en lui, disent ses biographes, le croj^ant
endormi. ^
Si sa vie trop courte ne lui permit pas de faire l'action
extérieure qu'il rêvait, il a laissé du moins un enseignement
qui, grâce à ses écrits, a élargi le champ de son influence
et la fera durer. A peine a-t-il fréquenté les universités
européennes et connu hommes et choses qu'il veut noter
ses impressions. Son ambition embrasse tout, prose et
poésie, études ethnologiques et romans. Dès 1893, sa
correspondance nous le montre occupé à la rédaction d'un
roman, Horizons lointains. Il ne devait pas paraître, pas
' Sa vie dont nous n'avons pas reçu la pleine mesure fut bonne,
et sa mort fut celle d'un chrétien et d'un juste, nota M. l'abbé Camille
Roy (Le Soleil de Québec, 20 avril 1906).
L ACTION FRANÇAISE 199
plus qu'un autre roman, L.-B.-Z. Chamard, l'illustre tribun,
étude de mœurs qui, selon la promesse qu'en faisait de Ne-
vers, devait « fouter un coup aux politiciens ». Il veut
écrire des souvenirs de voyage, un volume de poésies, L Éter-
nelle nostalgie, qu'il divisera en deux parties : Loin des
champs, Loin des cités. Il songe à traduire un roman aus-
tralien de Marcus Clarke. De toute cette ébullition lit-
téraire, il devait rester, — à part quelques conférences,
maintes correspondances aux journaux et la traduction
d'un ouvrage de Matthew Arnold, — deux œuvres essen
tielles : l'Avenir du peuple canadien français et l'Ame amé-
ricaine.
Ces ouvrages se ramènent à un sentiment unique^
l'amour du peuple canadien français, à une idée centrale,
contribuer à la grandeur de cette race. C'est ce qui en fait
l'unité et l'intérêt durable. De Nevers n'a même entrepris
l'étude de l'Ame américaine et écrit à ce sujet un livre,
(( l'un des plus intéressants qu'on ait publiés depuis long-
temps sur l'Amérique )), reconnut Brunetière, que parce
qu'il considérait urgent à ses compatriotes de scruter le
passé et le présent de la république voisine afin d'en prévoir
l'avenir. C'est en se répétant que « les destinées des
États-Unis sont d'une importance suprême pour nous,
Canadiens français », qu'il entreprit ce grand ouvrage.
Ses aperçus, ses observations, aideront à se guider ceux qui
rechercheront l'effet que la participation des États-Unis à
la guerre et à la signature du traité de paix, aura sur l'orien-
tation des divers éléments qui ont formé l'âme américaine.
Loin de vieillir, ses jugements renferment des données dont
devront toujours tenir compte les historiens de la patrie
de Washington. Mais si remarquables que soient ces deux
volumes, c'est à son premier ouvrage, encore plus chargé
200 L ACTION FRAiSrÇAlSÏÎ
d'intérêt pour les Canadiens français, que nous bornerons
cette étude.
A peine rendu en Europe, il songe à dire à ses compa-
triotes ce qu'il pense d'eux. Attiré par les études ethnolo-
giques, occupé à rechercher l'origine des peuples et les causes
de leur évolution, de leur grandeur ou de leur déchéance, il
arrête de préférence son attention sur l'un d'eux, petit,
le nôtre. Les leçons de notre passé, les lacunes du présent,
l'amènent à rechercher ce qu'exige l'avenir. Son amour
patriotique le porte à faire mieux que de rouler en son
esprit des idées sur l'excellence de sa race. Il les exprime,
devinant que ses compatriotes décou\Tiront, à méditer ses --
pensées, des motifs d'action. Il publie à Paris, en 1896,
V Avenir du peuple canadien français. S'il s'est plu à
l'écrire, si ces pages, à mesure qu'il les rédigeait, lui sem-
blaient contenir plus d'idées que n'en renferment d'ordi-
naire les livres de chez nous, au point qu'il craint qlie le ton
ne nous apparaisse trop philosophique, il se déclare déçu dès
que le volume est imprimé. « C'est une balançoire »,
s'écrie-t-il. Volontiers, il ferait le geste de maints auteurs,
il brûlerait son œuvre. Il fera mieux, il la revisera. De la
première édition, promet-il, il ne restera pas cinquante
pages. Seule cette refonte sera li\'Tée au public. Ce projet
ne fut pas exécuté. Et il n'est resté que la première édi-
tion que de Nevers ne destinait pas au commerce, mais
qu'il réservait à quelques amis. Une seconde édition
n'eût pas nui à sa gloire littéraire. Il eût effacé des redites,
mieux suivi l'idée générale de l'ouvrage, fait preuve de
méthode, de symétrie (il ne prit pas la peine de faire à son
livre une table des matières). Mais eût-il ajouté beaucoup
à l'acuité de ses observations, à la précision de certains de
ses jugements, à la clarté de sa vision? Il écrivait di^
Central Falls le 29 juin 1897 : « Après cela (la publica-
L ACTION FRANÇAISE 201
tion de l'Ame américaine) une nouvelle édition du Peuple
Cf. absolument refondue, c'est-à-dire qu'il ne restera
qu'une cinquantaine de pages de cette balançoire. Je
refais tout en neuf. Je change même le titre qui sera :
« Le peuple canadien-français. Le passé, le présent,
l'avenir », Mon premier livre n'aj^ant pas été mis en vente,
je le considère comme non avenu et celui-ci sera pour le
gros public une œuvre nouvelle. J'expliquerai la chose
dans un mot de préface ».
Ce jugement par l'auteur est trop sévère. A lire
d'autres lettres, il semble que son refus de mettre en
librairie cet ouvrage ne lui ait pas été suggéré par la seule
crainte que la forme ne fut trouvée imparfaite. Il se
vantait de dire dans ce livre des vérités et il redoutait
d'être pris à partie. Les attaques que certaines gens d'ici
dirigeraient sans doute contre lui à raison de quelques-
unes de ses pensées mal comprises, le mettraient, croyait-il,
en suspicion, compromettant ainsi ses efforts futurs. Ses
craintes étaient exagérées. Le sens de son œuvre fut saisi.
Elle n'a rien perdu de son importance. Et en dépit du
désaveu prononcé par de Nevers lui-même, nous tenons
ce livre, dans sa forme inachevée, comme l'un des ouvrages
les plus précieux, les plus utiles à méditer dont se puisse
glorifier notre littérature. Ainsi vont les. desseins des
hommes ! « Ma diplomatie à moi, écrivait-il le 4 novembre
1898, a toujours consisté à empêcher que l'on parle de moi.
Je n'ai pas permis qu'on me fasse de réclame. » Repousser
la louange et s'exécuter soi-même, c'est plus qu'il n'en faut
pour entrer dans l'oubli. De Nevers ne resta pas ignoré,
Ses œuvres font son éloge. Sa renommée sera de la meil-
leure trempe. Parce qu'il enchâssa en ses phrases élégam-
ment tournées mieux que des oripeaux, qu'il sut animer son
œuvre du souffle du patriotisme, la ramener aux idées
202 L ACTION FRANÇAISE
essentielles dont vit notre race, la remplir de pensées neuves
et de lointaine portée, ses compatriotes garderont en même
temps que le souvenir de son nom les leçons de son enseigne-
ment.
Le mérite de l'Avenir du peuple canadien-français,
c'est d'être une tentative — la première ici, croyons-nous —
de proposer aux Canadiens français un programme complet
d'action publique. C'est une vue d'ensemble. Que nos
travailleurs de l'intelligence nous donnent des directions
précieuses, nous fassent saisir (( la subordination des pro-
blèmes dans une vue totale », réclamait naguère M. l'abbé
Lionel Groulx. De Nevers comprit cette nécessité et,
le premier, s'essaya à créer ici « l'esprit d'ensemble )),
d'établir « le rapport des pièces au tout ». « La grande
parole, la parole de clarté et de force » qu'appelait M. l'abbé
Groulx, ne fera pas autre chose que de reprendre le livi'e
de de Nevers, de le mettre à date, d'y faire ici quelques
corrections, là quelques additions, d'y Inettre l'ardeur
nouvelle qu'exigent des périls accrus. En attendant que
cette voix retentisse, ou que cette plume écrive, il y a profit
à feuilleter le livre de de Nevers pour en dégager les idées
essentielles.
De Nevers croit fermement à la survivance de notre
race et au rôle qu'il lui faut jouer en Amérique. Du point
de vue philosophique, de Nevers approuve le développement
qu'a pris au 19ème siècle dans la conscience humaine le
sentiment de la nationalité et de la race. Jugeant facteur
morbide l'assimilation qui s'est faite aux États-Unis des
émigrés à l'élément de langue anglaise, il croit au réveil de
ces fils de nations étrangères. L'Amérique du Nord ne sera
jamais exclusivement anglaise, affirme-t-il. La variété de
langues, de mœurs et de coutumes est voulue par la Provi-
L ACTION FRANÇAISE 203
dence. Ces idées l'amenèrent à lutter pour conserver aux
Canadiens français leurs notes distinctives.
Mais quel avenir politique leur est réservé? Le
Canada lui semble voué à l'annexion aux États Unis. Une
union plus étroite avec l'Empire britannique n'est pas
possible. Une fédération impériale, contraire aux prin-
cipes d'économie politique et aux lois historiques, doit être
combattue non pas seulement par les Canadiens français,
qu'elle ne saurait intéresser que du point de vue matériel,
mais par tous les Canadiens qui ne peuvent y voir que le
sacrifice des colonies au dieu empire. Peut-on croire au
développement du lien fédératif, à la rupture des relations
qui unissent le Canada et l'Angleterre? L'indépendance
de notre paj's apparaît-elle à l'horizon? En des phrases
grandiloquentes nos politiques répondent parfois affirma-
tivement à la question. De Nevers n'y croit pas. Il sait
bien cependant à quelles conditions une nation canadienne
pourrait se constituer et durer. La première serait l'har-
monie faite du respect des droits de tous et de chacun, du
consentement à laisser les divers éléments ethniques de la
Confédération libres de conserver leurs traditions. Les
Canadiens français ne sont pas un obstacle à la formation
de cette nation. Ce pays, conquis en premier lieu par nos
pères, colonisé par leurs bras, arrosé de leur sang, est notre
seule et unique patrie. Avec quelle joie nous aiderions à
son évolution. Notre fidélité aux souvenirs du passé, notre
vouloir à maintenir ce que nous ont légué nos ancêtres et
ce que la constitution a reconnu, n'impliquent ni rancune, ni
hostilité contre aucune race. Qu'un jour les Canadiens
anglais, écossais, irlandais, en puissent dire autant, et une
nation naîtra ici. Ce sera une Suisse américaine, composée
d'éléments divers, vivant dans l'union et le progrès. Mais
non, l'obstacle véritable à cet avancement, c'est le sentiment
204 L ACTION FRANÇAISE
des Anglo-Canadiens à notre égard. Ne consentant jamais
à se dire Canadiens tout court, ils penseraient s'abaisser que
de traiter d'égal à égal avec nous. Comme les récents
événements attestent la profonde psychologie de de Nevers
écrivant : « Ne nous faisons pas d'illusion. Nos compa-
triotes anglais ne laisseront pas se briser le lien colonial pour
partager avec les vaincus de 1760 et dans des conditions
égales la direction de notre jeune pays ». De Nevers ne
s'afflige pas outre mesure de cette attitude. Au souvenir
de ses méditations sur la naissance et l'évolution des peu-
ples, il prononce que si le Canada n'imite pas l'exemple de la
république helvétique, c'est que des lois historiques et socio-
logiques l'auront détourné de cette voie. Las de chercher
à nous asservir, les Anglo-Canadiens choisiront entre la
fédération impériale et l'annexion aux États-Unis. Grâce
aux conditions économiques, cette dernière alternative,
croit de Nevers, ralliera les suffrages. Il ne s'en effraie pas.
Dans l'Union américaine, nous surnagerons. Retrouvant
nos compatriotes émigrés là-bas, nous formerons avec eux
un groupe si puissant que c'est l'élément français qui domi-
nera dans une partie de l'est américain. Il y aura bien
encore des attaques contre nous. Elles viendront ni de
Saint-Paul ni de Boston, mais de Winnipeg ou de Toronto.
Même sous le drapeau étoile, certaines gens de l'Ontario
et du Manitoba demanderont parfois aux Congrès l'adop-
tion d'une mesure destinée à fermer nos écoles et à se faire
évanouir ici les vocables français. N'ayez crainte, continue
de Nevers. Live and let live est un principe que les Amé-
ricains imposeront à nos ennemis de toujours. Au reste,
l'heure de notre union à nos voisins du Sud n'est pas venue.
L'annexion doit trouver les Canadiens français plus forts
qu'ils ne le sont. Soyons pour le statu quo. N'étant pas
prêts à affronter l'inconnu que récèle notre existence au
l'action française 205
sein de la république américaine, conservons le plus long-
temps possible le lien fédératif. Entre temps, efforçons-
nous d'atténuer les préjugés des Anglo-Canadiens à notre
égard. Il y en aura toujours assez ! Mais, tâche princi-
pale, élevons-nous. Il faut que notre race ajoute à sa
couronne quelques fleurons, qu'elle n'entre dans la républi-
que voisine que précédée d'une haute réputation. Nous ne
devons y pénétrer que « comme les fils d'une famille qui
n'a pas déchu et avec laquelle on est fier de s'allier ».
Des ennemis d'ordres extérieur et intérieur luttent
contre nous. Le pansaxonnisme qui rêve d'expansion
anglaise, voit dans le Québec une excroissance désagréable
sur la surface unie et homogène du continent américain.
Il voudrait la supprimer. Les pansaxonnistes cherchent
à retirer de leurs flancs cette épine. Goldwin Smith, par
exemple, désirait si fort que l'Amérique appartînt à la
langue anglaise et à la civilisation anglo-saxonne, qu'il
appelait l'annexion comme l'unique moyen d'assimiler
l'élément français. De Nevers ne s'émeut pas de ce danger.
L'Anglais a tort de voir dans le pansaxonnisme un progrès.
Plus l'Anglais anglicise, moins il reste anglais. Il perd à
ce jeu son unité de race, « ses idiosyncrasies nationales ».
Au reste, jamais la langue anglaise ne fut reçue par les
classes supérieures, comme ce fut le cas pour la française.
L'Angleterre a imposé sa langue, « par une sorte de force
brutale, aux déclassés, aux indigents, aux déshérités, à des
peuplades sauvages ou demi-civihsées, vaincues ». De
Nevers se repose, pour repousser ici les tendances pan-
saxonnistes, sur « le fort sentiment du droit et de la justice,
l'amoiu" de la paix, et surtout le bon sens pratique qui for-
ment le fond de l'âme du Canadien anglais, en général »
C'est de sa part généreuse naïveté. De Nevers écrirait-il
cette phrase après l'enfantement du règlement XVII par
206 L ACTION FRANÇAISE
la province de l'Ontario ? Il voit plus juste quand il nous
recommande de compter principalement sur nous. « Ce
qui nous importe, avant tout, c'est d'affirmer notre vitalité
avec tant de force, de nous rattacher avec tant d'ardeur à
tout ce que nous tenons de nos ancêtres de France, de mani-
fester si hautement les qualités particulières de notre race,
que tout espoir d'assimilation disparaisse de l'âme du pan-
saxonniste le plus chauvin. » Et si c'était montrer un
optimisme exagéré dans la disparition d'un état d'âme que
tant de têtes et de cœurs anglais entretiennent en Amérique,
c'était du moins nous donner le plus salutaire des conseils.
C'était nous inviter à repousser ces attaques du dehors, en
nous débarrassant tout d'abord des ennemis du dedans,
défauts qui tiennent à nous, insouciance qui paralyse nos
efforts. Nous ne serons assurés de pouvoir lutter contre les
dangers qui menacent notre existence au sein de la Confédé-
ration ou de l'union américaine que si, non seulement nous
vivons, mais surtout si nous avons grandi, si nous nous som-
mes haussés à nos tâches nouvelles, si nous avons conquis
par notre développement intellectuel, matériel et moral,
un droit inéluctable à une vie nationale distincte, Nous
sommes maîtres de nos destinées, répète de Nevers. Notre
mort, notre infériorité ne seront imputables qu'à nous.
Comment éviter l'une et l'autre?
Pour nous faire accepter des obligations nouvelles il
rappelle nos titres de noblesse. Il étudie le présent. A
quelle phase de son développement est rendue notre race
à l'heure oh. il écrit ? Sa réponse, élogieuse pour le passé,
est d'une juste sévérité pour le présent. Pendant 150 ans,
ce fut une lutte admirable pour Dieu et le roi; pendant 100
autres années ce fut l'assaut aux libertés constitutionnelles.
1760 mit fin aux expéditions guerriàres et aux faits d'armes
héroïques. 1867 ferme la période des luttes parlementaires
victorieuses. De 1867 à 1894, quelle page avions-nous
l'action française 207
ajoutée à nos annales? Aucune. Qu'avons-nous fait, pour
la race? Rien. « Les vingt -cinq dernières années ont été
pour nous une période néfaste. » La période des combats
militaires et constitutionnels terminée, il fallait prouver que
l'élément français était appelé à prendre en Amérique une
part brillante aux luttes pacifiques d'une ère nouvelle. Le
moment était venu de lever haut la tête, de montrer que
ce n'était pas en vain que nous avions tenu à conserver
l'héritage de nos ancêtres. Il fallait créer des richesses
de l'ordre le plus élevé. Nous avons oublié qu'un peuple
ne conquiert un droit incontestable à la vie que s'il ajoute
quelques richesses au trésor commun des nations. Tout
peuple a son rôle à jouer, sa chose à créer. Pourquoi
avons-nous méconnu cette vérité ? L'âme canadienne-
française, sortie de luttes séculaires, n'a pas encore trouvé
sa voie. Elle s'est laissée envahir par l'apathie et l'égoïsme.
Comme il est urgent pour elle cependant de tirer parti de
ses ressources matérielles, de créer de la vie intellectuelle, de
satisfaire les besoins accrus des intelligences, d'ouvrir une
voie plus large aux facultés supérieures.
On s'en excuse, en rappelant notre jeunesse, notre
pauvreté, résultat des conditions sociales où nous avons
vécu. Ce sont arguments bons à opposer à ceux qui atta-
quent notre race. Ils n'ont plus lem* mise au cours de notre
examen de conscience. Étudions plutôt les causes qui font
que nous piétinons, que même sans lutte, « nous nous en
allons à la dérive, lentement, insensiblement, vers l'absorp-
tion finale ». L'esprit dominant au Canada et aux États-
Unis est d'essence mercantile. « L'or est naturellement et
incontestablement l'idole de l'Anglo-saxon, il évalue tout
en numéraire », a écrit Bagehot. De Nevers craint que
« cet idéal mesquin de l'homme d'argent ne s'empare avec
le temps de l'âme canadienne, au détriment de notre avenir
208 l'action française
national ». Un esprit d'égoïsme, de lucre domine les cou-
ches de la société où règne le plus de bien-être. Il absorbe
toutes les autres aspirations. De là naît l'apathie. Le
temps des sacrifices est passé, dit-on. Désormais, chacun
pour soi. Ainsi s'éteint notre vieille fierté de race. A-t-elle
repris sa viguem* ancienne, depuis le jour oii ce livre fut
écrit ? De Nevers en eût douté s'il eût entendu récemment
le R. P. Louis Lalande éloquemment parler pour elle.
Comme il y tenait ! Dédiant son livre à ses jeunes compa-
triotes, il leur propose cette devise : Soyons fiers et nous
serons forts. C'est sans doute pour enlever à leur fierté des
tentations, qu'il dénonça ironiquement politique et politi-
ciens. Ah ! comme de Nevers se moque de l'une et des
autres. A proprement parler, dans notre province, la
politique est la seule plante qui fleurit et prospère. Pour
les uns c'est un sport, pour les autres, une industrie. Sport
ou industrie, la politique accapare toutes les forces vives
de la nation et nous ruine. Les partis ont inventé des
vertus : l'on dira traître à son parti, comme l'on dit renégat
de sa race. La déclamation tient lieu de science. Oh !
la speechomanie des Canadiens français ! Speech, l'un des
maux dont se meurt notre nationalité. « La politique
s'empare de tout ce qu'il y a, dans l'âme de notre jeunesse,
d'ardeurs, d'enthousiasmes, de tendances vers le bien. »
On ne prend plus la peine de se demander si, en dehors de
cette arène, il n'y a vraiment rien à faire. Combien de vic-
times de la politique et de ses partis auraient pu, pourtant,
faire de plus utiles sacrifices, sur un autre terrain, pour leur
race et leur pays. Combien, avec une autre direction,
seraient devenus savants distingués, brillants littérateurs,
grands artistes, industriels ou commerçants de renom. De
Nevers ne désespère pas. « Nous nous guérirons avec le
temps du politiquage à outrance ». La guérison en effet
l'actiox française 209
est en voie. L'on pouvait reprocher à la politique d'acca-
parer l'attention du public, d'attirer à elle trop de jeunes
hommes, de donner aux politiques une importance exagé-
rée. L'on comprend enfin que les politiques ont un rôle
à remplir, mais qu'il n'est pas à lui seul toute l'action publi-
que d'un peuple, et qu'il est possible de servir autrement et
utilement son pays. De Nevers le croyait. Sans avoir
le titre de ministre ou de député, il voulut orienter les initia-
tives de ses compatriotes et contribuer ainsi à leur avance-
ment. Combien qui siègent au parlement et n'auront
jamais son influence !
Mais de Xevers se hâte de sortir de l'ombre attristante
que projette le présent sur l'histoire de sa race. C'est
l'avenir qui importe. Comment le préparer ?
La race gardera ses notes essentielles, le cathoHcisme
et l'esprit français. Elle se développera dans le sens de
ses traditions. « Que la Nouvelle-France soit, sur ce con-
tinent, en même temps que la fille aînéS de l'ÉgHse, la fille
aînée de la pensée et du progrès, dans les hautes sphères de
la poésie, de la science et des arts. » Notant que si nous
étions restés les maîtres de ces immenses territoires qui cons-
tituaient la Nouvelle-France les sauvages n'en auraient pas
disparu, il écrit : « Qui dira ce que peuvent faire naître
dans les cœurs ces deux facteurs puissants de civiUsation :
la charité chrétienne et la sjTnpathie de l'esprit français ? »
L'Église lui apparaît une force morale nécessaire. Dans
nos districts rm-aux, « l'organisation paroissiale et l'influence
du clergé seront, à elles seules, suflSsantes pour maintenir
la cohésion. » « L'Église catholique, ajoute-t-il, est restée
pour les Canadiens français le centre d'union, de cohésion
par excellence ». Et il semble que cette phrase n'en est
pas une de style obligé, qu'elle répond plutôt à un sentiment
intime puisque le 1er mai 1894 il écrivait de Paris : « Je
210 l'actiox française
dis de dures vérités à mes compatriotes, mais je ne touche
pas à la question religieuse. La religion catholique est le
plus fort rempart de notre nationalité et nous devons tout
faire pour la maintenir au sein de notre population. ;)
Nous aurions souhaité qu'il insistât davantage sur la
nécessité pour chaque être d'une réforme intérieure. Si
les mœurs environnantes nous insufflent l'égoïsme, nous
rendent apathiques aux œu^nres du désintéressement, c'est
aux âmes qu'il faut tout d'abord s'adresser. Ce sont elles
qu'il faut refaire ou réveiller, et c'est par une action du
dedans et indi\'iduelle qu'on y par\dendra. De Nevers l'a
vaguement insinué tout le long de son ou\Tage. Mais c'est
à d'autres objets qu'il s'est de préférence appliqué.
Il veut asseoir sur un fond sohde l'édifice qu'il rêve
d'élever aux œu^Tes de la pensée. Si l'homme ne vit pas
que de pain, il lui en faut et, dans notre société contempo-
raine, le pain signifie beaucoup de choses. Les peuples
doivent développe!- les ressources de la nature et ne pas
néghger le côté matériel des choses. « Dans notre pays il
peut même sembler que l'on fait œu\Te patriotique en s'en-
richissant. » C'est faire tout d'abord, aux yeux de nos
voisins, si pratiques, honneur à notre race. Mais pour avoir
amassé des dollars, ne perdez pas le but de la vie, prêche
de Nevers. N'identifiez jamais le bonheur avec la richesse.
Que l'or soit un moyen, non une fin; qu'il soit une force que
vous mettrez au service des idées et des œuvres. Rien
autre. Comment les Canadiens français satisferont-ils
aux nécessités économiques ?
Partant du principe énoncé par Montesquieu : « Les
campagnes sont en quelque sorte, le laboratoire où se
créent les forces du bien », de Nevers- manifeste sa prédilec-
tion pour la culture du sol. Il reprend à son compte le
mot lancé au temps où il écrivait : emparons-nous du sol !
l'action française 211
Ne répète-t-il pas, dans plusieurs de ses lettres, qu'il veut
devenir colon, cultivateui-, aller vivre dans les forêts vier-
ges ? Mais il y a ici plus qu'une préférence personnelle, la
conviction que la profession d'agriculteur est à la base des
nations bien organisées, qu'elle est chez nous nécessaire.
Il reconnaît bien que le commerce et l'industrie sont les
deux seules voies qui mènent à la richesse, il écrit bien :
« Il est bon, il est désirable que tous ceux d'entre nous qui
se sentent des dispositions pour le commerce et l'industrie
entrent dans cette voie, qu'ils y prospèrent, qu'ils soutien-
nent avec énergie la concurrence contre les hommes d'af-
faires qui les entourent », mais son conseil ne s'adresse qu'à
des unités. A la masse, il faut autre chose. Dans le com-
merce et l'industrie, la plupart sont des serviteurs. Il pré-
voit que du développement à outrance de l'industrie naî-
tront les ouvriers en plus grand nombre que les patrons.
Et il trouve la situation du cultivateur plus avantageuse que
celle de rou\'Tier. Le premier devient indépendant; le
second, après dix ans donnés au labeur épuisant de l'usine,
n'est pas plus avancé. Il est aussi pau\Te, aussi dépendant
après qu'avant. De Nevers voudrait éloigner ses compa-
triotes du servage industriel. Était-ce réfuter à l'avance
les théories émises aujourd'hui par nos économistes? Di-
sons plutôt que ces derniers complètent le Uvre dont de
Nevers écrivit les premiers chapitres. Il n'y a pas de con-
tradiction entre eux. « Le sol est notre plus sûre richesse;
le paysan est notre plus fort argmnent », écrivait naguère
Edouard Mont petit. Et pour préciser, le distingué pro-
fessem- ajoutait : « Il ne s'agit pas de provoquer l'essor
industriel du Canada français aux dépens des campagnes
dépeuplées, et d'assurer la prédominance de l'industrie sur
l'agriculture. Il est clair que cela serait une erreur capi-
212 l'action française
taie. » ^ Donc de Nevers eut raison de prêcher, sur le ter-
rain économique, et en tout premier lieu, en faveur de la
richesse accrue de nos campagnes. Commençons par le
commencement, défrichons, agrandissons l'aire de nos
champs cultivables. « La conquête du défrichem- est la
première de toutes les œuvres de civilisation. » Par
l'article si précis, si plein de données précieuses qu'il publia
dans l'Action française, en octobre dernier, sur la colonisa-
tion, M. Henri Bourassa a prouvé qu'à ce point de \aie les
idées de de Nevers n'ont pas vieilli. La conquête du sol,
pensait-il, est favorable au maintien de notre nationalité.
Elle est avantageuse au point de vue économique. Aug-
mentant le nombre des propriétaires, elle empêchera une
partie de notre population de passer dans les rangs du pro-
létariat. Aucune industrie n'est chez nous comparable
au défrichement de la terre, ni pour la somme des richesses
produites, ni pour l'équité de leur répartition. Bref, notre
richesse principale, c'est la terre, l'avenir, l'agriculture.
Mais, dit-on, tous nos cultivateurs ne sont pas riches. De
Nevers a garde d'oublier sur ce chapitre l'erreur que plu-
sieurs commirent. Appréciant mal les chances d'avenir,
imprévoyants, trop enclins à contracter des dettes, des agri-
culteurs ont abouti à la ruine. Que de patrimoines dévorés
par les hypothèques ! Cela n'est pas normal; cela, il est
vrai, a jeté l'agriculture en discrédit. Puis des préjugés lui
font tort. Un jeune homme possédant quelque instruction
se croirait déshonoré si, ses classes terminées, il remettait
les mains sur les mancherons de la charrue. On a cru trop
longtemps que l'instruction doit avoir pour conséquence
nécessaire l'exercice d'une profession. Le remède ? Diriger
les bacheliers vers la fondation de nouvelles paroisses;
pousser nos jeunes hommes instruits au défrichement, à la
1 L' Action française, novembre 1918 et janvier 1919.
l'action française 213
culture du sol. L'on ne criera pas à l'utopie si Ton veut bien
se souvenir que ce programme fut parfois suivi, que, chaque
année, des bacheliers retournent à la terre. Son plan ne
sera jamais complètement réalisé. Quel progrès cependant
serait atteint si des unités se fixaient un peu partout dans
notre province, si des compatriotes, auxquels une instruc-
tion un peu supérieure prêterait un certain prestige, don-
naient l'exemple. De Nevers était, à ce point de vue,
optimiste. On pourrait selon lui entraîner à cette œuere
des milliers de jeunes gens. On les habitue bien, disait-il,
à aller applaudir des speeches insignifiants, à se passionner
pour des phrases creuses. De Nevers, si intelligent, si
peu gobeur, pensait que s'enthousiasmer pour le vide d'un
politicien était aussi pénible que d'arracher les souches ou
d'ouvrir des sillons. Combien ne sont pas de son avis !
Il reste que l'on peut recruter des unités. De Nevers ga-
rantit leur succès. Attendez plus et mieux de jeunes colons
inhabitués au maniement de la hache, mais courageux,
intelligents, instruits, que de défricheurs simplement
robustes et habitués aux plus durs travaux. Il faudra, par
l'association, les soutenir. « Les Français ne sont tout
puissants qu'en masse », a remarqué ]VIadame de Staël.
Aidons-les par le crédit agricole. Bref, il y a là tout un
organisme à créer, à maintenir. L'effort en vaut la peine,
puisque la vie à la campagne, dans certaines conditions
d'aisance et de culture intellectuelle, favorise grandement
la prospérité d'un peuple, le développement d'une race vi-
goureuse, d'aptitudes supérieures.
Car c'est en vue de la fin qu'il faut ordonner nos efforts.
De Nevers n'oubhe pas que l'organisation de la richesse par
le commerce ou l'industrie, l'amélioration de la culture du
sol, l'augmentation du nombre de nos agriculteurs, ne sont
que des moyens utiles à hâter le perfectionnement des
214 l'action française
individus, accroître le renom et l'influence de la race. Sur
les richesses du sol, il veut élever des richesses d'un ordre
plus élevé. « La matière a ses prêtres et ses fidèles, il faut
que la pensée ait les siens. . . S'il importe d'augmenter le
bien-être matériel, il n'importe pas moins d'agrandir l'ho-
rizon des âmes. » Quelles belles pages il a écrites pour mon-
trer la supériorité des arts de l'esprit et la nécessité, en tout
pays, des chercheurs, des « fabricant? de valeurs non cotées
à la bourse ». Mais comment parvenir à posséder et les
uns et les autres ?
Le temps est depuis longtemps venu d'organiser ici une
vie intellectuelle nouvelle. Dès après 1867, il eût fallu
utiliser les qualités de nos ancêtres dans un autre champ que
celui où ils luttèrent. Les travaux de la paix devaient atti-
rer tous nos efforts. « Il nous a manqué l'action d'une éUte
intellectuelle, l'impulsion d'une classe dirigeante vraiment
éclairée, sainement patriote. )) Qui donc, chez un peuple
jeune, où tout est à créer, donnera aux forces nouvelles une
direction que rien peut-être ne pourra plus changer ? Quel-
ques êtres que les études spéciales, l'expérience approfondie
des hommes et des choses ont mis en état de voir haut et
loin.
Il faut que les classes dirigeantes aient une foi éclairée,
qu'elles étudient, veillent et prévoient. Or, nous n'avons
pas réussi à dégager ces unités précieuses de la masse. Il
n'y a pas à désespérer. «L'âme canadienne, détournée
d'une voie longtemps suivie, n'a pas su encore choisir une
voie nouvelle. » Hâtons-nous de ranimer la vie supérieure
qui remuait l'âme des ancêtres, mais qui, depuis 1867,
étouffe sous l'étreinte de l'apathie et de l'égoïsme. Quels
sujets grandioses notre histoire, notre terre canadienne, nos
mœurs offrent au pinceau du peintre, à la plume de l'his-
torien ou du romancier. De Nevers esquisse un tableau
l'action française 215
auquel Louvigny de Montigny, par la préface qu'il mit à
Maria Chapdelmne, ajouta des touches heui'euses. jMême
la science attend des contributions que seuls des savants de
chez nous peuvent lui apporter sur un terrain particulier,
le nôtre, celui que font nos conditions climatériques, bio-
logiques, géologiques. Pour les créer ces savants, ces
artistes, ces écrivains, augmentons la valeur de nos collèges
classiques, organisons les hautes études, fondons des bibho-
thèques, des écoles d'art. Élevons par le perfectionnement
de notre système d'instruction publique, le niveau intel-
lectuel. Permettons non pas seulement aux hommes de
génie, mais aux hommes de talent remarquable de créer des
œuvres fortes. Formons, à côté des poètes et des savants,
des connaisseurs et des lettrés qui comprennent les œuvres
de l'esprit, s'y intéressent, en étendent, en perpétuent l'in-
fluence. Les classes dirigeantes ont pour principale
raison la culture de l'esprit. On a méconnu cette vérité
chez nous. Les fervents de la politique constituent la
presque totaHté des ressoui-ces intellectuelles. C'est trop
peu ! L'instruction classique est à la portée de tous. Le
nombre des jeunes gens qui entrent dans les professions
libérales augmente dans des proportions effrayantes. Ne
pouvant gagner leur vie, ils s'attellent aux pohticiens pour
obtenir un humble emploi. Ils en deviennent les «cauda-
taires » ! Ces jeunes gens, enlevés aux travaux du commer-
ce, de l'agriculture, de l'industrie, ne se rendent même pas
utiles à la société par leur science. Le talent se perd. De
Nevers a trouvé que quatre-vingt-dix-neuf pour cent d'entre
eux ne deviennent jamais des hommes instruits.
Au point de vue littéraire, fourbissons l'arme essentielle,
la langue. Conservons arec un soin jaloux le parler fran-
çais; débarrassons-le des scories qui le déparent. Aucune
œuvre littéraire ne naîtra aussi longtemps que nous n'aurons
216 L ACTION FRANÇAISE
pas la puissance da verbe, une langue épurée, un vocabu-
laire enrichi. A un point de vue général, c'est par l'ensei-
gnement secondaire renouvelé, c'est par l'enseignement
universitaii'e supérieur, la création de facultés de lettres et
de sciences, que nous formerons une élite intellectuelle sans
laquelle un peuple reste inférieur. En attendant, que nos
étudiants aillent parfaire en Europe leur culture. Les
arts, les sciences, les belles-lettres sont des fruits de vieille
ci\'ilisation. Importons-les. De Nevers a écrit à ce sujet
des pages remplies d'observations judicieuses et que doi-
vent relire ceux qui veulent avec lui faire de notre province
(( un centre rayonnant de culture scientifique, littéraire et
artistique ».
*
* *
Cette analyse a montré, j'espère, en quoi et de qui de
Nevers fut un précurseur. Sans vouloir le peindre plus
grand que nature et lui trouver une attitude à laquelle il
ne songea point, l'on peut reconnaître en lui l'un des chefs
du mouvement qui tend à sauvegarder, au sein de la Con-
fédération, le principe des nationalités. Il nous a rappelé
que les minorités ne s'imposent au respect du grand nombre
que par la maîtrise des forces économiques, surtout par la
haute valeur de l'âme, la culture de l'esprit. Par son œuv^re
remarquable et qui comptera au nombre des plus belles
de nos pubHcistes, il a montré que les Canadiens français
ne manquent pas à leur devoir env^ers la terre canadienne en
restant fidèles à eux-mêmes, en conservant, pour l'améliorer
toujours, ce qu'ils tie^inent de la tradition. Il prouva que
loin d'être un obstacle à la constitution d'une nation entre
Vancouver et Halifax, nos compatriotes sont les seuls
habitants de cette contrée pour qui elle est la patrie. En
cherchant à conserver leur caractère ethnique, ils demeurent
l'a.ction française 217
dans la lettre et l'esprit de la constitution, basée sur l'union
de deux peuples. Ceux qui se réclament de cette politique,
qui fut celle de Nev^ers, sont, il est vrai, dédaigneusement
traités de provincialistes. Et les assimilateurs désignent
sous cette expression non seulement les défenseurs des droits
■constitutionnels des provinces, prises comme entités, contre
l'empiétement du pouvoir central, mais surtout les fervents
des choses locales, les hommes soucieux de conserver à
chacune des races qui s'associèrent en 1867 ses notes dis-
tinctives. Prise sous cet angle, l'épithète ne saurait ef-
frayer ceux qui ont médité sur le passé de ce paj'S, sur son
évolution, sur le caractère que les délégués à la conférence
de Québec de 1864 o it donné au pacte fédératif . S'ils
n'étaient provincialistes, les Canadiens français oublie-
raient vite, dans le tourbillon, leur âme nationale. De
Nevers le croyait. Il entretint avant tout et par-dessus
tout l'amour de sa race, qu'il voulait voir dotée des formes
supérieures de la vie. En face de l'impossibilité de créer une
nation canadienne — les Anglo-Canadiens refusant de nous
accepter comme associés — , il chercha les moyens d'assurer
à notre peuple la durée, fût-il destiné à vivre longtemps
encore sous la Couronne britannique ou à entrer bientôt
dans l'union américaine. Il fut l'an des premiers, après
1867, à indiquer comme but à notre race la supériorité.
Puisque aux yeux des pansaxonnistes, avides d'unité et
rêvant d'assimilation, nous formons tache sur le sol améri-
cain, que cette tache, disait-il, soit « lumineuse ». Avec
quel entrain il se donnerait aujourd'hui à cette tâche et
comme les faits ré\^élateiu's des dernières années stimule-
raient son zèle. Faisons nôtre le programme qu'il traça de
la main d'un maître éclairé et patriote. Que les jeunes,
ceux auxquels de Nevers s'adressa de préférence parce qu'il
218 L ACTION FRANÇAISE
les croyait les maîtres de l'avenii', que rhétoriciens, étudiants
des facultés universitaires, méditent ses pages, comparent
les observations qu'elles renferment avec celles que suggè-
rent hommes et événements d'aujom-d'hui. Ils y puiseront
des leçons. Les ayant reçues, ils ne voudront plus être de
ces âmes qui parurent à de Nevers « trop étroites, âmes qui
ne voient pas dans l'amélioration et le perfectionnement de
leur être le but principal de la vie, âmes trop faibles qui ne
peuvent se maintenir sur les sommets atteints et continuer
l'ascension ». Ils seront capables de hauts sentiments et
de fortes pensées. Ils voudront devenir les garants de
notre survivance.
Au jugement de de Nevers, trente ans encore devaient
marquer pour toujom's notre avancement ou notre recul.
C'était méconnaître les règles de la perspective, enfermer
en des bornes trop restreintes la vie des peuples. Mais leur
évolution, poussée par des circonstances particulières, se
fait parfois plus rapide. C'est le cas pour le nôtre, menacé
de dangers persistants et qui s'accroissent. On a fait
quelques pas, depuis le temps où de Nevers nous pressa de
marcher. Sans brûler les étapes, ne les multiphons pas à
plaisir. Avançons d'un pas plus alerte. Profitons du
présent réveil de l'âme nationale. Que sans tarder notre
race tire parti des ressources de son sol, de la richesse que
récèlent le comptoir et l'usine. Que par des œuvres de
haute inspiration et de lointaine portée, se révèlent l'intel-
ligence et le cœur de ses fils. Pour eux, vivre et durer est
trop peu. Atteindre les hauteurs et s'y tenir, c'est le mot
d'ordre qu'ils reçoivent de nos traditions catholiques et
françaises.
Antonio Perrault.
LES CONTES DE LA SAINT- JE AN-
BAPTISTE
Vous vous souvenez de la scène pathétique de TAiglon :
un précepteur, à qui on a fait la langue, raconte au duc de
Reichstadt les événements de 1800 à I8I4 à sa façon. Quand
le père était le centre de l'univers, quand c'était lui qui faisait
Vhistoire du monde, le cuistre signale au fils comme seul fait
important une éruption volcanique ou une secousse sismique.
N'était-ce pas naguère un peu le fait du petit Canadien
français f Ses pères ont été les croisés de l'histoire moderne;
dans un monde nouveau ils ont fait les gestes des Français
et ont égalé par la foi et l'héroïsme les preux les plus hauts.
Cependant, que racontaient au bambin de quatre à douze ans
les livres à gravures que l'on mettait entre ses mains, sous ses
yeux ? Les exploits de Turenne ou de Hoche, de Condé ou
de Bonaparte, mais jamais ni un trait ni une prouesse de la
vie sublime des bâtisseurs de pays qui furent ses ancêtres. Un
très grand nombre de petits Canadiens n'auraient-ils pas eu
raison de croire jusqu'à ce qu'ils ouvrissent en classe (quand ils
y restaient assez longtemps) leur manuel, que la parole du gou-
verneur anglais: «ïes Canadiens sont un peuple sans histoire))
était cruellement vraie ?
La Saint-Jean-Baptiste, dont les heureuses initiatives
se multiplient sans cesse, a changé tout cela. Le bambin de
chez nous peut désormais dès qu'il sait lire, ou plutôt, dès qu'il
sait voir, connaître les richesses de cet « écrin de perles igno-
rées. )) L'imagerie d'Épinal le cède à l'imagerie canadienne
et des historiens avertis, des écrivains réputés se sont associés
220 l'action française
à des artistes habiles pour faire V instruction 'patriotique des
petits enfants.
Je rie sais rien de plus beau, ni rien de plus utile, car qui
pourrait indiquer la limite du bien résultant de cette innova-
tion f Ses effets se multiplient à l'infini comme les ondes de la
nappe d'eau où tombe une pierre.
Autour de la table familiale, les petits se pencheront sur
les images aux couleurs vives que les artistes ont choisies ainsi,
moins parce que leur art le leur commandait que parce qu'ils
voulaient plaire à de jeunes yeux, lesquels, disent les éduca-
teurs, aiment surtout le rouge et le jaune. La légende nette
et courte est facilement intelligible, mais il faudra tout de même
la compléter, expliquer certains mots, éclaircir certaines épo-
ques, décrire certains costumes ou certains usages qui appa-
raissent mystérieux à des cerveaux enfantins.
Qui se chargera du commentaire ? Peut-être une sœur
aînée, peut-être la maman. Et ainsi la leçon d'histoire péné-
trera la conversation générale, reviendra dix fois, vingt fois
peut-être, grâce à la charmante manie des petits qui radotent
comme les très vieux et reviennent sans cesse sur une chose
qui a frappé leur imagination.
Toute la maisonnée s'associera donc, se retrempera donc
dans ces vertus des ancêtres et qu'en pourra-t-il résulter, sinon
un enseignement de fierté nationale, la prise d'une résolution
qui a été formulée dans une phrase lapidaire: ((noblesse oblige.))
Le cœur de la génération d'aujourd'hui rythmant ses batte-
ments sur ceux des cœurs des héros, elle trouvera bien léger le
fardeau qu'elle doit porter, méprisables les luttes qu'elle doit
livrer pour se maintenir dans la tradition de ceux qui luttaient
contre la sauvagerie, contre l'isolement, contre des ennemis
barbares, contre la mort les guettant derrière chaque tronc d'ar-
bre.
l'action française 221
Les contes merveilleux de la Saint-Jean-Baptiste chan-
geront en autant de professeurs d'énergie et de patriotisme,
suivant le noble mot de Vun des conteurs, les héros de notre
histoire, leur dresseront une chaire dans chaque famille et un
autel dans le cœur de milliers de petits Canadiens.
Nous pouvons beaucoup compter sur la génération qui
aura déserté les récits des guerres napoléoniennes pour le récit
du sacrifice de Dollard, de l'exploit de Madeleine de Verchères,
du martyre des pères Brébeuf et Lallemant.
Louis DupiRE.
LES PRIX
Voici les distributions de prix. L'occasion est
excellente de faire de la bonne et fructueuse pro-
pagande. Que l'on voie à ne donner dans les éco-
les que des livres utiles, qui éveillent de nobles
pensées et suscitent des sentiments généreux.
Qu'à côté des chefs d'œuvre de la littérature
française, on ait soin de donner et de muHiplier
les ouvrages du terroir, ceux qui apprendront
aux enfants à mieux connaître, à aimer davan-
tage leur pays.
Le service de librairie de l'Action française
se tient à la disposition de tous ceux, institutions,
commissions scolaires ou particuliers, qui veu-
lent se procurer de bons livres de prix.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Questions Le vent est aux questions d'éducation. Elles agi-
d' éduCOtiOfî *^^* ^^^ esprits depuis quelques mois. Elles font le
sujet de maintes conversations. Elles ont même
provoqué, dans les joxzrnaux et jusque sous les voûtes du Parlement,
des discussions passionnées.
De toutes les réformes proposées celle qui rendrait l'instruction
obligatoire a surtout soulevé l'opinion. Nous n'avons pas l'intention
de traiter ici ce sujet. Non que la question du français n'y soit intéres-
sée. Dès lors que vous touchez, en matière d'éducation, à la liberté des
parents, vous mettez en jeu leurs droits les plus sacrés. N'est-ce pas
ainsi, comme le prouve clairement dans son récent livre, le R. P.
Hermas Lalande, S.J., que s'y sont pris les gouvernements des provinces
voisines pour fruster nos compatriotes d'un enseignement qm leur
était dû ? Le principe, ime fois admis, peut conduire aux plus désas-
treuses conséquences. Mais la discussion de cette question nous
entraînerait trop loin. Nous préférons renvoyer nos lectexu-s à l'étude
du savant jésuite : L' Instruction obligatoire, Principes et Conséquences,
ainsi qu'au livre de M. Magnan : A propos d' InMruction obligatoire,
et aux excellentes brochiures de l'Œuvre des Tracts : L' Instruction obli-
gatoire : ce qu'en pensent MM. Gouin, Tellier et Langlois; L'École obliga-
toire par Mgr Paquet.
U CnS6i$,yi€ïyi€'yii H est un autre point que nous voulons exami-
nés iQflQUCS ^®'"" -P*^^^ avoir provoqué peu de débats, il
n'en est pas moins important et actuel. On s'en
occupe d'ailleurs activement en petits comités. C'est l'enseignement
de l'anglais dans nos écoles primaires.
Que cette langue soit nécessaire à la plupart des nôtres, à ceux du
moins qui vivent dans les villes, nous l'admettons tous, je crois. Là où
il y a divergence d'opinions, c'est sur son degré de nécessité, ou mieux,
sur sa nécessité comparée à celle de la langue française. 11 en est parmi
nous qui lui sacrifieraient volontiers le parler maternel, qui sont du moins
d'avis que l'anglais est la première langue que doit posséder un jeune
homme qui se destine aux affaires. D'où chez eux le souci d'un ensei-
gnement commercial donné en anglais, d'où encore le désir qu'on mette
dans nos écoles primaires les deux langues « sur le même pied ».
l'action française 223
ThéOTÏeS Q^^ penser de ces deux théories? La première
d(2'}îS6T€US6S ^ contre elle la valeur économique, bien établie,
du français. EUe la méconnaît en effet. EUe la
considère comme nulle, au Canada. EUe affirme implicitement que
même dans la pro\'ince de Québec les affaires se transigent communé-
ment en anglais, que c'est la langue unique du commerce et de
l'industrie, qu'elle est à la fois indispensable et suffisante.
Erreiu-, en vérité, erreur néfaste. Encore un coup, noiis ne nions
pas l'importance de la langue anglaise, etqu'unelargesommed'affairesse
règle par eUe; mais d'abord elle ne couvre pas tout le terrain indus-
triel ou commercial du pays : une bonne partie reste tributaire de la
langue française; ensuite, si sa part est si vaste, n'est-ce pas précisé-
ment nous qui la faisons telle ? n'est-ce pas notre apathie et notre sno-
bisme plutôt que la nature même des choses ? n'est-ce pas encore notre
enseignement commercial unilingue, de plus en plus répandu ?
Académies et H faut bien l'avouer en effet, il faut
collèges commerciaux l'avouer et le déplorer hautement : la
plupart de nos académies et de nos col-
lèges commerciaux nous paraissent manquer sur ce point à leurs devoirs.
Ils enseignent le catéchisme, l'orthographe, la géographie, l'histoire, en
français; mais dès qu'ils abordent une matière se rapportant directe-
ment au commerce : arithmétique, tenue des hvres, dactylographie,
etc., c'est la langue anglaise qui entre en jeu et est uniquement employée.
Manuels, explications du maître, exercices de l'élève ne connaissent que
cette langue.
Le résultat d'un tel sj-stème est évident. Les jeimes Canadiens
français ainsi formés prennent rang dans la grande armée des compta-
bles, des commis, des marchands, des industriels qui font leurs affaires
en anglais. Non seulement chacun l'augmente d'une unité nouvelle,
mais encore il lui apporte souvent l'influence de la maison qu'il sert ou
qu'il dirige. Si cela ne s'appelle pas trahir les intérêts de sa race, qu'est-
ce donc?
KïTeUT La seconde théorie n'est pas moins condamnable,
ÙédaSO^ioue ^^l® pèche, ceUe-ci, non seulement par manque de
patriotisme, mais aussi par erreur pédagogique. On
ne saurait apprendre parfaitement, du même coup et de la même
manière, sa langue maternelle et une langue étrangère. La nature a
224 l'action française
des exigences qu'on ne peut impunément méconnaître. Elle finit tou-
joiu-s par prendre sa revanche. Qui veut créer, malgré elle, un prodige,
produit un. monstre, vm homme, dans l'espèce, ne sachant bien aucune
langue et dont l'esprit formé par des influences diverses manque d'unité
et d'équilibre. C'est ce que proclamait récemment le provincial des
Jésuites, au Canada, le R. P. Filion, quand il déclarait à une réunion
d'amis et d'anciens élèves du collège Loyola, qu'on ne pouvait élever
de la même manière {along the same Unes) des Français, des Anglais ou
des Italiens.
Que quelques-uns de ceux qui s'occupent actuellement de la réforme
de notre enseignement ignorent ces vérités, leurs propos et leurs écrits
le montrent amplement. Ne nous en étonnons pas : la pédagogie
est une science qui ne s'apprend ni dans le maniement des chiffres ni
dans les spéculations immobihères.
JLe ïGpPOït C'est une tout autre mentalité heureusement, c'est
J?QÇQ une doctrine non improvisée, mais basée siu une réelle
connaissance de l'école primaire, une expérience person-
nelle de l'enseignement, une vraie compréhension de nos besoins et des
vues à la fois traditionnalistes et progressives, qui se manifestent dans
le rapport présenté récemment, sur sa demande, au conseil de l'Ins-
truction publique, par le distingué principal de l'École normale de
Rimouski, Mgr F.-X. Ross.
L'idée-mère de ce remarquable travail, celle sur laquelle s'appuient
les différentes suggestions qu'il contient, c'est le retour de l'école primaire
à son véritable rôle : l'enseignement élémentaire des connaissances indis-
pensables à tout homme. De spécialisation commerciale ou autre, il ne
saurait être ici question. Aux écoles complémentaires ou spéciales d'y
voir, non à celles dont la tâche est simplement d'y préparer les esprits.
Ainsi, par exemple, dans ces écoles complémentaires seulement com-
mence, en Belgique où la vraie notion de l'école primaire est comprise,
l'étude de la langue seconde.
Une SU^^estion Scrait-ce aller trop loin que de suggérer
ÙTClti0U€ l'adoption ici, pour le problème qui nous occupe,
d'un i)lan analogue? Il a fait ailleurs ses preu-
ves. On s'efforcerait principalement, à l'école primaire, de former
l'oreille du petit Canadien français aux mots saxons, de lui tourner la
langue dans le sens que requiert leur prononciation . . . quitte à lui ac-
corder plus tard l'étude approfondie dont il aurait besoin.
l'action française 225
Grâce à cette méthode, nos jeunes compatriotes ne seraient pas
exposés à subir, durant leur stage scolaire, une formation composite,
faite d'éléments hétérogènes, bonne tout su plus à créer des mentalités
embrouillées et des âmes flottantes et suaves.
VCTS les écoles Les écoles « nationales » nous effraient à
"flQtîOHClles" ^^° droit. Nous les repoussons avec indigna-
tion quand quelque sectaire ontarien parle de
nous les imposer, mais franchement les théories utihtaires de quelques-
uns des nôtres ne nous acheminent-elles pas inconsciemment vers le
même but, vers un enseignement neutre qui moulera tous les enfants du
pays sur un même type ? Que nos écoles placent siu- le même pied la
langue française et la langue anglaise, ne seront-elles pas envahies peu
à peu par des enfants des autres nationalités? Et ceux-ci une fois
entrés, ne tentera-t-on pas de mettre de côté l'enseignement reUgieux,
confessionnel, afin de ne pas blesser leiu"s croyances ? N'est-ce pas ce
qui se passe actuellement pour les écoles protestantes que fréquentent
les Juifs ? Ainsi le culte exagéré de la langue anglaise nous aura con-
duits à démolir nous-mêmes, avec la plus naïve inconscience, le meilleur
rempart de nos traditions et de nos droits, que nous étions prêts d'ail-
leurs à défendre, unguibus et rostro, contre tout venant. . . de l'autre
race. En vérité, il est temps que les amis clairvoyants de notre langue
se comptent et s'unissent pour sauver ses positions.
Pierre Homieh.
EXPOSITION DE BONBONS ET DE
BISCUITS
Notre exposition de biscuits et de bonbons devait avoir lieu en
juin. A la demande de quelques fabricants qui nous promettent pour
cet été des "créations" merveilleuses, elle est remise en septembre.
CONTRE REMBOURSEMENT
N'oubhez point que, partout au Canada où il y a des bureaux de
messageries, vous pouvez, par simple carte postale, adresser à notre
service de Ubrairie, des commandes pour $5. et plus, payables sur
livraison.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
UN CHEVALIER DE NOS JOURS ^
Coïncidence intéressante : depuis plusieurs semaines, l'auteur de
ces lignes s'était plongé dans la lectui'e des grands maîtres de la littéra-
ture italienne, il venait.de fermer la « Jérusalem délivrée » du Tasse et
le « Roland furieux » de l'Arioste, et il avait encore dans les yeux les
figiu-es héroïques des chevaliers d'autrefois — Roland, Renaud, Roger,
Astolphe, Godefroy — quand il ouvrit le volume que venait de publier
l'Action française : « Paul-Emile Lamarcke. — Œuvres — Homma-
ges. » Et franchement, en le parcoiu^ant avidement et tout d'un trait,
il lui sembla qu'il n'avait point changé de lecture.
C'était bien encore un vrai chevalier qui était campé devant ses
regards, si tant est que la chevalerie de jadis et de toujours, c'est la
force au service du droit et de la faiblesse, c'est-à-dire la victoire du
dévouement chrétien sur l'égoïsme païen. Et, pour compléter la simi-
Utude du tableau, cette fois encore quand le héros s'est couché dans la
mort, ses compagnons de vaillance l'entourent, pieux et tristes, et chacun
exhale sur sa tombe ses regrets et ses espoirs.
Le chevalier ! Voilà donc le type que Lamarche a incarné aux
yeux de ses contemporains, comme déjà l'a si bien buriné noti'e excellent
poète Lozeau — les poètes sont les voyants de la foule — :
« Il fut le chevalier sans heaume et sans cuirasse
« Qui, du seul vêtement de son courage armé,
« Par V amour du bon droit noblement animé,
« Descendit dayis l'arène y défendre sa race. »
Et c'est ainsi qu'il restera devant le tribunal de la postérité.
Et en donnant au public ce volume — de tenue d'ailleurs par-
faite— V Action française fait une œuvre de haute portée, puisqu'il va
répandre, surtout chez les jeunes, ce qui manque le plus à notre vie
nationale, comme à toute la vie moderne : le culte de la chevalerie.
' A propos d'un livre récent : « Paul- Emile Laraarche, Œuvres-
Hommages » (Bibliothèque de V Action française) .
l'action française 227
La chevalerie armée n'existe plus, mais l'idéal qui en était le fond
doit durer aussi longtemps que l'idéal chrétien. Il y a bientôt quarante
ans, Léon Gautier disait dans la préface de son monumental ouvrage
« La Chevalerie » : « Nous avions conçu un autre dessein ... : c'était
d'agrandir les âmes; c'était de les arracher au mercantilisme qui les
abaisse et à l'égoïsme qui les tue : c'était de leur communiquer de
fiers enthousiasmes pour la Beauté qui est menacée et pour la Vérité
qui semble vaincue. Il y a plus d'une sorte de chevalerie, et les
grands coups de lance ne sont pas de rigueur. A défaut d'épge, nous
avons la plume; à défaut de plume, la parole; à défaut de parole,
l'honneur de notre vie. L'auteur de la « Chevalerie » s'estimerait
heiu-eux, s'il avait fait des chevaliers. » Et il ajoutait dans la con-
clusion de son livre : « Il ne faudrait pas s'imaginer que la chevalerie
ait été le caractère spécial de telle ou telle époque. L'institution a pu
mourir, mais son esprit nous est resté... Il faut ajouter pour ne
décourager personne, qu'il est encore possible d'être chevalier de nos
jours, et que l'heure est peut-être venue d'être plus chevaUer que
jamais. . . Sans doute la société n'est plus construite comme il y a
huit ou neuf cents ans; mais il y a encore la Patrie . . . qui est en droit
de compter parmi nous sur toutes les intelligences comme sur toutes
les épées. Il est toute une école, nombreuse et influente, où l'on
prétend que le bien-être est le seul but que doive désormais poursuivre
l'hiunanité « régénérée. » Ces sophistes se trompent étrangement,
même quand ils nous donnent l'Amérique comme exemple. Une
nation qui aime avant tout le confort est une nation perdue, et ses
fils sont condamnés, grâce à ce bien-être fatal, à s'étioler misérablement
dans leurs âmes comme dans leurs corps, et à être tôt ou tard asservis
par un peuple plus jeune et plus viril. C'est la chevalerie qui sauve les
nations et qui en est l'arôme. Et la chevalerie, c'est le dédain pour
toutes les petites aises d'une vie amollie et sans nerfs; c'est le mépris
de la souffrance; c'est la mise en action de l'antique Esto vir. Il est
un dernier commandement de l'ancienne chevalerie qui nous semble
d'une utilité encore plus contemporaine : « Ne pas mentir. » J'en-
tends par là qu'il faut, dans la conduite de nos idées et de notre vie,
avoir horreur des petites habitudes rampantes, des moyens tortueux,
des finesses menteuses, des sous-entendus et des nuances. De toutes
les choses d'ici-bas, la chevalerie est celle qui est la plus réfractaire à
la nuance. Elle veut que nous affrontions les périls de l'heure présente
avec la franchise la plus lumineuse; que nous ne cachions point notre
228 l'action française
drapeau; que nous répétions, si nous croyons au Christ éternel, le
cri des premiers martyrs : « Je suis chrétien, » et que, le front dé-
couvert et l'âme transparente, nous sachions non seulement mourir
pour la vérité, mais, ce qui est plus difficile, vivre pour elle. »
Qu'on nous pardonne cette longue citation, elle justifie l'apprécia-
tion que nous donnons de l'œuvre de notre héros.
Et vraiment, l'enseignement qui se dégage de la vie de Lamarche
vient à son hem-e — à l'heure où notre jeunesse serait tentée d'hésiter
dans le choix d'un idéal.
Lamarche entre de plain-pied dans la lignée de nos héros, dans la
lignée des Bédard, des Papineau, des La Fontaine, des Cartier, des Mer-
cier, des Langevin — ■ pour ne parler que des morts — , et il y entre sans
même une ombre à ses principes religieux. Il a foulé aux pieds l'argent,
les honneurs, les attaches de parti, parce qu'il n'avait au cœur qu'une
grande passion : la défense du droit. 11 mit son grand talent d'avocat
au service de ses chents et de sa ville, il le mit encore plus au service
de sa race. Dans tout ce qui reste de son œuvre, on découvre tou-
jours la même pensée et la même passion dominante.
Que dis-je? son désintéressement, son oubli de lui-même, éclate
jusque dans son style où il peut encore servir de modèle à notre jeunesse,
non seulement il parle comme un orateur et il écrit comme un écrivain —
ce qui déjà est très rare même parmi les mieux doués des nôtres, — mais
il parle et il écrit dans cette langue du grand siècle qui reste à jamais
classique précisément parce qu'elle est impersonnelle. D'après Brune-
tièrC; le fond du romantisme a été le culte du moi, ce qui est encore une
forme de l'égoïsme; or, le culte du moi ne consiste pas seulement à parler
de soi-même ou à employer le mot « je », il se manifeste encore plus
laidement dans le souci de faire montre de son talent dans le choix des
expressions rares, dans la construction tourmentée de la phrase, dans la
recherche du « mot » ; on se préoccupe alors de sa propre gloriole bien
plus que de chercher à enfoncer une vérité ou ime détermination dans
la tête ou dans le cœur des autres; on ressemble au virtuose qui veut
éblouir l'auditoire par le prestige de sa technique, plutôt qu'à l'artiste
qui s'efface en tâchant de faire communier les âmes à son propre rêve
de beauté. Au rebours de Pascal, qui en lisant cherchait un écrivain et
s'émerveillait de trouver un homme, la foule cherche un homme, un hom-
me qui déploie passionnément toutes ses puissances pour l'éclairer et
l'entraîner, et elle ne trouve qu'un écrivain, un virtuose de la parole
écrite ou parlée.
L ACTION FRANÇAISE 229
En lisant l'œuvre de Lamarche — nous préférons y renvoyer plutôt
que d'en citer des extraits, — • la foule sera délicieusement surprise d'y
trouver un homme, un homme qui l'a aimée, et qui a mis, sans retour
sur lui-même, les trésors de sa science, de sa dialectique, de son esprit,
de son ironie, de sa tendresse — à la défendre pour qu'elle survive. Et
c'est pourquoi cet homme restera à ses yeux le type du parfait chevalier
de l'action française.
Abbé J.-A.-M. Brosseau.
LES RECITS LAURENTIENS^
J'ai lu les Récits laurentiens avec gourmandise, comme on mange un
bonbon de chez nous, fait du sucre de nos érables et de la crème de nos
laiteries. C'est savoureux et réconfortant.
Le Fr. Marie-Victorin a le don de vision pour les choses de chez nous,
et pour la vie de nos gens, il voit les grandes hgnes et les petits détails,
il voit la vie mêlée aux choses, et il voit le bon côté de la vie et des choses,
celui par lequel nous sommes une race fière et encore solidement enra-
cinée à la terre laurentienne ; le Fr. Marie-Victorin sait encore se pénétrer
de cette vie des choses et des gens; il la revit avec intensité, avec une
émotion qui se communique nécessairement quand toutes ces visions
et toutes ces sensations nous sont traduites en la plus belle langue du
monde, qui est la nôtre.
D'autres furent peut-être plas fins ciseleurs, mais nul encore,
semble-t-il, n'a réussi à rendre aussi pénétrante l'émotion que l'on res-
sent en présence de la vie. Le jour s'approche sans doute où toutes ces
peintures, où toutes ces études de détail, parues depuis quelques années,
et que l'on admire pour elles-mêmes, serviront un jour d'ornement dans
des œuvres de plus longue haleine, dans de plus vastes moniunents de
notre Uttérature.
Le Fr. Marie-Victorin sait communiquer l'émotion, ce sentiment si
déUcat qui fait battre le cœur à l'unisson des héros, qui nous fait mélan-
cohques, joyeux, soufîrants et fiers avec eux.
Serait-ce aller contre la pensée de l'auteur que de distinguer dans
son livre deux sortes de récits : les uns feraient naître en nous des sen-
timents moins profonds, toujours de chez nous, mais n'exprimant pas
ce qu'il y a de plus intime dans l'amour de la terre laurentienne; les
1 Récits laurentiens, par le Frère Marie-Victorin, des Écoles chré-
tiennes.
230 l'action française
autres feraient vibrer des cordes plus solides au fond de nos cœurs
Ceux-ci seraient les quatre derniers,
Sans doute la mélancolie s'empare de nos âmes, comme de celles
des Hamel, quand il faut couper l'orme plus que séculaire. Nous
devenons tristes avec eux. « La conversation de toutes ces vieilles gens
était dans le passé, et le passé est peuple de fantômes évanouis, de bon-
heurs brisés et de cercueils. »
C'est plaisir aussi de revivre les scènes naïves et si nôtres de la
paroisse de Lorette, croyant au Rosier de la Vierge, et de croire, avec
l'auteur, que les rejetons du rosier mariai « ont gardé quelque chose de
religieux et de consacré ».
Nous sentons bien, nous deAanons que ce « Mets cela au ^ied de la
Croix » est le secret de toutes les patiences, de tous les labeurs énergi-
que ment acceptés par la race.
Et c'est une évocation de mille souvenirs enchanteurs que de courir
dans les champs, que de revoir « les ruisseaux dans les bois », que de
pêcher la truite vlimeuse, que de revenir sur la « charge branlante ».
Et comme on rit de bon cœur, quand le bambin, au miUeu des veilleux,
se plantant devant le vieux Juneau, crie sa colère : « Vous, si vous
dormiez à manger à votre jument, elle ne se boiu"rerait pas avec le butin
des autres. »
Mais une terre est plas qu'un orme et les pleurs que nous mêlons à
ceux de Félix Delâge, obligé de mettre en vente la terre des ancêtres, la
bonne mère nourricière des générations disparues, la terre tant aimée, la
terre que le vieux Canadien contemple avec toute la majesté du chef des
Rocquevillard, ces pleurs partent de profondeurs plus intimes, comme
plus grande et plus intense est la joie du grand-père, qui après le
« Ne vends pas la terre » des tout petits, les embrasse, et se hâte de
jeter dans les « hautes tiges d'herbe Saint-Jean », l'écriteau de malheur.
Avec Jacques Maillé, que la Providence amène au refuge de l'en-
fant prodigue, avec le colon Lévesque, dont l'héroïsme, le vrai, nous
Ijoule verse et nous étreint à la gorge, le « Mets cela au pied de la Croix »
prend un sens plus large, et se perd en des horizons sans fin.
Puis vient cette charmante Thérèse Bédard, servante du noble
Lord anglais, mais pas servante comme toute autre. C'est une Cana-
dienne, qui sait son histoire et qui est fière de sa race, et qui ne se trouve
pas si petite, après tout, en présence des gentilshommes d'Angleterre.
Elle appartient elle aussi à une race de gentilshommes, et, servante loyale,
elle écrit le Thou respectueux et officiel, — elle connaît les manières — ,
l'action française 231
mais, petite Canadienne, elle accole au Thou leliest, quigiffleet qui venge.
La voilà notre race, notre bonne race, notre race pure, notre race
combattante pour se garder ce que son histoire a voulu qu'elle fût.
C'est là la race des Récits laurentiens, et parce qu'ils nous la font aimer
davantage, parce qu'ils nous la montrent attachée toujours au sol, à la
croix, aux vieilles choses, ces récits-là sont un geste d'action française,
qu'il nous fait plaisir de souligner. M. Massicotte y a dessiné le type
éternel du Canadien français, et le Fr. Marie- Victorin aussi.
M. H.-B.
EN VEILLANT AVEC LES PETITS DE CHEZ NOUS i
M. l'abbé Géhnas a fait de ses causeries historiques, publiées dans
le Bien Public des Trois-Rivières, un joh volume de trois cents pages.
Un autre recueil avait précédé : Au Foyer, pour les petites de chez
nous. 2 Ce sont des traits de l'histoire du Canada que l'abbé conte tout
bonnement, le soir, en famille, en attendant que le sommeil gagne les
petits. Il évoque devant eux toute une galerie d'hommes et de femmes
illustres, les plus pures gloires de nos trois siècles de passé. A Ure ces
causeries, j'allais dire ces conversations, on croit entendre et voir le
conteur au miheu de son petit monde, interpellant, questionnant, répon-
dant, mêlant à l'histoire une profusion de conseils et de réflexions. Bien
des grands, sans doute, se sont laissés prendre à ces récits destinés aux
petits de la région trifluvienne. Des personnages peu connus se déga-
gent et prennent rang parmi les plus illustres : Martine Messier, Nor-
manville, Marguerite, François Hertel, Jean Nicolet, d'autres encore,
dont les belles actions peuvent inspirer aux jeunes cet amour du passé
de chez nous, cette fierté nationale que l'auteur cherche à leur communi-
quer. « Mes petits amis, soyez-en fiers, leur dit-il, nous appartenons
à une grande race, à une race d'apôtres » {En veillant, p. 284). « Parlez
souvent de notre belle histoire du Canada, de ces nobles femmes dont le
souvenir doit orner votre mémoire, comme les chers portraits de famille
ornent le salon de votre maman » {Au Foyer, p. 96).
Fournir des lectures canadiennes pour le foj'er, rien n'est plus oppor-
tun, et les lecteurs de l'Action française ne peuvent que se réjouir de
1 En veillant avec les petits de chez noiis, causeries historiques par
M. l'abbé J.-G. Géhnas, du séminaire des Trois-Rivières. Imprimé au
Devoir, Montréal.
^ Au Foyer, causeries historiques pour les petites de chez nous.
Providence Maison Mère, Montréal.
232 L ACTION FRANÇAISE
pareilles initiatives. C'est un des moyens les plus eflBcaces pour pro-
curer ce perfectionnement intellectuel et moral des Canadiens français
qu'ils désirent avec tant d'ardeur. En effet, ce qui manque aux nôtres,
beaucoup plus que l'enseignement des maîtres, c'est, dans toutes les
classes de notre société, la formation par la lecture personnelle. Notre
peuple n'est pas assez ciurieux d'histoire, de géographie, de toutes ces
sciences qui ornent l'esprit et complètent l'éducation. Il faut à tout
prix inspirer à notre jeimesse le goût de ces lectures saines et bienfaisan-
tes. A la campagne comme à la ville, les enfants devraient prendre à
l'école l'habitude de lire d'autres li\'Tes que leurs manuels. Actuelle-
ment, une foule de jeimes gens bien doués abandonnent toute étude en
sortant de l'école et bientôt se distinguent à peine des illettrés. C'est
pour eux surtout que la fondation de bibliothèques scolaires et parois-
siales devient une nécessité. A la campagne, les élèves avancés de-
vraient apprendre à lire les journaux d'agricultm-e, les revues agricoles,
les pubUcations officielles, les brochures de colonisation. Ces lectures
orienteraient leur esprit vers les choses de leiu- profession et les dispose-
raient à devenir des cultivateurs progressifs. On habituerait aussi nos
jeunes gens à hre autre chose que les faits divers des journaux à images
et les scandales de la gazette des tribunaux. La fondation de bibhothè-
ques scolaires, l'initiation des enfants à la lecture sérieuse, avuraient sur
la formation inteUectueile de notre peuple une influence plus appréciable
que les mesures discutables proposées parfois pour la diffusion de l'ins-
truction.
En attendant cette institution nécessaire, il convient de féliciter
ceux qui, comme M. l'abbé GcHnas. s'emploient à préparer aux enfants
un aliment intellectuel qui leur convient, agréable et substantiel, nour-
rissant l'esprit tout en réchauffant le cœur. Adélard Dugré, S. J.
PROPAGANDE! PROPAGANDE!
Propagande ! ProfKigatide ! C'est le cri que nous ne cesserons
d'adresser à nos amis, car la propagande est la condition essentielle du
progrès de notre œuvre. Propagande constante, propagande sur tous
les terrains. Propagande par l'action quotidienne, par les revendica-
tions et les protestations, par la diffusion des tracts et des brochures.
Propagande par l'abonnement, propagande par la souscription, propa-
gande par la mise en œuvre méthodique de toutes les bonnes volontés.
Le champ est immense.
Ainsi nous lançons, ces jours-ci, tout un essaim de publications
diverses : les Rapaillages et la Naissance d'une Race, de M. l'abbé
l'action française 233
Groulx, le Canada apostolique, de M. Heru'i Bourassa, Pour la défense
de nos lois françaises, de M. Antonio Pen^ault. Nous possédons toute
une collection de volumes et de brochures à prix varies : Paul-Émile
Lamarche; La Langue, gardienne de la Foi, de M. Henri Bourassa; La
Race suvérieure, du R. P. Louis Lalande; la Veillée des berceaux, de M.
Edouard Montpetit; la Valeur économique du français, de M. Léon
Lorrain; Pour V Action française et Si Dollard revenait. . ., de M. l'abbé
Groulx; la Déportation des Acadiens, d'Henri d'Arles; les Choses de cher
nous, les Refrains de chez nous. Nous sommes dépositaires des publi-
cations de la Ligue de Ralliement français en Amérique, nous pouvons
procurer à nos lecteiu-s toutes les œuvres canadiennes et les meilleures
œuvres françaises. Quelle magnifique occasion alors de répandre des
œuvres saines et de nous aider en même temps ! Que tous ceux qui
veulent offrir des prix particulièrement, que tous ceux qui ont leur avis à
donner là-dessiLS songent à nous !
Avec les Rapaillages nous faisons un vaste essai de diffusion du livre
canadien populaire. Nous prions nos amis de nous aider à en assurer
l'éclatant succès. Le livre est connu, il sera illustré de douze dessins
inédits de Franchère, avec couverture en deux couleurs, il est publié en
deux éditions,' populaire et de luxe, qui satisferont tous les goûts.
Nous prions nos amis d'employer, poiu- assurer la diffusion des
Rapaillages, les méthodes qui ont obtenu un si grand succès dans le cas
de VAlmanach. Il y a là, pour les propagandistes, groupes ou individus,
une occasion splendide de répandre de la Uttérature du terroir. On
verra, par les détails donnés à la Vie de l'Action française, que les
réductions offertes par notre administration sont très avantageuses.
Il ne faut jamais oublier, naturellement, notre revue, qui est le
moteur de toute l'œuvre. On commence à la donner en prix, nous
avons reçu des abonnements jusque de l'Afrique. Il faut que ce mou-
vement s'accentue. Quel est celui de nos lecteurs qui ne pourrait
vraiment, s'il y mettait une énergique et bonne volonté, nous procurer
à plus ou moins lointaine échéance, un nouvel abonné? Il y a des
exceptions, sans doute, mais elles sont plus que compensées par le
nombre de ceux qui pourraient nous amener trois ou quatre recrues
nouvelles.
Et puis, il y a le fonds de propagande proprement dit. C'est celui
qui a été le plus négligé ces derniers temps. Pourtant il nous permettrait
de faire une très utile besogne, d'expédier aux bons endroits des ouvrages
de propagande, etc. Qu'on y songe ! Jean Beauchemin.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
Nos conférences — Notre sixième conférence a eu lieu au Monument
National, le 8 mai, sous la présidence d'honneur de M. le Dr Louis de
Lotbinière Harwood, do3'en de la Faculté de Médecine de l'Université
Laval, à Montréal. L'allocution d'ouvertiue a été prononcée par M.
Edouard Montpetit et la conférence proprement dite par M. l'abbé
Grouk. Celui-ci, dans ime étude très fouillée, a évoqué de la plus
prenante façon la \'ie intime de nos pères. Cette étude sera prochaine-
ment pubUée. MM. Montpetit et Harwood ont parlé dans les termes
les plus élogieux de rœu\Te de V Action française.
Nos publications — Elles se mvdtiphent. Nous donnons, presque
en même temps, le Canada apostolique, de M. Bourassa, La Naissance
d'une Race et les Rapaillages, de M. l'abbé Groulx, qui paraîtront dans
les premiers jours de juin. Pour la défense de 7!0S lois françaises, de M.
Antonio Perrault, qui sera mis en vente le cent, S70 La série orange
(10 sous l'exemplaire, SI la douzaine, S8 le 26 mai le mille, frais de
port en plus) vient de s'enrichir de la Déportation des Acadiens, d'Henri
d'Arles.
Le Canada apostolique, revue des œuvres de missions des commu-
nautés franco-canadiennes, se vend 60 sous franco. (A la douzaine,
S6.00; au cent, $48.00. Frais de port en plus).
Pour nos lois françaises appartient à la série verte (l'exemplaire,
25 sous, 27 sous franco. $2.00 la douzaine, $20.00 le cent, $175.00 le
mille, port en plus). La Naissance d'une Race, histoire de nos origines,
inaugure la série bleue : 75 sous l'exemplaire, 80 sous franco. La
douzaine, $7.50; le cent, $60.00, frais de port en plus. Poiu- les Rapail-
lages, il y aura deux éditions, toutes deux illustrées : l'édition de luxe
(60 sous l'exemplaire, $6 la douzaine, $50 le cent, $225 les cinq cents,
port en plus); l'édition populaire ($2.50 la douzaine, $20 le cent, $92.50
les cinq cents, $175 le mille, port en plus).
J. B.
ARRERAGES
Quelques abonnés de 1918 sont encore en retard, de mémo qu'un
certain nombre de ceux de 1919, bien que l'abonnement soit payable
d'avance. Nous les prions de vouloir bien régler ces arrérages.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LA QUESTION BILINGUE ONTARIENNE
Le Droit, dans son numéro du 22 mai, a publié le texte de la pétition
suivante, récemment adressée au gouvernement ontarien et signée, dit-il,
par tous les prêtres de la capitale, tant de langue française que de langue
anglaise, un excepté, l'Association d'Education d'Ontario, la Société
Saint-Jean-Baptiste d'Ottawa, nombre d'autres prêtres du diocèse et de
citoyens éminents.
AU MINISTRE DE L'ÉDUCATION, TORONTO
« Honorable Monsieur : — La rumeur nous est parvenue que le
gouvernement a l'intention de nommer une nouvelle commission ou un
administrateiu" dans le but de diriger les écoles séparées de la ville d'Ot-
tawa, la dite commission ou administrateur devant remplacer la com-
mission des écoles séparées dans l'administration de ces écoles.
« Nous voulons faire entendre ime protestation respectueuse con-
tre cette mesure parce qu'elle enlèverait aux contribuables le droit
d'administrer leurs écoles sans savoir de quelle manière est dépensé
leur argent, contrairement au principe : « pas d'imposition sans repré-
sentation ». Nous croyons fermement qu'une telle atteinte aux droits
des contribuables aiderait à renouveler les troubles et la lutte, en même
temps qu'elle prolongerait les difficultés sans les régler.
« Nous suggérons donc, respectueusement, que le ministère de
l'Education applique un autre remède, un remède bien simple qui ren-
contrera l'assentiment de tous les cathoUques de la ville d'Ottawa.
« Il consiste en ceci : que le gouvernement donne l'administration
des écoles séparées d'Ottawa à deux comités autonomes sous la juridic-
tion d'une même commission scolaire et, en plus, que le gouvernement
légalise cet accord soit en amendant la loi des écoles séparées, soit par
tout autre manière qui le rendra stable et permanent.
« Nous espérons sincèrement que cet espoir se réalisera, croyant
qu'il est de nature à donner le meilleur gouvernement des écoles, à pro-
mouvoir la cause de l'éducation, l'établissement de l'harmonie dans la
communauté et le bien public en général. »
236 L ACTION FRANÇAISE
MGR RICE ET LES FRANCO-AMÉRICAINS .
L'Ui}ion, de Woonsocket, R.I., publie, dans sa livraison de mai, le
texte d'un projet de loi présenté au Vermont et de la lettre qu'il a provoquée,
de la part de Mgr Rice, évêque de Burlington :
S. 84
Reported from the Committee on Education.
AN ACT REQUIRIXG THE EXCLUSIVE USE OF THE
ENGLISH LANGUAGE IN SCHOOLS
It is hereby enacted by the General Assembly of the State of Vermont •'
Section 1. The English language shall be used exchisively in the
instruction of childi'en and for the piu"poses of adminis-t i ation in ail
pubhc or private schools in the State, but the requirement of such
exclusive use shall not be construed as prohibiting the conduct of
devotional exercises in a language other than EngUsh nor as prohib-
iting the teaching of a foreign language in accordance with a course
of study outlined or approved by the State board of éducation under the
provisions of section 1237 of the General Laws.
Sec. 2. This act shall take effect July first nineteen hundred and
nineteen.
* * *
Honorable Ira LaFleur,
State House,
Montpelier, Vt.
Dear Senator LaFleur : —
I am at a loss to know what possible good could foUow the passage of
Senate Bill-84; practically the only class of people affected by it are the
French Canadians.
To outward appcarances this Bill S.84is apatriotic measurebut we
know fully well that evcrything labcled patriotic is not necessarily
patriotic; S.-84 is a measurc dictated neither bj* éducation nor patriotistn,
l)Ut by sociali.sm; it dénies to a father his essential rights in cducating
his child and it arrogates to the State the right which the Creator bas
made inhérent in parenthood itself ; doubtless you arc aware, dear Sena-
tor, that niany of the cducators in the United States hâve for years been
trained direct ly or indirect!}' by socialistic German prof essors, hence, it
is not surprising that they sbould attempt to foist their pernicious
doctrines on the community. After having conquered Gcrmany by
L ACTION FRANÇAISE 237
force of arms we are now to be conquered by German socialism unless
we call a hait on the apostles of German socialism masquerading as
American Educators.
S-84 seems to cast a slur on the patriotism of the graduâtes of the
French schools of Vermont, yet can the proponents of this Bill instance
any cases in which the graduâtes of the French schools of Vermont,
did not measure up to the loftiest standards of patriotism during this
last war?
The French schools of Vermont are and hâve been a priceless asset
to the welfare of our country; day after day as I scanned the casualty
lists I noticed the honorable and conspicuous place occupied bj- graduâtes
of French schools and 1 hâve heard army oflBcers say how priceless and
indispensible were their services as interpreters in France.
We ail know what a dismal failure our English speaking schools
hâve made of the teaching of foreign languages; our State pays annually
thousands upon thousands of dollars to teach French in oiu: high schools
but without very noticeable results.
Our State seems to recognize by its attempt to teach French that it
is a very désirable and usef ul thing for the State to hâve a goodly number
of its citizens capable of speaking the French language; why then enact
a law which will prevent the children of French parents from acquiring
a knowledge of French ?
The French schools hâve not cost the State of Vermont one permy
and thej' hâve been eminently successful in teaching their pupils a
knowledge of both French and English, whereas the teaching of French
in the high schooLs of the State has already cost hundreds of thousands
of dollars and it has been a decided failure.
The interpreters in the American army, the thousands of téléphone
operators who volunteered for service, were almost without exception
graduâtes of French schools. The essential quaUfications of thèse inter-
preters and téléphone operators was a perfect speaking knowledge of
French and English : now how many of our high school graduâtes or
collège graduâtes could measure up to that requirement? Very, very
few ! The army was obUged to dépend almost entirely and exclusively
on the graduâtes of the schools that Senate Bill-S4 is aimed at.
It seems singularly inconsistent to attempt to prevent the teaching
of French in the only practicable way in which it can be learned, i.e.,
by young children in French schools which cost the State nothing and
then turn around and waste hundreds of thousands of dollars of tax
238 L ACTION FRANÇArSE
payers' money in a futile effort to teach young men and young women
the French language.
I am not of French extraction but I hâve spent many happy years
of my hfe in a close intimacj' vnth. the Canadian people; I know them
thoroughl}', therefore I love and admire them for feheir sterling qualities
and in the name of true Americanism and honest patriotism I raise my
voice to protest against this short-sighted and ungrateful treatment of
the loyal French Canadians of Vermont.
Yours very respectfully,
Joseph J. Ri CE,
April 7, 1919. Bishop of Burlington
Ce projet de loi n'a pas été adopté.
LA RENAISSANCE DE LA LANGUE IRLANDAISE
The Irish Press, de Philadelphie, a pubhé dans son numéro du 12
avril 1919 (vol. 2, no 4), sous les titres : Must save Gaelic tongue now,
says Près. De Valera. Is lostforever unless preserved by Présent Génér-
ation, déclares St. Patrick's Statement, rarticle suivant :
St. Patrick's Day célébrations in Ireland hâve corne to be associated
principally with the effort to préserve and extend a knowledge of the
national language. An interesting event in this connection this year
was a message from Président De Valera, which was pubUshed in the
Irish papers. Sooner or later, Mr. De Valera sajs, Ireland's independ-
ence will bc assiired; "but the language, that must be saved by us, Or
it is lost forever." The statement reads :
"To save the national language is the especial duty of this génér-
ation. The ultimate winning back of our statehood is not in doubt.
Sooner or later Ireland will recover the sovereign independence she once
enjoyed; should we fail a future génération will succced — but the
language, that must be saved by us or it is lost forever.
"It is fortunatc that the more pressing duty is the one casier for
us to accomphsh. To recover our national indej^endence we must bend
the wills of other nations to ours; to restore the langviage we need the
concurrence of no will but our own. Let the men and women, the boys
and girls of Ireland today only will it stroiigly cnough and our national
language can bc made as safe as our nationhood.
L ACTION FRANÇAISE 239
"The language is djnng. To-morrow it will be too late. Shall
we not save it today when we may ?
"Think how Président Wilson, when M. Clemenceau greeted him
with — I speak American — must hâve regretted that America haa
not trulj' a distinctive language of her own. What would he hâve
felt, what would every young American hâve felt had some past génér-
ation wilfull}' let such a language die and left them with only a borrowed
tongue ?
"Are we, who are ready to make sacrifices that the future
générations m^ay be free, going to rob thèse générations of that they
would most fondly cherish — of that they would be proudest of as the
very cro^Ti of their freedom ? Are we going to doom them to bemoan
forever that which they themselves can never by any means restore —
their own distinctive, their own traditional — their own beautiful Irsih
tongue?''
To this statement the Gaehc league appends the followtng appeal :
Irishmen and Irishwomen, you are today "a wearin, of the Green."
You feel a glow of pride you cannot fuUy express. Your heart is swelling
with love for yoiu- countrJ^ Your race-pride is stirring. The sham-
rock gives a visible expression to it. It has sprung from the soil of
Ireland. So has the Irish language. Like the shamrock, it is root«d
deep in Irish soil. It is interwoven in your Uves. It enshrines the
proudest traditions of your race. But it languishes. Will you not
help it ? Our génération can save it. If we let it die we deprive our
children of part of the rich héritage of Ireland. What will they say
of us?
Contributions for the work of preserving the Irish language, if
sent through the Irish Press, will be forwarded to the Gaelic League
headquarters in Dublin.
The Leader, de Dublin, dans sa Uvraison du 5 avril 1919 (vol
XXXVIII, no 9), a pubUé la note suivante :
On Tuesday evening next the Gaelic League opens a forward
éducation campaign at a pubUc meeting in the Mansion House, Dublin,
and in due time the country will fall in behind the lead of the capital.
Hère is the programme for the Primary schools, and Primary schools
include ail National schools and other schools or part of schools attended
by children of the Primary school âge : A. In purely Gaelic districts.
1. Ail school subjects (excepting English and other foreign languages)
to be taught through the médium of Irish only. 2. Irish History to
240 L^ACTION FRANÇAISE
be taught to ail pupils. Even the infants ought to be told stories of
our Saints and Heroes. 3. Irish Music to be taught in ail classes.
The words of the old songs ought to be taught as poetry and the music
to which they are set ought to be taught in the Music Class. 4. Irish
dancing to be permitted as part of the DriU Lesson and teachers to be
encouraged to teach it. B. — In Semi-Gaelic districts. — 1. Irish to be
the ofEcial school language i. e.,roll-call, orders, prayers, etc.,to be in
Irish. . 2. A Bilingual Programme to be in use. After a few years,
however, Irish should predominate over English in the higher classes.
3, 4 and 5. — Same as 2, 3 and 4 above (in A.) 6. Foreign languages —
Each foreign language to be taught through the médium of that tongue
o r through the mediimi of the language best understood bj' the children.
C. — In purely Enghsh-speaking districts. — 1. Irish to be the officiai
language, as in B. 2, 3, 4 and 5. — History, Music and Foreign Lan-
guages, as above. 6. Irish to be taught for vemacular use to each
child for at least one hour per day. 7. In two years 'time it should be
feasible to commence teaching Reading, Writing, Grammar, Oral
Composition, Kindergarten, etc., in Irish and EngUsh on alternate daj'S
in the three lower standards, and ail school subjects in the.other stand-
■ ards. 8. In five years 'time it should be feasible to hâve a BiUngual
Programme in ail school subjects except, perhaps, in the case of infants.
An adaptation of the programme is also set out for the Secondary
Bchools; and as regards Universities a spoken knowledge of Irish and
knowledge of Irish History is demanded as essential for matriculation.
The time is ripe, indeed overripe, for this campaign on the nation-
killing Anglicisation of our schools. The schools want a good shake,
and there is no reason to believe that those of them conducted by
people with Irish sympathies will not welcome the shake as much as
the gênerai Irish public. We foar that the Protestant schools will
remain a great obstacle, as they, for the most part, look at the Irish
language as dangerous and séditions. The securing of the adoption
of the suggested programme by High School, Mountjoy, and Andrews
in Dubhn, to go no fxirther, will take somc doing. No doubt thèse and
similar schools will stand by England for the présent, and the develop-
ment of the programme will be almost exclusively the work of Catholic
schools and collèges. If the Catholic schools and collèges Irishise
themselves they will in largo part regain for the country the power of
absorbing strangers and the rest will follow as a matter of natural and
national dovelopment.
l'Action française
JUIN 1919
Les Précurseurs
PIERRE BËDARD ET LA RESPONSA-
BILITE MINISTERIELLE
à T. C.
Précurseur, Pierre Bédard le fut dans toute la force
glorieuse de ce mot viril. Il en eut la clairvoyance pro-
phétique et l'ardeur intrépide. Champion et martva- de
notre cause, il est le premier en date de tous nos grands
parlementaires. Son patriotisme ardent et résolu a fait
de lui l'un des pionniers de notre unité nationale. Il a
créé l'expression même de a notre nation canadieywe))^ et,
surtout, il lui a donné un sens précis et vivant. Il a tiré
des limbes où elle sommeillait ciicore l'âme de notre nationa-
lité.
Artisan séculaire de l'autonomie coloniale de tout
l'empire britannique, à lui revient l'indiscutable mérite
d'avoir le premier formulé (et avec quelle netteté bien
française !) le principe vital de notre responsabilité minis-
térielle.
Pierre Bédard était né le 13 septembre 1762. Trois
ans jour pour jour après la bataille des plaines d'Abraham.
Sorti da Petit Séminaire de Québec en 1784, il devint
avocat le 6 novembre 1790. Membre de notre premier
parlement, pendant vingt années consécutives (1792-1812),
il dirigea tous les grands débats de cette époque historique.
Il fut l'un des meilleurs chefs de notre race.
^ F. Bradshaw — Self Government in Canada, ch. III.
Vol. III, Nn 6
242 l'action française
J'ai déjà esquissé en une humble ébauche la biogra-
phie de ce chevalier sans peur et sans reproche de la liberté
et du droit. J'ai évoqué sa belle amitié pour ses deux
condisciples Boardages et Baillargé. J'ai rappelé la
fondation da Canadien et j'ai salué en Pierre Bédard le
père du joarnalisme canadien-français. J'ai résinné à
grands traits son attitude sur la question seigneuriale, les
subsides, les privilèges de la presse Je n'examinerai ici
que son rôle d'apôtre de la responsabilité ministérielle.
Dicey appelle ce principe de la responsabilité minis-
téjielle la plus conventionnelle de toutes nos maximes d'é-
quité constitutionnelle. Privés comme nous le sommes en
cette matière de documentation législative, il nous est
extrêmement difficile de suivre à travers les temps l'évolu-
tion de cet usage parlementaire d'une importance pourtant
si capitale. Aucun texte de loi même aujourd'hui n'en
reconnaît l'existence officielle.
A l'époque précise qui nous intéresse, le sj'stème
ministériel traversait en Angleterre sa phase définitive. Il
subissait aux mains du monartiue britannique sa dernière
et triomphale épreuve. George III était un vivant anachro-
nisme. Par le plus déconcertant des illogismes, cet Hano-
vrien voulait ressusciter au lOième siècle l'absolutisme
désuet des Stuai'ts. Au commencement de son règne, il
siège avec ses ministres. En 1761, il intrigue tant et si
bien qu'il renverse son premier ministre, Pitt le père.
Pendant les vingt années qui suivent, il gouverne person-
nellement sous le masque de ses différents grands vizirs.
En 1781, Pitt le jeune entre au parlement. A 25 ans, il
devient premier ministre et pendant quelque six mois
(1783-1784), il garde les rênes gouvernementales malgré
seize votes adverses des Communes. ^ Il ignore systéma-
' Taylor : Origin and Growlh of thc Conslitulion, vol., II, p. 507
l'action française 243
tiquement le précédent établi par Walpole en 1742 de rési-
gner sur tout vote de non-confiance. Pitt défie les Cham-
bres et en appelle finalement au peuple. Le corps électoral
lui donne raison. Vainqueur, il façonne le cabinet britan-
nique suivant sa forme actuelle. Par là, je ne prétends
nullement assigner une date définie au plein épanouissement
du système moderne de la responsabilité ministérielle. La
constitution anglaise, tout comme un véritable organisme
vivant, croît et se développe par an procédé incessant et
gi-aduel. Ainsi que le remarque Anson, ^ le ministère s'est
élaboré en une lente évolution. Ni en Angleterre, ni aux
Colonies, il n'a jailli spontanément et tout développé.
Ainsi en 1791, l'année même qu'il nous faisait octroyer notre
seconde constitution, Pitt est aux prises avec Thurlow.
Ce dernier persiste à occuper son poste de chancelier malgré
la volonté formelle du premier ministre qui n'en peut mais.
La solidarité du cabinet et la toute-puissance de son chef
étaient loin d'être définitivement reconnues à la fin du
ISième siècle.
Ici, grâce à l'influence bienfaisante de lord Dorchester,
l'administration du pays se fait sans heurt. L'anta-
gonisme qui allait éclater plus tard entre le pouvoir exécutif
et la législature ne s'annonçait pas encore à notre horizon
politique. De 1792 à 1796, notre machine représentative,
bien qu'elle fut loin d'être parfaite, fonctionne sans difficulté.
Pendant la décade suivante, les victoires napoléonien-
nes se succèdent sans interruption. L'Assemblée législa-
tive de Québec se trouve ainsi condamnée à une docilité
absolue et à un mutisme presque complet. Tout geste
d'indépendance de sa part l'aurait fait instantanément
taxer de rel:)ellion.
1 Anson : Law and Cuatom oj ihe Constilulion, vol. II, p. 69.
244 l'action française
En Angleterre, en 1804, George III congédie autocrati-
quement Pitt à cause de son bill d'ém-ancipation des catho-
liques. Au mois d'août de la même année, Bourdages,
l'ancien condisciple de Bédard, est élu député de Richelieu.
Dès lors, les deux finissants de 1784 deviennent d'insépara-
bles frères d'armes. Les lattes qu'ils soutinrent furent
vraiment glorieuses. Leur vaillance et leur patriotisme ont
auréolé leur front de la gloire la plus pare. Précurseurs
injustement oubliés, ils ont écrit aux premières pages de
nos annales parlementaires une merveilleuse épopée. Le
bronze devrait éterniser leurs sacrifisos en un monunient qui
célébrerait dignement leur double souvenir. Aucun peuple
n'eût des défenseurs plus héroïques. En ignoiant leur
mémoire sacrée, nous commettrions envers notre race un
acte stupide d'ingratitude imméritée.
Au cours de la session de 1805, fut passée cette fameuse
loi des prisons qui alluma ici une lutte des plus acrimonieu-
ses entre les deux éléments de notre population. Le
22 novembre 1806, au milieu de cette polémique violente,
paraît le premier numéro du Canadien. Bédard donnait
ainsi à notre race son premier organe. Son journal ne devait
vivre que trois ans et demi, mais : « Il marque, dit Gar-
neau, l'ère de la liberté de la presse au Canada. I>'impul-
sion qu'il a donnée aux idées constitationnelles fut telle
qu'à ce titre son nom mérite d'être placé à la tête de l'his-
toire de la presse en ce paj's. )) ^
Le Canadien naissait à un moment critique^. La
guerre de races faisait rage au C'anada. « Cette province,
lisait-on dans les colonnes du Mercury de Québec, est
déjà trop française pom* une colonie britannique. Depuis
quarante-sept ans que nous la possédons, il est juste qu'elle
1 Garncau : Histoire du Canada, (2e éd.), vol. III, p. 112.
l'action française 245
devienne anglaise ». Ces menaces de dénationalisation ne
pouvaient plus rester sans réponse. L'apparition de notre
hebdomadaire québecquois s'imposait donc comme une
véritable nécessité nationale. Son existence était urgente;
elle était iii dispensable au triomphe de notre cause. Aussi,
en certain milieu, le Canadien rencontra dès sa naissance une
opposition violente. I^es cirrconstances allaient hélas !
trop bien servir les adversaires de la feuillt de Bédard :
le 8 octobre 1807 débarquait à Québec sir James Craig.
Dix mois après son arrivée, (le 8 août 1808), Craig
adressait à lord Castlereagh une dépêche officielle dont l'ex-
trait suivant ne manque certes ni d'intérêt, ni de piquant.
« Ils croient ou affectent de croire », écrivait notre nouveau
gouverneur en parlant de Pierre Bédard et de ses partisans,
« c^u'il existe ici un ministère et qu'à l'imitation de la cons-
titution de la Grande-Bretagne, ce ministère leur est
responsable de la conduite du gouvernement ». « Je n'ai
pas besoin d'indiquer à vos Excellences », ajoutait respec-
tueusement notre zélé fonctionnaire, <( à quelles mesures une
pareille idée pourrait les conduire ». ^
Ainsi donc, Craig dénonçait l'attitude des champions
canadiens-français de la responsabilité ministérielle comme
un acheminement possible v-ers la révolution. Tout en
nous refusant le bénéfice de ce principe constitutionnel, le
vieux vétéran en reconnaît pleinement l'existence en
Angleterre. Cet aveu est précieux. En effet, l'année pré-
cédente (1807), Georges III avait arbitrairement congédié
Gren ville.
L'opinion de Craig indique donc que l'incohérence
de son monarque ne constituait qu'une exception acciden-
telle et momentanée à une doctrine déjà solidement établie,
^ Archives canadiennes — Q. 107, p. 312.
246 l'action française
malgré des crises passagères. Elle prouve que Bédarcl ne
faisait que demander à l'Angleterre l'application logique
de ses propres principes. Précurseur, il l'était héroïque-
ment; il en a toute la gloire. D'un révolutionnaire, il
n'avait rien. Il fut un patriote loj'al entre tous. Son âme
de jurisconsulte était trop éprise de l'amour de la justice
et de l'ordre pour qu'il s'abaissât aux violences dangereuses
d'une inutile rébellion.
M. Bradshaw lui-même ^ admet que les rédacteurs du
Canadien s'en prirent toujours au gouvernement seulement
et qu'ils s'abstinrent soigneusement de toute propagande
anti-anglaise. S'inspirant à même Blackstone, Bédard
puisait sa science légale dans les œuvres des interprètes les
plus autorisés des institutions de notre métropole. Fort
de ces textes et de la leçon de liberté qui s'en dégage, il
réclamait pour notre assemblée législative tous les privilèges
dont jouissait, à Londres, la Chambre des Communes.
Ainsi, à la session de 1808, il fait voter, avec Bourdagcs,
la loi destinée à exclure les juges du parlement. Bien-
tôt, Little King Craig, offusqué par cette mesure, retranche
de la liste des officiers de milice Bédard, Panet, Taschereau,
Blanchet et Borgia sous prétexte qu'ils sont propriétaires
du Canadien. Cet acte injuste n'enlève nullement à notre
champion populaire son ardeur.
A la session de 1809, Bédard fait en effet l'une des
plus belles harangues de sa carrière,^ Il y pose avec une
clarté admirable le principe essentiel de la responsabilité
ministérielle. « Le premier devoir de l'Assemblée, troisiè-
me branche de la Législature, disait-il, est de défendre son
indépendance même contre les tentatives que ferait le
^ F. Bradshaw : Self-Government in Canada, p. 46.
* Garneau : Histoire du Canada, (2e éd.), vol. III, p. 120. — Voir
aussi Le Canadien, 17 et 31 janvier 1807 et 16 juillet 1808.
l'action française 247
Conseil exécutif pour la restreindre. En adoptant le senti-
ment de ceux, qui disent qu'il n'y a point de ministère au
Canada, il faudrait ou bien qu'elle renonçât à se maintenir
ou bien qu'elle dirigeât ses accusations contre le représen-
tant même du Roi, ce qui serait une chose monstrueuse
parce que nous devons voir en notre gouv^erneur la personne
sacrée de sa Majesté et lui appliquer les mêmes maximes. »
Résumant la question, Garneau s'exprime ainsi au
sujet de Bédard : « Il lui paraissait qu'un ministère était
un rouage al^solument nécessaire dans le gouvernement
parlementaire du Canada. Il fit observer qu'en fait et
indépendamment de toute maxime constitutionnelle,
le gouverneur qui était dans le pays depuis si peu de temps,
ne pouvait connaître les dispositions des habitants que
d'après les renseignements qu'on lui donnait.» «Il est vrai
qu'il n'y avait pas de ministère tel que nous le concevons
aujourd'hui, mais il y avait des ministres secrets, des per-
sonnages de marque, occupant de très hautes charges,
lesquels tout irresponsables qu'ils fussent conseillaient le
gouverneur en petit comité. L'orateur, dans ce discours
remarquable où il indiquait si nettement le principal défaut
de la constitution de 1791 et où il expose un système qui
devait être accordé au Canada quarante ans après, fut
regardé comme l'apôtre d'une idée révolutionnaire.»
Le 15 mai 1809, Craig fait soudainement irruption
au Parlement et le dissout par un véritable coup d'état.
A la suite de l'exclusion dt la Chambre d'Ezéchiel Hart,
représentant Israélite des Trois-Rivières, le gouverneur
lance aux membres de l'Assemblée un discours plein de
reproches. Le Canadien, sans relever ces propos acerbes,
cite Blackstone, Rapin et Locke. Il démontre à l'évidence
que le Roi jouit du privilège absolu de dissoudre la chambre
mais qu'il ne lui est pas permis de faire des remarques
248 l'action française
injurieuses sur les actes de la législature qui, est absolument
indépendante de son autorité.
Toujours sous la direction de Bédard, l'Assemblée
législative propose, en 1810, une adresse au Roi, s'offrant
à subvenir à toutes nos dépenses civiles. Cette initiative
n'était que la réalisation tardive d'un vœu émis par lord
Dorchester en 1793. En possédant entre ses mains la
clé d'or des coffres publics, l'Assemblée législative aurait
placé son autonomie au-dessus de toute atteinte. Craig
déclara cette proposition subversive et contraire à toute
tradition parlementaire. Il refusa catégoriquement de
transmettre cette résolution au ministère britannique.
Le 26 février 1810, les députés aj'^ant exclu de la
chambre par simple résolution le juge de Bonne, le gouver-
neur proroge immédiatement les chambres. Il accuse
l'assemblée de violer la constitution. Décidés à sévir
impitoj'ablement, les adversaires du parti populaire scru-
tent le Canadien. Le 17 mars 1810, messircs Stilling et
Stiles, deux aubergistes, dénoncent comme entachés de
tendances séditieuses les numéros des 3, 10 et 14 mars
1810 de notre organe québecquois. Ordre est aussitôt
donné de saisir manu militari le journal, d'arrêter Bédard,
Taschereau, Blanchet et Lefrançois, de patrouiller la ville
en tous sens, de détenir les malles royales, etc., etc. Cette
mise en scène mélodramatique était peut-être habile.
Elle était absolument injustifiée. L'emprisonnement de
Bédard, le 19 mars 1810, était un acte inqualifiable de des-
potisme de la part de ses ennemis.
Aux élections du mois suivant (21 avril 1810), notre
premier mart3'r politique languissait encore dans sa sordide
cellule de la rue Dauphine. Ce fut la Basse-Ville de
Québec qui eut l'honneur de l'élire comme député. En
vain, à la .session de 1810-1811, Joseph Papineau et Louis
Bourdages tentetit l'impossible pour obtenir la libération
L ACTION FRANÇAISE 249
de leur collègue. Leurs démarches se heurtent à l'entête-
ment sénile du gouverneur. Bédard n'en avait pas moins
une « très douce » consolation. Craig annonçait, en effet,
en prorogeant les Chambres « qu'il sanctionnait avec une
satisfaction toute particulière » la fameuse loi d'exclusion
des jdges. (C'était elle qui avait causé en bonne partie
l'emprisonnement d\i fondateur du Canadien.) Son apo-
théose se couronnait d'ailleurs au printemps de 1811 par
.sa libération « sans procès. »
Incapables de prouver devant les tribunaux un seul
de leurs allégués, les accusateurs de Bédai'd retiraient lâche-
ment et cyniquement leur vile plainte. Ainsi, ils se stig-
matisaient eux-mêmes à tout jamais.
Et, pour comble, vingt mois après sa sortie de prison
(le 11 décembre 1812), sir George Prévost nommait juge
aux Trois-Rivières le prisonnier de Craig.
Cet honneur privait sans doute notre représentation
parlementaire de son meilleur chef. Il n'en constituait pas
moins pour toute notre race une éclatante revanche.
* * *
Bédard fut pour les nôtres un initiateur et un modèle.
Précurseur direct de I^a Fontaine, il a jeté les premières
semences de notre autonomie actuelle. Champion de la
responsabihté ministérielle à l'aurore indécise du XIXe
siècle, il a le premier contribué à faire de notre pays le
berceau du système colonial de tout l'Empire britannique.
Quand donc rendra-t-on à cet héroïque pionnier la
gloire qui lui est indiscutablement due ?
Léon-Mercier Gouin.
Bibliographie :
F.-X. Garneau : Histoire du Canada (2e édi.).
T.-P. Bédard : Histoire de 50 ans.
Dr Dionne : Pierre Bédard et ses Jils.
Etienne Parent : Pierre Bédard {Journal de V Instruction Publi-
que, 1859, vol. III, no 2).
Bibaud : Histoire du Canada, vol. II.
GRAND CONCOURS DE PROPAGANDE
SlOO EX PRIX — LES CONDITIONS
Pour stimuler la diffusion de la revue, nous avons décidé
dHnstituer cet été un grajid concours de "propagande. Nous
convions à cette lutte courtoise tous nos amis.
Seize prix seront attribués, selon le nombre des points
recueillis :
1 premier prix de S25
1 deuxième prix de $15
2 prix de SIO
4 prix de S 5
8 prix de ;!> 2 . 50
Les points seront calculés d'après V échelle suivante :
Abonnements de 1919, 5 points chacun
Abonnements de 1920, 10 points chacun
Abonnements de 1918, 10 points chacun
Les trois abonnements
à la même adresse, 30 points
En tout cas, il ne peut s'agir que d'abonnements nou-
veaux. Les renouvellements et prolongations ne coînptent
point, pas plus que les soldes d'abonnements en cours. La
collection de 1918 sera tout de suite adressée aux nouveaux
3
l'action française 251
abonnés, de même que les livraisons parues de 1919. La
collection de 191 S se vend $2, V abonnement de 1919 et de 1920
est de SI par année, payable d'avance.
Le concours s'ouvrira le 1er juillet pour se terminer avec
le dernier courrier distribué à Montréal le 31 août. Le
résultat sera proclamé dans la livraison de septembre de
r Action française. Les concurrents sont libres de recueillir
les abonnements où ils voudront, de grouper leurs efforts, etc.
Nous ferons simplement le total des abonnements et des points
obtenus.
Nous prions qu'on ait bien soin, en expédiant chaque
nouvel abonnement, de spécifier : Pour le concours . . . Doit
être attribué à X . . . , en précisant bien les noms et les adresses.
Les vacances amènent une vaste dispersion de nos amis.
Nous les prions d'en profiter pour faire connaître la revue
partout où on l'ignore, pour fixer les adhésions hésitantes,
pour pousser à l'action les bonnes volontés fiottantes.
Que tous ceux-là prennent part au concours qui le peu-
vent ! Que ceux qui ne peuvent s'engager dans cette lutte
amicale n'en travaillent pas moins à la diffusion de la revue !
Au-dessus du concours, il y a la besogne générale de propagan-
de, et le concours n'est qu'un moyen de la faciliter et de l'accé-
lérer.
A l'œuvre donc, tout de suite et partout !
L'Action française.
P. S. — Toute la correspondance doit être adressée à
Concours d'abonnement, ^Action française, 32, Immeuble
de la Sauvegarde, Montréal,
LE PÈLERINAGE AU LONGS AULT
Il se rencontie des Canadiens, — ils sont, je crois, assez
nombreux, — qui confondent Ticondéroga avec le Long-
Sault, bien que l'un soit au fond du lac Champlain et l'autre
sur l'Outaouais, à quarante milles de son embouchure. Cette
méprise a une excuse. La bataille de Carillon, chantée
par Crémazie, s'est déroulée à Ticondéroga, c'est incontes-
table; mais par une fantaisie géographique assez agaçante,
le village qui garde le pied du Long-Sault, porte
aussi le nom de Canllon . . . C'est à ce Carillon, bien cana-
dien et même québecquois, que V Action française nous avait
conviés le 24 mai dernier.
A quelle fin ? Il s'agissait d'aller y glorifier Dollard.
Nous croj'ons superflu de raconter ici le combat surhumain
qui l'a immortalisé. Nous venons justement d'achever la
lecture d'une étude de M. Benjamin Suite, sur ce sujet,
d'où il ressort qu'à cette date de 1660, les Indiens allaient
entreprendre avec toutes les chances de succès une razzia
définitive, de Ville-Marie à Québec. L'expédition de Dol-
lard et de ses compagnons nous apparaît alors d'une témé-
rité inouïe. Elle ne fut pas entrepiise après de froids calculs,
mais bien sous la poussée d'une intuition de héros. Ceux
qui partaient sentaient fort bien qu'il faudrait allci- « jus-
qu'au bout )), sans espoir de retour. . .
U Action française a voulu glorifier ces héros et elle a
institué, il y a plus d'un an, un pèlei-inage patriotique à ce
coin du pays qui a été témoin de leur mort et qui a bu leur
sang. Le voyage prenait, cette année, un attrait de plus
l'action française 253
et un caractère tout spécial. On se rappelle que, vers 1910,
on commença à recueillir des souscriptions afin d'ériger
à Dollard un monument. Les sommes s'acciunulèrent
tant et si bien que, une fois le concours de sculptm-e jugé
et le monument estimé, le comité d'érection fut en présence
d'un surplus. On eut alors l'idée excellente de placer au
Long-Sault, non pas une réplique — c'eût été impossible — ,
mais une pierre, mais un bronze, mais une inscription, qui
arrêtât le touriste distrait et lui dit : « Ici s'est passé quelque
chose de gi*and ! »
Nous partions donc de la ville, un samedi matin, quel-
ques jom's seulement après l'anniversaire de la fondation
de Ville-^Iarie. Un train tout entier était à notre disposi-
tion. Certainement d'autres pieux pèlerins auraient pu nous
accompagner sans nous nuire. . . Ce sera pour l'an pro-
chain ! Il y avait à bord, comme il convenait, des minis-
tres, des orateurs et des militaires. Nous avons pu admirer^
sous un très beau ciel, le vaste paysage lacustre de Vau-
dreuil et longer près d'une heure le puissant Outaouais dé-
bordé. A la Pointe-Fortune il fallut descendre, et à la file
indienne, siu- un trottoir fait de deux planches, atteindre
la rive tout auprès. Là un bateau passeur et un yacht da
gouvernement attendaient les pèlerins. Ce fut une joie
de traverser le courant impétueux et de sentir sur nos visages
le vent qui vient des forêts d'en haut.
Au village, on nous attendait. L'hospitalité canadien-
ne S'y donna libre cours. Dans le soubassement de l'église,
la fabrique avait dressé une table abondante pour ses
hôtes. Chacun y prit place et gaîment calma un appétit
que le voj'age avait largement ouvert. Celui qui écrit ces
lignes avait en face de lui un jeune mihtaire de la Grande
Guerre, un frère de Dollard par l'intrépidité, et à sa gauche
254 l'action française
une descendante de ce Juillet qui se noya quelques heures
après le départ de la troupe, tout près de Ville-]\Iarie.
Après ce repas, un acte fut passé par devant notaire, en-
tre le Comité du monument et la fabrique de Carillon.
Parmi les signataires se trouvaient un représentant de la
province, un représentant de la France, le président du
Comité, le président de la Société Historique, un éloquent
panégyriste de Dollard et jusqu'à un descendant de ce Ga-
briel de Quej^lus qui bénit les combattants dans l'église de
Ville-Marie.
Le pèlerinage comportait deux étapes. Une première
au site présumé de l'holocauste, une seconde au monument.
Une croix a été dressée à l'endroit à peu près. . . précis
où s'érigeait le fort de pieux. Un vaste plateau le domine
d'où la vue s'étend sur le Long-Sault lui-même et sur le
vUlage, tandis que l'ombrage des hêti'es centenaires pro-
tège contre un soleil ardent.
La bénédiction de la croix terminée, les pèlerins redes-
cendirent à la live. Une fanfare jouait au loin; elle pré-
cédait tout un régiment de jeunes, venus par eau, du collège
de Rigaud. Ils avaient été certes bien inspirés et donnaient
là un btl exemple ! Sans eux, malgré la présence de beau-
coup de membres de l'Association de la Jeunesse, la fête
n'eut pas été complète. Bientôt, devant le monument
encore voilé, se massa la foule. En face, les orateurs, le
sculpteur et les invités; à gauche, les petits garçons des
bonnes Religieuses, à droite les collégiens, tout autour les
pèlerins jeunes et vieux, prêts à écouter les discours.
Déjà, à l'arrivée, une adresse de bienvenue avait été
lue par le maire de Carillon, et, — faut-il le dire ? — nous
craignions bien un peu que les cinq ou six discours qu'on
nous annonçait ne fussent des rééditions du même sujet;
nous pensions aussi qu'ils seraient très longs. . . Or, il n'en
l'action française 255
fat rien. Chacun au contraire avait sa marque très per-
sonnelle et, en une heure, tout fut dit. M. Jean-Baptiste
Lagacé raconta l'histoire du monument, et comment et
pourquoi il s érigeait là, devant nous; M. Victor ]\Iorin rap-
pela les faits consignés dans les annales de Ville-Marie;
INI. le curé de Carillon, l'abbé Verner, en prose et en vers,
félicita d'une voix magnificiue les organisateuis; le capitaine
de Clerval dit dans un langage très soigné la part cj^ue pre-
nait la France dans notre fierté; M. l'abbé Broph}-, natif
de l'endroit, fit une étude topogiaphique; enfin M. l'abbé
Groulx tira les leçons morales de la fête. De la voix, du
geste et d'un style enflammé, il montra aux jeunes qui l'écou-
taient, la beauté du sacrifice, la hardiesse de l'entreprise,
et l'indomptable ténacité de Dollard et de ses frères d armes.
Sa parole lutta victorieusement avec la rumeur des rapides
et le claquement des drapeaux dans le v^ent.
Après chaque orateur la fanfare avait joué les hymnes
nationaux et les petits garçons avaient chanté en chœur.
Dès la fin du premier discom'S, Mademoiselle Juillet avait
dévoilé le monument, et maintenant tous étaient avides
d'approcher pour l'admirer. Il faut le voir de la i-ue. C'est
un haut socle de granit gris. Sur la face sont sculptées
deux épées entre lesquelles s'alignent les noms des héros.
Au pied, un médaillon en bronze représente le chef de Dol-
lard, dans l'attitude du guerrier qui jette son dernier com-
mandement. Au sommet, une admirable tête, également
de bronze, symbolise la Nouvelle-France, c'est le plus beau
morceau de l'œuvre, et nous souhaitons de le retrouver dans
le monument de jMontréal. Il s'en dégage une calme dignité
qui impressionne. Le bas de la figm*e et le ph de la bouche
dénotent une décision que rien ne pourra réduire, pendant
que le regard, lointain et un peu triste, est celui des hommes
256 l'action française
qui ont beaucoup \écu. On s'empressait autour du scu%)-
teur pour le féliciter : ce n'était pas à tort.
Puis, il fallut reprendre le chemin du retour. Le pas-
seur attendait au pied du canal, qui nous a paru gracieux
comme un étang au milieu d'un jardin, sous de grands ar-
bres. Nous avons pu admirer, en prenant le large, l'im-
pétuosité des « bouillons d'eau », comme disaient les Décou-
vreui's, et nous imaginer sur la crête des vagues, les hordes
d'Iroquois descendant vers le massacre. A gauche, au
contraire, Carillon allignait ses maisons dans la verdure,
et nous saluâmes en passant, à côté de l'église, au milieu
du carré dont il fera désormais le plus bel ornement, le mo-
nument Dollard des Ormeaux.
Cette journée cVAdion française se termina dans la
pleine satisfaction de tous. Tous, les jeunes siutout, reve-
naient pénétrés d'une grande leçon d'amom* pom* la patrie,
de dévouement et de sacrifice; les vieux se sentaient rajeunis
au contact de cette vie entraînante et bien française. Bref,
l'insigne que nous portions ce jour-là, marqué au nom et à
l'effigie de Dollard, nous rappellera un souvenir d'énergie
et de fierté nationale.
Olivier ■\Iaurault, p. s. s.
r^T'E, partout, la célébration de la Saint-
^ Jean-Baptiste soit l'occasion de réso-
lutions fermes, précises, ou, mi«.iix encore,
d'actes d'un patriotisire vrai !
SOUVENIRS D'HIER, MENACES
DE DEMAIN
L'Association cVÉducation vient de publier les discours
prononcés au congrès franco-ont arien de février dernier par
Mgr l'Archevêque de Saint-Boniface et Mgr l'Êvêque de
Haileybury. Ils comprennent des réflexions et des aver-
tissements qu'il importe de souligner.
Que faut-il penser d'abord de la lutte qui s'est pour-
suivie, depuis tant d'années, autour de l'école bilingue
ontarienne ? Mgr l'Êvêque de Haileybury, dont chacun
connaît le calme et la pondération, qui a suivi de près le
cours des événements, a carrément abordé la question. Se
tournant vers les délégués, tous mêlés à ce drame poignant,
le vénérable prélat leur a déclaré :
Voulez-vous que je vous dise ce que je pense de votre conduite
depuis l'origine de ces tristes événements ?
En la modifiant pour l'adapter à la circonstance, j'aime à vous
répéter la parole adressée un jour par le Christ à saint Thomas d'Aquin :
« Frères, vous avez bien combattu »; avec sagesse, avec dignité, avec succès.
Plusieurs de vos chefs spirituels, pour des raisons que je respecte
sans les discuter, voas ont laissés sans direction, ^'ous avez dû vous
organiser seuls et seuls maintenir la défense en face de l'oppression et
vous avez donné le miracle d'une armée qui va sans chefs et qui remporte
des victoires. N'est-ce pas la Providence elle-même qui vous guidait ?
D'aucuns vous reprochent certaines manœuvres imprudentes
Autant vaudrait reprocher à la Belgique et à fa France d'avoir incidem-
ment allumé quelques incendies dans la lutte héroïque qu'elles ont
soutenue poiu: défendre leurs foyers contre l'invasion des barbares.
Oh ! qu'il est facile de critiquer, de la coUine voisine, les vaillantes
brigades qui disputent un édifice à l'envahissement des flammes et qu'il
y a peu de mérite à découvrir, quand on a été acculé dans im chemin
diflScile, que peut-être il v avait un peu plus loin un chemin plus favora-
ble.
258 l'action française
Mais après tout, je me le demande : Qu'avez-vous donc fait que
vous fi' eussiez pas dû faire?
Vous vous êtes unis. Mais depuis quand, est-ce donc un crime de
s'unir poiu: exploiter des richesses ou pour défendre la propriété ?
Sans moyens violents vous avez résisté à ceux qui voulaient vous
priver du droit que Dieu vous a donné de faire enseigner dans vos écoles
la langue de votre foyer.
Certes, quand je repasse dans ma mémoire les événements dont nous
avons été les témoins attristés depuis plus de huit ans, je ne puis m'em-
pêcher d'être frappé d'admiration pour votre sagesse et de reconnaissance
pour Dieu qui vous a guidés. Cette direction du pape que nous venons
de recevoir, on dirait que vous ra\'iez sous les yeux quand vous orga-
nisiez votre résistance si noble, si énergique, si loyale.
Vous avez épuisé tous les moyens diplomatiques en votre pouvoir
et quand on vous refusait tout, jusqu'à enlever un iota des lois draco-
niennes qui pesaient sur vous, quand nous a\'ions peur de vous voir vous
lever en masse et mettre à la porte les lois iniques et les intrus, vous vous
êtes contentés de dire à vos enfants : « Revenez au foyer jusqu'à ce
que l'école soit habitable pour de petits Canadiens français. »
yiais dira quelqu'un : qu'a-t-on gagné par la résistance ? Frères,
vous avez gagné votre langue. Si vous vous étiez croisé les bras, si
vous eussiez consenti à la tentation d'essayer le régime qu'on vous pré-
sentait, si, pour des considérations d'argent ou de faveurs gouvernemen-
tales, vous eussiez cédé, la cause sacrée du français dans nos écoles serait
perdue depuis longtemps.
Et Mgr de Haileybury ajoutait, d'une voix profondé-
ment émue :
Oh ! qu'il fait bon espérer, surtout quand l'espérance s'appuie sur
la justice, surtout quand le pape nous dit que nos espérances et nos
revendications sont légitimes. Merci, auguste pontife, d'avoir répété
tout haut ce que vous m'aviez dit à l'oreille : « Je pense comme vous »
et je sais de science certaine que Votre Sainteté pense comme pensait
Pie X. « Ils font bien », disait ce pape, en 1913, à un cvêque canadien»
en parlant précisément de la sortie de nos enfants d'école à l'arrivée de
l'inspecteur protestant.
l'action française 259
Cela, c'était pour le passé, mais les deux évêques,
admirables chefs, aussi clairvoyants que vigilants, n'ont
pas voulu se borner à parler du passé, ni même de la lutte
qui se déroule sur le sol ontarien. Ils ont porté leurs
regards plus haut et plus loin. Presque dès le début de son
discours, Mgr Béliveau déclarait qu'il n'était pas besoin
d'être prophète pour dire « que l'assaut se prépare pour
reinplacer partout, sans excepter Ontario et Québec, l'école
confessionnelle et séparée par l'école Nationale qui sera, cela
va sans dire, neutre en attendant qu'elle soit à peu près exclu-
sivernent anglaise. )) Avec sa douloureuse expérience des
« chiffons de papier », il répondait d'avance à ceux qui
pourraient parler de la sécurité des garanties législatives :
Mais vous n'oubliez pas qu'il y a l'Acte de l'Amérique Britannique
du Nord sur le chemin de l'idée en marche. . . Pas plus que j'oublie
qu'il y avait l'acte du Manitoba chez nous; et l'acte du Manitoba était
devenu un acte impérial en 1S71.
S'il n'}- a qu'un texte légal sur le chemin, la difficulté sera vite
renversée.
D'ailleurs le fait que pubhquement on parle de conférer des préro-
gatives au gouvernement fédéral, en matière d'éducation, n'est-il
pas le premier coup de bélier conti'e l'Acte de l'Amérique Britannique
du Nord qui donne aux provinces d'Ontario et de Québec leurs droits
exclusifs en matière scolaire.
Remplacer partout l'école séparée et confessionnelle par l'école
publique et neutre qu'on décore du nom pompeux d'école Nationale,
voilà une lutte déjà commencée. Elle n'est encore qu'à l'état de cul-
ture d'idées pour certaines provinces, mais elle aura peut-être gagné
l'arène fédérale plus tôt qu'on ne croit, et de là l'arène impériale.
Mgr de Haileybury parlati dans le même sens.
Il y a là un avertissement qui tombe de trop haut pour
n'être point retenu et médité.
Omer Hêroux
JEANNE MANCE ET LA FONDATION
DE MONTREAL
Nos glorieux anniversaires se groupejit en ce moment à la
façon dhine gerbe exquise. L'ancienne floraison d'héroïsme
s'épanouit de tous les côtés à la fois. C'est au matin du 18
mai, le souvenir de la fondation de Ville-Marie, l'évocation du
geste créateur de Jérôme de la Dauversière et de Jean-Jacques
Olier, de Maisonneuve et de Jeanne Mance. La sainteté, la
vaillance, la claire intelligence des réalités extérieures s'unis-
sent autour de ce fait. C'est encore, durant une belle journée
de mai, la commémoration des morts du Long-Sault, la vision
persistante des jeunes et purs chevaliers, de Dollard et de ses
preux, « couchés dessus le sol à la face de Dieu ». Comment
Ville-Marie n'aurait-elle pas vécu, puisque l'on mourait pour
elle, avec une telle passion au cœur, et de l'extase plein les
yeux? Ce sera enfin, au 24 juin prochain, par toute une jour-
née d'attentive dévotion, la consécration de ces événements
impérissables et le rajeunissement de nos traditions françaises,
au contact des générations nouvelles, debout, aux écoutes,
l'âme respectueuse et vibrante. N'allons pas nous refuser
l'espoir d'une longue survivance puisque de tels réveils frémis-
sants restent possibles chez nous.
Un peu de recueillement, en ces jours de ressouvenance,
fait notre émotion pénétrante. Notre vue s'aiguise. Des
perspectives ignorées sortent de l'ombre et s'illuminent. Cer-
tains actes de nos héros nous apparaissent sous un jour incon-
nu. Et nous interrogeons daris notre besoin de précision, les
livres vénérables, ces gardiens éternels de la mémoire des âmes
d'élite.
l'actiox française 261
Ainsi, me suis-je demandé au matin du 18 mai, connaît-on
bien le rôle admirable de Jeanne Mance dans la fondation
de Montréal ? A-t-on déjà détaché, en un relief que Von sou-
haiterait saisissant et fidèle, quelques-uns des incidents qui
témoignent de son action fructueuse en la circonstance f
La belle figure de Jeanne Mance émerge de l'ombre dès
que la fondation de Ville-Marie est décidée. L'histoire l'ac-
cueille en ses pages. En champenoise discrète et avisée, elle
surgit à point nommé. Quelques lignes de M. Paillon dans
son Histoire de la colonie française en Canada, rapportent cet
événement avec un bonheur d'expression qui vous ravit :
« A la veille du départ, dit-il, l'on s'aperçut qu'il manquait
un secours indispensable, que tout l'argent qu'on avait ne
pouvait procurer. C'était une femme intelligente et sage,
d'un courage à toute épreuve, d'une résolution mâle, qui les
suivit dans ce pays, pour prendre soin des denrées et des
diverses nourritures nécessaires à la subsistance de la. colonie
et en même temps pour servir d'hospitalière aux malades et
aux blessés. »
Quel signalement de l'époque peut mieux évoquer l'image
de notre grande Jeanne Mance ! Et quel important aveu
dans la bouche d'un historien informé : Jeanne Mance est
déjà déclarée indispensable à la réussite de V entreprise de
Montréal.
M. de la Dauversièré ((reçoit comme un présent du Ciel »,
cette femme de méinte. Elle entre par ses soins dans la
« Société de Notre-Dame de Montréal », Son admission
suit de près celle de M. de Maisonneuve. Les membres de
cette Société so7it appelés à veiller au succès de l'établissement
de Ville-Marie, et doivent procurer aux colons les fonds et
les vivres nécessaires. Tout ceci, en vue particulièrement
d'obtenir la conversion des sauvages de la Nouvelle-France.
262 l'action française
Cette compagnie est peu florissante. Elle ne comprend encore
que huit associés, en tenant compte de M. de Maisonneuve
et de Jeanne Mance. Et il serait fort désirable qu'elle prit
de V extension. Des besoins nombreux vont surgir.
Il est donné à Jeanne Mance de parer à cet état de choses,
avec une rare et heureuse sagacité.
Revoyons-la à La Rochelle quelques jours avant son
départ pour la Nouvelle-France. Elle s'entretient, calme et
sereine, avec M. de la Dauversière. Un projet lui vient tout-
à-coup à Vesprit. Comme il lui païait excellent, elle s'em-
presse de le communiquer. Pourquoi M. de la Dauversière
« ne mettrait-il pas par écrit le dessein -de Mcrdréal, ne lui
en remettrait-il pas les copies, qu'il n'enverrait que lorsqu'elle
y aurait joint une lettre de sa main, à Mme la princesse de
Condé, à Mme la Chcvncelière, à d'autres dames et surtout
à Mme de Bullion )) ?
Au moyen de ce projet très simple, exécuté de point en
point par AI. de la Dauversière, Jeanne Mance recrée vérita-
blement la « Société de Notre-Dame de Montréal,^» et assure
à la colonie naissante de puissantes influences.
Quelques années plus tard, elle doit organiser et affermir
à nouveau la Société. Des esprits 7nalveillants ont ruiné
son prestige. Elle possède une élocjuence fine et chaude,
Jeanne Mance. De plus, elle voit clairement les choses,
ainsi ejne le remareiue M. Dollier de Casson. Elle i-éussit
à convaincre les membres de la Société de la nécessité de l'œuvre
de Montréal. Elle obtient à l'assemblée du 21 mars 1650, à
laciuelle elle assiste à Paris, l'assurance que leur haute pro-
tection est encore acquise aux colons de Ville-Marie.
Nommer Mme la princesse de Condé ou Mme de Bullion,
n'est-ce pas rappeler les amitiés précieuses de Jeanne Mance?
l'action française 263
Et elle sait attacher encore plus à sa cause qu'à elle-même, les
cœurs que retient sa personnalité sympathique. Elle
comprend la nécessité d'en agir ainsi dans la conduite d'une
œuvre. Et pour ne citer qu'un exemple, Jeanne Mance ne
rend-elle pas à la colonie un service incomp . 'c en inspirant
un vif sentiment de considération à la ri Madame de
Bullionf L'on doit un jour, à ses dons généreux, le salut
de la colonie tout entière. Nous avons à ce sujet le témoignage
de M. de Denonuille, gouverneur général de l'époque. Il
écrit : « Du consentement de la fondatrice, on prêta 22,000
livres, à la Compagnie de Montréal », pour lever cent hommes,
afin de garantir cette île des insultes des Iroquois. Ces
hojnmes l'ont sauvée en effet, et tout le Canada aussi. » Jeanne
Mance demeure l'inspiratrice en tout ceci. Elle crée et dessine
le plan de l'affaire. Elle use d'une diplomatie lumineuse. Qui
ne se souvient de la limpidité de son raisonnement en cette
circonstance, de sa merveilleuse mise au point des événements :
(( Ville-Marie est perdu, sjnge-t-elle, si l'on n'obtient du
lenfort. Comment alors utiliser jamais le don de Mine de
Bullion destiné à l'hôpital. Sauver Ville-Marie, c'est sauver
l'hôpital ? )) Prompte à l'action comme à la pensée, elle court
chez M. de Maisonneuve, lui fait part de son dessein, et pié-
pare avec lui l'ingénieux programme qu'il suivra. Il a, nous
venons de le rappeler, toute l'efficacité que l'on en a désirée.
Pour la seconde fois, Jeanne Mance consolide l'œuvre
de la fondation de Montréal.
La vocation providentielle de Jeanne Mance nécessite de
rares dons naturels. Ils ne lui manqueiit pas. Des qualités
de charme et de distinction, de la dignité, une belle loyauté
dans le regard, et la voix, une humeur agréable lui constituent
un ascendant personnel auquel on ne résiste pas. Jeanne
Mance, souvenons-nous, reçoit les confidences spontanées de
264 L ACTION FRANÇAISE
M. de la Dauversière et du saint M. Olier. Elle provoque
sans qu'elle y soit pour rien Vardente amitié de cette délicieuse
Madeleine de Chauvigny. Mme de la Peltrie ne peut se
résoudie à quitter Jeanne Mance au printemps de 1643, elle
l'accompagne à Montréal, au jour de la fondation, et seul le
commandement de ses directeurs peut la ramener à Québec et
à ses œuvres. Et comment oublier V abandon confiant de M. de
Maisonneuve auprès de Jeanne Mance? Elle est sa conseil-
lère des bons et des mauvais jours. Il ne décide rien d'impor-
tant qu'il ne lui ait d'abord soumis. Et que de fois, il reçoit
de la bouche de cette femme forte, et sensée, le mot sauveur et
attendu.
Oui, Jeanne Mance, par l'influence morale qu'elle a
possédée, et qu'elle exerça au seul profit de l'œuvre de Montréal,
Jeanne Mance par ses initiatives opportunes et décisives,
demeure « presque à l'égal de Maisonneuve la fondatrice de
Ville-Marie ». Ce jugement a été rendu un jour, par Mon-
seigneur Gauthier, dans son vibrant discours au Congrès
eucharistique international de Lourdes. Je suis heureuse
de le rendre de nouveau avec lui. Et ainsi que je l'énonçais
au début de cet article: Au matin du 18 mai, en l'anniver-
saire de la fondation de Montréal, évoquons le geste créateur
de Jérôme de la Dauversière et de Jean-Jacques Olier, de
Maisonneuve et de Jeanne Mance. Ville-Marie est née par
les soins réuriis de ces grands cœurs, et de ces hautes intelli-
gences.
Et peid-être, l'an prochain, en cette journée du 18 mai,
nous sera-t-il donné de déposer au pied de la statue de Jeanne
Mance, une couronne d'honneur, un symbole gracieux de
vénération et de reconnaissance? C'est mon pieux espoir.
Marie-Claire Daveluy.
1 If juin 1919.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Afyi^S ^ ' ^^s braves tj^pos ! Ils pourraient vous faire pendre
opYljpc poiu- un mot ! Essayant d'analyser, dans la chronique du
mois dernier, le produit d'une éducation mi-française, mi-
anglaise, j'écrivais qu'elle crée « des mentalités embrouillées et des âmes
serves ». Le typographe a mis, même après correction, suaves !
On admettra qu'il y a une nuance. Remettons donc : serves, car
c'est bien le mot qui convient. Serves, veules, sans liens et sans
racines : voilà les âmes que façonne l'enseignement « utilitaire » cher
à quelques-\ms des nôtres, et c'est parce que nous avons besoin d'âmes
d'une tout autre trempe, d'âmes viriles, d'âmes fières, d'âmes vail-
lantes que nous le repoussons avec énergie.
AtfîCS Heureusement bon nombre d'écoles ne l'ont pas encore
fièïeS ^^opté- Elles lui ont préféré une éducation patriotique.
Les résultats leur donnent raison, tel, par exemple, l'incident
suivant. Il montre de quelle vaillance certaines âmes d'enfant sont
capables. Tout dépend des sentiments qu'on cultive en elles. Je
cite textuellement la lettre qui m'a été envoj'ée, n'omettant que la
signature.
Montréal, le mercredi 30 avril 1919.
« Cher monsieur,
« Permettez-moi de vous relater un fait de vérité authentique
arrivé sur le train réguher qui va d'Ottawa à Montréal.
« En août dernier quatre voj-ageurs, quatre enfants d'ime famille
de Sainte-Gene\'iève, montaient dans une voitvire à Beaconsfield. Ils
jaspinaient depuis quelques minutes; et sans doute les deux plus jeunes,
qui ne dépassaient pas douze ans et qui faisaient leur premier voyage
sans leurs parents, n'étaient pas sans une certaine appréhension, quand
le conducteur, un unilingue enragé, arrive et leur jette un : ticket,
■please, à faire dresser les cheveux sur la tête. Les deux plus vieux,
c'est-à-dire les moins jeunes, ils ont quatorze et quinze ans, font la
sourde oreille. A un nouveau ticket, please, l'un d'eux répond : « Par-
lez français. » Du coup l'employé se fâche; il dit bien des niaiseries
unihngues; il suppHe, il menace. Enfin il fait fermer les portes et parle
de la pohce qui les attendra à Montréal. Au mot de pohce les plus
jeunes lâchent pied. « Que va dire maman ! nous autres en prison. »
Ils pleurent presque. Le conducteur passe et repasse et chaque fois la
266 l'actiox française
mélodie unilingue recommence. « Parlez français ! » C'est leur
seule réponse mais combien juste écho de la voix de l'enfant du fort de
Verchères. A la fin des fins un autre employé arrive, qui a suivi la
scène et qui leur demande d'un air paternel: «Donnez don: vos
billets, mes garçons. » Une main se tend et on lui répond : « Tenez,
monsieur, vous parlez srançais, vous ! »
« Ces faits se passent de commentaires. Leur seule méditation nous
vaut bien les «mots en l'air» du 24 juin. Une race qui a de tels enfants
ne mem"t pas.
FoyCTS de X'est-ce pas qu'il est charmant, ce récit ? Quelle
■hnf:-'pf^'çi}ip source profonde il nous découvre où baignent les
fiertés de la race! C'est d'elle qu'ont jailU les
héroïsmes d'un Dollard et d'mie Madeleine de Verchères; c'est elle
qu'alimente une éducation basée siu" notre histoire, nos traditions,
notre foi. Vivent les foyers et les maisons d'enseignement où se donne
une telle éducation, où l'atmosphère en est pénétrée, où quelque événe-
ment vient de temps en temps rappeler son importance.
Je ne sais si l'Action française a signalé, à l'époque, la jolie séance
organisée au Sault-au-R.'CoUet pour récompenser les jeunes écoliers qui,
stimulés par leurs maîtres, avaient répandu VAlmanach de la Langue
française ?' Élèves et parents en rapportèrent une très vive impression.
Une initiative semblable eut heu, quelques jours plus tard, à la Pointe
Saint-Charles de Montréal où se trouve un groupe ardent de patriotes
sans cesse à l'affût des bonnes œuvres.
Une grande soirée Et voici que nous arrivent les échos
d' action française ^''^'^^ «''-^^^^ ^°^^'-'<' d'action française,
tenue récemment au collège de Lévis.
Cette maison est coutumière des mouvements patriotiques. Les saines
traditions y sont conservées avec un soin touchant. Et on fait aux
œuvres nouvelles le plus cordial accueil, dès lors qu'elles sont marquées
d 'un patriotisme éclairé.
Or donc, le 30 avril dernier, la société littéraire Saint-Augustin
conviait tout le collège à un régal qu'elle savait lui être spécialement
agréable. On allait parler d'action française, d'action française en
généeral et en particulier, puisqu'il allait être question non seulementde
ce que chacun peut f.iire dans les intérêts de sa langue, mais encore de
ce que fait notre modeste revue. Le premier travail, en effet, que
présenta un élève de philosophie et qui devait être, avec la conféren3e,la
L ACTION FRANÇAISE 267
pièce de résistance de la soirée, avait pour titre : La Ligue des Droits
du français. Son auteur, M. Marie-Louis Beaulieu. raconta les hum-
bles origines de notre œuvre, loua son but et ses moyens d'action, p\us
recommanda chaleureusement à tous la lecture et la propagande de
l'Action française. Après quelques déclamations patriotiques, l'abbé
Elias Roy, directeur des ecclésiastiques, parla du langage des collégiens.
En éducateur averti il sut indiquer à côté des fautes signalées le remède
approprié. Enfin, pour couronner cette fête, le supérieur même du
collège, approuvant les remarques faites sur l'importance du bon
parler français annonça, pour ceux qui le cultiveraient tout spécialement,
non seulement des prix à la fin de l'année, mais encore deux médailles
d'or chaque mois, une au cours classique, l'autre au cours commercial.
PïO^TQTiîTUC Voilà, certes, d'excellente action française. II
de VQCClflCCS ^^^ ^ souhaiter que de telles soirées aient Heu dans
toutes nos maisons d'éducation. Plusieurs ont
l'habitude d'avoir une séance d'alliu^e intime, la veille de la sortie.
Pourquoi ne lui donnerait-on pas ce caractère de patriotisme praticiue ?
On 3' pourrait tracer, sans formules pédagogiques et comme à bâtons
rompus, un joli programme de vacances.
Si la séance n'est pas possible, que chaque classe ait au moins
l'heure de l'action française. Le professevir dira aux élèves en quoi
consiste pour eux cette action, durant les mois de vacances. Ce sera
d'abord évidemment le bon parler. Les leçons reçues vont être mises
à l'épreuve. Qu'ils aient à cœur d'en sortir triomphants ! Qu'ils
fassent fleurir autour d'eux, à la maison, au magasin, à la ferme, les
belles expressions de notre langue !
Toilette A ce premier travail, un second peut être ajouté.
fïClfî'^Gise ^''^ physionomie, la toilette du miUeu où ils vivent
sont-elles françaises? Avis des autorités fédérales,
provinciales, municipales; enseignes des marchands; annonces des
industriels; produits divers : épiceries, Ijiscuits, bonbons; objets d'usage
commun, etc., etc; que de choses ils peuvent observer et essayer, s'il
}• a lieu, de franciser. C'est par ime telle croisade, menée avec entrain
et bonhomie, que nos campagnes retrouveront le cachet de distinction
française que plusieiu-s ont peu à peu perdu.
Ce programme d'action ne s'accomplira pas sans incidents : -• il
donnera Heu à différents exploits. Pourquoi le jeune collégien ne les
noterait-il pas au jour le jour? Ne serait-ce pas là un excellent devoir
de vacances ?
268 L ACTION FRANÇAISE
Les laUîéaiS Ceci m'amène à commettre ime petite
de V action française indiscrétion, à dire un mot d'mi projet
que caresse V Action française et qu'elle
espère réaliser sous peu. Depuis sa fondation, notre revue s'est appli-
quée à signaler — pour les faire disparaître — les manquements au
patriotisme, les faiblesses nationales, les abandons de nos droits, surtout
en matière de langue. Pris par cette besogne nécessaire, nous n'avons
peut-être pas assez loué, nous avons trop laissé dans l'ombre la contre-
partie de ces faits, les gestes fiers accomplis de ci de là par les nôtres.
Le temps nous semble venu de combler cette lacune. Quelle initiative
nouvelle surgira de cette préoccupation ? Sera-ce une séance solennelle
oij l'un de nos directeurs racontera, dans un rapport vivant, les exploits
de l'année et proclamera les laïuéats de l'action française ? Sera-ce
diverses soirées où des délégués de 1'^. F. iront remettre à quelque
héros un parchemin ou une médaille attestant sa fierté ? Que ce soit
l'une de ces initiatives ou quelque autre encore, les devoirs de vacances
dont nous venons de parler aideront à sa réahsation. Aussi nous per-
mettons-nous de les recommander vivement.
Le catalogue Un mot, avant de terminer, pour signaler le
Pathé catalogue de la Compagnie Pathé. Cette maison
est d'origine française. Elle a son principal siège
d'affaires à Paris. Mais comme ses quartiers-généraux canadiens ont
été établis à Toronto, elle était exposée à commetre cette faute dans
laquelle tant d'autres maisons parisiennes sont tombées : le catalogue
original français envoyé au Canada, traduit en anglais, puis servi de la
sorte aux Canadiens français, ou encore retraduit, à leur usage, en
Parisian French, i.e. en français torontonien. Heureusement la faute,
cette fois, a été évitée. Et c'est un bon catalogue français que nous
offre la maison Valiquette, représentant à Montréal de la Cie Pathé.
Nous notons ce fait d'autant plus volontiers qu'im de nos corres-
pondants se plaint justement du mauvais français d'une grosse maison
montréalaise, d'origine américaine celle-là, et qui écoule chez les nôtres
un grand nombre de « gramophoncs ». Aux remarques qu'il a cru
devoir faire, on a répondu que notre métropole ne possédait guère de
traducteurs compétents... Il est des gens qui essaient ainsi de se
tirer d'un mauvais pas par quelque faux fuyant ridicule. Ceux-ci n'y
réussiront pas. La Ligue des Droits du français vient de leur faire
connaître son adresse. . . et quelque autre chose aussi.
Pierre Homieh.
LA VIE DE VACTION FRANÇAISE
An pays de DoUard — M. l'abbé Maurault raconte ailleurs le
deuxième pèlerinage de V Action française au pays de DoUard. Tous les
rêves que formulait M. l'abbé Groulx, au mois de mai 1918, en annon(;ant
que l'Action française voulait dissiper l'oubli qui, depuis si longtemps
flottait sur le théâtre du combat de 1660, sont à la veille de se réaliser.
Il voulait qu'un monument se dressât face à VOutaouis : c'est déjà
fait; il voulait que les foules apprissent le chemin du Long-Sault : cela
aussi est fait; il voulait que les jeunes gens allassent au pays de Dollar d
« prêter leur serment à la patrie » : cela est à la veille de se faire. Nous
avons vu les collégiens de Rigaud accompagner en corps les pèlerins du
24 mai. Quelques joiu-s plus tard, un groupe d'écoliers de Beauharnois
se rendait à son tour au Long-Sault. J,e 24 juin, des centaines de collé-
giens, élèves des divers collèges de la région de Montréal, reprendront,
par l'Outaouais aux rives peuplées de souvenirs historiques, la route des
compagnons de Dollard. Ce pèlerinage se fera sous le patronage de
l'Action française, le premier secrétaire-général de la Ldgue des Droits
du français, M. le docteur Gauvreau, nous fera l'honneur d'y prendre
la parole en notre nom, mais nous tenons à préciser que tout le mérite
de cette initiative re\âent aux collégiens eux-mêmes.
Notons brièvement que le voyage se fera par le vapeur Empress
(départ de Lachine à 8 heures 20, le matin, après l'arrivée du train qui
part de Montréal, gare Bonaventure, à S heiu-es 2 — on peut aussi
partir par tramway et descendre à la 32e avenue) ; que le prix du billet,
aller et retour, est de SI. 2.5 et que les billets sont en vente chez Oranger
Frères, au Devoir, à V Action française, aux presbytères du Saint-Enfant
Jésus et de Saint-Stanislas, à Montréal. MM. l'abbé Fauteux, du
Saint-Enfant Jésus, et Charbonneau, de Saint-Stanislas, sont à la dispo-
sition de ceux qui désireraient des renseignements supplémentaires.
La rumeur ajoute qu'un autre groupe se propose de faire tout pro-
chainement aussi le pèlerinage du Long-Sault. La route est ouverte,
l'habitude se crée. Ce n'est pas le seul lieu historique vers lequel
V Action française ambitionne de pousser jeimes et vieux.
270 l'action française
Nos publications — Xos publications ont été si nombreuses ces
derniers temps que nous avons à peine trouvé le moj^en de les signaler.
On lira plus loin quelques notes svu- La Naissance d'une Race et les
Rapaillages de M. l'abbé Groub:, ainsi que sur le Pour la défense de nos
lois françaises de M. Antonio Perrault. Presque en même temps
paraissait dans notre Bibliothèque le Canada apostolique de M. Henri
Bourassa. Nous en publierons, le mois prochain, une appréciation
détaillée. Notons tout de suite que cette « revue des œuATes de
missions des commimautés franco-canadiennes » a déjà obtenu im suc-
cès presque sans précédent au pays. Plus de douze mille exemplaires de
ce volume sont, au moment où nous publions ces lignes, entre les mains
du public canadien. C'est assez dire l'intérêt qu'il suscite.
D'autres études sont en préparation.
Pour les vacances — Nous l'indiquons déjà par notre grand con-
cours : noLis voudrions que les vacances, au lieu d'être poiu- notre pro-
pagande et notre action lui moment de relâche, marquassent une période
d'intense activité. Et tout veut qu'il en soit ainsi. Grand nombre de
nos amis s'en vont à la campagne, voyagent dans des milieux où notre
œuvre est peu connue : quelle magnifique occasion de nous recruter de
nouveaux amis, de faire connaître les façons diverses dont l'on peut
nous aider, de populariser, par exemple, notre service de librairie, de
jeter les bases de conférences pour l'automne prochain !
Que chacun, en partant pour ses vacances, se dise — et se redise
souvent au cours de ces deux mois : Que puis-je faire pour l'Action
française ?
Les Rapaillages — Il faut pousser à la propagande de toutes nos
publications, mais il est indiscutable que celle qui, actuellement, prête
le plus à la propagande rapide, est l'édition populaire des Rapaillages.
Avec elle, et par les mêmes méthodes, on devrait pouvoir répéter le
succès de VAlmanach. Songez qu'elle se vend seulement 25 sous
l'exemplaire, S2..Ï0 la douzaine, S20 le cent, S92.50 les cinq cents, S175
le mille (port en plus) — ce qui laisse ime marge de $75 par mille aux
groupes qui voudront en organiser la propagande sur une grande
échelle.
L'édition de luxe des Rapaillages, comme la Naissance d'une Race,
l'œuvre de Lamarchc, le Canada apostolique, est un beau livre de biblio-
thèque, un fort joli cadeau.
L ACTION FRANÇAISE
271
Pour la défense — U Action française, par son sen-ice de librairie,
tient à la disposition de ses clients tous les bons li^■Tes, elle facilite la
constitution des bibliothèques paroissiales, etc., mais elle se fait une
spécialité surtout de la diffusion des li%Tes et des brochures de défense
nationale. EUe est dépositaire au Canada de toutes les brochures de la
Ligue de Ralliement français en Amérique, elle est en relations avec
l'Association d'Éducation de l'Ontario et les sociétés similaires. Elle
s'occupe particulièrement aussi de la diffusion des brochures qui peuvent
servir notre cause dans les milieux anglais. Ce qu'elle n'a pas sous la
main, elle s'efforce de se le procurer. Qu'on s'adresse avec confiance à
ses bureaux.
Xotre enquête — Un certain nombre de nos amis ont bien voulu
répondre à notre demande de l'autre jour et nous donner, avec leurs
noms, l'indication des services qu'ils croient pouvoir rendre à l'œmTe
commime. Que d'autres veuillent bien suiATe leur exemple.
II s'agit d'organiser la coopération des efforts.
Xotre Almayiach — Nous sommes actuellement à préparer notre
Almanach de 1920. Xous nous efforcerons de le faire plus vivant, plus
varié encore que les années précédentes. Avis aux propagandistes.
Qu'ils songent tout de suite à ce qu'ils pourraient faire autour d'eux.
Il faut dépasser de beaucoup le succès de l'an passé.
x3
L'abonnement de 65 — L'abonnement de Sô a obtenu un trè
gros succès. On sait à quoi il se résume : Vous versez S5 à V Action
française et, de ce moment, vous recevez, sans avoir à les demander,
toutes les publications nouvelles de l'Action française, sauf la re\nie,
jusqu'à épuisement de la somme souscrite. Si vous désirez plusieurs
exemplaires d'un ouvrage qui vous plaît particuhèrement, vous n'avez
qu'à jeter à la poste une carte postale. Vos Sô épuisées, si le système
vous convient, vous n'avez qu'à renouveler votre souscription pour que
les envois continuent.
Ce système évite beaucoup d'ennuis, de lettres et de timbres inu-
tiles .
Jean BEArcHEMix.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
POUR LA DÉFENSE DE NOS LOIS FRANÇAISES^
« Quelle magnifique construction intellectuelle ! » c'est le mot d'un
professeur de droit de l'Université de Lille au sortir de la conférence
de M. Antonio Perrault, le 15 jan\ner dernier. C'est encore le mot
qu'on se redit à soi-même, quand, après avoir entendu la conférence,
on relit attentivement : Pour la défense de 7(0S lois françaises.
Que de choses substantielles, vigoureusement ordonnées, noblement
en... 3, en ces soixante-onze pages du jeune ])rofe.sseur de Laval. Que
nos pères aient aperçu dans nos lois l'un des éléments de la nationalité,
'"•■l'stoire de leurs luttes poiu* les m.aintenir le prouve surabondamment.
Cette vive clairvoyance n'a pas manqué à nos ancêtres de 1760. Le
droit représente bien autre chose que les vaines procédures, les combats
ruineux du Palais de justice. 11 est intimement mêlé à la vie individuelle,
familiale, sociale. A côté de la rehgion et de la morale, il apparaît
comme un facteur essentiel de la paix et de la justice; il possède une
valeur morale et économique, il garantit l'usage des facultés d'action.
Le droit se manifeste dans les lois. « L"n peuple dont l'histoire retient
le nom, a sou droit incarné, cristallisé dans les textes. » Là, des prin-
cipes universels se rencontrent, communs à tous ks peuples. Mais
chaque peuple ajoute à ce premier fond immuable im élément qui
jaillit de son âme propre, qui exprime sa mentalité, qui est le « produit de
son histoire » et qui fait ainsi des lois nationales une chose sacrée. Or
le peuple canadien-français possède des lois qvii lui sont propres. Dans
le domaine législatif que lui ont réservé les constitutions, il a gardé, en
l'adaptant aux évolutions de sa vie, le vieux trésor apporté de France.
Ce droit, issu de la coutume de Paris, la plus parfaite des coutumes
françaises, se rattache à l'antique et auguste »êrpus jnris des Romains,
pendant que le Common law venu de la Grande-Bretagne et adop tépar
nos huit provinces anglaises, est i)lutôt d'origine et d'inspiration teu-
tonique. Cette différence d'origine suffit à elle seule à faire pressentir
quel élément de supériorité, quelles vertus latines emporterait avec elle
1 F&it partie delà, série verte delà, Bibliothèque de l'Action française.
Prix : 25 sous l'exemplaire.
l'action française 273
la disparition de nos lois françaises. Le droit romain élevé et pnrifié
par le droit canonique, clarifié par le vieux droit français, c'est la plus
parfaite expression de la loi humaine, c'est la raison écrite. En ses
préceptes, en son ordonnance brille une lumière d'ordre, de clarté, de
précision; il porte en lui la discipline intellectuelle de la plus haute
sagesse. Le Common laiv c'est l'œuvre fragmentaire, c'est la mosaïque
de pièces rapportées, sans viies d'ensemble, sans le lien dominateur des
principes généraux, c'est un groupement de faits juridiqiies, de faits
particuliers accumulés sans logique, au hasard des années et des événe-
ments. Et cependant c'est ce Common law que, depuis cent cinquante
ans, l'on travaille à substituer à ce qui est devenu notre Code civil. La
constitution fédérative a porté le premier coup à l'arche de nos lois en
accordant au pouvoir fédéral des matières réservées jusque là aux
législatures des provinces. Aujourd'hui des associations de légistes et
d'avocats reprennent une attaque sournoise et travaillent à l'unifor-
misation des lois canadiennes. Contre ces tentatives, notre devoir
nous commande non seulement de défendre nos lois françaises, mais il
importe également de les faire connaître et de les illustrer par de lumi-
neuses études juridiques; il importe de les faire évoluer selon leur esprit,
selon les besoins de notre race et de notre province. Défendre ce qui
nous fut légué par la tradition doit nous être un motif de fierté, l'un de
nos buts de vivre. C'est le signe d'une humanité supérieure que la
volonté de ne pas subir l'étranger, de n'accepter, selon le mot de Barrés,
que ce qui s'accorde avec notre sentiment intérieur.
Voilà résumée bien superficiellement une belle et solide étude de
philosophie du droit. M. Antonio Perrault vient d'écrire de très fortes
pages et de prononcer des paroles de vie que voudi'ont recueillir non
seulement nos étudiants et les hommes du métier, mais les profanes
eux-mêmes qui en seront charmés et éclairés. Tous y fortifieront leur
volonté de tenir, de ne rien sacrifier du vieil héritage national. Ici
comme ailleurs, ils verront qu'en défendant notre patrimoine nous ne
cédons pas à un simple goût de la bataille, aux vaines satisfactions d'un
orgueil de race; nous défendons une supériorité. Ils apprendront aussi
à connaître l'un des beaux talents de la jeune génération. Quand M.
Antonio Perrault défend avec une émotion à peine contenue l'ordonnance
majestueuse, la logique supérieure du di'oit romain, nous découvrons
avec bonheur, au grand air de son travail, qu'il est lui-même un héritier
de cette tradition intellectuelle, le fils de cette latinité. Il y apparaît
jusqu'en son style où brillent avant tout les valeiu"s de l'intelhgence, les
qualités de clarté, de soUdité et d'élégance, vertus exclusivement latines
274 l'action française
et françaises. Et l'on se prend à songer, non sans beaucoup de regret,
aux œu\TCS que de tels travailleurs poiuTaient léguer à leur race, si
seulement l'on vivait dans im pays où les intellectuels auraient le loisir
de penser.
Pourquoi n'ajouterai-je pas ime dernière réflexion ? Voici que poiu*
mieux combattre le régionalisme et s'en moquer à meilleur marché,
quelques-uns n'en prétendent apercevoir que les manifestations folk-
loristes, quand il veut être toute notre \'ie littéraire, l'expression de
notre personnalité intellectuelle. M. Antonio Perrault \'ient de démon-
trer, qu'à propos de thèmes canadiens, l'on peut s'élever jusqu'aux plus
hauts problèmes et manier les idées les plus largement humaines.
— Lionel Groulx, pire.
LES RAPAI LIAGES^
M. l'abbé Lionel Groulx a réuni sous ce titre, qui est une déUcieuse
trouvaille, dix contes précédés d'un poème liminaire. Le plus bel
éloge que l'on puisse faire de cet ouvrage, à l'occasion de sa réédition
par V Action française, c'est de rappeler le succès du premier tirage.
Huit mille volvunes furent dévorés avec une insatiabiUté telle qu'elle
est le très sûr garant de la rapidité avec laquelle s'enlèveront les 25,000
vokmies illustrés par Franchère.
C'est un événement httéraire d'une haute signification que la
popularité extraordinaire de ce petit volume qui se distingue surtout par
l'ardeur de son régionaUsme, par la fervem- de son culte pour ceux q\ii
ont fait la patrie ce qu'elle est.
Le style est vif, direct, sans apprêt, réaliste parfois. 11 peint avec
une vérité qui donne l'illusion de la vie. Tout le volume vibre par
ailleurs d'une émotion continue qui égale ces récits famiUers à certaines
des pages les plus éloquentes écrites sur la noble mission du laboureur.
La réédition des RapaiUages arrive à son heure, répond ù un besoin.
Le moment n'est plus où l'on voulait faii'c des lettres canadiennes une
pâle imitation des ouvrages étrangers, une plante anémiée et sans
racine. On a compris qu'un peuple en lutte ne peut négliger aucm^e
arme, surtout la plus puissante de toutes, celle qui assure la vie à la lan-
gue, le sel qui la préserve de la corruption.
Et c'est parce que les RapaiUagcs marquent ime réaction contre
l'extranéité de notre littératm'e, parce qu'ils puisent Icvu- inspiration
dans le sol, qu'ils plongent « dans l'humus des grands érables morts »
qu'un tel succès les a accueillis.
^Les Ra pniUagc.-^, hibVuAhcqwô de V A iicion française. Illustrations de
J.-C. Franchère. Deuxième éditions (populaire et de luxe.)
l'action française 275
Le conte, récit bref et familier, exige plus de vigueur, de ramassé,
d'aptitude chez l'auteur à choisir l'essentiel que tous les autres genres
de la littérature. N'y excelle pas qui veut : seuls, les maîtres du style
peuvent s'y essayer.
Mais, à regarder de près, sont-ce bien des contes que les Rapaillages ?
Ce titre charmant, qui a pour des citadins la saveur d'une fraise des
champs, indique quelque chose qui manque d'homogénéité et d'ordre,
quelque chose de ramassé un peu au hasard. Or il nous semble qu'il existe
une unité parfaite, im hen tangible entre ces divers récits qui sont comme
autant de chants du poème de la vie agreste, comme autant de tableaux
des labeurs et des joies du laboureur et de sa famille. Les Rapaillages
sont presque ime autobiographie, mais dans ces pages se peint, avec
l'âme de l'écrivain, l'âme du paysan canadien.
Je ne sais si la lecture de l'herbe écartante vous fera le même effet,
mais j'y ai vu un symbole frappant. La gi'and'mère des Rapaillages lui
prêtait des maléfices qui entraînent des maux physiques effroyables,
mais je crois que cette herbe agit surtout sur les esprits et sur les cœurs.
Elle se trouve à la campagne, siir bien des terres. C'est parce qu'ils ont
pié sur elle que tant de jeimes gens désertent la terre ancestrale et s'en
viennent s'atrophier au point de vue moral et matériel dans l'atmosphère
dissolvante et empoisonnée des villes.
*
* *
L'auteur des Rapaillages avait pié sur l'herbe écartante, mais il fut
retrouvé et pansé à temps; aussi n'a-t-il pas déserté les hautes fonctions
de semeur : il s'est fait semeur de la bonne parole évangéhque et de la
bonne parole patriotique. Puisse ce grain tomber sur un terrain fécond,
puisse-t-on Ure et relire dans toutes les familles ses ouvrages qui ne sont
pas seulement, comme tant d'autres livres de nos jours, une belle forme
sans âme, mais des excitateurs d'énergie, une prédication mâle et per-
suasive. Puissent-ils surtout tomber dans le cœm' des jeunes gens
insensibles à la beauté et à la hautem' de leur devoir de réserve de la race
et de continuateurs des anciens, dans le cœur des jeunes gens qui ne se
défient pas assez de l'herbe écartante et qui tournent les yeux vers la
grand'ville.
Le petit volume des Rapaillages vaut, à lui seul, comme agent de
retour ou d'attachement à la terre, tout un budget de colonisation ou
d'agriculture. Quel admirable manuel de lectiu"e pour les petits
enfants du rang du Bois Vert et de tous les rangs !
Louis DupiRE.
276 l'action française
LA NAISSANCE D'UNE RACE^
M. l'abbé Groubc vient de publier, sous ce titre, sc-s dernières
conférences sur l'histoire du Canada, données à l'Université Laval de
Montréal. Ce volume de trois cents pages est une contribution pré-
cieuse à notre bibliothèque historirjue. Ce n'est pas une histoire de nos
origines, ce n'est pas tout \ fait une apologétique nationale; c'est l'ana-
lyse des facteurs qui ont contribué, dès le début, à faire des Canadiens,
français le petit peuple bien caractérisé qu'ils formaient dès 1760.
« C'est cette vie, nous dit l'auteur, cet aspect d'himianité lentement
élaboré par nos pères, pui^ fixé à la fin en des formes héréditaires, que je
me propose de vous décrire. J'écarterai les superf état ions de l'histo ire
De la vaste accumulation des faits, ceux-là m'intéresseront plus que
les autres qui viendront marquer l'évolution du type humain, qui
auront une valeur ou une signification psj-ohologique » (p. 12). Les
détails pittoresques et suggestifs que lui ont révélés les archives, les
mémoires, les monographies se rapportant à l'histoire du Canada,
servent au profcssexir à nous faire voir « les influences du milieu, les
péripéties de l'histoire » qui ont forgé notre caractère.
Écrites d'une main ferme et rapide, animées d'une intense ferveur
p.atriotique, ces pages sont pour les Canadiens extrêmement intéressan-
tes. D'autres, particuhèrement nos amis de France, ne dédaigneront
pas, espérons-le, d'aller 3' chercher des renseignements dont . ils ont
grand besoin, s'ils veulent se faire xme idée exacte de ce que nous som-
mes. Ils y trouveront le procès, rondement mené, des procédés de
colonisation de la France au Canada, et l'explication de certaines de nos
attitudes qui les surprennent. Ils y apprendront également ce qu'il
faut penser de bien des légendes trop accréditées chez les étrangers.
Les Canadiens y trouveront, eux, l'histoire, la raison profonde de leurs
plus belles qualités et de quelques-uns de leiu-s défauts. Ils dégageront
les plus précieuses leçons de ces rapprochements de faits et de ces vues
pénétrantes. M. l'abbé Groulx a dignement continué, dans ce beau
travail, l'cruvre importante qu'il a entreprise sur l'histoire de notre pays.
A. D.
1 La Naissance d'une Race, par l'abbé Lionel Groulx. Bibliothè-
que de V Action française.
POUR LA FÊTE NATIONALE
QUELQUES PROJETS DE DISCOURS
En vue de faciliter les manifestations patriotiques pratiques darts tous
les coins du pays, nous nous permettons de suggérer certains sujets de dis-
cours qui pourraient se développer facilement et fournir matière à réflexion
efficace. Nou^ ne touchons que quelques points : on peut amplifier cer-
taines parties et négliger les autres, selon les besoins locaux. L'important,
c'est de rendre notre peuple conscient de ses devoirs et de la part qu'il peut
et doit accomplir dans la défensive générale.
Si l'on veut traiter de la fierté, de la grandeur de notre race, des
beautés de notre histoire, de la colonisation, etc., /'Action française a
tout un arsenal où l'on s'arme, et la société Saint-Jean-Baptiste {Monu-
ment National, rue Saint-Laurent, Montréal), envoie moyennant dix sous
l'édition de propagande de Vers les terres neuves, ofi la thèse colonisatrice
se trouve résumée, prête à exposer aux cidtivateurs.
Ces plans de discours n'ont pas de prétentions outrées, qu'on veuille
le croire : s'ils peuvent aider à faire quelque bien, leur but sera atteint.
Yves.
EXAMEN DE CONSCIENCE NATIONAL, OU INVENTAIRE
AVEC ACTIF ET PASSIF
Un proverbe dit que si chacun balaye devant sa porte, toute la rue
sera nette. De même, si chaque Canadien a le courage d'examiner, et
de corriger ses défauts; puis d'entreprendre des œuires nationales, toute la
race ira bien et marchera vers l'avenir.
I — Partie négative — Défauts à faire disparaître — Défauts person-
nels ou sociaux, défauts généraux ou particuliers à certaines localités.
Ne pas craindre démettre le doigt sur la plaie, et de préciser. Notons-
en quelques-ims pour doimer une idée :
Corrigeons donc tous notre langage. Nous aimons notre langue,
nous le crions partout, et nous la martyrisons, hélas ! nous la bafouons
dans notre manière de la parler. Quand des fanatiques nous accusent
d'avoir im patois, nous bondissons, et pourtant. . . n'3' a-t-il pas trop
de négligences dans notre prononciation ? Nous avons bien des bouches
278 l'action française
molles, nous avons ceux qui prononcent comme au XVIIe siècle moé,
aouèr (avoir), père, brcîs, etc. . . N'est-il pas traître à sa langue celui
qui dit : « Quiens, j'cré bin qu'y a faite frette, c'te nuitte ! » Horreur !
Je sais bien que partout le bon peuple, anglais, français, italien ou autre,
se permet de ces fautes, mais nous, nous n'avons pas le droit de torturer
ainsi notre langue, si attaquée, si isolée . . . Défendons-la en public,
dans nos revendications, et dans notre particulier, en la parlant bien.
Ne la faisons jamais servir à proférer des grossièretés, des canaille-
ries, des jiu-ements . . . Cette belle langue, divinisée à l'usage de
l'Eglise et des missionnaires, ne la laissons pas profaner dans des dis-
cours honteux ou blasphématoires. Lavons-nous de l'accusation d'être
une « race de sacreurs »... Dernièrement, dans une manifestation
populaire au Sacré-Cœur, le prêtre faisait dire à la foule, devant le
Très-Saint-Sacrement : « Seigneur, bénissez la langue fraiiçaise ».
Quel beau geste ! Restons à cette hauteur : parlons dignement une
langue hénie.
Evitons les critiques indignes, les attitudes de coqs de village, qm
s'opposent à toutes les mesures progressives du curé ou du con.seil
municipal. Gardons-nous d'un sans-gêne exagéré en public, en voyage,
en chemin de fer, dans les villes mixtes . . . Qu'il est triste parfois de
voir le débraillé des rares individus qui parlent français sur un train,
un bateau, etc. Grâce aux campagnes anti-alcoohques du moins, les
spectacles d'ivrognerie disparaîtront . . . Ces défauts de tenue ne nous
sont certes pas particuliers, mais nous devons nous en guérir pour
l'honneur de la politesse française. Soyons partout des gentilshommes.
Que d'autres points à signaler !
II — Partie positive — Œuvres à étabhr — Elles sont légion. Chacim
peut les découvrir dans les besoins locaux. A la cami^agne, gardons nos
gars, retenons, faisons revenir les déserteurs. Enseignons comment
trouver des fermes pour tous. Certaines villes instituent des fêtes du
Retour, et les annoncent siu-tout dans les journaux franco-américains.
Un mouvement s'accentue vers nous, aiLx États-Unis, profitons-en.
Francisons les noms de rues et de plusieurs paroisses des Cantons de
l'Est, et d'ailleurs. Prenons notre part des immigrants qui s'établis-
sent dans Québec : enseignons-leur le français. Améliorons nos écoles :
fondons des bibliothèques scolaires où les enfants apprennent à lire
les pul)lications qui les aident plus tard, et les ouvrages du terroir.
Fondons des bourses pour les enfants pauvres de la paroisse, qui se
sentiraient une vocation : les Acadiens ont une cinquantaine de ces
l' ACTION FRANÇAISE 279
bourses. Embellissoos nos fermes, nos rues, nos parcs, nos routes,
tout, pour que nos jeunes s'j^ attachent et que les étrangers nous
respectent.
POUR SURVIVRE
La proportion française diminue toujours au Canada, et c'est notre
faute : nous ne sommes plus que 25% de la population, et nous conti-
nuons à déserter aux Etats-Unis. Pour survi\Te il nous faut le nombre,
le territoire et la qualiié.
I — NoiinS obtiendrons le nombre — an gardant en vie les enfants qui
naissent, grâce à l'hygiène, aux gouttes de lait, pouponnières, etc;
b) En établissant nos familles chez nous ... A quoi sert-il,
du point de vue de notre accrois.sement numérique, d'élever des
dix ou douze enfants, si nous les donnons tout élevés à l'étranger ?
Nous avons perdu deux millions de compatriotes, en soixante ans . . .
Les immigrants d'Europe viennent prendre notre sol fertile de l'Ouest,
de l'Ontario, même de Québec. . . 4% de notre province seulement
sont habités. .. JXous sommes confinés aux bords du Saint-Laurent.
Multiplions nos fermes à proportion des familles . . .
II — Emparons-nous du territoire — Nos familles rurales se doublent
tous les vingt ans : nous de\Tions doubler aussi l'étendue de nos
terres de temps à autre. . . Il n'en est rien : nous n'avons pas doublé
depuis 1860 ! Nos gars désertent pour les usines, où ils sont trop
souvent la proie des meneurs et des révoltés. Au lieu de les laisser
devenir des prolétaires, des non-propriétaires et des agitatevus, lançons-
les à la conquête de fermes nouvelles dans nos régions de colonisation.
Les victoires sont nobles et faciles contre la forêt. Quand on voit les
peuples d'Europe s'égorger pour des territoires grands comme une couple
de nos comtés, ne de^Tait-on pas comprendre l'importance de s'emparer
du sol ? Des millions d'acres fertiles au nord de Québec, d'Ontario et
au INIanitoba ont été explorés par nos décou\Teurs. L'auteur du
Clash admet que. nous .sommes partout chez nous. Conquérons donc
cela à notre foi et à notre langue. Nous sommes le quart de la popula-
tion canadienne : occupons- nous le quart du territoire ? Non, loin de là!
et c'est notre faute ! — Que les futm-es cartes du Canada contiennent
des milhers de nos paroisses, là où rien ne se lit encore.
III — Gardons notre qualité — Nous sommes de la vieille race agricole
des Vendéens et des Normands. Que nos fils de cultivatem-s aient donc
tous la chance de se prociuer des terres. La campagne est notre
château-fort : conservons-la, étendons-la. EUe nous a sauvés après
280 l'action française
1760. Elle donne les familles fortes, nombreuses, imies, de foi simple
et de travail consciencieux. Oh ! les l^eau-x hommes que nous ont volés
les manufactm'es américaines !. . . La physionomie pure de notre race
se retrouve sur les fermes. Là sont les héritiers du bon esprit de la
vieille France, — qu'admirent leè Européens en visite. Ils résistent à
l'américanisation; ne leiir montrons pas trop d'anglais: cela les pousse
encore plus à déserter le sol. Plusieurs de nos citadins sont de purs
« Amcricains parlant français : » nos ruraux sont canadiens-français
jusqu'à la moelle. Multiplions ces groupes si précieux, si forts. Déve-
loppons la coopération dans les vieilles paroisses; prêchons la colonisa-
tion; demandons au gouvernement des réserves prêtes à concéder, des
chemins de pénétration, des embranchements, des aides de toutes sortes,
afin que nos campagnes reprennent le dessus, et que les désertions ces-
sent. 11 y va de la survivance de notre race.
VERS LA SUPÉRIORITÉ
1 — Introduction: A l'heure actuelle, le patriotisme, poiu- nous,
consiste à nous perfectionner. Perfectionnement sur toute la ligne :
comme individus et comme citoyens; dans le domaine économique,
intellectuel et moral. Nous devons tendre à faire de nous le groupe le
plus accompli de l'.lmérique du Nord. Des Anglais qui nous connai.s-
sent commencent à appeler notre province « la plus progressive des
provinces du Canada » : méritons cet éloge pour notre race elle-même.
Nous devons nous perfectionner dans l'agriculture, l'industrie, le
commerce, les carrières libérales, les beau.K-arts, etc.
Ce que nous devons désirer, cependant, ce n'est pas de copier des
modèles étrangers; restons nous-mêmes et développons nos qualités
natives. Nos modèles, ce n'est pas à côté de nous que nous devons les
chercher : c'est chez nous, dans notre histoire.
II — A^os caractéristiques : L'amour du sol et de la famille: l'esprit
de corps qui fait que nous nous recherchons et que nous aimons à nous
grouper; le culte des vieux souvenirs; l'ambition de vivre en paix parmi
les siens et d'étal:)lir autour de soi la génération qui continuera l'œuvre
commencée; l'attachement aux traditions, à la langue, à la religion; le
souci des choses de l'esprit; voilà les dispositions innées que nous avons
reçues de nos ancêtres et que nous devons cultiver. Par de meilleur
moyen d'assurer notre avenir dans l'ordre et la stabilité. Les meilleurs
de nos ancêtres ont été des défricheurs, des constructeurs méthodiques,
non des spéculateiu-s fiévreux ou des brasseurs d'argent.
l'action française 281
III — Motjen d'ascension : VÉducation — Tous, ouvriers, agricul-
teiu-s, hommes d'affaires ou de profession, tous ont besoin d'vme ins-
truction de plus en plus soignée, s'ils veulent monter plus haut. Ins-
truction de l'école d'abord; instruction par soi-même ensuite; instruc-
tion poiu-suivie sans cesse par l'étude personnelle et la lecture des
ouvrages relatifs à sa profession. C'est le moyen de ne pas retomber au
rang des illettrés, de devenir des ouvriers habiles, des agriculteurs pro-
gres.sifs, de.s compétences dans sa branche. Sachons estimer l'éducation
à sa valeur. De cette estime on tirera trois con.séquences :
1 ° On sera plus porté soi-même vers l'étude et la culture de l'in-
telligence. Il y a toujours quelque chose à apprendre. Moyen de
relever le niveau général, d'être plus poK, plus affiné. Le livre vaut
mieux que les conversations de club, ou le spectacle des sports brutaux,
pour polir une race.
2° On portera plus d'intérêt à l'éducation des enfants. Les
parents doivent veiller à l'assiduité de leius enfants à l'école. Rien de
fatal au progrès des élèves comme le manque d'assiduité. Les parents
doivent, de plas, s'intéresser au progrès de leurs enfants, les encourager,
les stimuler, soutenir l'autorité des maîtres. Enfin, ils doivent les main-
tenir à l'école aussi longtemps que le permettent leurs moyens, fût-ce
au prix de sacrifices considéraljles.
3° On comprendra que les personnes qui se consacrent à l'enseigne"
ment méritent, outre notre s\^mpathie, un salaire plus élevé que celu^
de n'importe quelle classe de travailleurs. Nous de^Tions rougir de
payer plus cher l'ouvrier qui travaille la pierre fait des meubles ou
pétrit le jjain, que celui qui pétrit les cerveaux et forme la mentalité de
nos enfants. Qui d'entre vovis voudrait changer de salaires et de métier
avec l'instituteur ? C'est une honte que nous ayons si maigrement payé
l'enseignement jusqu'ici. Comme tout le reste, l'éducation vaut ce
qu'elle coûte. " Mettons-y le prix et la sollicitude qu'elle mérite, et nous
ferons un bon placement. D'ailleurs, ce ne sont pas seulement les
écoles, ce sont aussi nos collèges et nos universités qui souffrent du
manque d'argent. Nous avons, proportionnellement à notre nombre, mi
système d'éducation merveilleux. Mais jusqu'ici c'est le dévouement
qui en a fait les principaux frais, et nous nous sommes trop facilement
contentés d'exploiter le sacrifice des autres. Rappelons-nous ce que
dépensent les protestants pour l'éducation. Imitons-les en cela.
Enfin, appliquons-nous à tirer meilleur parti de l'enseignement mis
à notre disposition, enseignement primaire ou classique, agricole,
282 l'action française
technique ou supérieiu*; classes du soir ou cours de vacances, conférences
agricoles et autres, profitons de tout. Ayons le goût de la lecture,
fondons des bibliothèques scolaires et paroissiales, utihsons celles qui
existent . . .
J'ajoute un dernier mot : ayons une idée juste de ce que doit pro-
curer l'éducation. Une fausse conception de l'enseignement, à l'heure
actuelle, pourrait nous être fatale. Le triomphe de l'école ou du col-
lège, ce n'est pas de bien enseigner l'anglais ou la tenue des livres, ce
n'est pas "de faire à nos jeunes gens une mentalité américaine. C'est de
former de bons Canadiens, sachant parfaitement lem- langue maternelle,
sachant assez l'autre langue pour se faire comprendre de leurs conci-
toj^ens, mais restant dans la tradition de leurs aînés; semblables à leurs
pères, plus parfaits cependant, visant plus haut, mais les estimant tou-
jours et ne les reniant jamais. Avec cet idéal en vue, allons sans crainte.
Si nous nous décidons à nous perfectionner ainsi, rious ne serons pas un
peuple inférieur et notre avenir est assuré.
DISCOURS PATRIOTIQUE DE M. LE DOCTEUR
I. Je serai bref, car je parle contre mes intérêts. •
II. Je vous suggère un moj^en d'éviter les maladies: c'est l'hygiène.
III. Dans les villes, les santés s'affaiblissent, la race dépérit d'une
façon alarmante. Maladies plus fréquentes, complications dangereuses,
convalescences longues et laborieuses. .A tout prix il faut enrayer la
tuberculose et la mortalité infantile. L'enfant meurt sui'tout parce
que la mère est malade. C'est la santé générale qu'il faut fortifier. Il
y a des moyens particuliers, gouttes de lait, traitements . . .
IV. J'insiste sur un moyen qui est à la portée de tous, le traitement
par l'air pur. C'est l'air pur qui nous manque surtout. Conditions
déplorables dans les usines et les magasins; logements trop étroits, mal
éclairés et mal ventilés. Un logement suffisant pour une famille anglaise
de trois ou quatre personnes ne suffit pas pour une famille canadienne de
dix ou douze. Il faut compenser le plus possible par la marche en plein
air et la ventilation. Or, notre éducation n'est pas encore faite sur ce
point. Nos Itères, qui vivaient à la campagne, dans des maisons de
bois, et qui cliauffaicnt leurs cheminées avec des troncs d'arbres, n'a-
vaient pas besoin d'ouvrir leurs fenêtres. Le soleil les rejoignait
toujours, dans leurs soHtudes. Mais nous ? . . .
l'action française 283
Et puis, on quitte l'usine pour le tramway, le tramway pour le logis'
et le logis pour le théâtre. C'est aller de mal en pis. On ne marche
plus dehors. Aussi, les poumons sont faibles, le sang est pauvre, le
rhume est continuel. Ou s'habille, ou plutôt on ne s'habille plus. Des
bas tout en trous, des semelles en papier, les épaules et la poitrine nues.
Qui pourrait résister à un pareil régime ? Et c'est ainsi que se forment
les mères de demain! Mes chers amis, l'avenir est beau pour les méde-
cins !
V Péroraison : Mes amis, vous faites bien des choses de travers,
corrigez-vous. Faites courir les enfants dehors. Amenez-les à la
montagne, au bord du fleuve, dans la banlieue. Notre campagne est
si jolie ! Pour cinq sous le tramway vous y conduit, pour cinq sous il
vous ramène... Chez voas, ou\Tez les fenêtres, écartez les rideaux,
enlevez les tapis qui sont des nids à microVies. Faites entrer l'air et
le soleil dans vos maisons, vous en chasserez le médecin. C'est ce que
je souhaite de tout mon cœur.
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PARTIE DOCUMENTAIRE
LE DISCOURS DE M. L'ABBÉ GROULX AU LOXG-SAULT
Voici le texte du discours prononcé au Long-Sault, à l'occasion
du dévoilement du monument DoUard, le 2-1 mai dernier, par M. l'abbé
GrouLx, délégué du comité directeur de V Action française :
Mesdames, Messieiu"s,
Depuis quelques heures que nous sommes ici nous éprouvons tous
ensemble la vertu particulière, excitatrice et magique de ce coin de terre
du Long-Sault. Des émanations d'héroïsrne s'échappent du sol, flottent
dans l'atmosphère; des fantômes de beaux chevaliers, au AÔsage clair,
à l'épée triomphante, passent devant nos j'eux, et noias avons la certi-
tude de communier à une humanité supérieiu-e, plus grande que nature.
Et nous, de race française, noas avons le bonheiu" de nous retrouver
après presque trois siècles, parlant la même langue, gardant la même
âme, continuant la même histoire, dans la fraternité de ces héros.
J'ai cherché, moi aussi, quelle réunion de rares vertus avait déter-
miné le fait d'annes du Long-Sault. Aujourd'hui, avec vous, j'essaie
d'anahser l'arôme spirituel qui monte de ce sol sacré, et je sens qu'il
faut regarder plus haut que la terre et plus haut que les hommes. Si
nous avons eu DoUard et ses compagnons; si un jour, dans notre pre-
mière histoire, s'est insérée cette page de beauté unique, c'est qu'une
belle nature française s'est rencontrée avec tous les enthousiasmes de la
foi. Ces jevmes gens de notre race sont montés jusqu'à une telle gran-
deur parce que, croyants, ils avaient donné rendez-vous dans leur âme
aux vertus surhumaines; parce qu'au commenrcment et jusqu'à la fin
de leur sacrifice, ils avaient rencontré l'appui de Dieu.
Ils étaient jeimes; ils avaient autoiu- d'eux des mères, des sœurs j
des fiancées; l'un d'eux, ce Biaise Juillet, avait femme et quatre enfants.
Ils avaient pas-^ié les mers pom- venir se créer ici im établissement, ils
avaient commencé de se faire de la terre et ils s'y sentaient fortement
attachés; ils Jetaient l'élite d'une colonie qui n'avait qu'ime poignée
d'hommes; ils étaient les futurs chefs de famille, les fondateurs d'une
l'action française 285
race qui avaient toutes les raisons de se montrer économe de son sang;
ils vivaient à une époque de terreur où chacun se terrait dans sa maison,
oîi un grand nombre, découragés, s'apprêtaient à quitter le pays.
Mais ils étaient aussi de Villemarie, — Villemarie, fondation de héros
et de saints, miniatiu^e de la primitive Église dans les forêts du Nouveau-
Monde; Villemarie qui a voulu se constituer aux portes de la barbarie
la marche de l'Ouest, le rempart suprême de la Nouvelle-France; Ville-
marie où travaillent et prient ensemble des hommes et des femmes qui
s'appellent Maisonneuve, Lambert Closse, Jeanne IMance, Marguerite
Bourgeoys; Villemarie, école de chevalerie où l'on bâtit la cité avec la
truelle et l'épée, où l'on prie autant que l'on travaille et que l'on se bat,
où tous les hommes vaUdes sont mihciens de la Sainte Vierge et vivent
dans la familiarité de la mort et de l'héroïsme. DoUard et les seize ont
vécu une partie de leiu"- jeimesse dans cette atmosphère de chevalerie
chrétienne où les pliLS grands étaient ccilx qui avaient le plus de foi, et
quand ailleurs l'on tremblait, que terrifié l'on attendait chez soi l'inva-
sion ou que l'on fuyait devant le barbare, dix-sept petits Montréalistes
se levèrent, baisèrent au front la Nouvelle-France, tendirent leur gant
au Dieu de nos martjTS, et, un jour d'avril 1660, décidaient de venir ici,
sur le passage même des bandes iroquoises, accepter l'immortelle tran-
chée.
Ils ont eu besoin de leur foi pour concevoir l'idée de leur sacrifice.
C'est à leur foi qu'ils vont aussi demander la force de l'accompUr. Au-
tour d'eux on leur disait, même en ce temps-là, qu'ils n'étaient point
le nombre et qu'ils seraient écrasés; on leur disait d'attendre, que ce
n'était pas l'heure, qu'ils étaient des téméraires, qu'ils iraient compro-
mettre leur cause et vainement sacrifier leur vie. Autour d'eux, il y
avait des larmes étouffées, des sanglots qui leur prenaient le cœur, des
étreintes qui voulaient les retenir et qm les enchaînaient. Un moment
toutes ces larmes et tous ces conseils de prudence et de faiblesse mena-
cent de l'emporter. Un de leurs camarades se désiste de sa promesse
et la fermeté du petit groupe menace de se dissoudre. C'est alors que
les autres s'accrochent au soutien suprême. Dans mie pensée de sublime
désintéressement quelques-uns font leur testament et se dépouillent
de leurs biens. Malgré tout ce qui les retient, un matin, les chevaUers
se retrouvent tous les dix-sept dans la petite chapelle de l'Hôtel-Dieu.
Là, ils se confessent et ils communient. Et quand ils se relèvent, plus
forts que toutes les pusillanimités, convaincus que le nombre n'écrase
pas des âmes, que la mort, pour sauver une cause, vaut mieux quelque-
286 l'action française
fois que la vie, en présence des autels, à l'appel du prêtre et de leur chef
Dollard, ceux qui vont partir lèvent la main et, par un serment solennel,
s'engagent à ne demander et à n'accepter aucun quartier, mais à com-
battre jusqu'au dernier souffle de leur poitrine.
Les voici maintenant dans leur tranchée du Long-Sault. Autour
d'eux, autour de leiu- fragile rempart de palissade, l'enfer s'est déchaîné.
Huit cents barbares les assaillent jour et nuit de coups de feu et de cla-
meurs sauvages. Dans leur fortin de pieux, étroitement serres, les pau-
vres assiégés souffrent de la faim et de la soif. Ils passent aussi par les
tentations de la peur. Quand l'ouragan des cris s'est élevé plus fort
après l'arrivée des Iroquois du Richelieu, les Hurons terrorisés ont sauté
la palissade et seul est resté celui-là qui avait donné sa parole aux Fran-
çais. Les assiégés éprouvent aussi les tentations du cœur et du sang
pendant ces huit longs jours et ces huit longues jiuits de martyre où leur
re\'ient le paj'sage de Villemarie, le souvenir des choses qu'ils ont aimées,
la figure de leiu's mères, de leurs fiancées qu'Ll^ ont laissées et qui, là-bas
par delà la montagne, les rappellent et leur tendent les bras. Main-
tenant qu'ils ont perdu tout espoir de vaincre, qu'ils peuvent tout au
plus retarder leur mort et leur défaite de quelques heures, ils se deman-
dent avec angoisse, eux aussi, s'ils n'ont pas follement sacrifié lem- jeu-
nesse et leur bonheiu-, s'ils n'auront pas vainement décimé Villemarie
et la Nouvelle-France; ils se demandent si l'oubli après la mort ne pla-
nera pas éternellement sur le coteau funèbre du Long-Sault. Ah ! dans
leur détresse, quand cet ennemi plus terrible que le barbare a franchi
la paUssade et \nent faire trembler leur cœur, où donc nos martyrs ont-ils
trouvé la force de rester, de tenir jusqu'au bout ? A cette heure su-
prême où les forces humaines d'ici-bas sont trop peu de chose pour tenir
l'homme debout, face à la bataille, les dix-sept compagnons appelaient
à leur aide la force qui ne fléchit pas. Contre la peur, le doute angois-
sant, les appels de la chair et du sang unis à la tempête du dehors, entre
deux assauts, les enfants de Villemarie avaient rccoius à la force qui ne
fléchit pas; ils prenaient leur cœur à deux mains, ils tombaient à genoux,
appuyés sur leurs fusils, leurs yeux imploraient le ciel, et leurs doigts
de combattants brûlés par la poudre remuaient les grains d'un chapelet.
Ils priaient comme prient les martyrs; ils prièrent ainsi tant qu'ils furent
quelques-uns. Et quand vint le suprême assaut, ils se relevèrent pour
combattre jusqu'au bout, pour combattre dos deux mains, à coups d'ar-
quebuse, à coups de pistolet et à coups d'épée; jusqu'au bout, les che-
l'action française 287
valiers qui avaient prié gardèrent leur serment de ne pas demander quar-
tier, et ils tombèrent le visage haut, face à l'ennemi, agitant au bout
de leur poignet la croix delem- épée.
Mesdames, Messieurs, nous qui sommes venus ici chercher ime
• inspiration et peut-être un mot d'ordre, nous savons maintenant à quel-
les conditions, puisque l'histoire recommence, puisque la barbarie est
à nos portes, puisque l'âme de la Nouvelle-France est toujoiu-s assaillie,
nous savons à quelles conditions de pareils sacrifices, de pareils gestes
sauveurs resteront possibles. L'héroïsme français n'est d'aucun métier
ni d'aucune profession. Parmi les jeunes hommes qui sont venus tom-
ber ici, dans une attitude de martyrs, il y a deux cent soixante ans, pres-
que tous étaient des humbles et des obscm'S, de pauvres petits artisans ,
de petits ouvriers de France qui n'avaient que leurs bras et leur cœur.
S'ils ont été si grands, c'est que de leur race ils ont élevé, jusqu'au plus
haut point, les meilleures vertus, les plus parfaites hérédités, le courage
ardent, le don absolu de soi-même, dans une pensée de foi sublime. Fai-
sons que chez nous siu-vivent les meilleurs éléments de l'humanité; dé-
fendons, gardons intacte notre âme latine et chrétienne; vous surtout,
jeunes gens, qui êtes re.sponsables de l'avenir. Un jour, si c'est néces-
saire, si les heures tragiques surviennent, dans l'atmosphère morale du
pays, maintenue ardente et purifiante, des âmes plus grandes surgiront,
des hommes s'élèveront, incarnations de toutes les volontés, de toutes
les aspirations de la race; ime fois de plus ce sera la rencontre d'une belle
nature française et de tous les enthousiasmes de la foi, et dans l'histoire
de la Nouvelle-France apparaîtra la deuxième légion Dollard.
La même alhance de la foi et de l'âme française perpétuera chez
nous les dévouements dont nous avons besoin non pas une seide fois,
mais souvent, mais tous les jours, non pas seulement aux heures tragi-
ques, mais à chaque instant de notre vie nationale toujours menacée.
Elle seule, cette alliance, ne nous le cachons pas, élève les âmes assez
haut pour qu'elles s'égalent au sacrifice et pour qu'elles aillent jusqu'au
bout.
Ici, près du champ clos où se sont immolés les chcvahers, je puis
en appeler à leur exemple. Mais j'en appelle aussi à toute notre his-
toire. Si, depuis trois siècles, nous nous sommes entêtés à ne pas mourir.
288 l'action française
si nous gardons tous les bienfaits de la culture française, si ceux qu'on
opprime parmi nos frères, voient encore des secours venir vers eux ; si la
Nouvelle-France est restée vme réalité vivante; si notre foi écarte de
chez nous le grand conflit social; si nos poitrines se dilatent dans une
atmosphère respirable; si les égoïstes et les démissionnaires eux-mêmes
peuvent poursui\Te en paix leurs rêves de sensualistes et de fainéants,
à qui le doivent-ils, à qui le devons-nous, si ce n'est toujoiu^s, aujoiu-
d'hui comme hier et demain comme aujourd'hui, à cette petite minorité
de fous et d'idéahstes, de combatifs et de croj-ants assez forts pour avoir
dompté en eux tous les assauts de la peur et des intérêts, assez arriérés
pour croire et professer qu'il existe quelque chose de plus haut que le
portefeuille personnel, de plus haut que les calculs intéressés, que les
frayeurs des pusillanimes et continuent, malgré les ricanements des uns
et les lâchetés des autres, à vivre, à s'user et quelquefois à mourir, pour
leur pays, pour l'amour du prochain et pour le Christ.
Comme jadis elle a gardé serrés les uns près des autres les compa-
gnons du Long-Sault, comme elle les a liés jusqu'à la fin dans le serment
de la mort, gardons la foi qui nous unit; entre nous tous défendons le
lien que le temps ne brise pas. Et gardons aussi la langue qui nous rehe
à cette glorieuse histoire.
Un soir de la dernière guerre, dans les tranchées allemandes qui
sillonnent la terre de Pologne, tout à coup, vm chant s'élève la nuit,
plaintif et traînant, du côté des tranchées russes; les Polonais prêtent
l'oreille; ils reconnaissent leur chère prière nationale à la Vierge, les Peti-
tes heures de l'Immaculée-Conception : « Hâte-toi de nous secourir,
Vierge clémente ». Les Polonais allemands répondent à leurs frères
de Poznam qui sont là enrégimentés en face d'eux, et ainsi par-dessus
les tranchées ennemies, par le lien de la foi et de la langue, se renoue
la fratei:nité polonaise. De même, Mesdames, Messieurs, de cette tran-
chée fermée il y a deux siècles et demi, monte une prière qui est encore
la nôtre, qui s'élève dans la même langue, avec le même accent Sa-
chons l'entendre, sachons y répondre; sachons entendre aussi la prière
chrétienne et française qui monte des marches ontarienncs, de nos mar-
ches de l'Ouest, de celles d'Acadie, de celles d'au-delà de la frontière;
par-dessus les tranchées qui nous séparent, renvoyons-nous l'hymne
de la foi inviiuibk; et fraternelle et ((ue se maintienne à jamais l'unité
de la Nouvelle-France.
l'Action française
JTTILLÈT 1919
Les précurseurs
Mgr L ANGEVIN
** Il en est qui pensent qu'ils n'est pas
opportun de résister de front à l'iniquité
puissante et dominante, de peur que la
lutte n'exaspère davantage les méchants.
Léon XIII,
{Sapientiae Christianae)
« Un homme vient de mourii- qui était mi homme; un
évêque vient de mourir, qui était un évêque. » C'est ainsi
que Léon Gautier annonçait la fin de Mgr Freppel, ce vieux
soldat frappé au miheu de la grande bataille, et qui confon-
dait dans un même amour l'Église et la Patrie. Ces paroles
nous reviennent à la mémoire au moment où nous tâchons
de revivre les heures de juin 1915, quand la mort terrassa
Mgr Louis-Philippe-Adélard Langevin, archevêque de Saint-
Boniface. Ce militant que Son Éminence le Cardinal
Bégin appela alors « un défenseur de la foi et de notre
race, )) est \Taiment le champion qui là-bas protestait
avec énergie, ciuand on insultait Jésus-Christ ou l'Église,
ou qu'on nous contestait l'un ou Tautre de nos droits si
vaillamment conquis par tout le pays.
C'est qu'au jour de la prise de possession de son siège,
Mgr Langevin entendait la grande voix de ses prédécesseurs
lui crier de conserver le dépôt à lui confié : pure doctrine
de Jésus-Christ telle qu'enseignée par la Sainte Église
catholique; droits scolaires, alors comme aujourd'hui, si
malheureusement foulés aux pieds. Lisez ces lignes écrites
avec toute la spontanéité de son âme d'apôtre et de lutteur :
« Comme hommes libres, comme chrétiens surtout, nous
Vol. III No 7
290 l'action française
devons maintenii- les droits inaliénables que la loi natiu'elle
confère aux pères de famille poiu' l'éducation de leurs
enfants. Au nom de ces droits sacrés, sauvegardés par les
traités les plus solennels, les promesses royales elles-mêmes,
et reconnus parle tribunal de l'Empire britannique, que
dis-je? par Sa Majesté elle-même en conseil; au nom de la
justice et de l'équité, et pour l'honneur du drapeau britanni-
que et de la province de Manitoba, Nous ne cesserons de
réclamer nos écoles catholiques. » ^
D'aucuns ont sans doute trouvé ciue cette âme puis-
sante réclamait avec trop d'éclat. Disons tout de suite
qu'il nous plaît de ranger Mgr Langevin dans la catégorie
des grands évêques dont saint Grégohe de Nazianze, leur
contemporain, a dit : « Quelque doax et traitables qu'on
les connaisse d'ailleurs, ils ne supportent point de devenu-
modérés et faciles, quand le silence et le repos traliiraient la
cause de Dieu; alors ils sont ardents à la lutte, impétueux
dans le combat (car ici le zèle c'est une flamme), et ils sacri-
fieraient tout plutôt que d'omettre rien du devoir. »
Ces paroles, l'archevêque de Saint-Booiface ne les a
jamais oubliées. On l'a toujours vu plein d'ardeur pour
la cause de Dieu et la caase de sa patrie. Il n'a point cher-
ché la lutte, il ne la désirait point, car si l'évêque lutte, c'est
que l'Église souffre, que les droits des siens sont sacrifiés.
Les politiques infatués de ce qu'ils appellent l'esprit de
tolérance permettent bien à l'évêque de prier, de bénir, de
pardonner; ils supportent même chez lui l'apparence de
l'action publique, à condition qu'il reste dans les généralités
reconnues inoffensives. Mais veut-il combattre l'impiété
de manière à gêner les impies, il manque de mesure; s'il
précise les doctrines de l'ennemi, s'il le nomme, il manque
• Mandement de prise de possession de Mgr Langevin.
l'action française 291
de charité; s'il touche aux questions rehgieuses mêlées aux
questions politiques, il manque de prudence. Le mot est
lancé. Prudence ! que de capitulations l'on fait en ton nom !
Ici comme ailleurs, nous sommes plus ou moins imbus de
libéralisme, et nous aimons trop la théorie du moindre mal :
le vrai bien en souffre. Nous poussons trop loin le sj^stème
de la tolérance et des concessions; on oublie que l'opportu-
nisme « est un vice contraire à la prudence, parce qu'il fait
fi de la vérité. » ^
Le parti des transactions, qui aime à s'appeler ie parti
de la conciliation, essaie d'affaiblir la vérité; on veut que
celle-ci consente à respecter l'erreur et la spoliation des
droits les plus chers à l'Église, à une race qui ne veut pas
mourir. C'est ainsi qu'on arrive à déplorer les maux si
bien décrits par le Père Jan\'ier : « Avouons-le franche-
ment, plus d'une fois, nous avons manqué de décision, et
cette faiblesse a été le principe de mécomptes et de mal-
heurs que chacun déplore trop tard. Sans doute à certaines
heures, la tâche du pouvoir est difficile; un mot maladroit,
un faux pas, un geste téméraire risquent de compromettre
l'avenir et la fortune d'un peuple. Je conviens de tout cela
et j'estime que nous devons être indulgents pour ceux qui
ont erré par excès de timidité. Cependant, je suis obligé
de rappeler c^ue l'on n'est point capable de gouverner si
l'on n'est capalîle de résoudre, au moment voulu, les pro-
blèmes compliqués; si, par crainte des oppositions, des cri-
tiques, des responsabilités, on recule devant les actes et les
bienfaisants décrets réclamés par l'intérêt de tous; que l'ex-
cès de prudence n'est plus de la prudence. » ^
^ Exposition de la inorale catholique. La prudence chrétienne^
carême 1917, page 19, Père Janvier.
^ Prudence, Père Janvier, p. 126.
292 l'action française
Mgr Langevin aimait trop l'Église et son pays pour
n'être pas homme de combat. Il nt garda dans auemie lutte
la neuti-aiité. Pouvait-il être neutre, quand les intérêts de
la religion étaient en cause, quand on voiuait s'emparer de
l'âme des enfants, de ses écoles, quand on refusait aux siens
le droit de parler la langue des aïeux? Pouvait-il, sous
prétexte de modération, de sagesse, de conciliation, se prêter
à des compromis de nature à entamer 'es droits de la vérité
et le droit naturel ?
Le compromis offre parfois des avantages transitoires
sur les questions de fait; il est toujours dangereux au point
de vue des principes. Aussi Mgr Langevin la-t-il toujours
repoussé. Il voulait sauvegarder avant tout la pureté des
docti'ines et voyait dans la netteté des opinions la plus sûre
des tactiques.
Êvêque, il s'engageait à être le vigilant gardien le la
vérité, au besoin son vengeur. «Je suis évêque, aurait-il
pu dire avec Mgr Pie. Je suis parmi vous le consul do
la Majesté divine. Si le nom du roi, mon maître, est outragé,
si le drapeau de son Fils, Jésus, nest pas respecté,si les droits
de son Eglise et de son sacerdoce sont méconnus, si l'autorité
de sa doctrine est menacée, je suis évêque, donc je par-
lerai, j'élèverai la voix, je tiendrai haut et ferme l'étendard
de la vérité, l'étendard de la vraie liberté, qui n'est autre
que l'étendard de la foi, l'étendard de mon Dieu. »
Au moins à trois époques solennelles de notre histoire,
l'archevêque de Saint-Boniface se leva dans toute sa fierté
d'évêque et de patriote pour défendre les écoles catholiques.
En Amérique comme en Europe, les regards se tournent vers
les écoles où les enfants de ténèbres veulent 'supplanter les
fils de; lumière.
l'action française 293
Je n'ai pas à refaire ici cette histoire lamentable de
la spoliation de nos dioits scolaires en dehors de la province
de Québec. ElJc serait longue et inutile.
Qu il nous suffise de rappeler que sous l'épiscopat de
]\Igr Langevin nous avons traversé trois crises scolaires :
La première est celle du Manitoba commencée en 1890, et
qui s'est terminée par le fameux règlement Laurier-Green-
way-Tarte que le Pape Léon XIII a qualifié de « loi défec-
tueuse, imparfaite, insuffisante ».
La seconde s'est développée lors de la constitution des
deux nouvelles provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan,
où nous avons obtenu dans sa forme définitive l'article 17
qui a du moins sauvegardé le principe du droit des mino-
rités aux écoles séparées et à l'enseignement confessionnel.
La troisième enfin naît à l'occasion de l'annexion en 1912
au Manitoba de la vaste contrée connue sous le nom de
Keewatin, qui perdait alors ses droits garantis par la clause
scolaire toujours vivante, «sortie du cerveau, de la pensée et
du cœur d'Edward Blake, et votée en 1875 avec le concours
des deux partis politiques, afin d'assurer pour toujours,
disaient-ils, le droit des minorités et la paix sociale dans
toute l'étendue de ces territoires. » ^ Il n'entre pas dans le
cadre de cet article de résumer les débats du temps et de
porter un jugement définitif sur les principaux acteurs de ce
grand drame. Mais ce qui nous incombe c'est de montrer,
planant au-dessus des partis politiques, la grande figure de
Mgr Langevin qui réclame en 1896 comme en 1905, et en
1912 comme en 1896 et 1905, les droits des parents et de
l'Église en matière éducationnelle. Cette indépendance
courageuse ne fit que grandir sa popularité, et de son vivant
1 Pour la justice. — ■ Discours prononcé au Monument National,
le 9 mars 1912, par M. Henri Bowassa.
294 l'action française
même la légende s'emparait de ses actes comme il arrive
presque toujom-s pour les grands hommes. C'est qu'il
pouvait dire en toute sincérité avec Mgr Pie : « Un seul
parti pourra sauver le monde, le parti de Dieu. Il n'y a de
salut que là. AWjurer nos rêves d'indépendance à l'égard
de l'être souverain, et nous soumettre à lui; relever parmi les
hommes le drapeau du prince de la miUce céleste, avec sa
devise : « Qui est comme Dieu ? — Quis est ut Deus f » La
conciliation? Eh ! oui, sans doute, mais nous avons plus
et mi^ux à faire que de rapprocher les hommes entre eux; le
grand rapprochement à opérer, c'est de réconcilier la terre
avec le ciel. Qu'on ne s'y méprenne pas : la question qui
s'agite et qui agite le monde n'est pas de l'homme à l'homme;
elle est de l'homme à Dieu. . . N'espérons point par de
<3crètt - capitulations ressaisir ce que le ciel lui-même
• p^.se. Le règne des expédients est fini; il faut que le règne
des prii 'ipes commence. »
L'.iiiportant et le difficile dans ce monde, c'est de voir
assez tut l'œuvre qu'on doit y f aire,de s'y consacrer tout entier,
sans esprit de retour. Au jom- de son sacre, Mgr Langevin
eut le bonheur d'entrevoir l'œuvre à accomplir dans les vas-
tes régions de l'Ouest. C'est ce qui donne une si merveil-
leuse fécondité à sa carrière épiscopale. Les âmes de ses
diocésains, il les voulait pour les donner à Dieu; et il prit
les moyens les plus efficaces pour les sauver. L'un de ces
moyens, c'est la conservation de la langue nationale.
L'archevêque de Saint-Boniface faisait écho à la grande voix
de la tradition de l'Église romaine qu'il aimait avec passion,
quand il défendait la langue des siens et voulait évangéliser
les nouveau-venus dans l'idiome ancestral. Partout et
l'action française 295
toujours l'Église s'est faite la protectrice des langues
nationales, parce qu'elle reconnaît que le droit à la langue
maternelle est l'un des di-oits naturels les mieux établis.
Elle se rend également compte que l'usage du parler des
aïeux est l'un des éléments les plus précieux de son apostolat.
Aussi bien, Mgr Langevin fut-il au premier plan quand il
s'est agi de défendre l'idiome de nos pères. Et qui oserait
lui en faire un crime ? La langue française pour nous est
gardienne de la foi. « Née avec la France chrétienne,
grandie et perfectionnée sous l'aile maternelle de l'Église,
elle s'est plus pénétrée de catholicisme, de cathohcisme
pensé, raisonné, convaincu et convaincant que ses sœurs
latines, que tous les autres dialectes de l'Europe, » ^ C'est
cette langue mise pendant des siècles au service de la foi
catholique que nous avons le bonheur de parler et de comp-
ter comme une des langues officielles dans notre confédéra-
tion anglo-française. C'est dans cette langue que se fait
la transmission de la foi au foj'er familial. L'enseignement
de l'école, l'enseignement de l'Éghse continuent celui de la
mère et du père de famille. La foi devient vie et lumière
parce qu'on l'apprend dans l'idiome coutumier, qui est la
langue des premières prières et des premiers credo, celle qui
a construit en nous l'édifice des connaissances,des croyances,
de la mentalité intime.
Avec quelle ardeur Mgr Langevin luttait pour la langue
française et comme il se serait réjoui des paternels encoura-
gements du vicaire de Jésus-Chiist qui veut bien que nous
réclamions « par tous les moyens légitimes ... les interpré-
tations et même les mutations » qui nous paraissent néces-
saires pour assurer notre droit de parler et d'entendre notre
* Bibliothèque de i' Action française. — La Langue, gardienne de la
Foi, par M. Henri Bourassa.
296 l'action française
langue à l'égiise, à l'école, partout. Toutefois, la foi
ardente et le zèle apostolique de Mgr Langevin ne se sont
pas bornés à la défense de la langue française comme gar-
dienne des croyances religieuses. Suivant l'affirmation
si juste de Mgr Béliveau, le très digne et très ferme succes-
seur de Mgr Langevin : « La conservation de la foi chez
les nombreux immigrants que le gouvernement amenait
dans nos plaines de l'Ouest, lui était un continuel souci.
Pour atteindre ce but, il s'est efforcé de prendre le plus court,
l'unique moyen : donner à chaque nationalité des pasteurs
parlant sa langue. » ^
Aussi voyons-nous Mgr Langevin créer à Winn-ipeg
deux nouveaux centres de vie religieuse pour ses diocésains
de langue anglaise dont il possédait la langue avec maîtrise.
Il procure des missionnaires, des églises, des prêtres, des
écoles et des fonds à ses diocésains chi rite ruthène. Sur les
quatre-vingt-une paroisses qu'il érige en vingt ans, il s'en
trouve pour les Allemands, les Polonais, les Italiens, les
Syriens. Il envoya même en Galicie des prêtres canadiens
s'initier au rite ruthène et acquérir la connaissance de la
langue de ce peuple.
Son rêve dans l'établissement de son petit séminaire
pour le recrutement du clergé, était aussi de donner des
institutions spéciales à ses chers Ruthènes, dont il voulait
sauver les âmes à tout prix. Et c'est cet apôtre que de
vils calomniateurs ont pai-fois accusé d'aimer plus la langue
des siens que la foi de Jésus-Christ.
*
* *
Ah ! sa patrie, il l'a aimée sans doute. Et le Chiist
n'a-t-il pas aimé la sienne et pleuré ses malheurs? Mais
toujours Mgr Langevin s'est souvenu qu'il était évêque et
' Mandement de prise de possession de Mgr Arthur Béliveau.
l'action française 297
père de toutes les âmes que Jésus-Christ lui avait confiées.
Comme son maître, il avait le droit et le devoir d'aimer sa
patrie; et il l'a aimée de toute sa gi'ande âme. « Nous,
Canadiens français, nous avons une patrie qui n'est ni la
France, ni l'Irlande, ni l'Allemagne, ni l'Angleterre, ni
l'Ecosse, mais le Canada. Ne vous étonnez pas que nous
éprouvions pour le maintien de notre langue un sentiment
auquel tous les autres sont étrangers. Nous sommes les
Canadiens par excellence. »
Et certes, Mgr Langevin avait laison.
Au surplus son patriotisme, qui s'iiLspirait de l'amour
de la petite patrie d'abord, de l'amour du village natal, de
sa chère province de Québec, qu'il salua avec tant de cœur
et d'éloquence au Congrès de la Langue française, s'étendait
au Canada tout entier. Relisez, ou plutôt écoutez encore
l'évêque patriote, qui nous disait en ce jour de sa voix clai-
ronnante :
« Nous sommes chez nous, au Canada, partout où le
drapeau britannique porte dans ses plis glorieux nos droits
sacrés avec la trace de notre sang.
« Debout, Ubres et fiers, auprès de cet étendard qui
flotte triomphalement sur tous les océans, nous lui jurons
avec joie, foi et fidélité, mais nous lui demandons en retour
de protéger toujours nos libertés, et nous clamons à tous
les échos du pays, la vieille devise normande : « Dieu et
mon droit ».
« Pour nous, la patrie s'étend jusqu'au dernier morceau
de terre canadienne, jusqu'à la dernière motte, jusqu'au
dernier brin d'herbe. Chacun de nous l'emporte avec lui
dans son cœur, comme un trésor sans prix; et l'exilé mourant,
loin des chers siens et de la douce terre natale, évoque avec
amour l'âme de la patrie, lui envoie encore son souvenir le
298 l'action française
plus affectueux, et lui réserve, avec Dieu, le dernier batte-
ment de son cœur. »
Au joiu' de la mort de Mgr Langevin, on a affirmé de
son caractère les traits les plus variés. Ils étaient tous
vrais, parce que le prélat a déployé dans presque tous les
sens les énergies de sa riche nature, parce qu'il a réuni dans
sa personnalité puissante les qualités les plus diverses,
et d'ordinaii'e les pius inconciliables : une énergie indomp-
table, et une bonté de cœur qui se fondait parfois en ten-
dresse, la hardiesse dans les conceptions et 1 art de conbiner
les moyens dans la pratique.
Rien ne lui a manqué de ce qui fait les ouvriers des
grandes choses: il eut la science, acquise surtout pendant
ses huit années d'enseignement à l'Université d'Ottawa;
sa foi était vive. Comme le dit si bien Mgr BéHveau :
« Au milieu des manifestations diverses de cette débordante
activité, son grand esprit de foi lui rappelait sans cesse la
nécessité de la prière pour l'établissement et la consoli-
dation des œuvres de Dieu. Cette pensée du rôle capital
de la prière, il a voulu l'affirmer par l'étabhssement d'un
Carmel à Saint-Boniface. »
Plein dune tendre piété pour Marie-Immaculée à
laquelle il s'était consacré dans la Communauté des Oblats,
il faisait du chapelet sa prière préférée. li fut surtout
finalement soumis au Saint-Siège. Toujours et sans hési-
tation il inclina sa personnalité altièrt et indépendante
devant l'autorité souveraine du chef de l'Église pour lequel
il avait « de la dévotion ».
Mais entre toutes les qualités diverses du grand dis-
paru, le zèle religieux et le patriotisme ont établi une sorte
l'action fi^ançaise 299
d'harmonie supérieure et facile à saisir. Aussi bien l'opi-
nion publique, qui se trompe si souvent, n'a pas erré quand
elle a affirmé sur toutes les notes de la gamme qu'avec Mgr
Louis-Philippe-Adélard Langevin disparaissait un grand
évêque et un grand patriote.
Dans le Roman de V Énergie nationale, Majrice Barrés
nous représente sept jeunes « déracinés », tous petits-fils
des soldats de la grande armée, sous le dôme des Invalides,
penchés « sur ce puits où les architectes, qui désespéraient »
de dresser à Napoléon « un trône suffisant, laissèrent s'en-
foncer )) son trop lourd cad-ivre. Ces jeunes écoutent le
clairon épique qui redit tous les grands instants de la vie
de l'empereur des Français, et la légende se mêle à l'histoire
pour raconter la destinée de celui qui avait ie « don d'élec-
triser les hommes ». Mais ce qui est l'aboutissant de toutes
les phases de l'histoire et des transformations de la légende,
c'est la formule si caractéristique :
« Napoléon ! professeur d'énergie. »
Des professeurs d'énergie ! Il nous en faut à l'heure
actuelle. Il faut savoir profiter des leçons qu'ils nous don-
nent, si nous voulons être dignes toujours des grands aïeux
qui ont tant peiné pour la défense et la propagation de la
foi, pour la conservation de notre patrimoine national.
A genoux, près de la tombe de Mgr Langevin, grandis-
sons nos âmes, transformons-les dans l'amour intense de la
religion et de la patrie.
Abbé Philippe Perrier.
LE PATRIOTISME DE JEANNE LE BER
,. Comme une sentinelle ■v'igilante, elle
se tenait debout pour la patrie."
(Eloge funèbre de Jeanne Le Ber.)
Aucun élément de beauté ne devait manquer à la Ville-
Marie héroïque et mystique. Le sentiment religieux et le
patriotisme se nuancent, dans les âmes, d'harmoiiieuses
diversités. Ainsi la foi chevaleresque et délicate de Paul de
Maisonneuve s^ oppose à la a'oyance robuste et vive de Jeanne
Mance; la piété sereine de Marguerite Bourgeoys met un peu
de douceur aux convictions impétueuses, qui appellent les
miracles, de Dollard des Ormeaux. Et bientôt, la vie de piière,
d'ombre et de silence de Jeanne Le Ber, V admirable recluse,
nous révèle une mysticité très achevée.
Des forces spirituelles profondes façonnent vraiment ces
héros. Si bien, qu'ils semblent même, en servant la patrie,
transposer dans leur conduite extérieure les qualités du
croyant. N'ont-ils pas, dans l'action, cette confiance hardie
« qui soulève les montagnes )), une capacité sublime de sacri-
fice et d'oubli de soi; ne reti ouve-t-on pas, chez quelques-iins,
les signes caractéristiques des mystiques agissants : la lucidité
du regard, une pénétration lumineuse des faits, l'utilisation
très à point des ressources immédiates, une prévoyance tenant
presque de la divination? Leurs yeux qui plongent au loin,
perçoivent également les sinuosités de la route.
Dollard, par sa fin héroïque, symbolise tout ce que le
patriotisme doit à cettaines heures de force, d'endurance et
d'exaltation magnifique à la foi. Il est donné, par contre,
à Jeanne Le Ber d'apporter au monde la preuve nouvelle
qu'un spiritualisme élevé peut s'allier à Vamom clairvoyant
de la pairie.
l'action française 301
C'est aujourd'hui ce caractère de la vie de la recluse que
je désire rappeler. Quelques traits, choisis avec soin, con-
sidérés attentivement, appuieront, cette assertion.
L'année 1662 voit naître Jeanne Le Ber, année tragique
et malheureuse, assombrie par la mort de Lambert Classe,
le sauveur de Vtlle-Marie. Faut-il voir dans le rapproche-
ment de ces deux faits plus qu'une simple coïncidence, une
disposition secourable de la Providence ? L'enfant prédestinée
de Jacques Le Ber et de Jeanne Lemoyne devait, elle aussi,
vivre et mourir des armes puissantes à la main : celles de
l'imploration et de l'adoration réparatrice. Mais qui tran-
chera jamais ce mystérieux débat? Entre ceux qui luttent
et ceux qui prient, le monde saurait-il désigner avec certitude,
ses plus invincibles défenseurs f
La popidation de Ville-Marie, le 5 août 1695, assiste
à un spectacle inoubliable et rare. Jeanne Le Ber, la riche
héritière, la parente de l'illustre famille des Lemoyne de Lon-
gueuil, cette femme douce, de charmes extérieurs, intelligente
et cultivée, adorée de son père, s'achemine vers la cellide cons-
truite par ses soins, et attenante à la chapelle 'des religieuses
de la Co7igrégation. Entre les nuirs étroits de ce réduit, elle
va vivre désormais. L'Eglise bénit son vœu de réclusion per-
pétuelle, et la foule présente à la /cérémonie contient à peine
les témoignages de son admiration.
L'image de la recluse dans la grâce et la beauté de son
immolation, devait se graver dans V esprit du peuple de Ville-
Marie. Souvent, dans la suite, il attribuera à cette vie
silencieuse et suppliante l'obtention de faveurs de choix.
Se trompe-t-il, vraiment, le peuple de Ville-Marie f Les
lèvres de la recluse, lorsqu'elles s'ouvrent, ne font pas entendre
des paroles indifférentes ou glacées. La réserve de Jeanne Le
302 l'action française
Ber recouvre une sensibilité exquise. Tout ce qui touche à
son paijs ou aux siens Vatieint 'profondément. Anne Barroy,
la coimne choisie entre toutes pour communiquer avec la
recluse, connaît ce trait particulier de sa nxiture et rapporte,
à V occasion, devant sa paiente, les événements décisifs de
Ville-Marie.
On lui en intime parfois V ordre. Ainsi, en 1711, à la
nouvelle de V arrivée imminente de V armée anglaise, déterminée
à conquérir le Canada peu en mesure de se défendre, Ville-
Marie spontanément se tourne vers Jeanne Le Ber. Le
danger qui menace le pays, elle demande qu'on le lui révèle.
Anne Barroy reçoit de la recluse, très attentive, dès les premiers
mots de la communication, cette calme réponse : « Non, ma
sœur, la très Sainte Vierge aura soin de ce pays, elle en est la
gardienne. Nous ne devons rien craindre.)) U espoir renaît
partout à cette déclaration. On ne met pas en doute un seul
instant les vues optimistes de Jeanne Le Ber. Témoignage
manifeste de la vénération populaire à so7i égard ! Le baron
de Longueuil, cependant, désire recevoir de sa cousine une
preuve palpable de son union d'âme avec ses compatriotes. Il
sollicite la faveur d'un drapeau sur lequel elle aurait tracé
quelques mots. Jeanne Le Ber acquiesce avec simplicité à ce
vœu. Et bientôt, « M. de Belmont, supérieur du Séminaire,
bénit l'étendard, le remet solennellement entre les mains de
M. de Longueuil, dans l'église paroissiale de Ville-Marie, en
présence du peuple accouru ».
Détail touchant ! Jeanne Le Ber se préoccupe, à cette
heure critique, de la moisson des religieuses de la Congréga-
tion. Elle les prie de fixer, à la porte du bâtiment qui la
contient, une image de la Vierge, qu'elle a entourée d'une
invocation. La dévotion du peuple dérobe cette image, et^
confuse, la douce recluse doit la remplacer.
l'action française 303
«
Les événements confirment les paroles piophétïques de
Jeanne Le Ber. Nous savons par Vhistoire quelle déroute
subit l'armée de Walker, dont une partie de la flotte va s'anéan-
tir sur les récifs de Vlle-aux-OeuJs. Ville-Marie n'a à
déplorer aucune perte de vie.
Si des faits d'une telle gravité trouvent chez Jeanne
Le Ber une oreille attentive, l'exposition de besoins plus
simples ne la touche pas moins. Les pauvres reçoivent des
vêtements confectionnés de sa main. Les souliers de paille
qu'elle porte en toutes saiso7is, son unique robe de serge gris-
blanc, lui permettent de faire des largesses. La tâche de pré-
dilection de la recluse, cependant, est de préparer les linges
et les ornements destinés aux églises de Ville-Marie. Il serait
impossible, nous disent les historiens, d'évaluer le nombre de
ses ouvrages. En 1721, M. de Belmont écrit : « Outre
presque tous les ornements qui sont présentement à la Congré-
gation, elle a fouriii à toutes les paroisses du Nord et du Sud
du gouvernement de Montréal, des chasubles, des devants
d'autel, des bouquets et d'autres orîiements. » L'église de
Ville-Marie lui doit, à elle seide, « un ornement complet à
fond glacé d'argent, cornposé du devant d'autel, de la chasuble,
des dalmatiques, et de la chape, entièrement brodés de sa
main ».
Jeanne Le Ber, il faut le rappeler, a conservé l'usage de sa
fortune. Elle couvre elle-même les frais de ses dons multiples.
Entraînée par l'élan de sa foi, elle avait voidu, à l'époque de
son vœu de réclusion, se dépouiller de ses biens. Son père,
appuyé par son directeur, n'y avait pas consenti. Prévision
remplie de sagesse. Nul mieux que cette âme avertie ne pou-
vait en disposer utilement.
304 l'action française
Peu de temj)s avant sa mort, elle donne une dernière
preuve de sa générosité clairvoyante. Durant l'année 1713,
youssée^ sans doute par le pressentiment de sa fin prochaine,
elle presse les Sœurs de la Co7ujrégation d'accomplir le vœu
de Marguerite Bourgeoys mourante : la reconst) uction et
V agrandissement du pensionnat de la Coiigrégation. Elle
assure la religieuse économe, effrayée des responsahilités
matérielles à encourir, que tout viendra à point. Elle ne se
trompe jms. Des secours inattendus parviennent aux reli-
gieuses, et un an plus tard, les bâtisses sont achevées.
Jeanne Le Ber s'accorde alors la douceur de faire un don
suprême au Couvent qu'elle aime par-dessus toid, et sur
lequel plane le souvenir de Marguerite Bourgeoys, l'amie dont
elle garde fidèlement la mémoire. N'a-t-elle pas désiré vivre
sous le même toit que la fondatrice de la Congrégation? Ne
donnait-elle pas, à cette époque, afin de lever certaines difficul-
tés, « la plus grande partie de la somme nécessaire à la cons-
truction de la nouvelle église du Couvent », qui devait également
contenir sa cellule?
En vertu d'un contrat signé un mois avant sa mort, le
9 septembre 1714, Jeanne Le Ber consacre ce qui lui demeure
de fortune à la fondation de sept places gratuites dans le pen-
sionnat nouvellement construit. « Ne croyant pas, dit-elle
dans l'acte, pouvoir faire du peu de bien qui lui reste, un
meilleur usage et qui contribue davantage à la gloire de Dieu
d'en appliquer le revenu au soidagement d'un certain nombre
de fdles, dont les parents sont dans l'impossibilité de leur faire
donner toute l'instruction et V éducation nécessaires.)) Il faut
relire ce document, et s'édifier du sens pratique de la recluse.
Elle détermine elle-même le genre d'éducation que recevront
ses protégées.
l'action française 305
Par ce beau geste, Jeanne Le Ber procure' de précieux
avantages à ses compatriotes. Les besoins scolaires de Ville-
Marie vont croissam, et la recluse fait preuve, une fois de plus,
d'un esprit préventif étonnant.
Entre la cellule, où parviennent à peine les bruits du
onde, et les demeures chrétiennes de Ville-Marie, un mysté-
rieux courant de sympathie s'est établi. De secrètes intelli-
gences, une solidarité merveilleuse apparaissent entre celle qui
implore, et ceux qui agissent et combattent.
Jeanne Le Ber. ce beau lys de l'Église canadienne, cette
adoratrice qui veille et prie pour la patrie qu elle aime, cdtache
plus profondément encore son regard de sainte sur le coin de
terre privilégié de Ville-Marie.
Marie-Claire D a velu y.
12 juillet 1919.
La fête acadienne
Cette livraison de TAction française est la der-
nière que recevront nos lecteurs avant la fête
nationale acadienne. Nous voulons en profiter
pour offrir à nos frères d'Acadie, les aines de
la famille française sur ce continent, Vhom-
mage de notre infrangible souvenir et nos
meilleurs vœux de bonJieur.
- Dieu protège à jamais la noble Acadie!
INNOCENS EGO SUM
« Je suis innocent du sang de cet homme juste ! ))
Telle est la phrase que Pilate jeta à la foule des Juifs
ameutée contre Jésus et réclamant sa tête. Le proconsul
se lavait les mains du crime qu'il savait qu'elle allait com-
mettre. Tout l'ouvrage d'Acadia, d'Edouard Richard,
tend également à montrer que la Grande-Bretagne peut se
rendre ce témoignage : « Je suis innocente des malheurs
du peuple acadien ! Je puis me laver les mains de sa
déportation, de son exil sur des plages inhospitalières. »
A ce point de vue, le chapitre trentième de ce grand
travail, remarquable à tant d'autres égards, avait, dans la
pensée de l'auteur, une importance tout à fait exception-
nelle : il marquait le point culminant de la thèse qu'il
s'était juré à lui-même de faire accepter du public, et qu'à
force de se payer, j'allais dire de se griser de mots, il avait
fini par regarder comme une vérité désormais hors du
domaine de la discussion. Voici la genèse de cette thèse
dans son esprit :
Comme tant de nos hommes politiques canadiens-
français, Richard était extrêmement épris des institutions
britanniques; pour lui, l'Angleterre avait toujours été la
grande dispensatrice des idées libérales dans le monde.
Ayant étudié le régime parlementaire anglais surtout à
travers les considérations tendancieuses et imprécises de
publicistes tels qu'un Macaulay par exemple, il s'était
constitué au sujet de tout le système de gouvernement
britannique un état d'esprit très curieux, à base de bienveil-
lance et d'admiration ingénue. En 1895 ou 96, alors qu'il
était à Arthabaska, je me rappelle qu'il publia, dans
l'actiox française 307
V Union des Cantons de l'Est, un article pour expliquer, dans
un sens éminemment favorable, un mot qu'a\ait prononcé
Wilfrid Laurier, et qui avait donné lieu à bien des critiques.
Se caractérisant lui-même, Laurier s'était appelé British
to the cote, expression qui à plusieurs avait paru étrange dans
la bouche d'un Canadien français. Edouard Richard
prétendit en donner la justification : Laurier avait voulu
signifier par là non seulement sa loyauté, mais encore son
admiration à l'égard des institutions britanniques en général,
et, dans l'espèce, son amour pour la forme de gouvernement
que l'Angleterre avait donnée au Canada, et qui, à ses
yeux attendris, était comme une sorte d'idéal. Or, dans
tout ce commentaire apologétique de la pensée de son ami,
l'on sentait que Richard se définissait aussi bien. British
to the core lui semblait la formule propre à servir de devise
à tout homme politique canadien, et, en général, à tout sujet
anglais, à quelque nationalité qu'il appartînt. Pareil état
d'esprit datait de loin chez notre auteur. L'on conçoit
qu'il en était de meilleurs pour aborder impartialement,
et sans parti-pris, une période scabreuse pour la politique
anglaise comme l'histoire de l'Acadie, surtout depuis 1710
jusqu'à la déportation et au delà. Il lui fallait donc, à
toute force, admettre ce fait brutal — la déportation de
tout un peuple, — et, chose difficile ! le concilier avec le
hbéralisme britannique, ou du moins faire en sorte que ce
prétendu libéralisme ne souffre pas détriment d'un pareil
crime. Pour y arriver, le plus simple était de disjoindre les
éléments de cette question complexe, et de montrer, d'un
côté, les hommes d'État anglais, sinon ignorant tout de ce
qui se tramait dans la péninsule acadienne, sinon s'en
désintéressant avec un égoïsme superbe et jugeant de très
haut cette petite difficulté coloniale, du moins se laissant
involontairement tromper par leurs mandataires, incapables,
308 l'action française
de si loin, de voir le fond des choses, ouvrant enfin les yeux
aprèsdes années et des années d'inconsciexit aveuglement,
intervenant, à la dernière heure, dans la personne du secré-
taire d'État, Thomas Robinson, pour empêcher la perpétra-
tion du forfait, quand il était trop tard, hélas; — de l'autre,
des gouverneurs sans entrailles, un "William Sliirley, de son
siège de Boston, un Cornwallis, surtout un Lawrence, qui,
de longue main, préparent ce plan d'exil des Acadiens,
s'entendent pour que la métropole n'en soupçonne rien,
bernent leurs supérieurs hiérarchiques, agissent comme des
potentats, méprisent même les ordres si sages qui leur
viennent d'outre-mer. Et quand Lawrence, exécuteur des
hautes œuvres, s'en oiimra à I^ondres, tout aura été con-
sommé.
Le tableau que nous venons de dresser résume la thèsC'
capitale de l'autem- d'Acadia, concernant le partage des
responsabilités dans l'affaire de la déportation. A l'appari-
tion de son ouvrage, la presse anglaise et française du
Canada, comme aussi bien journaux et revues d'Angleterre,
naturellement ! avaient accepté sans plus ses conclusions
là-dessus. Après tout, comme dirait l'autre, on est loyaliste
ou on ne 1 est pas. Et si on l'est !. . . Mais aux États-Unis,
le paradoxe sur lequel reposait cette thèse fut clairement
saisi et franchement signalé par quelques critiques. L'on
nous permettra d'en apporter ici des preuves. Ainsi, le
11 janvier 1896, le Neiv York Times consacrait à l'ouvrage
une longue étude qui se terminait par ces réflexions :
« M. Richard considère évidemment ce qu'il a à dire sur la
question de la responsabilité comme la partie la plus
importante de son travail. Il blâme le gouverneur Law-
rence pour avoir expulsé les Acadiens, et prétend avoir bien
prouvé que cet homme doit porter la pleine responsabilité
de ses cruels édits. Il a conscience, avoue-t~il, que le
l'actiox française 309
gouvernement de la métropole n'a pas autorisé l'acte de ce
goaverneui", n'a pas été informé que cet acte devait se
produire, ni ne l'a approuvé après qu'U eut été accompli.
Or, les preuves qu'apporte M. Richard sur ce point ne nous
paraissent pas concluantes. Il y a au contraire des docu-
ments, dont l'auteur fait usage dans son livre, qui montrent
avec évidence que l'Angleterre, pendant des années, en fait,
pendant toute la captivité des Acadiens, voulait se débar-
rasser de cette colonie [d'étrangers] ; il n'y a pas l'ombre d'un
signe qui indique que l'Angleterre se souciait le moins du
monde de ce qui pouvait arriver aux Acadiens; enfin, et
ceci est grave, il n'y a pas le moindre indice que l'Angleterre
ait fait quoi que ce soit pour améliorer le sort de ceux qui
avaient été exilés, ou accompli le plus petit acte de répara-
tion envers ceux qui avaient été traités le plus iobumaine-
ment du monde. Il nous est impossible de tomber d'accord
avec le jugement de M. Richard, h^ Angleterre a été res-
ponsable de la déportation des Acadiens et elle doit en assumer
l'ignominie. »
L auteur de cette critique s'est donc donné la peine
de recenser tout l'ouvrage, et il trouve, avec beaucoup de
raison, que les pièces mêmes que l'auteur cite à l'effet
d'exonérer la Grande-Bretagne, loin de prouver sa thèse,
l'infirment et disent tout le contraire. L'on conviendra que
ce n'est pas là, pour un historien, une démonstration que
l'on peut appeler réussie. . .
Dans le Midland Magazine d'avril 1896, nous lisons
ceci : « ]\I. Richard acquitte généreusement le gouverne-
ment de la métropole de toute participation au crime,
nonobstant certaine correspondance publiée qui en porte la
responsabilité tout près des Lords du Commerce; de leur
bureau de Londres, ceux-ci exerçaient un contrôle direct sur
Lawrence, président du Conseil de la Nouvelle-Ecosse.
310 l'action française
L'on tient d'ordinaire un gouvernement responsable des
actes de ses agents; et il semble qu'i. y a toutes les raisons de
regardeï- les Lords du Commerce comme ayant endossé les
mesures prises par leur représentant. . . » Pour finir, voici
un extrait d'un long article consacré à Acadia par la New
York Tribune : « Le lecteur remarque que l'une des prin-
cipales « découvertes » de M, Richard est l'innocence du
gouvernement britannique dans l'affaire de la déportation.
L'expulsion fut un épisode purement et exclusivement
colonial. L'auteur a des pages et des pages là-dessus.
L'on pourrait en inférer que la question ne s'est jamais
présentée à aucun historien antérieur; mais c'est chose
connue depuis longtemps qu'en ce cas-ci, comme en tout
autre cas du même gem-e, le gouvernement britannique
s'arrangea de façon à décliner toute responsabiHté diplo-
matique. . . »
Ces diverses citations montrent bien que Richard n'a
persuadé de Tinnocence du gouvernement anglais dans
l'affaire de la déportation que ceux qui, pour une raison ou
pour une autre, étaient d'avance convertis à cette idée, ou
encore ceux qui ont accepté de confiance sa thèse, sans
prendre la peine de la confronter avec les textes. Mais les
esprits indépendants, libres de tout préjugé en l'espèce, et
qui ont examiné la question de près, n'ont pas manqué de
voir que l'auteur, en voulant exonérer la métropole, s'était
d'abord lancé dans une entreprise risquée, maladroitement
chevaleresque, que, pour son malheur, les documents mêmes
qu'il citait ruinaient par la base. Il avait eu beau solliciter
les pièces ofiicicllcs, et les tirer par les cheveux, leur sens
obvie donnait souvent un démenti formel à ses commentaires
et annihilait au préalable l'effet de ses triomphantes
conclusions. Encore un coup, ce n'est pas là un résuitat
dont un historien puisse être très fier.
l'action française 311
Et donc, sa thèse héroïque, qui s'accordait si bien à
son état d'esprit, presque inexplicable chez un descendant
direct d'un peuple persécuté à mort par les Anglais, et dont
il avait, au surplus, emprunté les grandes hgnes à Casgrain,
Edouard Richard l'avait énoncée dès la préface de son
ouvrage; il y était revenu fréquemment au cours des vingt-
neuf premiers chapitres, parfois sans apporter l'ombre d'une
preuve propre à l'étayer, et parfois, — ô merveille d'illo-
gisme ! — à l'occasion d'un document ofl&ciel qui se retour-
nait contre l'idée même qu'il voulait mettre en relief : en
sorte que le lecteur tant soit peu averti ouvrait de grands
yeux, et se demandait ce que venaient faire ces éloges
intempestifs de la largeur de \'ues, de la sagesse poUtique, du
libéraUsme des hommes d'État britanniques, quand les
dépêches émanées de ces hauts personnages allaient à
rencontre de ces belles affirmations. ]Mais c'était au cha-
pitre trentième d'Acadia qu'il se réservait de produire la
maîtresse-pièce qui allait, selon lui, éclairer d'un jour
aveuglant la magnifique ordonnance de sa construction
arbitraire, et lui donner ime solidité telle qu'elle s'en irait
vers la postérité revêtue de toutes les garanties possibles de
durée. Ce point d'histoire sortait désormais du domaine
des questions discutées et passait au rang des vérités
définitivement acquises à l'esprit humain. Aussi, il faut
admirer avec quel accent triomphal l'auteur chante sa
découverte et de quels dithyrambes il l'accompagne ! Nous
doutons que Pindare lui-même se soit élevé plus haut dans
l'échelle du IjTisme. Seulement, pourquoi faut-il que toute
cette dépense d'enthousiasme, ce chquetis de mots sonores
et vides, cette éloquence à froid tombent à piat devant la
réalité? Voici, en effet, des réflexions de bon sens qui
jettent une douche sur ce beau feu, et qui calment ces
312 l'action française
ardeiu's dont la générosité n'a eu que le tort de se tromper
d'adresse.
Il s'agit donc de la « fameuse » dépêche du secrétaire
d'État, Thomas Robinson, si chère au cœur de tous ceux
qui \'oient dans la politique coloniale britannique un
modèle d'humanité, et dans son attitude à l'égard des
Acadiens, en particulier, le nec plus ultra d'un libéralisme
où la tendresse le dispute à la justice sociale. Cette
dépêche est datée du 13 août 1755. Fut-elle expédiée sur-
le-champ? Quand arriva-t-elle à destination? Les ar-
chives que nous avons pu consulter ne le disent pas. Tout
ce que nous savons, c'est que Lawrence l'avait reçue avant
le 30 novembre 1755, puisqu'il la mentionne dans une lettre
écrite ce jour-là au même personnage. lAii était-elle
parvenue beaucoup plus tôt ? ou venait- elle seulement de
lui êti'e remise? Là-dessus nous nous perdons en conjec-
tures. Maintenant, prenons cette dépêche pour ce qu'elle
n'est pas, à savoir : une protestation contre la déportation
projetée, une défense d'opérer pareille chose, alors 1° Nous
pouvons trouver que cette défense vient bien tard: quand,
par ses communications datant déjà d'un an, Lawrence
avait donné clairement à entendre que c'était cela qu'il
voulait, expulser les Acadiens, pourquoi le ministre avait-il
tant attendu avant de se mettre en travers de ce plan et
de l'étouffer dans l'œuf ? 2° Puisque Robinson affirme que,
dès le mois de mai 1755, uçie sorte de concordat avait été
conclu entre l'ambassadeur de France et le roi d'Angleterre,
pour régulariser le sort des Acadiens, pourquoi n'est-ce
qu'en août, c'est-à-dire trois mois après, qu'il s'est décidé
à en faire part à Lawrence ? 3 ° Devons-nous plutôt prêter
à Robinson un réel machiavélisme, et croire qu'il aura
envoyé cotte dépêche sans se faire d'illusion aucune sur sa
portée piatiquc, et seulement pour se couvrir, lui et son
L ACTION FRANÇAISE
313
gouvernement, devant la postérité, et se laver ainsi les
mains du crime qui allait être perpétré ?
La vérité est beaucoup plus simple que tout cela. Et
la vérité est qu'il n'y a pas trace, dans ce document, de
protestation contre la déportation. Le temps pi-essait
cependant, et Robinson n'était pas sans le savoir. Pour-
tant, toute la première partie de sa lettre est consacrée à
ergoter sm- les divers sens possibles des mots : to drive away
the French inhahitants, que Lawrence avait employés dans
sa dépêche du '?'<§ juin 1755, relative à la prise de Beau-
séjour, et à laquelle Robinson répondait. Oui, comme un
pédagogue en mal de distinctions, il repasse les significations
variées que l'expression susdite pouvait avoir dans l'esprit
du gouverneur. Et pour conclure à quoi ? L'on s'imagine,
en bonne logique, que Robinson, après ce préambule, va
dire à Lawrence : « Quoi que ce soit que vous ayez
entendu par là, et que vous ayez voulu parler de tous les
habitants français de la péninsule, ou des Acadiens des
villages avoisinant Beauséjour, ou seulement de ceux qui
étaient dans Beauséjour même, nous ne voulons admettre
aucune de ces diverses interprétations, et nous vous défen-
dons absolument d'exécuter quoi que ce soit qui ressemble
à une expulsion partielle ou générale. » Si le secrétaire
d'Etat avait parlé ainsi, l'on pourrait encore trouver qu'il
s'y était pris un peu tard pour intervenir en faveur des
Acadiens; du moins y aurait-il eu intervention véritable de
la part de son gouvernement; et la dépêche en question
constituerait un argument sérieux, irréfutable même, à
l'appui de la non- complicité de l'Angleterre dans le martyre
infligé aux Acadiens.
Au lieu d'une conclusion semblable et d'une pareille
fin de non-recevoii", voici à quoi Robinson aboutit :
314 l'action fkançaise
« LET YOUR INTENTION HAVE BEEN WHAT IT
WILL, IT IS NOT DOUBTED, BUT THAT YOU
WILL HAVE ACTED UPON A STRICT PRIN-
CIPLE OF IMMEDIATE AND INDISPENSIBLE
SECURITY TO YOUR GOVERNMENT. . . »
C'est-à-dire : « Quelle qu'ait pu être votre intention,
et quelque signification qu'il faille attacher aux mots de
votre lettre : io drive away the French inhahitants, il n'est pas
douteux que vous ayez agi en vous inspirant du strict prin-
cipe de la nécessité d'assurer le salut public; vous aurez
pris pour base de la mesure que vous aurez adoptée, quelle
qu'elle ait été d'ailleurs, l'indispensable nécessité de procurer
la sécurité de votre gouvernement. ))
La phrase est au passé. Qu'est-ce à dire ? Sinon que
Robinson considère que ce drive away the French inhahitants,
sous quelque forme que Lawrence l'ait conçu, est déjà
accompli. Et c'est là la dépêche que l'on arbore triomphale-
ment pour établir que la Grande-Bretagne s'est opposée
à la déportation ! Tout ce qui inquiétait le secrétaire
d'État était que l'alarme se répandît dans le camp acadien,
qu'une révolte y éclatât, ou que, chassés de la province, ces
habitants n'allassent renforcer les colonies françaises
avoisinantes. La question dîhumanité n'entre pas en
Ijgne de compte ; l'intérêt matériel prime tout. Et du
moment qu'il saura que Lawrence s'y est pris de façon que
non seulement il n'ait pu y avoir de révolte, pour la bonne
raison que l'on aura eu la précaution d'enlever aux Acadiens
leurs armes, et que, sous prétexte de les convoquer pour
leur donner lecture d'une proclamation royale, l'on aura
emprisonné des centaines de chefs de famille; du moment
qu'il saura que Lawrence s'est arrangé de façon que la
déportation ait lieu, mais pas à l'avantage des établisse-
ments français voisins, puisque les Acadiens auront été
l'action française 315
dispersés parmi les colonies britanniques, et qu'on ne
leur aura pas même laissé la liberté de choisir le lieu de
leur exil, alors, sir Thomas Robinson n'aura plus qu'à
battre des mains devant tant de prévoj-ance de la part
du gouverneur de la Xouveile-Écosse et qu'à ratifier sa
belle action. Ce que lui et ses collègues n''ont pas manqué
de faire du reste, ainsi qu'on le peut voir dans la lettre
édifiante des Lords du Commerce à LawTence, en date du
25 mars 1756. « Xous avons soumis au secrétaire d'Etat
de Sa Majesté le passage de votre lettre relatif à la dépor-
tation des habitants français et aux mesures que vous
avez prises pour l'exécuter ; et comme vous représentez
que cette déportation était indispensablement nécessaire à
la sécurité et à la protection di la Province dans la pré-
sente situation critique de nos affaires, nous ne doutons
pas que votre conduite à ce sujet ne reçoive l'approba-
tion de Sa Majesté.» {N.S.D. page 298)
Que si, malgi'é la phrase condamnatrice de la dépêche
du 13 août, l'on osait encore soutenir contre toute é^àdence
que ladite dépêche renfermait le veto du gouvernement au
projet de déportation, alors que restait-il à faire à l'égard
du téméraire qui avait passé outre à l'ordre de ses chefs?
Le devoir de ceux-ci n'était-il pas de le casser, de le rappeier,
de lai faire son procès, de le désavouer? C est la pratique
constante du pouvoir en pareil cas. Or, cela n'a pas eu
lieu pour Lawrence. Au contraire : en récompense, on l'a
nommé immédiatement, de président du conseil et Heute-
nant-gouverneur qu'il était, gouverneur-en-chef de la
Nouvelle-Ecosse. Singulier désaveu de sa conduite ! Et
quand, malgré tout cela, nos historiens persistent à vouloir
exonérer la Grande-Bretagne de toute compUcité dans cette
affaire de la déportation, en vérité ils s'enfoncent dans
l'inexplicable et s'abiment dans l'absurde.
316 l'actiox française
Il nous a été très pénible de constater que, dans son
manuscrit original, aussi bien que dans l'édition anglaise,
Acad^a^ Edouard Richard avait laissé de côté, dans sa
citation de la dépêche de Robinson, la petite phrase, mais
d'une importance souveraine en la matière ! — où la
déportation est considérée comme une chose du passé. Nous
ne soupçonnions pas d'abord qu'il avait ainsi amputé cette
lettre de sa partie la plus essentielle; nous nous en sommes
aperçu en confiontant son texte avec celui de Akins
(N.S.D. 278-9-0.). qui est officiel. Et cela nous a fait mal.
Casgrain en avait fait autant, il est vrai. Et Richard serait
excusable dans une certaine mesure s'il n'avait eu sous les
yeux que Casgrain. Mais il était à la source, il possédait
la compilation des Nova Scotia Documents. Seulement, il
5' avait, dans la source, quelque chose qui le gênait. Et,
tout comme l'auteur de Un Pèlerinage au pays d'Évangéline,
il a écarté cet obstacle, il a sauté prestement par-dessus une
toute petite phrase, parce que cette phrase malencontreuse
ruinait l'échafaudage de ses sophismes et de ses paradoxes,
tenacement monté dans le seul dessein préconçu d'exonérer
l'Angleterre de participation à l'un des plus grands crimes de
l'histoire. Et cela n'est pas à sa louange, nous le disons à
regret , mais la probité nous y oblige.
Après tout ce que nous venons d'examiner, la conclusion
qui s'impose est celle-ci : l'Angleterre s'est rendue respon-
sable de la déportation des Acadiens.
La conscience religieuse n'a jamais ratifié l'absolution
que Pilate se donnait à lui-même quand il disait : « Je suis
innocent du sang de ce juste ! »
La conscience humaine ne peut pas davantage ratifier
le verdict d'innocence que les historiens, complaisants ou
intéressés, accordent à la Grande-Bretagne dans la question
de la déportation acadicnne.
Dans un cas comme dans l'autre, les faits sont là, qui
en disent plus que toutes les paroles : et ces faits sont
accablants. Henri d' Arles.
ON DEMANDE UN MECENE
La vieille querelle est, je i^ense, en bonne voie d'ajmise-'
ment : Xous avons une littérature. Mais une autre question
se pose : Quelles manifestations de vie donne-t-elle ? Malgré
un jjrogrès dont nous nous réjouissons, convenons que notre
littérature n'est encore remarquable ni par sa qualité, ni par
son abondance, ni par sa variété. Son pire défaut, du reste,
c'est peut-être que trop souvent elle ii'est pas canadienne dans
soti inspiration. L'auteur du meilleur roman du terroir est
un François. Sans engager 7ios écrivains à pasticher avec
des variantes infinies Maria Chapdelaine, on peut regretter
que ce ne soit pas l'un d'eux qui ait écrit cette œuvre forte.
Mais le filon n'est pas épuisé. Il y a d'autres veines et
d'autres sources. Ce n'est pas la matière, c'est l'ouvrier qui
fait défaut. Bref, la littérature manque de bras.
Pourquoi notre littérature n'est-elle pas plus parfaite,
plus abondante, plus canadienne f N'est-ce pas surtout parce
que le temps manque à nos écrivains et à plusieurs autres qui
pourraient écrire? ■
Il faut vivre, et vous avez sans doute entendu dire que la
vie est chère. Le bruit court aiissi que, dans notre pays,
écrire n'est pas un métier ou, si vous préférez, une carrière.
Quand on veut écrire, chez nous, il faut commencer par faire
autre chose, autre chose qui n'a la plupart du temps qu'un
vague rapport avec les lettres. Un tel pratique le droit, un
poète est tout prosaïquement notaire, celui-ci catalogue à la
journée des livres disparates, celui-là est versé dans une
spécialité étrangère à son art. On ne peut être au four et au
moulin. Aussi loisque le soir, la tête encore bourdonnaïUe
de la besogne et des préoccupations du jour, l'écrivain à ses
heures, comme on le nomme judicieusement, s'installe à sa
table de travail, il n'a ni le temps ni la lucidité qu'il faut pour
écrire et — ce qui est plus grave, sans doute — jjour méditer.
318 l'actiox française
Or, comme il est plus facile de faire courir son imagination,
cravachée par des réminiscences livresques, que d'observer et
de peindre, cela explique peut-être pourquoi notre littérature
n'est pas plus souvent canadienne.
Et le public se désintéresse. Il lit peu d'ouvrages cana-
diens et s'en excuse en assurant que les oeuvres manquerd,
tandis que plusieurs qui pow raient écrire ne le font guère et
se justifient en affirmant que le public manque. C'est, on le
voit, le cercle vicieux, l'impasse. Comment en sortir f On a
voulu constituer d'abord un public. Ne vaudi ait-il pas mieux
favoriser auparavant Véclosion des oeuvres qui finiraient bien
par faire violence au publie f
Le gouvernement de Québec, à la législature de 1917, a
inséré dans la loi des subventions aux municipalités scolaires
le vœu que celles-ci affectassent à l'achat d'ouvrages canadiens
la moitié du subside attribué aux livres de prix. Pour des
raisons que nous ignorons, ce texte est jusqu'ici demeuré
inopéi ant. Et c'est dommage, car il faudrait bien, une bonne
fois, attacher un peu moins d'importance à la rutilance des
couvertures et se préoccuper un peu plus de la valeur littéraire
et éducative des livres de récompense. Cette discrète initiative
aura peut-être des suites quelque jour; mais elle demeurera
insuffisante. Ce qu'il nous faut, c'est un Mécène. Et voilà
le grand mot lâché.
Nous sommes en présence, quoi qu'on dise, d'une. . .
question économique. L'homme de lettres, bien qu'il ne vive
pas seulement de pain, ne peut s'en passer. En attendant le
succès de librairie, ne serait-il pas expédient de créer des prix
de littérature? Ce genre d'encouragement, qui présente
quelques inconvénients s'il offre plusieurs avantages, a en
France même des partisans et des adversaires. Dans une
enquête que mena naguère la Revue, on posa des obiections
vite réfutées par les avocats des prix littéraires, qui Vempor-
l'action française 319
tèrent par 13 voix contre 9. « Seule V absence d'une critique
sérieuse et avertie — déclare un antagoniste — donne une
apparence de raison d'être à l'institution des prix. )) Et je
crois bien que, dans notre pays, l'argument se retourne. A
ceux qui craignent que « la séduction des prix ne risque
d'exercer une influence fâcheuse sur d^excellents talents, en
les écartant des voies où ils auraient pu laisser libre cours à
une originalité qui pourrait devenir savoureuse, )) Paul
Reboux rétorque : « Jadis, les pensions accordées aux
adeptes des beaux-arts et des belles-lettres assuraient à l'Art
ce qui lui manque aujourd'hui : de l'unité, de la discipline,
du style. La cassette de François 1er, celles de Louis XIV
et de Louis XV n'ont pas empêché la production de chefs-
d'œuvre. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour la cassette
de Marianne ? » Souriant, E.-M. de Vogué ajoute : « Les
prix littéraires font des heureux sans nombre; ils flattent
doucement la vanité : 1° de ceux qui les fondent; 2° de ceux
qui les décernent; 3° de ceux qui les reçoive7it. Pourquoi
négliger ce moyen facile de faire plaisir à tant d'honnêtes
gens ? )) C'est là leur moindre avantage.
Aussi en France, où écrire est cependant une profession
régulière, les prix de littérature abondent (Prix Concourt, Prix
national. Prix Sully-Prudhomme, Prix des Annales, Prix de
ci, Prix de ça). Au Canada, où tout décourage d'éaire,
personne ne songe à encourager l'écrivain. Loin de prétendre
qu'il soit vénal je soutiendrais que, le médecin excepté, c'est
celui qui travaille le plus pour la gloire et pour des prunes;
j'affirmerais même que, sans excepter le journalier, c'est de
tous les hommes qui peinent le moins rétribué. Le peintre
vend ses toiles, le sculpteur obtient des commandes, le musicien
a un public, des élèves; mais l'éciivain n'a rien à attendre de
personne. Quand son gagne-pain lui permet de satisfaire
aux exigences de l'éditeur, il publie parfois un livre qui se
320 l'action française
ressent d'avoir été con^u dans la fatigue. Et soti œuvre
provoque, au milieu de Vimmuable indifférence du public,
quelques ^critiques blessantes et quelques louanges si outrées
qu'elles sont peut-être encore plus blessantes.
Il conviendi ait pourtant de reconnaître la valeur de V effort
littéraire; il importerait d'encourager Véoivain en suscitajit
ensemble des œuvres, des lecteurs et des critiques. C'est pour
cela qu'on demande un Mécène. Que le mécénat soit exercé
par le gouvernement ou par un particidier, qu'importe !
pourvu qu'on ait un Mécène. A dire vrai, le rôle mécénien
siérait plutôt à VÉiat, car le développement de notre littérature
est une question nationale. Au fait, Mécène n était-il pas un
homme d'État?
Justement, la Chambre s'est préoccupée il y a quelques
mois de foi mer une élite intellectuelle. M. Séverin Létourne^u
proposa même le vote de ■325,000 dans l'objet d'envoyer chaque
année en Europe et aux États-Unis « dix de nos jeunes gens
les mieux doués » afin d'en faire de « véritables compétences ».
Eyi attendant que ces louables propos académiques piennent
la consistance d'un texte d" loi, ne pourrait-on pas attribuer
annuellement trois, quatre ou cinq mille dallais en prix litté-
raires répartis par roulement sur les matières suivantes, par
exemple : Histoire, géographie, roman, poésie, théâtre, ouvra-
ges d'enseignement, de vidgarisatio7i, de critique?
Une initiative comme celle-là ne tarderait pas, nous
semble-t-il, à donner des résultais. Elle mettrait les intel-
lectuels en mesure de consacrer plus de temps aux recherches,
au travail littéraire, à la rédaction d'ouvrages propres à répan-
dre l'instruction, à ouvrir l'intelligence. Toutes les œuvres
ne seraient pas excellentes, sans doute; mais plusieurs, qui
offriraient quelque intérêt, verraient le jour. Lues davantage
parce qu'elles auraient plus de notoriété et de prestige, elles
formeraient le public canadien qui n'a besoin que d'être formé.
Léon Lorrain.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
CoWptClbilité Comme pour confiimer les quelques reiuai(iues
anglaise ^"*^ contenait notre chronique de mai, un lecteur
m'envoie le nom du traité de comptaVjilité en usage
dans l'académie commerciale que fréquente son fils : American
Bookkeeping Séries by Lloy E. Goodyear, édité par Goodyear-Marshall
Publishing Co., Cedar Rapids, lowa.
Un autre se plaint en ces termes : « On me signale que dans la
nouvelle liste des livres adoptée par la connnission scolaire de Montréal,
V exclusif manuel de comptabilité est anglais. Si le fait est authentique,
il y a certes lieu plus que jamais pom' la Ligue des Droits du français
d'intervenir promptement et énergiriuement. L'institution de la
grande commission scolaire porte en soi plus d'une atteinte à la liberté
des municipaUtés, des paroisses et des pères de famille dans l'éducation.
Que des raisons sérieuses aient mihté en faveur d'une telle institution,
passe ! Mais nous ne sam-ions permettre que la nouvelle commission
use de ses prérogatives exorbitantes pour dénationaUser nos enfants en
eur imposant une comptabilité anglaise. »
UU€ ïéfOTÏïlC Chose certaine, c'est que cet enseignement
nécPSSÛÎTC utiUtaii'e qui satisfait peut-être quelques esprits,
déplaît à la grande majorité de nos compatriotes.
Si nos maisons d'éducation veulent conserver la confiance des pères de
famille, elles ne peuvent continuer dans cette voie. Nous leur deman-
dons respectueusement d'étudier avec soin la question — les vacances
s'y prêtent — et d'y apporter la solution que leur suggéreront le bon sens,
l'amour des traditions et la saine pédagogie.
La lettre suivante stimulera peut-être les bonnes volontés hésitan-
tes. Elle montre que le français occupe dans les affaù-es.au Canada, la
place que nous voulons qu'il occupe. Son sort est réellement entre
nos mains. C'est un brave curé des Cantons de l'Est qui écrit au secré-
taire de la Ligue des Droits du français :
« Monsieur le secrétaire,
« En février dernier je recevais \m superbe catalogue de la maison
Ckrislie Grant Limited, de Winnipeg; il avait cependant un énorme dé-
faut pour nous, puisqu'il était uniUngue (va sans dire « anglais »).
322 l'action française
« Je pris sur moi de le faire remarquer respectueusement, mais
fermement aux expéditeurs, leur faisant part de mon intention Ijien
arrêtée de ne prendre connaissance que du catalogue français ou
bilingue qu'ils voudraient m'envoyer. Plusieurs ont souri à ce mou-
vement jugé inutile et quasi ridicule.
«Voici qu'après un mois d'attente, je reçois de la maison nommée
plus haut des circulaii'es rédigées en excellent français et la promesse d'un
catalogue sous peu.
« C'est de nature à encourager les moins ardents dans la lutte et à
faire rougir de honte ceux qui sont prêts à sacrifier leur langue pour
obtenir la sympathie des Anglais ou leurs faveurs.
« Ce succès n'est pas le premier que je puis enregistrer, et j'ai plus
que jamais l'intention de continuer le travail commencé pour le triomphe
de Sa Majesté la Langue française. »
Quand on veut Autre exemple. Un avocat de Montréal vit un
s' ClfiÎT97î€T ^^^^ s'installer dans son quartier, un peu cosmopo-
lite, une pharmacie qui sur ses enseignes ignorait
complètement le français. Cette manière d'agir, écrivit-il aussitôt au
propriétaire, vous privera certainement de ma chentèle et de plusieurs
autres. Quelques jours plus tard, réparation était faite et les lettres
françaises s'aUgnaient, à côté des lettres anglaises, sur la devanture
repeinte à neuf.
Même fierté chez im jemie notake. Une banque canadienne-fran-
çaise lui sert des chèques {spécial chèque) uniquement rédigés en anglais.
Plainte au bureau de l'inspecteur, qui se défile. Intervention auprès
du président lui-même. Intervention courtoise mais ferme, dont les
effets se font aussitôt sentir. On s'étonne, on affii-me que le principe
de la banque a toujours été de servir les chentèles françaises et anglaises
dans leur langue respective, puis finalement on avoue qu'ordre vient
d'être donné de faire imprimer aussitôt les chèques demandés...
InCîtic Malheureusement, pour deux ou trois qui protestent
COUÙClhls ^^ agissent, combien dorment et supportent tout !
Ainsi une compagnie montréalaise affiche actuellement
à la porte ou à la fenêtre de nos meilleurs citoyens une pancarte com-
plètement anglaise, indiquant le nombre de livres de glace que chacun
désire. C'est une insulte ! On dit même que priée de respecter notre
langue, la compagnie s'y est obstinément refusée. Qu'altcnd-on alors ?
Qu'attend-on pour agir? pour faire le seul geste qui convienne — car il
l'action feançaise 323
n'y a pas l'embarras du choix — d'autant plus que d'autres compagnies
fournissent, elles, des pancartes bilingues?
Ah ! quel vent ou quel fléau viendra secouer notre inertie et nous
redonner la fierté de notre sang ?
Kn allQflt Nous avions terminé cette chronique, quand un ami
OU COnSîès ^^^ venu nous raconter l'incident arrivé au cours du
voyage des congressistes de l'A-CJC. Un des garçons
de table, sur le bateau, ignorait totalement le français. Or le premier
convive qu'il eut à servir était le président de l'Association catholique
des Voyageurs de commerce, un des plus vaillants défenseurs des droits
de notre langue. On devine ce qui se produisit. Il fallut, pour régler
le cas, faire venir un des principaux officiers. Celui-ci donna des expli-
cations qui n'expUquaient pas grand chose. A la suite de cet inci-
dent, ime protestation, concernant à la îois le texte uniUngue des
menus et celui des affiches, fut aussitôt signée par les nombreux
passagers. Elle est actuellement entre les mains du gérant de la
Canada Steamship Co. Espérons qu'elle produira des fruits. Quoi qu'il
en arrive d'ailleurs, le geste du président de l'A.C.V C. n'aura pas été
vain. « Après avoir entendu cet homme, me disait im jeune, je n'hé-
siterai pliLS jamais à protester. Je me sentais trop fier ce jour-là [ »
Pierre Homier.
ARRERAGES
Quelques-uns de nos abonnés sont encore en retard. Ainsi
que nous les en avons avertis par lettre, nous prendrons la liberté
de faire traite sur eiux dans un délai de 10 jours, à défaut de paie-
ment.
Nous savons bien que ces retards ne sont dûs qu'à la distrac-
tion et à l'oubU, mais nous prions nos lecteurs de noter que l'envoi
de deux, trois ou quatre avis a vite fait de pratiquer dans la mince
recette de chaque abonnement une brèche de dix ou douze pour
cent, sans compter les frais de bureau. C'est une perte relative-
ment considérable et que chacun, une fois averti, aura à cœur
d'éviter à une œuvre qui vit surtout de dévouement.
Dans l'envoi d'un courrier assez volumineux, il peut se glisser
des erreurs. Nous nous en excvLsons d'avance et nous prions
qu'on veuille bien nous en avertir le plus tôt possible.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
LE CANADA APOSTOLIQUE^
Le nouveau li\Te de M . Bourassa est une révélation pour la plupart
d'entre nous. Nous connaissions des faits particuliers, nous n'avions
aucune idée de l'ensemble de rœu\Te de l'apostolat canadien. Ce n'est
pas, non plus, une œuvre unique ayant une direction d'ensemble; ce sont
autant de missions particulières nées spontanément im peu partout dans
le Canada, mais procédant du même principe, la foi, et d'un même besoin
d'action, la charité.
En apprenant l'importance de ces missions, nous qui avons douté
quelquefois de la profondeur du sentiment catholique des Canadiens,
nous ne pouvons plus douter que la source de tant de bien ne soit ]:)ro-
fonde et puissante pour rejaillir ainsi siu" la terre étrangère.
Français du Canada, nous sommes ici pour rendre témoignage de la
foi devant l'hérésie et le paganisme ambiants. L'isolement où nous
a tenus la différence de notre langue de celle de la majorité a préservé
l^rovidentiellement notre foi. Cette différence nuit à notre apostolat
sans doute, mais moins que Veut fait l'absorption inévitable de notre
race par la race anglo-saxonne; ce qui importe avant tout,c'est que nous
demeiu"ions un témoignage vivant de la foi, « que notre kmiière luise
« devant les hommes afin qu'ils voient nos bonnes œuvres et qu'ils glo-
« ri fient notre père qui est dans les cieux ».
Le monde est aveugle : il ne voit pas le bien; mais cela n'empêche
pas le bien d'exister. Il n'existe même qu'à la condition d'être méconnu ;
c'est le sort promis à tous les apôtres, d'être méconnus, sinon persécu-
tés. « Le disciple n'est pas au-dessus du maître », aussi les œuvres
philanthropiques obtiennent des monimients : les œuvres de la charité
héroïques et sans nombre passent le plus souvent inaperçues.
C'est d'ailleurs le caractère de la ATaie grandeur de ne pas frapper
les yeux et de ne pas se révéler par des signes matériels. Qu'est-ce que
la vraie grandeur sinon la grandeur morale, celle de l'âme? Et quel
rapport peut-il y avoir entre cette supériorité et le déploiement du faste
et l'appareil de la force? Jean-Baptiste, vêtu de peaux de bêtes, ne
fut-il pas le plas giand parmi les enfants des femmes? Et le Fils de
l'homme naquit non loin du palais d'Hérode, dans une étable; ses pre-
miers courtisans furent des bergers, et c'est là que seuls vinrent l'adorer
ceux à qui sa présence fut révélée d'en haut.
• Le Canada apostolique, Bibliothèque de V Action française, par
Henri Bourassa.
l'actiox française 325
Considérons seulement ce qiii se passe autour de nous : c'est à la
simplicité de ses manières que se révèle le grand seigneur; le grand
savant n'affiche pas sa science dans la conversation, ni sa supériorité
dans les congrès : ses œuvres seules parlent pour lui.
De même pour les saints : « Opéra eorum sequuntur eos. » Leurs
œuvres les suivent : ils ne les projettent pas à la face du monde. Mais il
est utile que leurs œuvres soient connues et que leur lumière luise devant
les hommes.
M. Bourassa a donc fait une chose très opportune en pubUant le
recensement des œuvres apostoliques de notre pays. Il l'a fait avec cette
information consciencieuse qui prévient toute contradiction et l'éléva-
tion d'idée que suggère un pareil sujet. Il termine son Uvre par une
réponse à la question suivante : « Povu-quoi le catholicisme a-t-il fait
« si peu de progrès chez les nations païennes ? Pourquoi le sang de
« tant de martjTS est-il resté stérile ? Pourquoi la parole de Dieu,
« portée jusqu'axix confins de la terre par des miUiers de missionnaires,
« a-t-elle éveillé si peu d'écho dans le cœur et l'esprit des infidèles ? »
La réponse est na\Tante : elle se trouve dans le scandale donné par les
peuples chrétiens. I./eurs vaisseaux, qui portaient les missionnaires,
apportaient en même temps chez les peuples païens, les scandales du
.schisme et de l'hérésie, les scandales de leur politique spoliatrice, de leur
exploitation honteuse de ^œu^Te des missionnaires, les scandales de leurs
vices et de leurs injustices.
Ne nous hâtons pas cependant de conclure à la stériUté de l'œuvre
des missionnaires : le Christ est parti « en vainqueur pour vaincre ».
Bien plus décourageante est, à première vue, le spectacle de la vie
chrétienne dans la chrétienté même. Dès le quatrième siècle tous les
royaumes de l'Europe et de l'Afrique, encore humides du sang des mar-
tyrs, étaient tombés dans l'hérésie. Les rois barbares, qui serA'aient
Rome au temps de sa puissance, ne l'avaient détruite que pour prendre
sa place parmi les persécuteurs de l' Église. Le scliisme grec était à la
veille d'éclater, et Mahomet allait bientôt ravir à la foi chrétienne pour
des siècles, l'Asie, l'Afrique et les deux extrémités de l'Europe. A peine
le croissant avait-il commencé de reculer que l'Europe abandonnait
l'Eglise, et dans le monde moderne le protestantisme ou l'esprit révolu-
tionnaire régnaient dans tous les états civilisés. Aujourd'hui nous
pouvons apercevoir quelques îlots de terre au milieu du déluge universel,
comme ce royaume de Pologne se relevant au miheu des ruines des trois
grands empires qui l'avaient submergé, sj-mbole providentiel de l'im-
puissance des portes de l'enfer.
326 l'action française
Devant cet éternel recommencement il ne faut pas désespérer.
Nous sommes des « serviteurs inutiles », mais Dieu fera croître là où
nous aurons semé. Après tout, le royaume de Dieu n'est pas de ce
monde. Ne tombons pas dans l'erreur des Juifs : n'exigeons pas pour
ce royaume, le seul ^'Tai, le seul grand, les marques extérieures de la
grandeiu" et les hommages du monde.
Que nos apôtres continuent d'évangéUser et de semer dans les
champs du Seigneur; la moisson est grande, mais les ouvriers sont en
petit nombre. Ne jalousons pas pour notre paj's le bien qu'ils vont
faire ailleiu's; ne disons pas qu'il y a assez d'œuvres et d'apostolat à
faire chez nous, que notre propre moisson réclame tous nos bras. C'est
le propre des foyers ardents de rayonner; la charité ne connaît pas de
limites.
D'ailleurs là où brille déjà, comme ici, le flambeau de la foi, l'apos-
tolat existe dans chacun de nous. Soyons simplement chrétiens
véritables, vivant selon les maximes de notre foi, et nous serons apôtres;
que notre lumière luise devant nos « frères séparés » et devant tous ces
hommes qui, dans la chrétienté même, ne reçoivent plus qu'une demi-
lumière. Qu'ils connaissent par nous Celui qui les a appelés, et qu'ils
soient sans excuse, et nous sans faute de leur incrédvilité. Voici d'ail-
leurs les conclusions de l'auteur : « Fille de la France chrétienne et
« apostolique, notre nationaUté a pris naissance dans une admirable
« poussée d'apostolat. Nous n'avons pas le droit de laisser en friche le
« patrimoine de foi et de charité expansive que les fondateurs de la
« Nouvelle-France nous ont légué. . . » « Noblesse obhge, dit un vieux
« proverbe; et plus encore que la noblesse des origines, la noblesse issue
« des munificences de Dieu. Comme la France d'autrefois, nous devons
« porter aux autres peuples la surabondance des grâces de choix que
« Dieu nous a prodiguées. » C.-E. Dorion.
LE PETIT MONDE ^
Les lecteurs de V Aclion française comiaissent-ils Le Petit Monde de
Louis Dupire, dont J.-B. Lagacé a spirituellement illustré la couverture ?
Dupire — tout le monde le sait, sauf Dupire lui-même — a vme prose
alerte, aisée, souriante, ce qui est la marque du bon français; il a soudain
des coups d'aile, des trouvailles, de fugitifs attendrissements, ce qui est
le propre du bon style. Et il a par surcroît, ce qui est presque merveille
' Le Petit Monde, par Louis Dupire. — Édition du Devoir.
l'action française 327
à notre époque de sécheresse, de l'imagination. Pour nous promener au
milieu du petit monde où s'élabore l'avenir de notre race, il a su se mettre
à l'échelle des enfants. Il les connaît. Il les aime. Il les a . . . croqués.
L'observation quotidienne des bambins lui a permis de démêler quelques
éléments de la déroutante psychologie enfantine. Il ne nous exhibe pas
l'enfant idéal, construit selon les données de la puériculture. Il nous
montre des enfants natm-e, des enfants vivants. Mais pour être moins
scientifiques, ils n'en sont ni moins beaux ni moins intéressants. Et tout
cela est simple, frais, sincère. Combien Le Petit Monde nous repose du
nôtre ! — L. L.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
Au pays de Dollard — Nous publions en Partie docvmenlaire le
remarquable discours prononcé au Long-Sault, le 24 juin dernier, par
le premier secrétaire général de la Ldgue des Droits du français, M. le
Dr Gauvreau. Ce discours, on le sait, a été fait à l'occasion du pèleri-
nage des Jeunes, auquel l'Action française a été hem'euse d'accorder son
patronage mais dont l'initiative appartient tout entière aux jeunes des
collèges.
La cérémonie du 24 juin a été fort intéressante. Au pied du monu-
ment, des allocutions ont été prononcées par M. l'abbé Gareau, M. l'abbé
Verner, le R. P. Joseph-Papin Archambault, S. J., M. le Dr Joseph Gau-
vreau et M. l'abbé Noël Fauteux. Au retour, siu: le bateau, d'autres
allocutions ont été prononcées par MM. Albert Jeannette, du collège
Sainte-Thérèse, Maurice Archambault, du collège de l'Assomption, et
Jean LaUemant. du collège Sainte-Marie, de Montréal.
Le 7 septembre prochain, \m autre pèlerinage au pays de Dollard
aura heu, sous le patronage, cette. fois encore, de l'Action française, mais
organisé par les paroissiens de Ville- Emard.
Ainsi se fonde la tradition.
Campagne d'été — La grande campagne d'été, c'est, pour les amis
de l'Action française, une campagne de propagande. Les nombreux
déplacements de vacances devraient permettre de faire connaître dans
plusiemrs miUeux nouveaux nos hvres et notre revue. Qu'on veuille
bien en profiter : il est partout des bonnes volontés qui ne demandent,
pour passer à l'action efficace, qu'une légère secousse.
C'est ainsi que, tout en se reposant et se promenant, on peut jeter
les bases d'ime puissante campagne de diffusion pour les Rapaillages,
l'Almanach et nos différentes pubUcations. On peut apprendre aux
328 l'action française
gens les combinaisons diverses qui permettent d'acheter ces publications
à bon marché, etc. Sachant qu'ils peuvent, par exemple, combiner des
commandes, les faire expédier à des adresses diverses et cependant béné-
ficier des réductions justifiées par leiu" commande globale, beaucoup
se risqueront à faire des achats qu'ils n'oseraient point tenter autrement.
Si vous manquez de renseignements, priez simplement vos interlocuteius
de s'adresser à nos bureaux.
Aux bureaux — Il n'y a point de vacances pom- le comité directeur
de V Action française. Les réunions se poursuivent comme pendant les
autres mois de l'année. On prépare la campagne d'automne, de nou-
velles pubUcations, des conférences, etc. Nous voudrions cette année
organiser en dehors de Montréal d'assez nombreuses conférences. A
nos amis de l'extérieur de se mettre aussitôt que possible en relations
avec nous.
Noire concours de propagande — Notre concours de propagande se
terminera avec le dernier comrier distribué à Montréal le 31 août.
Nous en rappelons rapidement les principales conditions :
Seize prLx seront attribués, selon le nombre des points recueiUis :
1 premier prix de S25; 1 deuxième prix de S15; 2 prix de SIO; 4 prix de
$5; 8 prix de S2.50.
Les points seront calculés d'après l'échelle suivante : Abonne-
ments de 1919, 5 points chacun; Abonnements de 1920, 10 points cha-
cun; Abonnements de 1918, 10 points chacun; Les trois abonnements
à la même adresse, 30 points.
En tout cas, il ne peut s'agir que d'ahonnemenls nouveaux. Les
renouvellements et prolongations ne comptent point, pas plus que les
soldes d'abomiements en cours. La collection de 1918 sera tout de
suite adressée aux nouveaux abonnés, de même que les livraisons
parues de 1919. La collection de 1918 se vend $2, l'abonnement de
1919 et de 1920 est de $1 par année, payable d'avance.
Le concours s'est ouvert le 1er juillet. Le résultat sera proclamé
dans la hvraison de septembre de V Action française Les concurrents
sont hbres de recueillir les abonnements où ils voudront, de grouper leius
efforts, etc. Nous ferons simplement le total des abonnements et des
points obtenus.
Nous prions qu'on ait bien soin, en expédiant chaque nouvel
abonnement, de spécifier : Pour le coticours . . . Doit être attribué à X . .,
en précisant bien les noms et les adresses.
Toute la correspondance doit être adressée à Concours d'abonnement,
l'Action française, 32, Immeuble de la Sauvegarde, Montréal.
Jean Beau chemin.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LE SA INT-SIFGE ET LES CANADIENS-FRANC A IS
DE L'ONTARIO
Les Canadiens français de VOnlurio avaient, lors de leur dernier
congrès, adressé an Souverain Pontife la lettre suivante :
Ottawa, le 1er mars 1919.
A Sa Sainteté
le Pape Benoît XV.
Très Saint Père,
Les membres de l'Association Canadienne française d'Educat'on
d'Ontario, réunis à Ottawa pour leur convention biennale, sous la
présidence d'honneur de Leurs Grandeurs Mgr l'Archevêque de Saint-
Boniface et Mgr l'Évêque de Hailej^bury, et sous la présidence active
de l'honorable Philippe Landry, sénateur, profitent de l'occasion qui
leur est offerte pour déposer aux pieds de Votre Sainteté les sentiments
de profond respect et de fihale soiunission dont ils sont animés envers
Votre très auguste et très vénérée personne.
Ils ont lu avec une joie indicible la belle et consolante lettre Lit-
tèris Apostolicis que Votre Sainteté a daigné adresser à Son Éminence
le Cardinal Bégin et à tout l'épiscopat canadien concernant la question
bilingue ontarienne, et ils ont puisé dans cette lecture, en même temps
qu'un immen.se réconfort dans lem"S épreuves, un amour plus \af pour la
Sainte Égb'se Apostolique et Romaine.
En leur nom et au nom de toute la population franco-ontarienne,
ils remercient très cordialement Votre Sainteté de cette haute marque
de bienveillance envers une minorité consciente de ses droits et soucieuse
de garder intact le double trésor de sa foi et de sa langue, et ils prient
Votre Sainteté de croire que, dans leiu-s luttes légitimes pour la survi-
vance française en l'Ontario, ils s'efforceront de ne jamais s'écarter des
voies si sages tracées par Votre Sainteté.
De Votre Sainteté les fils très humbles, très reconnaissants et très
obéissants,
Le Comité exécutif de l'Association,
(Signé) Philippe Laxdry, président^
330 l'action française
Le Saint Père a daigné faire adresser à M. Landry la réponse suivante :
Dal Yaticano, 20 mai 1919.
MonsieiiT le Président,
Le Souverain Pontife a daigné agréer avec une paternelle bienveil-
lance l'hommage de vénération et de soumission filiales que vous lui
avez offert au nom des membres de l'Association Canadienne française
d'Education d'Ontario, réunie naguère à Ottawa pour leur assemblée
biennale.
Les nobles sentiments exprimés dans votre adresse du 1er mars sont
un nouveau témoignage du dévouement et de l'attachement de votre
chère Association ainsi que de la population franco-ontarienne à la
personne du Vicaire de Jésus-Christ et au Saint-Siège.
Comme gage des faveurs divines, Sa Sainteté accorde de cœur au
digne président, aux membres de l'Association Canadienne française
d'Education d'Ontario et à leurs famiUes la Bénédiction ApostoUque.
Je saisis avec empressement l'occasion qui m'est offerte de vous
exprimer, Monsieur le Président, les sentiments de ma haute considéra-
tion.
(Signé) P. Card. Gasparri.
A l'honorable Philippe Landry, sénateur,
Président de l'Association Canadienne
française d'Éducation d'Ontario,
Ottawa.
DISCOURS DE M. LE Dr G AU V RE AU
AU LONG-SAULT
M. le Dr Gauvreau, -premier secrétaire général de la Ligue des Droits
du français, qui représentait i' Action française au pblennage des Jeunes,
le aff^ juin dernier, a prononcé devant le monument de Dollard, au Long-
Sault, le discours suivant :
C'est le moment de se recueilUr, de se rappeler le souvenir des sau-
veurs de notre race, de s'agenouiller sur leur tombe glorieuse, de s'ins-
pirer des sentiments qui les animaient : sentiments qui ne sont pas morts
avec eux, mais qui ont grandi, de génération en génération, silencieuse-
ment, comme la sève s'est ajoutée, couche par couche, sous l'écorce des
grands arbres maintenant disparus, à l'ombre desquels, pendant deux
siècles et demi reposèrent, ignorés, leiu's o.ssements.
l'action française 331
Vous êtes la preuve vivante que les sentiments de Dollard des
Ormeaux et de ses compagnons persistent toujours au cœur de la race
cana dienne-f r ançaise .
Rendant hommage aux braves de jadis qui ont sacrifié letu- vie pour
nous sauver, au nom des braves d'aujourd'hui qui luttent d'autre façon
mais non moins vaillamment pour nous conserver, chapeau bas, hommes
de demain, V Action française vous salue respectueusement et amoureuse-
ment 1
Elle me prie en outre de rappeler le fait historique qui nous amène
en si grand nombre, aujourd'hui, sur les bords enchanteurs de la rivière
des Outaouais, et d'en tirer quelques leçons.
1660 ! Depuis cinquante-deux ans l'Habitation de Champlain est
construite, Québec est fondée.
Vnie-Marie ne compte encore que dix-huit ans d'existence.
De Québec à VUle-Marie, le long du fleuve Saint-Laurent, du côté
sud, à toutes les huit ou dix lieues, sont groupées, sans défense, quelques
familles.
Survienne ime invasion, Ville-Marie est la première victime.
Partout, l'anxiété est d'autant pliis grande, cette année-là, que l'on
sait la décision prise par les barbares d'opérer en masses.
Dans le cours du mois d'avril, des Algonquins, canotant entre
Tadoussac et Sorel, ont fait prisonniers trois Iroquois, éclaireurs d'avant-
garde, et leixr ont arraché leur secret. Lem: chanson de mort ne fut
qu'une terrifiante révélation.
Seule la ville de Québec est en état de défense, mais elle ne serait
plus qu'une prison où l'on mourrait de faim si la campagne était ruinée,
remarquent les Relations.
Fuir n'est pas possible. Tout le monde, le long de la côte, est averti.
Il n'y a qu'à tenir ou à mourir !
Pour retarder la grande épreuve et, par impossible, détourner le
flot barbare qui s'achemine vers Ville-Marie, DoUard des Ormeaux,
commandant de la garnison, se met à la tête de seize compagnons poiu
aller, en éclaireurs, combattre les Iroquois.
Avec l'ardeur qui caractérise votre âge, mais aussi avec toute la
préméditation de guerriers consommés, ils arrêtent leur plan, choisissent
le lieu de leur sacrifice, celui-ci, prennent l'inébranlable résolution de
mourir plutôt que de demander quartier, font leur testament, se confes-
sent, communient côte à côte dans la petite chapelle de l' Hôtel-Dieu, et
se jurent fidéhté dans le sacrifice suprême de leur vie qu'ils entrevoient
nettement comme le seul aboutissant possible de leur exploit.
3S2 l'action française
Le 19 avril, montés sur des canots d'écorce, ils sont en marche vers
le Long-Sault.
A deux milles de la Pointe à Callières qu'ils viennent de quitter, de
l'un ou de l'autre côté de la petite île Saint-Paul, propriété actuelle des
sœurs de la congrégation Notre-Dame, il leur faut donner la chasse à un
parti d'Iroquois qu'ils mettent en déroute.
Nicholas Durai est tué.
Soulard et Juillet se noient.
Les siuvivants reviennent à Ville-Marie enterrer chrétiennement
leurs morts.
Trois autres Mordréalais prennent la place des premiers sacrifiés.
De nouveau en marche, à la hauteur des rapides de Sainte-Anne-de-
Bellevue, ils sont retardés pendant huit jours par l'affluence des glaces
qui encombrent l'embouchure de l'Outaouais.
Le premier mai enfin, ils campent, ici, sur le coteau où nous sommes.
Un mauvais fortin de pieux leur sert d'abri.
Anahotoha à la tête de quarante Hurons, et Mittiwemeg avec six
Algonquins, porteurs d'une permission de M. de Maisonneuve, se joi-
gnent à eux.
Le brave gouverneur n'a pas su se défier de cette marchandise
sauvage.
Ce que nous savons au juste, c'est que le combat dura dix jouis.
C'est que les Iroquois furent, un certain moment, huit cents à
l'attaque.
C'est que tous les Hiuons, moins leiu- chef Anahotaha, passèrent du
côté des assiégeants.
Les sept Algonquins moururent au poste.
Trois cents Iroquois jonchèrent le sol.
Un seul blessé français fut amené dans les cantons iroquois pom* la
tortiu^e.
Stupéfaits de la résistance de cette poignée de braves, les Iroquois
abandonnent leur projet d'attaquer les places fortifiées et de dévaster le
pays d'alentour.
La Nouvelle-France est sauvée !
Le i juin 1660. les noms des dix-sept Français, morts au champ
d'honneur du Long-Sault, f tuent inscrits, tels que voici, sur le registre
mortuaire de Montréal :
Adam Dollard des Ormeaux, commandant, âgé de vingt-cinq ans.
Jacques Brassier, âgé de vingt-cinq ans.
I
l'action française 333
Jean Tavernier, dit la Hachetière, armurier, âgé de vingt-huit ans.
Nicolas Tillemont, serrurier, âgé de vingt-cinq ans.
Laurent Hébert, dit LaRivière, âgé de vingt-sept ans.
Alonié de Lesires, chaufournier, âgé de trente et un ans.
Nicolas Josselin, âgé de vingt-cinq ans.
Robert Jurée, âgé de vingt-quatre ans.
Jacques Boisseau, dit Cognac, âgé de vingt-trois ans.
Louis Martin, âgé de vingt et un ans.
Christophe Augier, dit Desjardins, âgé de \'ingt-six ans.
Etienne Robin, dit Desforges, âgé de \'ingt-sept ans.
Jean Valets, âgé de vingt-sept ans.
René Doussin, sieiu- de Sainte-Cécile, soldat de la garnison, âgé de
trente ans.
Jean Lecompte, âgé de vingt-sb< ans.
Simon Grenet, âgé de vingt-cinq ans.
François Cusson, dit Pilote, âgé de vingt-quatre ans.
Poiu- que cette liste d'héroïques victimes généralement citée soit
complète, il faut lui ajouter :
Nicolas Duval, tué le 19 avril.
Soulard, noyé le 19 avril.
Juillet, noj^é le même jour.
Anahotoha, chef Huron, mort comme les Français au champ d'hon-
neur.
Mittiwemeg, chef Algonquin, mort comme les Français et Anahotoha
au champ d'honneur.
Six Algonquins, morts comme les Français, Anahotaha et leur chef
au même champ d'honneur.
Ce qui porte à vingt-huit au Ueu de dix-sept le nombre de ceux qui
méritent, au même titre, le nom de « sauveurs de la Nouvelle-France ».
Messieiu-s, voilà le fait, dans sa simpUcité grandiose. Vous le
connaissiez. Déjà vous l'avez longuement médité : c'est à cause de cela
que vous êtes ici.
Ij' Action française désire que s'établisse la tradition de rappeler
ce fait héroïque de 1660, d'une façon reUgieu.se et constante, chaque fois
qu'un groupe de nos compatriotes jugera opportim de venir, en ces lieiLx
bénis, prendre contact avec les aïeux, retremper sa foi, restaurer son
amour du pays, rehausser sa croyance au sacrifice comme gage de
survie nationale.
h' Action française désire en plus que celui qui rappelle le fait
historique le commente à sa façon, selon l'inspiration des circonstances
et de son âme.
334 l'action française
Que vous dirai-je que déjà vous n'ayez lu ou que l'on ne vous ait
dit touchant ce douloureux épisode de notre histoire ?
Qu'importe ! Permettez que je donne libre coiu-s à mes pensées
présentes. Laissez-moi vous parler en homme qui aime ses enfants,
qui aime son pays.
Tout le long du voyage, vous vous en êtes peut-être aperçus, j'ai
médité sur vous.
D'une part, je songeais au bonheur qu'a le pays qui vous possède.
D'autre part, je songeais à ce qui vous attend, et à la façon dont
chacun interprétera pour lui-même les événements de sa vie.
Je ne veux en rien diminuer les illusions de votre âge. Avoir des
illusions c'est le signe le moins contesté de la jeunesse. Heureux ceux
qui peuvent en conserver toute leur vie !
Je ne veux pas non plus amoindrir l'idéal que vous entendez pour-
suivre.
Mais le temps vient, hélas, plutôt hâtivement que très tard, où
l'idéal rêvé dans sa jeunesse, s'alourdit des contraintes de la subsistance,
s'assombrit des défections de l'amitié, se voile des ombres multiples
accumulées le long de la voie, plus ou moins à notre insu, par cette
multitude de sentiments qui s'étalent au grand jour dans la vie des
coquins, mais dont les germes, de pareille façon, attendent, au fond du
cœiur de tout honnête homme, l'occasion de le tenter.
Que cette révélation ne vous effraie pas ! C'est l'épreuve néces-
saire, inévitable. De même que dans l'ordre moral, tout homme qui
lutte, tout homme qui combat, tout homme qui veut rester un homme
ne saurait échapper aux convoitises de l'une des trois grandes concu-
piscences, de même dans l'ordre national, et je parle pour mon pays,
tout homme qui lutte, tout homme qui combat pour conserver l'inté-
grité de sa patrie, pour assurer la permanence des coutmnes ancestrales,
pour garder ses institutions, pour pratiquer intégralement sa foi, pom-
parler sa langue, pour élever ses enfants dans l'amour de Dieu, dans le
respect du droit et des gens, sitôt l'âge mûr venu, rencontre siu: sa route
la grande tentation dont l'issue, fatalement, fera de lui un opportunititc
ou un patriote, à moins qu'elle n'en fasse un angUfîcateur ou un renégat.
11 n'en peut être autrement, dans notre pays, où, depuis cinquante
ans surtout, la mentalité nationale est faussée.
Si, une fois le gouvernement responsable acquis, au lieu de s'attarder
à faire de la politique, nos représentants avaient repris le chemin de leur
foyer, se donnant pour mission particuhère d'assurer la permanence
de nos institutions, tout en tenant un œil ouvert sur les agitateurs
l'action française 335
politiques, il ne serait peut-être pas aujourd'liui nécessaire de venir
chercher au tombeau de DoUard des motifs de patriotisme.
Ils ont cru mieux faire de s'attarder à la politique, tout en tenant un
œil ouvert sur nos institutions !
Or vous le savez, ce n'est pas le lieu ni l'heiu^e de le rappeler, que de
poussières sont tombées dans l'unique œil ouvert des pohticiens cana-
diens-français !
Heureusement, des. hommes ont surgi, à l'âme énergique, au cœur
large, à l'esprit droit et sûr. Ils ont été le point de ralhement des meil-
leurs éléments de la race. De leur plume ou de leurs lè\Tes sont tom-
bées les paroles qui régénèrent et \avifient. Au grand jour, face à face
avec l'ennemi, ils ont mené leurs batailles. Ils ont fondé des œuvres
qui comptent et qui demem-ent. La Société du Parler français de
Québec en est ime. L' Association d'Éducation d'Ontario en est une au-
tre. Peut-être bien aussi l'Action française est-elle de celles-là. On
appellera longtemps encore ces fondatevus des illuminés. M'est avis.
Messieurs, que c'est auprès de ces hommes qu'il voas faut aller chercher
la véritable notion du patriotisme si vous comprenez, à la façon de
DoUard, que le chemin de l'amoiu- dans la souffrance est la voie la plus
sûre vers la gloire dans l'immortalité.
O DoUard ! Toi dont les mânes flottent, en ce moment, au-dessus
de cette assemblée de jeunes gens, tous fils de gentilshommes, venus des
quatre coins de la pro\-ince de Québec et de l'Ontario te présenter leurs
excuses povu* le silence de la race à ton égard dans les siècles passés, et te
témoigner l'admiration qu'ils professent pour ton dévouement envers la
patrie, apprends-leur, je t'en supplie au nom de tous les pères canadiens-
français que je représente en ce moment, que la lutte n'est possible, pour
eux comme pour toi, aujourd'hui comme hier et bien moins que demain,
qu'à la façon des chevaUers vaiUants, fidèles à Dieu, fidèles aux anciens,
fidèles à leur mère, fidèles à leur langue, trouvant dans leur foi la force
et le motif de leurs actions.
Apprends-leur, je t'en suppUe, la fidélité à leur serment de jeunesse,
afin que, dans la vie, ils sachent se recueiUir, prendre conscience du
devoir, lui jurer fidélité, communier à la Table Sainte, communier avec
les morts, et se précipiter à la rencontre des manants, qu'Us s'appeUent
barbares modernes, opportunistes, faux moralistes, bolchévistes, pro-
fiteurs de guerre ou mangeurs de Français !
336 l'action française
O DoUard, parce que déjà dans la gloire révélatrice du passé et de
l'avenir, tu sais quelles luttes gigantesques, depuis deux siècles et demi
et plus, il neus a fallu soutenir pour continuer ta lutte contre la barbarie,
pour résister à l'anglicisation systématiquement organisée, pour éviter
la conquête américaine, pour rester ce que nous sommes encore aujour-
d'hui sur ton tombeau : catholiques et Français ! tu le sais aussi :
l'avenir de notre pays est gros d'orages. Mets au cœvu' de ces jeimes
gens qui t'honorent et te bénissent, une parcelle des sentiments dont
l'ensemble forma ton âme de héros. En pareille terre, tout grandit et
tout mûrit très vite. Demain, ils seront les hommes auxquels les des-
tinées du pays seront confiées. Fais en sorte cju'ils conservent dans
l'action, jusqu'à l'épreuve, ton amour, ta vaillance et ta foi, qui les
aideront à accomplir, sous le regard de Dieu, poiu" notre cher pays, le
sacrifice de leur vie, s'il est dans les desseins de la Providence de le leur
demander.
Et poiu" que ma prière soit ime prière collective, écoute cette der-
nière pensée que Je lis présentement au fond du coeiu- de chacun de ces
jeunes gens qui m'entourent : C'est, à ton exemple et sur ton tombeau,
le serment qu'ils prêtent à la Patrie.
O Patrie canadienne, c'est aujoiu^d'hui ta fête. Croyants en la
communion des Saints, nous savons que' tous ceux qui t'aimèrent et te
servirent en esprit et en vérité, nou^ écoutent et nous entendent en ce
moment.
Désormais Dollard est notre modèle !
Désintéressés comme lui, braves comme lui, croyants comme lui,
nous jurons de poursuivi-c les luttes de demain, pour nos foyers et poiu-
nos autels, visière haute, poitrine découverte, au grand jour, sur les
monts et dans la plaine.
Nous jurons de rester identiques à nous-mêmes, dans la vie publique
comme dans la vie privée.
Nous jurons d'être à jamais, sui" la terre canadienne, les chevaliers
de Dollard, c'est-à-dire les défenseurs du droit, de la justice, de la civili-
sation, de la chrétienté, et de la langue française.
Nous jurons un amour indéfectible à la foi de nos pères, aux tra-
ditions de nos pères, à la langue de nos pères.
Pom- ces motifs, notre vie t'appartient, O Patrie, et si pour assurer
ta permanence il faut d'autres hécatombes, tes enfants d'aujourd'hui,
comme Dollard au Long-Sault, sont prêts à mourir !
l'Action fhançaihe
AOÛT 1919
Les précurseurs
JEROME-ADOLPHE CHICOYNE
Chaque dimanche, après la grand'messe, le bureau de
poste de notre petite ville s'ouvrait pendant une demi-heure.
Les citoyens y passaient, vidaient leur case, puis rentraient
au logis pour le dîner de famille. Sur le coin de la table
déjà mise, notre père empilait son courrier. Pourquoi, pen-
dant qu'il parcourait le quotidien de la veille, nos curiosités
de huit ans s'emparaient-elles toujours du même hebdoma-
daire ? La fascination pouvait être due au titre, le Pionnier.
Ses grosses lettres noires s'étendaient sm* toute la largeur
du large journal. Sa devise, Emparons-nous du sol, que
l'on croit empruntée à Etienne Parent, avait aussi son atti-
rance. Mieux que tout cela, de derrière le titre et la devise,
il transparaissait un caractère, une conscience, une âme
enfin.
Un caractère tranché plus ciue tranchant, une cons-
cience droite et presque méticuleuse, une âme très douce
et très noble, c'est tout Jérôme-Adolphe Chicoyne.
Cet aristocrate de tempérament se complaisait aux
allures plébéiennes. Il devait l'un, semble-t-il, à sa famille,
originaire de la Touraine. Les autres lui venaient peut-
être de son village, Saint-Pie-de-Bagot, où il était né le
22 août 1844.
Vol. III No 8
338 l'action française
Au physique, Chicoyne était de la race des chênes tra-
pus. La charpente solide, posée sur des jambes courtes,
était dominée par de larges épaules entre lesquelles émer-
geait une tête carrée. A l'éclat des prunelles augmenté
par la noirceur des sourcils bien arqués; au plissement du
front haut et large; au son bref de la voix sourde émise par
tles lèvres puissantes, on sentait l'action intérieure d'une
volonté ferme sur une intelligence toujours en travail.
Ces deux forces, l'éducation les avait développées.
Un maître influent, l'abbé François Tétreau, avait donné
le branle. Une compagnie de premier ordre, où se cou-
doyaient Oscar Dunn, Ferdinand Gagnon, Jules-Paul Tardi-
vel, Honoré Mercier, Boucher de La Brusre, Alfred Bernier,
le futur juge Bourgeois et, unique survivant, le juge Louis
Tellier, stimulait les énergies accumulées. Sur l'arbre ainsi
préparé un labeur opiniâtre faisait germer, en fruits déli-
cats, des convictions religieuses profondes, des idées socia-
les aussi élevées que justes, une érudition abondante et
précise. Un patriotisme ardent ajoutait à tout cela une
ambition fébrile de se dévouer au bien de sa race et de son
pays.
Chicoj'ne fut un dévoué, le soldat de trois causes dispa-
rates en apparence, mais marquées chez lui d'une frappante
unité. li servit à la tribune politique; il servit dans la chaire
du journahsme; il servit sur les routes cahoteuses des con-
trées de colonisation. En chacun de ces théâtres, il tint
un rôle de premier ordre. Ce rôle fait de lui, sinon un pré-
curseur, du moins un professeur d'énergie, au total un maî-
tre.
Chicoyne entrait dans la vie pubhque, vers 1872, à
l'heure où le gouvernement provincial inaugurait une poli-
tique d'extension terrienne et de cohésion nationale.
l'action française 339
Aux Canadiens résolus de se fixer dans la république voi-
sine Ferdinand Gagnon conseillait la naturalisation défini-
tive. Chicoyne complétait son œuvre en ouvrant des dé-
bouchés nouveaux à ceux que tenaillait le goût du revenez-y.
La Revue canadienne^ a raconté avec détails l'histoire
lie la « colonie du rapatriement ». Elle aurait pu insister
sur les deux idées qui dominèrent l'entreprise et dont l'ap-
plication fut la tâche propre de Chicoj'ne : la coopération
du clergé, le courant d'immigration française. Le premier,
il mit la hache en bois, à Ditton (la Patrie), à Chesham
(Notre-Dame-des-Bois), à Emberton (Chartierville), à
Sainte- Agnès (Mégantic). C'est lui qui obtint des évêques
les prêtres-pionniers de la région. C'est lui qui, à quatre
reprises, franchit l'Océan, rapporta de l'abbaye de la Meil-
leraie un essaim de moines trappistes et de la Basse Norman-
die l'embryon de compagnie qui s'appela bientôt les Moulins
nantais. Rien ne lui coûta, ni les instances auprès du gou-
vernement local, ni les démarches à l'étranger, ni l'exemple
personnel donné au colon.
La seule chose qui pourrait étonner, dans cette cam-
pagne plus féconde qu'une campagne militaire, c'est l'effa-
cement volontaire du chef. Nous savons une circonstance
où l'évêque prit une décision contraire au sentiment de
Chicoyne comme à celui d'un groupe de colons. Par res-
pect pom* la hiérarchie, Chicoyne se renonça jusqu'à se
ranger du côté de son évêque, laissant à l'avenir de décider
entre eux. L'avenir lui a donné raison. Le maître de cette
œuvre patriotique en a écrit l'histoire, feuillet par feuillet. -
A la lire, on ne soupçonnerait guère que le narrateur était
le deus ex machina de l'entreprise.
1 1914, avril, mai, juillet, octobre — 1915, avril, ieptembre.
' Voir la série des annuaires du Séminaire de Sherbrooke.
340 l'action française
Cette histoire tronquée, la postérité la complétera.
Elle dira que l'exemple de Chicoj-ne colonisateur n'a pas
été étranger au mouvement créé par le curé Labelle dans
notre Nord provincial, au courant qui se dirige de plus en
plus vers la ^Métapédia ou vers l'Abittibi. Le titre de son
journal était un poteau indicateur; sa devise, un programme.
Chicoyne aura eu le double mérite de développer ce pro-
gramme et de l'appliquer avec un succès indiscutable.
Ce succès, il faut l'attribuer, pour une large part, à
l'action du journal de Chicoyne, le Pionnier.
Entre ses mains, les larges feuilles furent un brandon.
Chaque semaine, il les lançait à travers les forêts épaisses
des Cantons de l'Est en héraut de la hache et de la pioche.
Le héraut criait toutes les bonnes nouvelles, encourageait
toutes les initiatives heureuses, indiquait d'utiles recettes
et des procédés avantageux, poussait à la culture et au dé-
frichement, prévenait les erreurs et répandait la vérité.
Chicoyne était essentiellement journaliste. Il avait les
deux qualités fondamentales de la profession : le don de voir
et de fah-e voir clair, Fart d'intéresser par la variété de la
matière et l'originalité de l'expression. Certain jour, un
jeune homme de ^Montréal vient se confier à lui pom* faire
l'apprentissage du journalisme. Chicoyne le prie de rentrer
chez lui, de noter ce qui l'a le plus frappé sur le parcours,
de le lui rapporter trois semaines après. Au jour dit, le
candidat reparaît, mais n'a rien remarqué. « Comment !
rétorque Chicoyne la voix vibrante, vous avez traversé à
deux reprises le pont Victoria, et cette merveille de l'indus-
trie nationale ne vous^a rien dit ! Mon ami, renoncez à la
carrière; il vous mancuic le don de yo'w. Comment voulez-
l'action française 341
vous arriver à faire voir? Et le journalisme, c'est cela,
ou je n'y entends rien. »
Son journal touchait à tout. Jamais ])ourtant l'article
n'était aussi pratique que quand il traitait des choses agri-
coles. Dans les questions de chiffres, de finances publiques
par exemple, il devenait d'une précision mathématique.
Mais jamais, non plus, il ne fut éloquent comme les jours où.
s'inspirant du gâchis européen, il .signalait à nos gouver-
nants et à leurs mandataires les écueils d'une politique
étroite ou imprévoj-ante. Certaine étude sur Cavour méri-
terait d'être tirée de l'oubli, pour donner une leçon aux
historiens à courte vue, aux journalistes de bas étage.
A la clarté de ses vues intellectuelles le rédacteur du
Pionnier joignait une qualité morale des plus rares chez
les manieurs de plume : le respect des personnes. Qu'on
parcoure la collection entière du journal, lequel subit .sa
direction pendant quinze ans. Quand il s'agit d'un projet
qui lui paraît utile au bien public, Chicoyne n'a assez d'élo-
ges ni pour l'enti-eprise ni pour son auteur. Dès qu'il doit
différer d'avis avec cjuelqu'un, vous chercheriez en vain le
nom de l'adversaire. Seul alors le projet est en cause, avec
ses points faibles et les raisons c^ui le condamnent. Cette
conduite charitable explique pourquoi Chicoyne, ayant
eu beaucoup d'adversaires, ne connut pas d'ennemis.
Ce qu'il pratiquait dans la vie ixiblique, il en donnait
l'exemple jusque dans l'intimité. Nous nous rappelons
qu'un jour une personne de son entourage fit contre quel-
qu'un une réflexion d'ailleurs anodine. « Mon ami », s'em-
pi'essa-t-il de reprendi-e, « disons des autres tout le bien que
nous pourrons; il y aura toujoui'S assez de gens pour signa-
ler leurs défauts. » Par cet esprit de charité, qui marque
toute sa carrière, Chicoyne .^e disposait à devem'r, sur l:t
-'•ène politique, un figurant do pi-emier plan.
342 l'action française
Aussi bien la politique fut-elle le point de mire de sa
vie. Pour s'y rendre utile, il n'avait négligé aucune prépa-
ration, celle surtout de l'étiide. Histoire générale et parti-
culière, histoire canadienne et canadienne-française, scien-
ces politiques et économiques, questions financières, indus-
trielles, commerciales et agricoles, lois et statuts, règle-
ments administratifs, procédure des assemblées délibé-
rantes, il avait fait le tour de tout. Aussi, quand il entra
à l'hôtel du gouvernement de Québec en 1892, il s'y posa
aussitôt en maître. Il continua de le paraître et de l'être
jusqu'à sa descente de la scène, en 1904.
Toutefois, Chicoyne n'avait guère confiance dans l'at-
mosphère de la Chambre commune. Maintes fois il a con-
fié là-dessus sa pensée à ses intimes. Dans les discussions
générales, selon lui, l'orateur est trop porté à parler pour
la galerie, afin de soigner sa réputation. Il court le risque
ou d'oublier la question en jeu ou de la traiter d'un point
de vue personnel. Ce risque, ChicojTie ne se sentit jamais
le courage de le courir. Aussi ses discours en assemblée
plénière furent-ils rares. A peine peut-on en signaler un
ou deux par année. Certaine mercuriale sur la réforme du
Conseil législatif constitue, dans ce genre, le plus fort plai-
doyer qu'on ait encore établi en faveur du maintien d'une
seconde Chambre modératrice.
Mais il se reprenait dans les délibérations des comités.
Ijà, son sens pratique se donnait libre cours. Il l'avait
aiguisé dans les discussions du conseil municipal de Sher-
brooke, dans celles du conseil de V Union Saint-Joseph,
une de ses fondations ou presque. On, aimait sa claire
dissection des projets de loi, ses distinctions si nettes entre
ce qu'ils avaient d'acceptable et ce qu'ils contenaient do
pernicieux. Jamais des avantages partiels ne l'empêchèrent
d« voir le principe dangereux d'une législation. Jamais
l'action française 343
non plus rexcellence du principe ne lui fit gober en bloc les
articles parfois risqués d'un bill. Il mettait même une cer-
taine ironie à écraser de son expérience et de sa droiture
les novices de la représentation populaire.
Un chroniqueur a raconté à ce propos ^ une scène char-
mante. Un comité siégeait, avec une vingtaine de députés
autour du tapis vert. Le projet discuté, profitable à quel-
ques individus, contrecarrait manifestement le bien public.
Les intéressés, malgi'é les observations judicieuses de Chi-
coyne, n'essayaient pas moins de le faire adopter subrep-
ticement. Chicoyne, son devoir accompli, se retire dans
l'embrasm'e d'une fenêtre et envoie un page chercher à la
bibliothèque un volume. De son fauteuil à demi tourné
vers le groupe, il observe d'un œil le manège et, de l'autre,
dévore son livre en souriant. Un ami qui passe à ce mo-
ment s'informe du contenu. « Mon cher », répond Chi-
coyne, « je relis Tartuffe. Quel peintre que ce Molière ! »
L histoire ne dit pas si les plaideurs visés s'esquivèrent à la
file.
C'était là les distractions d'un grand homme. D'ordi-
naire, il était le bon conseiller, l'aviseur toujom'S prêt à
ouvrir son arsenal, pour permettre aux jeunes surtout de
s'y approvisionner. Sa sagesse, son rude bon sens, sa con-
naissance des hommes et des choses, l'originalité de ses
saillies, sa vaste érudition eurent vite groupé autour de lui
l'élite. Ministrable, il ne fut jamais ministre. Il se con-
tenta de faire œuvre d'éducation politique, à son siège de
l'Assemblée comme de son fauteuil de rédacteur. Ses col-
lègues, en le désignant comme le sage du Parlement, ne fai-
saient que consacrer une réputation acquise par un labeur
assidu dans la vie privée, une honnêteté proverbiale dans
la vie publique.
^ Le Devoir, 13 octobre 1910.
344 l'action française
Après sa sortie de l'arène en 1903, Chicoyne était reve-
nu dans sa bonne ^'ille de Saint -Hj-acinthe. Il y avait fait,
avec le futur Père Gladu des Oblats, son stage d'avocat
et d'aspirant-journaliste. Une paralysie aiguë lui ravit,
en 1907, avec l'usage de la parole, celui de l'ouïe. On ne
pouvait causer avec lui que par écrit ou par l'entremise de
la devineresse de ses pensées. Un jour, nous écrivîmes :
« Je vais bien prier pour que le bon Dieu vous donne
d'entendre et de parler encore .» Sa fille, sa confidente,
déchiffra sur ses lè\Tes un balbutiement qu'elle traduisit
ainsi : « Demandez poin- moi la parole. Quant à l'ouïe,
je n en ai guère besoin : pour avoir passé douze ans au
Parlement, jai entendu toutes les sottises qui peuvent se
dire » !
La boutade était énorme et il en riait de bon cœur.
Elle cachait pourtant une part de vérité. L'homme dont
la parole écrite ou prononcée avait remué tant d'idées fé-
condes, éveillé tant d'esprits endormis, servi tant de causes
utiles, pouvait réclamer l'usage de l'instrument dont il avait
si bien usé toujours. L'Actio7i française accomplirait une
bonne action en satisfaisant ce vœu que la mort, survenue
le 30 septembre 1910, rendit stérile. Il lui suffirait de grou-
per en volume, avec ses principaux articles, les principaux
discours et conférences de Chicoyne. Elle prolongerait
ainsi, comme elle l'a fait pour Lamarche, l'action de son
verbe puissant. Les politiques y prendraient des leçons
de prévoyance, les journalistes des leçons de discussion
courtoise, les colonisateurs des leçons de persévérance. Cha-
cun y trouverait le profit qui lui convient. La race compte-
rait un fleuron de plus i\ sa eom-onne do ferme bon sens et
(le dévouement public.
17 août 1919. Chanoine Emile Chartier.
LA MERE DES LE MOYNE
« En 1654, un célèbre jusqu'à treize mariages à Ville-
Marie. Le -plus remarquable sans contredit est celui de Char-
les Le Moyne. avec Catherine Primot. » Ainsi s^exprime
Vabbé Etienne-Michel Faillon, Vhistorien de Ville-Marie.
Lafière silhouette de Charles Le Moyne, V image de la souriante
jeune femme qui se tient à ses côtés, se profdent devant nous.
Le paysage s'éclaire de leur présence, son austérité se tempère
de grâce.
A cette époque, Charles Le Moyne compte vingt-huit an-
nées. Soldat intrépide à Végal de Maisonneuve et de Closse,
diplomate avisé à l'heure des négociations, avec des ennemis
dont il parle la langiie et pénètre les ruses, il devient, durant
les intervalles de paix, tantôt un marchand actif et heureux,
tantôt, tel un héros antique, V agriculteur qui pousse la charrue
et fait valoir son domaine. Il est déjà « couvert de gloire et
propriétaire d'une riche concession ». Quel chemin a par-
couru l'adolescent, auquel les Jésuites remettaient, neuf années
auparavant, en retour de ses services chez les missionnaires
des Hurons, vingt écus et un peu de linge !
Six mois plus tôt, Charles Le Moyne demandait eji ma-
riage l'unique enfant d'Antoine Primot et de Martine Messier.
Parmi la jeunesse féminine de Ville-Marie, jeunesse aux
lèvres graves, aux yeux très doux, à la démarche harmonieuse,
on ne connaissait pas de tête plus sage, de croyante plus vive
que Catherine Primot. Et sans doute Charles Le Moyne pen-
sait-il ainsi, lui qui se troublait en face du charme de la
jeune fille, au point de douter de lui-même. Il y a, vraiment,
346 l'action française
de l'humilité dans le geste de ce preux qui met sous la 'protec-
tion de la loi, la promesse de mariage qu'il vient d'obtenir.
Il y a de même, dans l'empressement des parents de Cathe-
rine à contracter des obligations semblables envers le fiancé,
une secrète reconnaissance de la valeur de Charles Le Moyne.
« Pour être préféré à tout autre, nous dit l'abbé Faillon,
Charles Le Moyne passe un contiat, le 10 décembre 1653, par
lequel il s'engage à épouser prochainement Catherine Primot,
sous peine de donner à ses parents 600 livres en cas de dédit
de sa part. De leur côté, Antoine Primot et Martine Messier
s'obligent à compter la même somme à Charles Le Moyne,
S'ils manquent à la parole qu'ils lui donnent réciproquement.
Ces conditions sont faites au Fort de Ville-Marie, en présence
de M. de Maisonneuve, de Mademoiselle Mance, de Michel
Messier et autres témoins qui les signent. »
Le vingt-huit mai suivant, le Père Claude Pijart, jésuite,
bénit le mariage. La petite épousée n'a que quatorze ans.
C est entre des mains bien frêles, semble-t-il, que Charles Le
Moyne remet la garde de son foyer et le soin de son bonheur
intime. Catherine, si jeune encore, saura-t-elle veiller longue-
ment, patiemment auprès des futurs berceaux f
Aucune déception n'attend Charles Le Moyne. La jeune
femme voile sa grâce dans l'ombre et le silence de sa demeure.
Sa mission, elle le sait, est ennemie du bruit et âè l'éclat. Elle
se recueille et fixe sur ses nouveaux devoirs un clair regard.
Elle ne l'en détourne plus. Son existence désormais va se
confondre avec les êtres auxquels elle prêtera sans mesure
sa délicate bonté, l'appui de son âme énergique, toutes les
ressources d'une nature élevée. L'atmosphère d'héroïsme
qu'elle respire autour d'elle a trempé so7i esprit et son cœur.
A Ville-Marie, les héros sont nombreux, et les récits de leurs
actes dressent les volontés, et affirment la vaillance naturelle
l'action française 347
des êtres. Catherine Primoi n'a-t-elle pas reçu, en outre, au
foyer même de ses parents, des leçons plu^ saisissantes encore f
Martine Messier, sa mère, dont Vhistolre consigne le trait de
valeur, dut fortifier en elle, par son exemple, le culte du cou-
rage, cette adaptation sans défaillance aux conditions difficiles
de la vie.
Catherine n'est que Vénfant adoptive d'Antoine Primot
et de Martine Messier. Née en France, en 1640, elle est la
fille de Guillaume Thierry et d'Elisabeth Messier, cette der-
nière, sans doute, la cousine de Madame Primot. Demeuré
sans enfants, le ménage des Primot adopte la petite fille et
obtient des parents la permission de la conduire avec eux au
Canada. En 1650, ils débarquent à Ville-Marie. Catherine
est donc considérée par toute la colonie comme leur enfant
véritable. Ce n'est que plusieurs années plus tard, six ans
après le mariage de la jeune femme, qu'Antoine Primot et
Martine Messier, désirant légaliser les droits de Catherine à
leur succession, « se présentent devant M. de Maisonneuve^
chargé par les seigneurs de rendre la justice, et déclarent qu'ils
adoptent Catherine Thierry pour leur fille et leur héritière, à
la charge qu'elle retiendra toujours le nom de Primot ».
C'est maintenant une mère heureuse et féconde que Cathe-
rine ! Ses jours se remplissent d'un long et fervent labeur
De beaux enfants l'entourent. Des fils aux prunelles claires
où se reflète la gravité maternelle. Le sang impétueux des
Le Moyne se trahit dans leurs gestes hardis. Catherine effleu-
re-t-elle, parfois, de ses doigts légers, le front de Pierre, le troi-
sième de ses fils f Le regard de l'enfant possède une singu-
lière pénétration. A-t-elle la vision de sa vaillance future,
l'intime pressentiment qu'il sera un jour, comme nul autre
348 l'action française
avcDit lui, grand et illustre parmi les hommes de son pays?
Les mères ont cette acuité de vue. Certains jour s, une petite fille
apparaît près d'eux. C'est une cousine dont la douceur est mer-
veilleuse, et les voix chantantes des hambins ont bientôt pro-
noncé le nom de Jeanne Le Ber. Quelle enfance d'élite dirige
et conseille Catherine Primot ! L'enfance de Le Moyne de
Longueuil, d'IberviUe, de Sainte-Hélène, de Bienville. Que
de traits exquis dut la contenir ! Nous ne les connaissons
pas. Le livre maternel de Catherine s'est clos discrètement.
Seuls, plus tard, les actes glorieux de ses fils racontent sa valeur
d'éducatrice.
L'angoisse étreint cruellement, parfois, le cœur de cette
femme et mère de héros. A Ville-Marie, ailleurs aussi, au
moindre appel du danger, les têtes vaillantes qui l'entourent
se redressent. L'on répond. C'est la tâche d'honneur des
Le Moyne, et jalousement, ils s'y emploient. L'histoire, par
quelques lignes précieuses pour la mémoire de Catherine,nous
laisse deviner le tourment qu'elle éprouve durant ces heures
.sombres. En 1665, Charles Le Moyne tombe entre les mains
des Iroquois. La haine des sauvages, pour cet homme qui
si souvent leur a fait mordre la poussière, va s'assouvir.
A Montréal on ne garde aucun espoir. Catherine Primot,
tant pour cacher sa détresse aux yeux de ses fils, que pour
en appeler à Celui qui ne veut pas que Von désespère, se réfugie
à l'église. Durant trois longs mois, ses mains se joignent et
supplient. Elle s'obstine dans sa confiance. Et, par une
belle journée d'automne, le miracle attendu se produit. Char-^
les Le Moyne, soudain, débarque et sain et sauf à Ville-Marie.
Les Iroquois, ô fait merveilleux, ne Vont pas supplicié, mais
au contraire solennellement adopté pour un de leur nation,
et choisi comme protecteur auprès du gouverneur général du
L'ACTION FRANÇAISE 349
Canada. « On peut dire, écrit M. Dollier de Casson, que sa
femme dont la vertu ici est un rare exemple, a contribué tant
par sa piété que par ses vœux à cette délivrance si peu attendue.))
Charles Le Moyne meurt en 1685. Quarante-quatre an-
nées employées au service de la patrie, dans des circonstances
périlleuses et ardues, ont raison de la force magnifique de cet
homme. Mais son esprit ne fléchit pas. Le testament, que
dicte Charles Le Moyne, nous le montre toujours aussi judi-
cieux, très attentif au bien-être des siens. « Monsieur Saint
Michel », qu'il invoque au début de l'acte, V assiste sans
doute, une dei nière fois, de ses lumières. Le seigneur de
Longueuil, de Châteauguay, et autres lieux, s'éteint en jetant
vers Catherine un suprême regard de confionce et d'affection.
Sur les treize enfants qui lui survivent — Catherine fut
mère quatorze fois, — onze n'ont pas encore atteint leur majo-
rité. Le fardeau s'alourdit sur les épaules de Catherine. Outre
sa tâche maternelle, il lui faut prendre la direction des affaires
de son mari. Charles Le Moyne était un marchand prospèie.
Cinq années durant, elle s'y consacre. Puis, s'étendent
aussi pour elle les ombres du soir. Sa fin approche.
Comme elle s'imprègne de sérénité, pour celle qui aima les
vertus discrètes et effacées ! Lueurs pâles et exquises d'un
beau couchant! Le vingt-trois août 1Q90, on ferme doucement
ses yeux. Elle vient d'expirer.
L'histoire a inscrit dans ses pages, près du nom des héros
que furent Charles Le Moyne et ses onze fils, le nom de Cathe-
rine Primat. Qu'elle garde fidèlement la mémoire de cette
mère qui forma l'âme grande, et invincible, d'un Pierre
Le Moyne d'Iberville !
Marie-Claire Daveluy.
15 août 1919.
QUESTION DE PÉDAGOGIE
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
De toutes les discussions soulevées récemment dans
notre province au sujet de l'éducation, un point semble
ressortir avec évidence : c'est que, chez nous, l'on désire
intensément le progrès de l'instruction publique. On peut
apprécier différemment les résultats obtenus jusqu'ici, on
peut chercher l'amélioration désirée par des moyens divers
ou même contradictoires, mais à tout prix on veut progres-
ser. C'est déjà un signe que l'on avance, et il faut se réjouir
de cette louable préoccupation.
La question des moyens à prendre pour avancer vite
n'en devient que plus pressante. A l'heure où nous vivons,
les instants sont précieux pour les Canadiens français. Ils
n'ont pas le loisir, s'ils veulent survivre et garder leur place,
de multiplier les erreurs pour acquérir de l'expérience. Il est
donc souverainement important que l'instruction de la
jeunesse reçoive une orientation ferme et sûre, qui ne nous
oblige jamais à redresser notre marche et à revenir sur nos
pas. Or, la première condition pour aller droit au but,
c'est de savoir où l'on va. Le but une fois déterminé, que
les éducateurs aient le courage de le poursuivre avec énergie,
avec persévérance, avec méthode, par des procédés qui ont
fait leurs preuves, quelles que soient les criailleries qui reten-
tissent à leurs côtés.
Ce but, semble-t-il, devrait être de perfectionner Ics-
pèce d'hommes que nous sommes par nature, de faire de
nous les Canadiens français les plus accomplis qu'on puisse
imaginer, mais pas autre chose que des Canadiens français.
Ceux-ci seront ensuite industriels, banquiers, avocats, mé-
decins, commerçants, cultivateurs ou spéculateurs, mais,
l'action française 351
avant de les spécialiser, notre éducation doit viser à déve-
lopper toutes leurs qualités natives, les dispositions natu-
relles que nous avons reçues de nos ancêtres.
C'est une erreur de croire que l'instruction fait l'homme.
Elle le développe, voUà tout. L'école n'est pas un malaxeui-
qui, après un certain nombre de toui'S, peut faire de n'im-
porte quelle matière im béton d'égale valeur, pourvu que
l'eau et le ciment y soient en justes proportions. Le maté-
riel à pétrir- importe par-dessus tout. Avant de doser la
quantité de ceci ou de cela qu'on désire mettre dans la tête
à remplir, il faut savoir à quel sujet l'on a affaire et s'il est
apte à devenir ce que l'on veut. Une intelligence anglaise
ne se cultive pas comme l'esprit d'un Français, et il ne suffit
pas d'envoyer vos enfants dans les highs chools des États-
Unis pour en faire de parfaits Américains. La première
qualité d'un enseignement rationnel, c'est de s'adapter,
non pas aux systèmes à la mode, non pas aux ambitions
des papas, mais au génie du peuple qu'il faut instruire.
Cela est si vrai que les méthodes d'enseignement con-
sacrées par l'expérience diffèrent considérablement chez
les différentes nations. Un observateur attentif ne man-
quera pas de remarquer, par exemple, que les Français d'une
part, les Anglais et les Américains d'autre part, ne poursui-
vent pas exactement le même but immédiat dans leurs étu-
des. L'Anglais et l'Américain cherchent à connaître le
plus de faits possible; le Français apprend à penser et à
sentir. L'idée pure, la pensée claire, le sentiment intense,
c'est à quoi vise celui-ci ; les notions positives, les faits
d'expérience, les conclusions qui se dégagent de ces faits, de
ces précédents, comme ils disent, c'est ce que recherchent
surtout ceux-là. Sans doute, il ne faut rien exagérer. Les
Latins ne raisonnent pas en l'air au point de néghger les
faits, et les Saxons ne sont pas tellement fascinés par les
352 l'action française
faits qu'ils en oublient le raisonnement. Mais il y a là une
tendance qui dénote une tournure de caractère, un pli de la
nature. On peut en suivre les manifestations dans les fa-
çons de penser, dans les institutions, dans les goûts, dans
les œuvres d'art et les entreprises d'affaires, jusque dans les
écrits des philosophes et des théologiens de l'un et de l'autre
groupe. Histoire et géographie, travaux d'érudition, calcul
mental et simplifié, sciences naturelles et commerciales,
tout ce qui peut servir à la pratique de la vie, au mécanisme
des affaires, au développement de l'industrie, et dans les
études théologiques, l'histoire des religions, la critique des
textes, les faits d'expériences religieuses, tout cela obtient
dans les pays de langue anglaise la place de choix que l'on
réserve, en France, à la spéculation sur les idées, à l'établis-
sement des lois générales, à la culture de la forme extérieure.
C'est ià ce qui constitue la différence entre l'esprit latin et
l'esprit anglo-saxon : l'esprit latin plus idéaliste et théorique,
l'esprit saxon plus pratique, plus matter of fact. Ce sont
là des vérités du domaine commun, et je m'excuse de m'y
attarder.
Ces tendances naturelles, l'éducation les favorise chez
les \ms et chez les autres. La tournure d'esprit exige cer-
taines méthodes d'éducation; en retour l'éducation accentue
la tounuire d'esprit.
Le but de la pédagogie française, non seulement dans
l'enseignement classique, mais à tous les degrés, c'est d'ap-
prendre à penser. Le moyen qu'elle emploie, c'est d'ensei-
gner à s'exprimer. C'est pour cela que l'étude de la langue
maternelle tient dans les écoles françaises une place qui
peut pai-aître démesurée. Enseigner à dire ce que l'on
veut dire, puis à le dire clairement, puis à le dire d'une ma-
nière impressionnante, voilà ce qu'on s'y propose avant
tout. C'est en cherchant à dire qu'on s'entraîne à penser.
l'action française 353
Il n'en va pas tout à fait de même dans les écoles an-
glaises. La langue maternelle, plus facile, exige moins
d'étude et contribue moins à la formation de l'esprit. On
semble moins se préoccuper de former l'intelligence que
de la meubler. On veut que l'enfant, au sortir de l'école,
sache beaucoup de choses, on s'inquiète moins que chez les
Français de lui montrer à se ser^àr de ses connaissances.
La question qui se pose, pour nous Canadiens français,
est donc de savoir si nous devons nous attacher aux tradi-
tions de la pédagogie française, ou si nous devons en sacri-
fier quelque chose pour mieux nous adapter au milieu où
nous vivons. Resterons-nous délibérément latins ou nous
ferons-nous saxons parlant français ?
Question d'une importance primordiale et diversement
résolue jusqu'ici. Non seulement les hommes d'affaires
qui se mêlent ou ne se mêlent pas de pédagogie, mais un
grand nombre d'éducateurs, surtout dans les collèges com-
merciaux, ont résolument sacrifié, par inconscience ou parti
pris, une part considérable de la tradition française. Seuls
les tenants irréductibles de la vieille culture classique om
voulu faire de notre peuple, d'abord un peuple d'esprit fran-
çais, un peuple de commerçants ensuite. On le leur repro-
che assez vertement. Qui a raison, qui a tort ?
Pour nos gens pratiques, le but étant d'arriver où sont
les Anglais, nous devons prendre le chemin qu'ils suivent.
Pour lutter contre eux, rien de mieux à faire que de prendre
leurs armes.
J'avoue que cette logique ne me convainc pas. Avec
sa bonne fronde, Da\'id tua Goliath qui avait pourtant sa
grande épée. Avec un esprit clair et les qualités du génie
français, nous n'anéantirons pas nos rivaux sur le sol d'Amé-
rique, nous ne le voulons pas; mais nous nous taillerons
une place avantageuse à côté d'eux. Rien ne vaut les habits
354 l'action française
à sa taille. On y est plus à l'aise et plus élégant. Je me
défie de ^ces gens qui veulent nous affubler, toujours pour
notre plus grand bien, de toutes les fourrures qu'ils voient
sur les épaules des autres, de toutes les breloques dont ils
sont chamarrés.
Si nous voulons être quelque chose, soyons nous-mêmes.
Autrement nous ne serons que de Vimitation, comme disent
nos gens quand ils parlent des pelleteries. Notre grand,
notre seul titre de noblesse, c'est d'être des Français dans
ce coin d'Amérique. Soyons-le aussi parfaitement que
cela se peut dans les conditions où nous vivons. Ne nous
proposons pas pour idéal d'être des copies d'Anglais ou
d'Américains, si parfaites soient-elles; ce serait nous suici-
der. Les premiers à nous en mépriser seraient précisément
ces Anglais et ces Américains qui déjà s'étonnent et qui
commencent à nous admirer de ce que nous survivons. Ils
nous envieront bientôt si nous possédons la pleine culture
française; ils nous mépriseront si nous ne pouvons pas ou
si nous ne voulons pas y atteindre. Dès maintenant, quand
ils veulent nous blesser profondément, que nous repro-
chent-ils? De n'être pas américains? Pas du tout, mais
de n'être pas tout à fait français.
Certes, il faut tenir compte des circonstances. Nous
serons français, mais des Français du Canada, à deux mille
lieues de la France et parmi cent millions d 'Anglo-Saxons.
Certains détails de notre caractère en seront fatalement
altérés, nous perdrons d'un côté, nous gagnerons de l'autre,
mais nous nous devons à nous-mêmes, nous devons à nos
ancêtres, nous devons à toute la race française d'être fiers
de ce que nous sommes et de garder intact le fond de notre
caractère ethnique. Sans doute il faut vivre, il faut nous
aiiner pour ra lutte; mais le triomph(\ le seul triomphe pour
l'action française 355
nous, c'est de survivre en conservant dans toute sa splen-
deur le génie de notre race.
Or, ce génie s'est formé, se maintient, se développe
par des méthodes d'éducation longuement élaborées. « Le
génie d'une race, dit Agathon dans un livre désormais cé-
lèbre, ^ c'est un mot vague peut-être, mais qu'on entend
pourtant avec assez de précision. Il j a, dans toute na-
tion, une réserve, un capital de forces intellectuelles, que
l'instruction supérieure a pour but d'entretenir et d'accroî-
tre. Notre génie français, fait d'ordre, de clarté et de goût,
a été acquis à la longue et par certains procédés de culture
éprouvés. Y pouvons-nous renoncer aujourd'hui sans
abandonner le meilleur de nous-mêmes, sans compromettre
ce qui a longtemps assuré et assure encore la primauté de
notre intçlligence ? L'expérience répond : non ... Le génie
d'un peuple dépend en grande partie de son éducation, de
la direction imprimée à ses goûts et à ses tendances; il est
en grande partie son œuvre. Or, il existe un accord pro-
fond entre notre génie français et ce que nous appelons d'un
terme large la culture classique. Si nous voulons conserver
cet héritage de précieuses qualités que les peuples étrangers
s'accordent à admirer chez nous, le sens idéaliste, la netteté
de l'intelligence, le goût, sans doute est-il imprudent de
sacrifier cette formule de notre éducation nationale. »
Si nous voulons, nous, garder le génie de la race fran-
çaise, nous devons donc nous attacher avec piété aux mé-
thodes de la pédagogie française, d'autant plus que ce génie
est entouré de dangers plus menaçants sur cette terre d'Amé-
rique. Nous devons nous y attacher, non seulement dans
les études classiques et supérieures, mais dès le début, dans
les écoles primaires. « Rien ne serait plus faux ni plus
funeste, écrivait récemment M. Léon Lorrain, que de pré-
1 Agathon, L'Esprit de la Nouvelle Sorbonne, p. 16 sv., p. 175.
356 l'action française
tendre que chez nous l'enseignement du français est beau-
coup moins important au collège commercial que dans le
cours 'classique.» ' En effet, nous n'aurons pas deux castes
parmi nous, la caste des lettrés gardant l'esprit français
et la caste des primaires à mentalité commerciale. L'ensei-
gnement primaire et l'enseignement classique ne sont pas
deux espèces différentes d'enseignement. L'un fait suite
à l'autre, en prolongeant ses lignes. Il perfectionne seule-
ment ce que le premier a commencé. Si l'enseignement
primaire est mal orienté, jamais l'enseignement classique
n'atteiadra son but. Les principes pédagogiques qui don-
nent leur plein résultat dans l'enseignement supérieur com-
mencent à porter leurs fruits dès que l'intelligence s'éveille.
C'est donc l'étude de la langue maternelle, de la syn-
taxe, de l'analyse grammaticale et logique, qui doit consti-
tuer la base de l'enseignement dans nos écoles. L'éduca-
tion, chez nous comme en France, atteindra d'autant mieux
son objet qu'elle rendra nos enfants plus maîtres de leur
langue. Car, par le fait même, elle rendra leur intelligence
plus puissante et plus lumineuse, elle développera davantage
les qualités de cœur et d'esprit qui sont les nôtres. L'effort
du maître doit tendre à rendre l'élève capable de juger sai-
nement, d'avoir un goût sûr, de critiquer avec discernement,
d'admirer ce qui est admirable, de rire de ce qui est ridicule.
Pour cela le procédé qui a fait ses preuves, c'est d'étudier
longuement, patiemment, passionnément, la langue dont
nous nous servons pour exprimer nos pensées.
Nos éducateurs ne devraient donc pas se préoccuper
d'augmenter démesurément le programme d'anglais, de
développer l'étude de la comptabilité, des mathématiques
ou des autres sciences commerciales, mais de perfectionner
les intelligences françaises qu'on les charge de cultiver, de
' Léon Lorrain, La Valeur économique du français, p. 15.
l'action française 357
les former à penser avec clarté, à s'exprimer avec précision.
Que l'enfant devienne plus tard banquier, gérant de che-
mins de fer ou commerçant, il sera d'autant plus préparé
à se distinguer dans sa profession qu'il aura davantage l'ha-
bitude des idées nettes et précises. La question n'est pas
de savoir si, de nos jours, il faut mieux savoir les mathéma-
tiques, l'anglais ou la tenue des livres : la question qui do-
mine tout le débat, selon la remarque d'Agathon, c'est de
savoir si cet enseignement est le plus apte à développer
les qualités propres de notre race. Or, il ne l'est pas. Les
Français, un moment hésitants, reviennent avec une fer-
veur de convertis sur les erreurs qui les avaient d'abord
égarés. Imprégnés que nous sommes par une atmosphère
étrangère, nous devons bien plus qu'eux nous accrocher
aux méthodes qui favorisent l'esprit français. C'est dans
le culte du beau, dans la recherche du mot juste, puis du
terme pittoresque, pais de l'expression saisissante, que nous
devons contracter nos habitudes de penser. L'enfant qui,
au sorth- de l'école, ne parle encore que par à peu près, avec
des moitiés de mots mal articulés, est un enfant dont l'intel-
ligence reste au maillot. Ne sachant pas penser, il ne sait
pas parler; si on l'eût forcé à parler net, il eût appris à penser
clair. « Quand on écrit moins bien le français, dit Doumic,
c'est qu'on pense moins français ».
Penser français vigoureusement, voiià donc le but.
Il suit de là que tout ce qui, dans l'enseignement, nuit à la
maîtrise de la langue maternelle est, par le fait même, anti-
pédagogique. C'est limiter d'avance le développement
intellectuel d'un enfant que de lui imposer, dès le début,
l'étude simultanée de deux langues différentes. C'est
brouiller à jamais ses idées que de vouloir faire de lui un
parfait bilingue, de lui faire étudier, par exemple, le fran-
çais le matin et l'anglais le s:ir; l'histoire en français et
358 l'action française
l'arithmétique ou la tenue des livres en anglais. Cet en-
fant ne saura jamais parfaitement ni une langue ni l'autre,
il trouvera un mot anglais quand il cherchera un mot fran-
çais, et se contentera d'équivalents. Toute une section
de la langue française sera pour lui terra ignota et sa corres-
pondance, boiteuse et incorrecte, aura besoin d'être tra-
duite pour être intelligible. C'est condamner un enfant
à la médiocrité que de lui faire parler anglais par sa bonne
quand on le destine aux études françaises, ou de faire faire
un cours Classique anglais à un fils de Français. Jamais
de telles absurdités pédagogiques ne donneront ces produits
supérieurs qu'on appelle un artiste, un penseur, un écrivain.
Non, plus il y aura d'unité dans les ét.udes,plus elles poi-te-
ront de fruits. A capacités égales, l'enfant qui réussira le
mieux, qui montera le plus haut, c'est celui qui, apprenant
en famille à bien parler sa langue, apprendra à l'école à bien
l'écrire, qui approfondira ses secrets par l'étude des classi-
ques anciens, et s'exercera sans cesse au maniement de ses
formes indéfiniment variées.
Mais alors, direz-vous, nous voilà condamnés à rester
toujours, au moins dans le domaine des l^iens matériels,
dans une infériorité résignée? Nous resterons français
mais nous réussirons comme les Français : peuple de nobles
cœurs, de beaux esprits, peut-êti-e; mais aussi peuple de
ventres creux !
— Cela n'est pas évident. Le Canadien français qui
aura développé ses qualités naturelles et qui ensuite s'appli-
quera aux affaires paraît fort bien outillé pour réussir. Tout
un ensemble de faits récents est en train de le démontrer.
Si, dans le passé, nos hommes de profession n'ont pas monté
bien haut, ce n'est pas parce qu'ils avaient fait des études
classiques; c'est parce qu'un trop grand nombre d'entre
eux ont peu ou mal travaillé par la suite. En dépit des
l'action française 359
préjugés contraires, il appert de plus en plus, en France
comme ici, qu'un bon cours classique est une excellente
préparation à la carrière des affaires. Assurément, un
bachelier ne peut pas, sans transition, passer du collège
à la banque. Mais une initiation rapide le mettra vite en
mesure, s'il a des aptitudes, de monter plus haut, d'aller
plus loin, de donner un rendement plus considérable que
ceux qui n'auront pas eu cette formation. On peut en dire
autant, proportions gardées, du cours élémentaire prépara-
toire au com's classique. Ce qui importe, ce n'est pas que
l'élève en sorte au courant des opérations de la banque de
Montréal ou de la comptabilité de monsieur Z ; c'est
qu'il puisse en peu de temps saisir la routine des maisons
d'affaires où on l'emploiera. Plus il sera friand d'idées
claires et de situations limpides, plus il aura chance d'y
réussir et de rendre de grands services.
Il va sans dire que des études faites selon les saines
méthodes de la pédagogie française n'excluent ni l'anglais,
ni les sciences commerciales. Elles leur laissent ane place,
mais la seconde. Pour un petit Français, même au Canada,
l'anglais n'est jamais l'essentiel. Le français doit être la
langue unique d'abord, la langue principale toujours. Les
études finies, au moment de la spécialisation, quelques mois
de pratique dans un milieu exclusivement anglais suffiront
à vos enfants pour leur faire connaître suffisamment cet
idiome. Ils ne passeront peut-être pas pour des Anglais
d'origine, mais ils sauront écrire la langue anglaise, ils la
parleront avec facilité. C'est un fait que l'expérience a
déjà suffisamment démontré.
N'est -il pas étrange que ces données de bon sens soient
déjà si méconnues au Canada ? Il se trouve, en effet, que
nos plus bruyants réformateurs en éducation, délaissant
les méthodes françaises traditionnelles, veulent nous doter
360 l'action française
d'un système très sujet à caution, très décrié, le système
américain. L'éducation pratique, c'est-à-dire confinée aux
sciences du commerce et de l'industrie, voilà ce qu'on prône
comme l'idéal pour des descendants de Français. On ne
semble pas se douter que ce qui manque le plus à nos jeunes
gens des classes commerciales, c'est la connaissance du
français. Sur cinq d'entre eux, vous en trouverez facile-
ment trois ou quatre que l'anglais n'embarrassera pas long-
temps, mais vous n'en trouverez pas deux qui pourraient
convenablement correspondre avec des maisons de France.
Les Français s'en plaignent assez. Même chez nos illustres
avocats et chez nos honorables députés, même chez les pro-
tagonistes de l'enseignement moderne et chez nos représen-
tants à l'étranger, combien qui ne se tirent d'embarras qu'à
l'aide d'une secrétaire formée dans quelque pensionnat tenu
par des religieuses !
La correspondance française est pitoyable chez nous;
les annonces, les prospectus, les catalogues français sont
ordinairement rédigés en une langue détestable, sans goût
et sans spontanéité; des Canadiens français, honteux de
si mal savoir leur langue, n'écrivent qu'en anglais; et l'on
prétend que la réforme pressante, c'est d'introduire dans
nos écoles françaises la tenue des livres en anglais, l'arithmé-
tique en anglais et la conversation anglaise. Il est temps
de s'aviser que c'est surtout le français qui est en souffrance
dans nos écoles et nos collèges commerciaux. Et la situa-
tion va de mal en pis. Les directeurs des collèges classiques
se plaignent que les élèves leur arrivent de -moins en moins
préparés, depuis que certains bonshommes chargent les
programmes de presque toutes les matières qui trouvent
place dans une encyclopédie.
Ayons donc le courage de consulter nos aptitudes et
de reconnaître nos succès, sans nous laisser éblouir par tout
l'action française 361
ce qui n'est pas de chez nous. C'est une mentalité de colo-
niaux qui nous fait trouver meilleur tout ce que font les
autres. Nous méritons, bien plus que les Français, les
cinglants reproches que M. René Doumic faisait naguère
à ses compatriotes : « Nous avons pris dans la bataille intel-
lectuelle, une attitude humiliée de vaincus. L'esprit fran-
çais avait perdu cette confiance en lui-même, nécessaire
à qui veut que les autres aient confiance en lui. Il oubliait
que sa mission traditionnelle est de marcher en avant et
qu'on a peine à le reconnaître dans le rôle effacé et timide
d'esprit à la suite. . . Il y a un courage intellectuel qui
consiste à être soi-même et à défendre la forme d'esprit
qu'on a reçue de la tradition. Nous pouvons bien avoir
ce courage-là. » ^
Ne craignons donc pas d'adopter un programme d'étu-
des parfaitement rationnel. Ayons égard aux besoins du
milieu, aux nécessités du moment, mais ne poussons pas le
souci de l'utilitarisme jusqu'à sacrifier notre caractère de
Français. Que nos enfants apprennent d'abord leur langue,
qu'ils se rendent capables de s'en servir dans tous les domai-
nes, dans tous les pays. Qu'on n'ait pas cet empressement
maladif à spécialiser dans le commerce tous les enfants,
même les fils de cultivateurs. Défions-nous des vendeurs
de recettes pour le succès rapide et des conseillers de rac-
courcis en éducation. Les enfants d'aujourd'hui sont com-
me ceux d'autrefois : ils apprennent lentement, ils doivent
répéter beaucoup; ils ne peuvent pas savoir à quinze ans
ce que vous n'avez appris, vous, qu'à trente et quarante ans.
Ayons le culte de la formation générale, du développement
normal des facultés. C'est la culture française par excel-
lence, c'est la plus humaine de toutes les formations.
Adélard Dugré, s.j.
^ René Doumic, La libération de l'esprit français, dans la Rettue
hebdomadaire, 12 avril 1919, pp. 144 et 154.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
La langue JyQïlÇClise Tout récemment, à un dîner donné à
et le CQihoHciSïne P^^Is par la Corporation des Publicistes
chrétiens dont jI. René Bazin est le prési-
dent, le commandant Yamamoto, membre de la délégation japonaise
à la conférence de la Paix, prononça sur la situation actuelle du catholi-
cisme au Japon un discours fort instructif et des plus émouvants.
Or parmi les déclarations qu'il fit, en voici une qui concerne la lan-
gue française et offre un vif intérêt : « J'ai deux filles dans im collège
des Dames de Saint-Maur. Celles-ci m'ont demandé laquelle des deiix
langues, anglais ou français, elles devaient enseigner à mes enfants, en
me faisant remarquer que 95 p. 100 de leurs élèves préféraient l'anglais
au français. Pour moi, il n'y eut pas d'hésitation : le français, leiu- dis-
je. Il est vrai que l'anglais est beaucoup plus répandu au Japon que
le français et qu'il est un plus grand moyen de succès, mais en pensant
au bien spirituel de mes enfants, et en réfléchissant que ce sont les ouvra-
ges religieux de la France qui sont répandus dans le monde, et qu'on y
acquiert beaucoup plus facilement l'esprit du catholicisme que dans
les ouvrages écrits en d'autres langues, n'ai-je pas eu raison de répondre
comme je l'ai fait ? »
Paroles remarquables et qui viennent confirmer une thèse qui noas
est chère. Le commandant Yamamoto est un converti et l'une des
personnalités cathohques les plus marquantes du Japon. Gardons
précieusement son témoignage.
La langue auxiliaire La Belgique nous en fournit un autre,
înieïnationale d'im genre différent, mais tendant à la
même conclusion. C'est le mémoire
qu'adressa à la Conférence de la Paix l'Institut de Sociologie de Bru-
xelles. Ses membres, après avoir étaljli la nécessité d'une langue auxi-
liaire, «qui, comprise de tous et parlée par tous, serait le seul véhicule
des relations internationales et im intermédiaire suffisant entre tous les
peuples », préconisent l'emploi du français et réclament son enseigne-
ment dans tous les établissements d'instruction du monde. Ayant
l'action française 363
énuméré les qualités naturelles dont est douée cette langue : sa clarté,
son harmonie, sa simplicité, sa richesse, le fait qu'elle possède un dic-
tionnaire officiel, périodiquement revisé, où le sens de chaque mot se
trouve défini, le mémoire continue :
« Mais ce serait sans doute se faire illusion que de croire que ces
qualités intrinsèques puissent suffire à déterminer l'adoption d'une
langue auxiliaire. Il n'en est pas de même des positions acquises, et
celles-ci donnent en faveur du français des argiunents puissants. Certes,
le français n'est pas la langue la plus répandue à la siu-face du globe,
il s'en faut de beaucoup. Mais il convient ici de tenir compte, moins
du nombre des hommes dont le français est la langue principale, que
du nombre de ceux dont il est la seconde langue, ou qui l'ont appris
comme langue étrangère. Si cette statistique pouvait être faite, il
n'est pas douteux qu'elle ne mette le français en très bonne place. Le
français a poiir Uii des traditions qui remontent à plusieurs siècles; il est
resté la langue de la diplomatie; il n'a pas cessé d'être indispeasable
au savant. 11 jouit en plus d'un endroit (en Orient, dans l'Améri-
que latine) d'un prestige incontestable. Enfin, il a pour lui d'être
une langue de culture, une langue dont la connaissance vaut indépen-
damment de l'utilité pratique qu'elle présente; il est parmi les langues
vivantes ce que le gi'ec et le latin sont parmi les langues mortes et,
dans certains paj^s, il est même appelé à jouer le rôle qu'ont chez nous
les langues classiques. »
Les leçons de L'enseignement universel du français,
français d'un ministre ^^f réclame rinstitut de Bruxelles, eût-il
été adopté, il y a quelques années, Paris
n'aurait pas connu l'hiver dernier, le spectacle rare d'un ministre sep-
tuagénaire se mettant à l'étude de la langue française. C'est en effet
le parti que dût prendre un des membres de la Conférence de la Paix,
délégué de notre cher pays s'il vous plaît, notre propre ministre du Com-
merce, le très honorable — ■ pour employer le langage protocolaire —
sir Georges Eulas Foster. Chaque soir, durant son séjour à Paris, de
8 h. 30 à 9 h. 30, l'ancien professeur d'Université, redevenu élève au
terme de sa brillante carrière politique, s'exerçait les méninges siu* le
genre des noms et l'accord des participes. C'était son heure de fran-
çais, sa leçon de langue diplomatique.
M. Foster a soixante-douze ans. Il s'est probablement rendu
compte qu'à cet âge la mémoire est rebelle et les facultés cérébrales un
364 l'action française
peu lourdes. S'il n'a pas très goûté son aventure, qu'il tâche d'en pré-
server ses compatriotes ! En pays démocratique, et nous en sommes,
tout enfant porte dans son sac d'école un portefeuille de ministre —
«omme le soldat de France dans sa giberne un bâton de maréchal — Or
avec le traité de paix qui nous lie à tant de nations, grandes et petites,
et nous oblige à tirer l'épée pour les défendre, un ministre canadien est
désormais exposé à s'asseoir souvent autour d'une table de diplomates
4>ù la langue française sera la langue courante. Nous suppUons l'hono-
rable ministre du commerce d'user immédiatement de son influence
pour que les futiu"s représentants de notre pays ne subissent pas
l'humiliation que d'autres ont ressentie . . .
U CXëfnplc Faut-il un dernier argmnent? Celui-ci
du prince de Galles ^'^ii^'hera le loyaUsme du noble chevaUer:
c'est l'exemple du jeime prince que reçoit
actuellement le Canada. Ah ! il n'a pas attendu, lui, soixante-douze
ans, pour prendre des leçons de français ! Au grand banquet donné au
Château de Windsor, le 19 juillet, pour célébrer la paix et qu'il pré-
sidait ayant à ses côtés le maréchal Foch et le général Pershing,
l'héritier du trône d'Angleterre prononça une partie de son discoiu^s
dans la langue de ses alliés de France. Le protocole, les traditions, les
convenances exigeaient l'usage du français. Le jeime prince put s'y
fioumettre facilement
Et bientôt, sans doute, il parlera de nouveau la même langue
dans notre province. Puissent les nôtres, tous les nôtres, le remarquer
«t en faire leur profit ! Car ils sont encore trop nombreux les anglomanes
— actifs ou passifs — que compte notre race ! Chaque jour, pour ainsi
dire, nous révèle des situations humiliantes que nous créons nous-mêmes
ou tolérons lâchement. Quelques-unes — comme les affiches le long
du chemin Edouard VII, les formules du bureau des douanes à Lacolle,
les papiers et brochures que le gouvernement fait remettre aux soldats
démobilisés — ont été récemment dénoncées.
Ufie CdïtC des j'ajouterai à ce dossier im simple docu-
cheval'^eTS de Colowb ^^^^- Le voici reproduit textuellement.
Seuls le nom, bien français, et le numéro
du destinataire sont omis.
l'action française 365
KXIGHTS OF COLUMBUS
TRAVELING CARD
Issued by Lafoniaine .... Council Xo ....
This is to certify, that Bro.A . . . X . . . oi Montréal, P.Q
third. . . degree member of this council, and having complied
with the lawô and ruies of the order and paid dues to 30 Jutie,
1919. . . , is by law entitled to this traveling card, same to bc-
come null and void on said date.
Date, 11 A-pril 1919.
Adélard Fortier,
Grand Knighi.
.1. .\lfred B.\rrette,
Fin. Sec' y.
1919
Signal ure of memher.
Lg fGUSSC Certes, je ne suis animé d'aucun sentiment d'hosti-
CXCUSC ^'^*^ envers les chevaliers de Colomb, mais comment,
à une époque où leur société est violemment accusée
d'être dangereuse pour notre langue et notre nationalité, comment, ne
pas trouver étrange qu'ils prêtent flanc, par de tels documents, à ces
attaque.*?, qu'ils leur donnent même ime certaine consistance ?
Bagatelle, vétille que ces cartes de voyage, dira probablement quel-
qu'un. Nous combattons pour les intérêts supérieurs de la race et né-
gligeons ces détails insignifiants ! Mais j'en appelle à des membres
mêmes du Conseil Lafontaine, qui m'ont plus d'une fois encouragé dans
cette lutte pom- ces « bagatelles », et que j'ai -vus applaudir des deux
mains l'intrépide archevêque de Saint-Boniface quand il en proclamait
au Monument national, en janvier dernier, la suprême importance, j'en
appelle à ces membres. Sont-ce là \Taiment, messieurs, des choses
néghgeables et auxquelles n'est pas liée, par un enchaînement logique,
la survivance de notre langue ? alors, pourquoi les tolérer ? pourquoi
vous y soumettre ?
Pierre Homier.
1.5 août 1919
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
CHARLES GILL
La littérature du terroir vient de s'enrichir d'im nouveau livre,
une belle œuvre, des vers ! On a publié le poème de Charles Gill, depuis
si longtemps attendu : le Cap Éternité.
Certes, Gill n'est pas le premier à s'être avisé de la beauté du Sague-
naj'. Il n'est pas un poète, ,i'imagine,qui au cours d'un voyage sur ses
eaux, n'ait rêvé de lui consacrer au moins une centaine de vers sombres
comme ses rives et sonores comme ses échos. Pierre-Paul Paradis, ce
rimeur illettré, dont nous a entretenus M. Adjutor Rivard,nous a décrit
naguère ce fleuve qui
roule ses flots limpides
Dans un cadre imposant de rochers escarpés,
De caps majestueux, en tableaux découpés.
Bien avant lui, Arthur Buies avait consacré au Saguenay quelques
belles pages de prose poétique. Personne n'avait encore tenté d'en
faire le cadre d'un grand poème.
Charles Gill est né à Sorel, le 31 octobre 1871. Son père était alors
avocat et ne dut pas beaucoup influer sur sa vocation poétique, bien
qu'il sût manier la plume avec esprit. Si l'on remonte plus haut dans
sa lignée pour trouver des ancêtres à son âme, on est assez embarrassé.
D'un côté, des Anglo-Américains', les Gill, établis au Canada depuis
le commencement du XVIII siècle; d'un autre, des Écossais, les McDou-
gall, arrivés à Berthicr, de l'île embrumée de Jiu"a, vers 1832; enfin, les
Senécal, dont le plus illustre rejeton, l'honorable Louis- Adélard, député,
sénateur, constructeur, capitaliste, fut le grand-père maternel de notre
poète. Mais il est une chose qu'il doit à sa mère, une sainte femme,
c'est ce sentiment religieux qu'il garda toujours, malgré tout, chevillé
au fontl de son âme, et qui vivifie ses plus belles poésies.
L ACTIOX FRANÇAISE
367
Son enfance se passa à^Sorel et à Pierreville, chez ses grands-pa-
rents. Chaque été le retrouvait sous les épinettes de la belle propriété
de la rivière Saint-François. Non loin se trouvait la réserve des Abéna-
quis et Charles les fréquentait assez. Leur esprit d'indépendancejointe
à l'indépendance de son propre caractère, firent de lui un enfant difficile.
Mais nous perdons notre temps à rechercher ses origines intellec"
tuelles. C'est im fait qu'il fut poète précoce comme il a été précoce
dessinateur. A neuf aijs, il rêvait d'écrire des romans et il découvrait
dans l'aspect changeant du firmament des féeries qui l'enchantaient.
Ses séjours successifs à l'école des frères de Sorel, au collège de Nicolet,
au Gesù de Montréal et chez M. Leblond de Briunath, n'interrompirent
pas ses lectm'es; et ce sont les Parnassiens, et ce sont les grands roman-
tiques, qui lui ont soufflé leur art. En 1889, si on le trouve à Paris
dans l'atelier du peintre Gérôme, on le voit aussi dans les cafés et les
cénacles en compagnie des écrivains s\Tabolist3s. Sa formation fut
donc éclectique.
De retour au pays, on le compte parmi les premiers membres de
l'École Littéraire de Montréal, dont il restera, croyons-nous, un des
meilleurs représentants. Il vit de ses peintures et de ses classes de
dessin. Mais nous l'estimons plus grand poète que peintre. Aucim
de ses tableaux, même ses délicieux paysages, même son chef-d'œuvre
«le joueur d'échecs ». ^ n'a l'envergure de son poème, Ze Cap Eternité.
Poiu* exécuter ce poème tel qu'il l'avait conçu, il aurait fallu que
Gill y travaille assidûment pendant des années. Cette épopée de tous
les hauts faits de la France au Canada, le long de nos routes fluviales,
et qu'il voidait intituler le Saint-Laurent, devait compter dix ou douze
livres, et chaque li\Te mie trentaine de chants. Or GiU travaillait d'une
manière très intermittente. Beaucoup de ses vers ont été écrits dans
sa classe de dessin de l'école Normale, avant ou pendant ses cours. Par-
fois aussi, à la campagne, il s'enfermait dans sa chambre, fermait les
Persiennes, arrêtait les aiguilles de l'horloge, allumait sa lampe, et se
mettait au travail, dormant quand il sentait sa fatigue et ne cessant
d'écrire que lorsqu'il avait faim ... A ce régime, il nous a donné une
douzaine de chants du di.xième livre : ce sont ces chants, suivis de pièces
^ Le Problème.
368 l'action française
isolées, qui forment le volume récemment publié. On sait que le poète
ne les jugeait pas assez parfaits pour les livrer au public, mais hélas !
le poète est mort en octobre dernier, emporté par l'épidémie, et force
a été d'imprimer son poème, sans les retouches qu'il y aurait faites.
Faut-il, pour le juger équitablement, étudier son premier plan?
Nous hésitons, car le poète lui-même n'en était pas satisfait et n'osait
plus l'exécuter sans modifications. Le fait est qu'il contenait certaines
données de nature à nous surprendre et qui n'auraient eu du succès que
si elles eussent été traitées par un génie. Ainsi le poète devait, entraîné
dans une fissiu^e du roc, pénétrer jusqu'au centre du cap Eternité et là
rencontrer l'ombre de Dante. Tous deux seraient alors descendus aux
enfers et auraient passé beaucoup de temps dans l'abîme où gémissent
les traîtres à leur patrie. Cette répUque de VÉnéide et de la Divine Comé-
die aurait-elle été goûtée par nos imaginations blasées ? Nous n'osons
l'affirmer. Il faut en dire autant de cette autre fiction du poète par
laquelle le cap Trinité devenait la porte du Ciel et la statue de la Vierge
comme la portière du « beau pays bleu ». Mais à quoi bon apprécier
des projets qui sont restés dans ses notes," — des notes vraiment riches
de couleurs, écrites en une langue très vivante, — et qu'il n'a pas déve-
loppées dans de beaux vers. De tout ce Xe livre nous ne possédons que
le prologue, douze chants et deux fragments {les Stances aux Etoiles
et ime définition de la Patrie).
De ce prologue, on se serait volontiers passé, d'abord parce que le
procédé en a un peu vieilli et puis parce qu'il n'était pas nécessaire : le
poète aiu"ait pu entrer tout de suite en matière sans dédoubler sa person-
nalité.
Dans les chants suivants, apparaissent trois éléments qui for-
ment le fond de l'œuvre : la description du Saguenay, le souvenir de la
race Montagnaise maintenant disparue, et les sentiments intimes de
l'écrivain. L'écrivain est un homme dégoûté de lui-même, des villes
où il a vécu, de la civilisation en général. Il cherche l'oubU et l'apaise-
ment dans la contemplation de la forte Nature. Il se rend à Tadoussac.
Ce qui l'attire là, c'est la légende ; elle enveloppe la vie des tribus in-
diennes dont tout ce paj's était autrefois le domaine : la petite église
dont la cloche sonne d'elle-même, le chef Tacouérima faisant son purga-
toire dans les forêts, à gémir sur sa gloire passée. Gill ne recule pas
devant les apparitions et devant les allégories. Tacouérima lui ayant
conseillé de chanter son pays pour dissiper le désespoir qui l'obsède,
le poète s'embarque sur le Saguenay afin d'en admirer les beautés incon-
ï
l'action française 369
nues. Il a deux compagnons, le Silence et l'Oubli, deux êtres admirable-
ment décrits, l'im à la proue, l'autre à la poupe de son embarcation.
Au clair de lune le formidable spectacle se déroule, vu par des yeux d'ar-
tiste, raconté en des vers superbes. La brise l'emportait
Entre les monts altiers, les monts vertigineux
Dont la crête tranchait, noire sur champ d'étoiles.
Puis vient l'aurore lorsqu'il approche des caps :
Mais déjà l'aube terne aux teintes indécises
Révélait des détails au flanc du graml rocher;
Je voyais peu à peu les formes s'ébaucher,
Et les contours saillir en lignes plus précises.
Bientôt le coloris de l'espace éthéré
Passa du gris à l'ambre et de l'ambre au bleu pôle;
Les flots prirent les tons chatoyants de l'opale;
L'Orient s'allumait à son foyer sacré.
Le gris inatutirml en bas régnait encore,
Quand V éblouissement glorieux de l'aurore
Embrasa le sommet du Cap Eternité
Qui tendait au salut du jour sa majesté.
Cela est d'un peintre; ce qui suit est d'im grand poèto :
Et j'ai pensé, scrutant le sens profond des choses :
— Le ciel aime les fronts qui s'approchent de lui;
Pour les mieux embellir sa splendeur les embrase,
Chair ou granit, d'un feu triomphal et pareil :
Il donne aux uns l'éclat d'un astre à son réveil,
Aux autres la lumicre auguste de l'extase !
L'artiste interrompt ici les descriptions poiu: adresser ime prière
à la Vierge dont il vient d'apercevoir la statue sur le cap Trinité. ^ Les
strophes que sa dévotion lui inspire sont émouvantes : elles partent du
fond de son âme et de sa lointaine enfance. 11 prie pour que son poème
soit beau et pour que sa vie soit bonne. Puis se tournant vers la paroi
^ Cette statue, de 40 pieds par 12, a été érigée par ^L Robitaille,
vers 1880.
370 l'action française
vertigineuse du cap, qui tombe à pic dans la baie, d'une hauteur de
1500 pieds, il écrit des alexandrins sublimes.
0 cap ! en confiant au vertige des deux
Notre globe éperdu dans la nuit séculaire,
Le Seigneur s'est penché sur ta page de pierre,
Digne de relater des faits prodigieux.
Il a mis sur ton front l'obscur secret des causes,
Les lois de la nature et ses frémissements.
Pendant qu'elle assignait leur forme aux éléments
Dans l'infini creuset de ses métamorphoses;
Et, scellant à jamais les arrêts du destin
Avec l'ardent burin de la foudre qui gronde,
Il a, dans ton granit, gravé le sort du monde,
En symboles trop grands pour le génie humain.
Vous me diiez qu'un « voyant » seul peut apercevoir tant de choses
sur un roc. Sans doute; mais l'âme la moins sensible se sent remuée par
cette énorme masse au fronton si hardi.
Le poète, qui a vécu dans l'intimité de cette nature écrasante, garde
sa préférence au cap Éternité, à l'encontre des V03'ageurs ordinaires.
Le chant qu'il lui consacre est le plus long du poème. Le cap nous y
apparaît, immuable au milieu de tous les cataclysmes de l'histoire,
n'ayant pas changé alors que, autour de lui, tout change. Un critique,
ailleurs très bienveillant, dit de ce chant IXe que « c'est du romantisme
de la mauvaise école » et que « l'accumulation des événements et de.s
circonstances, coiffée d'antithèses fortement colorées, jure à côté des
beaux vers ». Nous avouons n'être pas complètement de son avis.
Nous avons relu ces vers pour éprouver notre première impression : elle
s'est maintenue. Il se peut qu'il y ait là une splendeur soutenue qui
fatigue ;m peu. Mais pourquoi condamner ces antithèses? Jamais
elles ne furent mieux à leur place que dans cette description d'un rocher
plus formidable que Gibraltar. Et puis, la couleur ! N'allons pas
reprocher la couleur à un peintre . . . Elle manque d'ailleurs trop sou-
vent dans notre httérature !
Le Rêve et la Raison, Vers la Cime et La Fourmi terminent le poème.
Ilfl racontent les réflexions du poète devant la beauté, l'escalade du cap
et le coucher du soleil.
l'action française 371
Devant tant de grandeur, la main de Dieu vi^ écrase.
J'entre en communion dans cet immense amx)ur
Qui monte de la terre an soleil qxd l'embrase.
Je suis pris du vertige où défaille le jour;
J'éprouve la splendeur de sa brève agorde.
Parmi les frissons d'or de la limpidité,
Mes sens extasiés vibrent en harmonie
Avec la chatoyante et magique beauté
De tout ce que le caur par les yeux peut comprendre !
Et comme sur le monde où la nuit va descendre.
Dans mon être attendri passe un tressaillement.
Aux suprêmes rayons de la mourante flamme
En moi je sens pâlir la lumière de l'âme,
Et je tombe à genoux. . .
Mieux que nos commentaires, la lecture du poème tout entier voug
convaincra de la haute valem- de ce livre, de ce livre du terroir. Tous
les vers n'en sont pas parfaits, évidemment ! Nous n'oserions pas les
« disséquer » comme on fait des vers des grands classiques. Mais tous
sont vivifiés par un profond sentiment religieux, tous chantent la beauté
de la nature canadienne et l'amour de la patrie.
Oui, certes, on peut regretter que le poète ait exécuté si peu de choses
(lu grandiose projet qu'il avait rêvé. Songez à ce qu'aïu-ait pu être ce
Saint-Laurent, chanté par un poète de la sensibiUté et de la puissance
de Charles Gill et mené à ce point de perfection que celui-ci exigeait de
ses œuvres imprimées ! Elle est donc encore à faire la grande épopée
que nous appelons, peut-être un peu naïvement, de nos vœux. Du
moins en possédons-nous un noble fragment. Et Sorel peut se réjouir
d'avoir donné le jour à celui qui l'a écrit : il compte parmi ses plus illus-
tres enfants.
Olivier Maurault, p. s. s.
372 l'action française
LA NAISSANCE D'UNE RACE i
11 y a des abandons qui n'inspirent pas la haine du protecteur, mais
apprennent à s'en passer. Ces abandons sont salutaires, quelquefois,
pour les individus, poiu: les nations. Délaissée par la France autrefois,
l'initiative et l'énergie précoce devinrent une nécessité pour notre race.
Elle s'habitua aux responsabilités. Dans la lutte soUtaire et sans espoir
de reprise, elle développa des qualités particulières. Un contact troj)
intime et trop continu avec la mère-patrie, un afflux de sang sans cesse
répété aurait peut-être empêché la formation d'ime nationalité. Mais
toutes les influences du milieu ont été libres d'agir énergiquement pour
modifier.
C'est ce que l'abbé Groulx vient de nous prouver dans son nouveau
volume : La Naissance d'une Race. Le projet était d'étudier les éléments
humains qui sont entrés dans ce moule, la Nouvelle-France; de connaître
la qualité des colons, leur transformation par le pays, les caractéristiques
du type nouveau. L'œuvre est attentive et minutieuse. L'enquête
est claire, loj'ale et sûre; elle est intelUgente. Les conclusions sont indé-
niables.
Ce que j'aimerais à marquer de ce volume, surtout, ce n'est pas
tant sa valeur intrinsèque, qui est grande, que sa valeur de relation,
d'opportunité, d'actualité. Ce livre est issu d'un mouvement sourd
et puissant d'idées qui imprime à notre race ime orientation inéluctable.
Il n'y a qu'à Ure attentivement les écrits de nos trois maîtres de la pen-
sée, aujourd'hui, pour reconnaître la même pensée inspiratrice. Sans
s'être concertés, ils naviguent de concert. Ils s'orientent au même port.
M. Henri Bourassa, en politique, mène, depuis plusieurs années, le
combat du nationalisme. Avec quelle fougue et quelle vigueur écla-
tante, je n'ai pas besoin de le dire. Môme ceux qui ne partagent pas
ses idées, et ils sont plus rares qu'on ne croit, ne peuvent s'empêcher
d'admettre l'envergure de ses horizons intellectuels, l'ordonnance souve-
rainement logique de sa pensée autour d'un système.
La sujétion de nos forces nationales, leur emploi au bénéfice d'une
autre race que la nôtre répugnent à M. Bourassa et l'irritent. Il n'est
pas bon qu'un peuple s'occupe à grandir, à enrichir à ses dépens des
nations plus fortes que lui. Il est onéreux qu'il lie irrévocablement ses
destinées jeunes à des destinées étrangères. M. Bourassa a de vigou-
> La Naissance d'une Race, Bibhothèque de l'Action française
Montréal, 1919. Prix : 75 sous (par la poste, 80 sous).
l'action française 373
reuses invectives, il déploie toutes ses puissances d'ii'oiiie contre l'Angle-
terre qui veut nous entraîner dans la gi'avitation de son empire par l'in-
fluence populaire des campagnes de presse et la pression morale des hon-
neurs. Il prêche la Ubération de l'étreinte anglaise sur notre pohtiquo.
Académique et pondéré, d'aptitudes très diverses, M. Edouard
Montpetit est un spectacle déUcieux à ceux qui l'étudient. Ecrivain
de grande tradition, aimant à formuler des idées concises et larges qui
sont des mots d'ordre, il est professeur de prosaïsmes, c'est-à-dire, en
l'occurrence, de droit romain et d'économie politique. Penseur et lettré
avec des devoirs d'économiste, économiste avec des goûts d'artiste et
de poète, ni son souci des choses matérielles ne lui a enlevé l'autorité
des choses littéraires et artistiques, ni ses tendances aux lettres son auto-
rité dans les questions de banque, de commerce et d'industrie. C'est
un don bien rare que l'autorité. On ne discute pas Montpetit : il s'est
attiré toutes les adhésions. Peut-être aussi qu'il n'est pas facile de le
discuter. On dirait qu'un instinct puissant de la race l'a consigné à
son poste de chef.
Et M. Montpetit s'attache, depuis longtemps, par ses com's, ses
conférences et ses articles, à nous inculquer l'attrait des choses maté-
rielles. De la richesse, il veut que nous fassions un argument, une gran-
deur, une indépendance. Par la supériorité économique, nous saurons
parvenir à tous les affranchissements, à la manifestation, sans obstacles,
de toutes nos aptitudes. Il lui plairait que noas eussions le talent d'ex-
ploiter les ressources de notre province, celui de manufacturer nos pro-
duits nous-mêmes et de les vendre. Nous devons gérer nos affaires.
Et M. Edouard Montpetit se trouve ainsi prêcher la libération de
l'étreinte économique anglaise ou américaine.
M. l'abbé Groulx est le plus vibrant de nos historiens. Le passé
l'émeut. Son patriotisme sincère met au fond de ses œuvres w\e flamme
ardente et voilée dont on ne sait que la chaleur. A l'instar de M. Etien-
ne Lamy il fait de la psychologie historique. Philosophe, il s'essaie
à saisir tous les mouvements d'idées qui furent inspiratem-s des faits.
Les émanations de l'histoire l'imprègnent. Ses Uvres ont ainsi la valeur
d'une intuition.
Autrefois M. l'abbé Groulx démêla la trame de nos constitutions.
La révolte de 1837 retint ensuite son attention. Mais, entretemps, il
ne laissait pas que de lire tous les documents qui lui tombaient sous la
main. Et voici que s'est faite en son esprit la lente cristaUisation d'une
idée : la naissance d'une race. Les pensées, les sentiments cachés sous
jes mots, les observations qui s'accrochent à l'intelhgence pendant la
374 l'action française
lecture, ont imposé le sujet. Les vieux gi-imoires poudreux ont révélé
leur sens, la vérité embusquée à toutes les lignes a crié sa certitude.
« Nous constituons une variété dans la famille française. Dis-
tincts, nous le sommes, non seulement par le pays, par l'allégeance poli-
tique, par une histoire et des traditions qui nous sont propres, mais
aussi par des caractères phj'siques et moraux déjà fixés et transmis avec
la vie dès la fin du dix-septième siècle. C'est ce particularisme national
que cette histoire démontre d'elle-même, sans dessein prémédité. » Ces
phrases ont la fermeté d'une évidence, la sonorité d'une déclaration
d'indépendance.
Et plus loin : « . . . Nous avons besoin qu'on nous rende, plus que
toute chose, le sentiment de notre personnaUté ... ; en cette œu\Te ini-
tiale et urgente, sont engagés les problèmes fondamentaux de notre
vie. » Cette âme nationale nôtre, nous devons la connaître, la cultiver.
la développer, l'exprimer. Nous avons des devoirs envers elle. Nous
sommes responsables de son épanouissement. Les altérations qui la
déforment nous sont imputables. Il faut arracher tous les lierres para-
sites qui s'attachent à elle pour en étouffer le jaiUissement; il faut la
libérer de toutes les influences morales et intellectuelles étrangères, afin
que se conserve sa pureté.
NationaUsme politique, nationalisme économique, nationalisme
intellectuel et moral, voilà ce que révèle une étude attentive des idées
de M. Bomassa, de J\L Montpetit et de M. l'abbé Groubi. Notre race
en développement produit les individus qui disent sa volonté incons-
ciente. Si nous scrutons de plus près la pensée de ces trois maîtres, nous
avons le spectacle d'une race qui, peu à peu, se retire de ses appuis; qui
aspire à se Ubérer de toutes les tutelles; qui a le sentiment d'être mûre
pour sa vocation de nation libre, en accepte, avec gravité, tous les de-
voirs. Elle sait sa tâche mieux que ne le savent les autres qui jugent
par intérêt, à leur point de vue. Il y a un goût d'accepter les sacrifices.
Aujourd'hui, elle ne veut s'en rapporter à personne du soin de ses affai-
res. Les amarres sont coupées, délibérément, l'une après l'autre. Des
pilotes à poigne solide tiennent la barre et se lancent en plein avenir.
Et c'est une minute décisive à marquer, que celle où une race prend
conscience d'elle-même. Le hvre de M. l'abbé Groulx ne pouvait être
pubUé à une heure plus opportmie. Il éclaire d'une lumière nouvelle
les doctrines de M. Bourassa et de M. Montpetit; il éclaire la race sur
elle-même. Et ce sera sans doute le plus beau titre à la goire de M.
l'abbé Groulx que d'avoir exprimé ce sentiment obscur et latent de la
jace. Léo-Paul Desrosiebs.
I
TRIBUNE DE NOS LECTEURS
L'ACTION FRANÇAISE ET NOS COLLÈGES CLASSIQUES
La direction de V Action française énonçait dans le numéro de janvier
de cette revue, sous la rubrique « Au dehors ». un projet des plus pra-
tiques et des plus féconds, projet qu'il serait tout à fait malhetu-eux de
ne pas voir se réaliser. Nous voulons parler des conférences que l'on
se propose de donner en dehors de Montréal, sur l'œuvre de V Action
française — car c'est bien ime œuvre — , ou sur tout autre sujet national
d'intérêt particuMer pour le groupe auquel on s'adressera. Initiative
inteUigente que celle-là ! Grâce à elle, le rayon d'influence déjà assez
vaste de l'Action sera agrandi.
S'il est vrai cependant que toutes les classes de notre peuple ont
besoin d'être mises en contact avec les conférenciers de V Action fran-
çaise, on ne peut nier qu'il existe certaines portions de notre race quî
méritent une attention plus particulière, et sur lesquelles l'apostolat
national pourrait s'exercer avec plus d'efficacité. Nous mentionnerons
en premier heu notre jeimesse étudiante, celle surtout qui fréquente noi,
collèges classiques.
On dit que nos collèges classiques sont des forteresses nationales,
des arsenaux où s'arment les jeunes pour la lutte de demain : cela est
bel et bien vrai, mais n'oublions pas non plus que nos institutions d'en-
seignement secondaire furent et sont encore les pourvoyeuses involon-
taires, mais pourvoyeuses tout de même d'apostats — ou giaère mieux —
de notre nationahté. Aussi bien, ne prétendons-nous pas qu'il soit pos-
sible d'enrayer complètement la croissance de cette vermine : ce serait
utopique. Mais il n'est pas moins certain que cette engeance pourrait
être diminuée, affaibhe, par une guerre constante à l'esprit d'arri\Tsme
ou du « laissez-moi tranquille ». On a déjà fait beaucoup en ce sens —
et il convient de souhgner ici l'effort heureux de l'A. C. J. C. — mais
l'on peut faire davantage. L'A. C.,J. C. quoiqu'elle s'adres-se à toute
notre jeunesse étudiante, n'en peut évidemment atteindre qu'une partie
376 l'action fkançaise
et presque toujours la mieux disposée. Aux jeunes qui gravitent dans
sa sphère d'influence, certes, elle sait inculquer avec l'esprit catholique,
un sens réel et souvent profond du patriotisme. Mais le reste de nos
étudiants, ceux qui soit orgueil de l'esprit, soit manque de compréhen-
sion de sa nature et de ses buts, n'ont pas voulu s'inscrire à l'A. C. J. C,
faudra-t-il les abandonner à eux-mêmes ou plutôt aux corsaires des clubs
politiques qui les guettent à la sortie du collège, sans lemr avoir au préa-
lable formé une conscience nationale éclairée, sans leur avoir au moins
donné les grands principes du patriotisme vrai, d'où ils puissent se guider
à travers le dédale des opinions courantes ? Sans doute, mille fois non 1
Nous avons trop besoin de nos forces nationales pour laisser l'anémie
ou la contamination amoindrir l'ime d'elles, surtout lorsqu'il s'agit de
la jevmesse étudiante, l'espoir de notre nationalité, ce froment qui lève
et dont on attend une si belle moisson. Et pourtant, chaque année,
il sort de nos collèges plusieurs de ces étudiants — hélas ! beaucoup
trop — dont l'unique ambition est de faire leur trouée, coûte que coûte,
dussent-ûs même pour cela transiger avec un principe rehgieux et levu-
fierté nationale ou — pour tout dire en un mot — transiger avec leur
« temps de collège ».
La cause de ce mal, on l'a souvent dit, réside dans le manque d'édu-
cation du patriotisme. On ne sait pas auguste ce que c'est que le patrio-
tisme— faut-il en blâmer les jeimes? tant de nos sommités sociales
en ignorent, du moins pratiquement, les premières notions. Ah ! l'on
a bien des forumules creuses, gobées ici et là, dans les jovimaux, quelques
tirades sonores apprises par cœur afin d'en imposer aux confrères un
soir de discussion à la « Société Uttéraire » de l'Aima Mater, mais ce
ne sont toutefois que des formules creuses et des tirades sonores : de
conviction, point, ou à peu près point. On s'est arrêté à l'accidentel,
tandis qu'on eût dû s'attacher à la substance de la chose. De toutes
ces pathétiques professions de fidéUté à la race, il n'est resté que le sou-
venir nuageux de les avoir déjà faites. L'on est surpris d'y manquer
si facilement, un coup aux prises avec la vie : c'est que formules, tirades
et professions de foi provenaient d'xme imagination souvent brillante
au lieu que de ressortir d'une âme fortement convaincue.
Et cette absence de conviction ne peut être tout attribuée à une
mauvaise volonté, à une nonchalance intellectuelle ou morale de nos
élèves; non, ils sont adolescents et comme tels, ont un cœur pour vibrer
l'action française 377
aux grandes idées et se prêter volontiers aux résolutions efficaces et
généreuses.
Encore qu'il ne soit pas le plus à blâmer en cette affaire, notre per-
sonnel enseignant pourrait peut-être faire, à la dérobée, un petit mea
culpa; peut-il, en effet, la main sur la conscience, affirmer qu'il n'a né-
gligé aucune occasion de créer et de développer un sens national dans
l'âme de ceux qu'il a eus sous sa charge ? qu'il a suscité, midtiplié ces
occasions de faire œuvre patriotique ? Qu'il nous soit permis d'en dou-
ter. Tous nos professeurs d'histoire du Canada — et nous insistons
sur ce point — ont-ils su joindre à l'enseignement des faits, quelques
remarques propres à nourrir l'idée patriotique de l'élève, quelques rap-
prochements tendant à affiner son sens critique des questions nationales ?
Au reste, leur a-t-on donné le temps nécessaire, à ces professeurs, pour
développer normalement leur cours? Ne les a-t-on pas plutôt forcés
à enseigner en quelques semaines ce qui n'aurait dû s'enseigner qu'en
plusieurs mois? Surcharge des programmes! clame-t-on. Il n'y a
pas à s'en étonner, si l'on admet pratiquement que les histoires ancien-
nes doivent s'enseigner sur un pied supérieur à l'histoire du Canada.
D'aucuns semblent prétendre, si l'on en juge par le temps alloué à leur
étude, que la connaissance parfaite des conquêtes de Sésostris ou même
de Philippe et d'Alexandre de Macédoine est plus utile qu'une notion
claire des différents systèmes de gouvernement qui ont présidé à notre
évolution poHtique au dernier siècle. Il nous semble qu'il faille remé-
dier à ces méthodes un peu caduques et machinales. L'abbé Groulx
dans son lumineux article Notre Histoire, publié dans V Action, française
en 1918, indique clairement ce qu'il y a à faire en ce sens. Agissons,
il en est temps.
Inutile de dire que nous sommes des premiers à payer notre tribut
d'admiration à ce qu'ont accompli nos institutions d'enseignement se-
condaire et cela sur toute la ligne. Toutefois, il est nécessaire de pro-
gresser, de viser aux cimes et de les atteindre. Vivant au milieu des
idées ambiantes du « laissez-faire » et de conciliation outrancière des
derniers cinquante ans, ces semeuses d'éducation en ont été un peu les
victimes, du reste, moins que bien d'autres.
* ' *
En ces dernières années, grâce au choc de la vagiie persécutrice»
il y a eu éveil général, chez les jeunes surtout. L'on ne s'est pas con-
tenté non plus d'admirer l)éatement cette réaction, on l'a dirigée et on
la dirige encore
378 l'action française
h' Action française est au premier rang parmi ceux qui ont assumé
cette noble tâche. Son activité, débordant les cadres de la revue, voire
même du livre, l'a poussée à devenir conférencière. Elle veut se faire
toute à toas. Nul doute qu'elle ne désire avec envie jeter à pleines mains
le semence féconde sur le terrain éminemment bien préparé des institu-
tions d'enseignement secondaire; la moisson serait si belle !
Il est donc à souhaiter que Messieurs les Supérieurs de séminaii'e
et de collège profitent eux aussi de l'offre généreuse faite par la direction
de la revue, en lui demandant, chaque année, — pourquoi pas ? — un
conférencier qui puisse donner « une soirée d'action française ». Pro-
fesseurs et élèves en profiteraient; l'organe de la Ligue des Droits du
français aurait chance certaine de pénétrer davantage dans nos maisons
d'éducation et y susciterait assurément d'heureuses améliorations :
de la sorte, beaucoup des ombres que nous avons indiquées au tableau
de notre enseignement « patriotique » finiraient par disparaître.
Gérard Tremblay.
NOTRE CONCOURS
A la demande des principaux intéressés, notre concoius d'abonne-
ment est prolongé jusqu'au 31 décembre. Nous espérons qu'on voudra
bien utiHser avec le plus d'activité possible ce nouveau délai et nous
rappelons rapidement les principales conditions du concours.
Seize prix seront attribués, selon le nombre des points recueillis:
1 premier prix de S2.5; 1 deuxième prix de S15; 2 prix de SIO; 4 prix de $5;
8 prix de S2.50. Les prix seront attribués d'après l'échelle suivante :
Abonnements de 1919, 5 points chacun; abonnements de 1920, 10 points
chacun; abonnements de 1918, 10 points chacun; les trois abonnements
ensemble, 30 points. Il ne peut s'agir, en tout cas, que d'abonnements
nouveaux. Les renouvellements et prolongations ne comptent point,
pas plus que les soldes d'abonnements en cours. La collection de 1918
sera tout de suite adressée aux nouveaux abonnés, de même que les
numéros parus de 1919. La collection de 1918 se vend $2, l'abonne-
ment de 1919 et de 1920 est de SI, payable d'avance. Les concurrents
sont Ubres de rccueiUir les abonnements où ils veulent, de grouper leurs
efforts, etc. Nous ferons simplement le total des abonnements et des
points obtenus.
Toute la correspondance doit être adressée : Concours d'abonne-
tnents, l'Action française, 32, Immeuble de la Sauvegarde. Montréal.
Nous prions qu'on ait soin d'indiquer, en envoyant chaque nouvel abon-
nement, à quel concurrent il doit être attribué.
LA VIE DE U ACTION FRANÇAISE
A Lachine — La plus belle manifestation d'Action française, au
mois d'août, c'est indiscutablement la commémoration à Lachine du
230e anniversaire du terrible massacre de 1689, organisée par le Cercle
Savaria de l'A. C. J. C, sous le patronage de V Action française. Il y a eu
messe en plein air, célébrée par Mgr Forbes, avec sermon de M. l'abbé
Perrier, puis, dans ime grande réunion publique, discours de M. l'abbé
Olivier Maurault, P. S. S., sur les origines françaises du canal de Lachine
(que l'on voulait en même temps rappeler) et du R. P. L. Côté,0 M.I.,
sur le massacre, dévoilement de plaques commémoratives, et, le soir,
nouvelle réunion publique, avec allocutions du maire, du curé, du R. P.
Sigouin, S. J., et de M. J.-C. Martineau, de l'A. C. J. C.
Une brochm-e spéciale racontera cette belle, pieuse et instructive
manifestation.
Nos CONFÉRENCES — Le très beau succès obtenu cette année et
Tan dernier par nos conférences du Monument National nous comman-
dait de les continuer. Nous ne pourrons que le mois prochain donner
des détails précis sur la hste des oratem's et les conditions d'organisa-
tion, mais nous pouvons tout de suite dire que la série aura pour titre
général : N'ohlesse oblige et qu'on entendra quelques-unes des voix les
plus aimées du public canadien français. LTne échelle de prix sera insti-
tuée de façon à mettre les cartes à la portée de toutes les bourses. Un
système de numérotage sera adopté, qui assiu'era à chacun un siège déter-
miné.
Nous prions nos amis de répandre tout de suite la bonne nouvelle
et d'inviter leui's amis à surveiller les indications que nous donnerons
dans notre prochain niunéro et dans la presse quotidienne. Les pre-
miers arrivés auront naturellement toute chance d'être les mieux servis.
« CoMME.XT SERVIR » — Ce Sera le titre de notre prochaine série
d'articles, celle qui fera suite aux Précurseurs et commencera en janvier
prochain. Elle posera le problème de nos obh gâtions envers la race
et de la façon dont chacun, suivant son poste, doit s'en acquitter. Le
cultivateur et l'artisan, le professionnel et l'homme d'affaires, le prêtre
et la mère de famille, d'autres encore seront mis en cause. Nous in\n-
eerons des personnes représentatives de chaque groupe à nous donner
leur avis motivé.
Nous avons tout Heu de croire que le succès et l'intérêt de cette en-
quête égaleront ceux des deux précédentes.
Nos pirBLi CATIONS — A part la revue, nous avons toute une sérit
d« publications nouvelles sur le métier. Nous pourrons, dès la prochaine
380 l'action FRAXÇAIbE
livraisou, en annoncer quelques-unes. On s'apercevra que nous n'avons
pas perdu nos vacances.
Mais il ne faut pas oublier les œuvres fléjà parues. Toute une
campa'gne de\Tait être entreprise, avec la fin des vacances, pour les
faire pénétrer partout où elles sont encore ignorées et nou> recomman-
dons particulièrement â l'attention de nos amis rAbnanach, qvi
est actuellement en préparation.
L'Oeuvre dv Livre fraxçai* — Personne ne songe à contester
l'importance de cette propagande par le livre. La Société Saint-Jean-
Baptiste de Montréal, qui a lancé l'Oeuvre du Livre français et dont
l'intelligente initiative a fait pénétrer dans les groupes français des au-
tres provinces des centaines de mille brochures et re%'ues. \'ient de lancer
au public un nouvel appel. Elle prie qu'on lui adresse tous les livres
et revues dont on peut disposer au profit des Canadiens français des
autres pro\'inces. Elle acceptera naturellement aussi les livres neufs,
et ceci nous amène à proposer à ceux de nos amis qui désireraient favo-
riser cette œuvre mie combinaison qui leur permettra d'augmenter sen-
siblement l'efficacité de leur offrande.
Sur toute commande de SIO et plus qui nous sera adressée pour
l'Oeuvre du Livre français — et que noiLS ferons tenir à la Société Sait- Jean-
Baptiste — nous accorderons une prime de 20%, c'est-à-dire que,
pour SIO par exemple, l'on pourra commander §12 valant de volumes
et brochures, au prix fort. Siu- toute commande de S25 et plus, nous
accorderons 259c. Xoas étabUrons nous-mêmes la liste des volumes,
si on préfère nous laisser ce soin.
Souscriptions de propagande — Nous nous permettons d'in-
sister sur l'importance, d'une façon générale, des souscriptions de propa-
gande. Il est ime foule d'endroits où tel ou tel livre d'Action française
serait d'une très grande utilité, pourrait éveiller des reflexions salutaires,
devenir principe d'action; il est telle initiative dont la réaUsation serait
fructueuse, mais pour faire les envois nécessaires, pour prendre les initia-
tives urgentes parfois, il faudrait souvent des ressources que nous ne
possédons point. Notre action, en dépit du dévouement de nos amis,
est forcément, dans imo certaine mesure, conditionnée par l'état de
notre budget.
Abonnements de §ô — Nos an( iens lecteurs connaissent le sys-
tème des abonnements de $5, qui a obtenu un si vif succès et qui a l'avan-
tage d'éviter beaucoup d'ennuis et de frais de correspondance. Ou
remet $5 à l'administration de VAclion française et celle-ci envoie au
.souscripteur.au fur et à mesure qu'elles parais.<«ent,toute.e les publications
l'action française 381
nouvelles (sauf la revue de VAciwn française). Si le souscripteur désire
commander des œuvres déjà parues ou doubler sa commande de publi-
cations nouvelles, il n'a qu'à jeter à la poste une carte postale. Lorsque
son crédit est épuisé, on l'avertit et il n'a qu'à envoyer un nouveau $5
pour que les envois se continuent.
Aboxxemexts de SIO — Le succès de l'abonnement de $5 et le
développement de notre service de librairie ont exigé une nouvelle créa-
tion. Certains lecteurs désirent recevoir, sans avoir à faire de comman-
de spéciale, non seulement nos propres publications, mais les Canadiana
dont nous sommes les distributeurs. Pour ceux-là nous instituons
l'abonnement de .?10, dont le fonctionnement sera le même que celui
de l'abonnement de Sô. Jean Beauchemin
PARTIE DOCUMENTAIRE
ES SASKATCHFAVAN
Le Montréal Daily Slar, daiLS son numéro du 13 août 1919, a publié
la dépêche suivante :
Spécial to The Star froin Our Correspon-denl
Regina, Aug. l'S. — Pétitions are l)eing circulated throughout the
Province by thcLoj^al Orange Lodgejwith a view of testing the strength
of the movement in Saskatchewan for one school and one language of
instruction. This move is not being made, according to those in charge
of the campaign, with any idea of embarrassing the Government of
Saskatchewan, but simply for the purpose of giving voice to the con-
victions of a large number of people in favor of one school.
The pétition is as follows :
To the Hon. W. M. Martin, Premier of the Pro^^nce of Saskat-
chewan.
The pétition of the undersigned provincial electors residing in Sas-
katchewan.
1. That the French language has no officiai status in the Pro^^nce
of Saskatchewan, and in our opinion, the same should be absolutely
eliminated, either as a médium of instruction, or a subject of study in
our primary schools.
2. That as the great war has now euded, we beheve the time is uow
ripe to consohdatc ail classes in the proN-ince in one undivided wliole.
382 l'action française
3. That this consolidation can be better achieved through the union
of the childi-en in fhe province than in any other manner, and we believe
this unification is absolutely impossible so long as separate schools exist.
4". That separate schools are well known to be a disiutegrating
force in the province and retard éducation espccially in the higher grades.
5. That separate schools are foimd to be burdensome to the tax-
payer, not only of the separate school district, but of the public school
district, where separate schools are in opération, resuit ing in a lower
grade of teachers and poor equipment in both pubhc and separate
schools.
6. Your petitioners beUeve that the eastern provinces of this Do-
minion hâve absolutely no right to formulate any educational System
for the western p^o^'inces and that strict independent autonomy in this
respect should be insisted upon.
7. That we are of the opinion, that this important matter should
be considered outside the range of party politics.
Yoiir petitioners, therefore, deraand that the Législative Assembly
of the Province of Saskatchewan shall so amend the School Act to give
effect to.
1. The aboUtion of the use of French language cither as a médium
of instruction as subject of study in the primarj' schools.
2. The abolition of ail separate schools in the province.
And we respectfully déclare that wc arc qualified voters for tlu-
return of a member of the Législative Assembly of the Province of Sas-
katchewan, and hâve signed this pétition with full knowledge of its
contents.
LIXFLUEXCE DU NOMBRE
Le Droit, dans son numéro du 13 août 191 9, a pubUé l'article suivant :
Souvent, en face des injustices et des attaques dont notre race et
notre langue sont les objets en ce beau pays, on a entendu des gens dire
que nous ne pourrions avoir d'influence et nous faire respecter que le
jour où nous serions en nombre suffisant poiu" imposer notre volonté.
Sans doute, il est très vrai que le moment où nous serons devenus
la majorité, les persécutions et les dénis de justice cesseront; mais, fau-
drait-il attendre ce moment pour imposer le respect de nos droits à ceux
qui sont plus nombreux que nous ?
Ce serait, il noue semble, reculer le jour de la A-ictoire un peu loin
rt il est certain que nous pouvons obtenir la roconnaiseanop de nos librr-
l'actiox française 383
tés et le respect de nos droits sans que nous soyons la majorité. Pour
cela, deux choses suffisent : D'abord, conserver notre vitalité intacte,
en empêchant tout coulage, en résistant de toutes nos forces à l'angli-
cisation, en cultivant dans toutes les âmes et toutes les intelligences,
surtout chez les jeunes, l'amour de notre langue et de nos traditions,
en faisant usage de la langue française partout et toujours, quand les
circonstances le permettent, donner aux générations qui poassent la
formation la plus complète possible et choisir, pour nous représenter,
dans les diverses circonscriptions où nous sommes en nombre suffisant
pour faire ce choix, des hommes compétents et distingués qui feront
honneur à notre race en montrant aux autres que nous avons chez nous
une éUte capable d'aborder, de comprendre et de résoudre sagement
toutes les questions, même les plus sérieuses.
La seconde est au.ssi importante que la première, c'est de voir à
ce que les autorités, les dociunents officiels enregistrent fidèlement les
progrès que nous faisons avec les années, dans les diverses provinces
où nous avons élu domicile.
A quoi nous servirait de lutter pour conser\'er l'usage de notre lan-
gue, poiu- maintenir bien \'ivaces les belles traditions si profondément
catholiques que nous ont transmises nos ancêtres, si, avec chaque recen-
sement, les documents officiels faisaient croire au monde entier que le
nombre des Canadiens français reste stationnaire, quand il ne diminue
pas?
Sans doute, la fausseté des chiffres ne ferait pas diminuer notre
nombre, et ne ferait pas movirir les Canadiens français, mais nous per-
drions ime grande partie de notre influence, puisque souvent, on se base
sur les chiffres officiels pour accorder à une minorité sa représentation
dans la hiérarcliie civile ou religieuse.
D'un autre côté si on enregistre, à chaque décade, ime forte aug-
mentation en notre faveur, on ne tardera pas à comprendre que nous
sommes une force avec laquelle il faut compter, que les efforts pour nous
angliciser ou nous étouffer sont absolument inutiles et que la meilleure
manière de faire de tous les Canadiens une grande nation avec une même
âme et un même idéal, c'est de respecter les droits et les prérogatives
de chacun des éléments constituants de la nation et de grouper toutes
les énergies vers un même but, le développement d'un patriotisme cana-
dien.
384 l'action française
Il y aura bientôt dix ans que le dernier recensement national a eu
lieu. Dans quelques mois, quelques semaines peut-être, on fera les
préparatifs nécessaires pour le recensement de 1920-1921.
Comme par le passé on procédera par questions afin de connaître
l'origine et la nationalité des habitants du Canada, on spécifiera quelle
langue chaque indi^•idu parle et l'on établira ainsi des statistiques qui
auront toute l'autorité des documents officiels.
Pour la pro^dnce de Québec, il n'y a pas de doute que l'on rendra
justice aux Canadiens français, car les employés du recensement seront
en général des Canadiens français. 11 n'en sera pas de même dans les
provinces anglaises et il se poiu-ra fort bien que des employés de langue
anglaise soient chargés de Ansiter des centres ontariens à grande majorité
française.
Comme tous les Canadiens français, ou à peu près, parlent l'an-
glais, en cette province, il est fort possible qu'on se dispense de leur de-
mander quelle est leur langue maternelle et qu'on les c!as.se parmi les
Canadiens de langue anglaise.
On peut même poser la question d'une façon équivoque. On peut
simplement demander : -:< Quelle langue parlez-vou.s d'ordinaire ? » Pour
tous les Canadiens français A-ivant dans des centres à majorité anglaise
il est clair que la langue ordinaire pour les affaires et les relations sociales
est généralement l'anglais. Voilà autant de Canadiens français qui
•seront cla.ssés parmi les citoj-ens de langue anglaise.
Il ne faut pas oublier que des recensements se sont faits avec une
injustice manifeste pour les Canadiens français. Prenons par exemple
celui de 1891. Dans la région compri.^e par le diocèse de lungston,
le recensement de ISSl donne 10,221 Canadiens français. Celui de
1891 ne donne que 4.608, pendant que le recensement .suivant, 1901,
donne 11,023. De telles variations sont impossibles et la seule expli-
cation à cet état de choses c'est que l'on a « anglifié » officiellement plus
(le la moitié des Canadiens français.
Comme le gouvernement actuel ne s'est pas montré particulière-
ment dévoué aux intérêts français du pays, comme c'est un gouverne-
ment comme celui de 1891, il serait très bon de suivre de près les travaux
du recensement et de prendre les mesures nécessaires pour qvie l'on
n'« anglifip » pas les Canadiens français.
J.-AU»ert FoisT.
l'Action française
septembhe 1919
Les précurseurs
UABBË LEON PROVANCHER
Pour fortifier le courage des travailleurs d'aujourd'hui
et les rattacher à ce qu'il y a de constitué déjà dans la tra-
dition nationale, V Action française les fait passer dans le
cimetière de l'histoire et lire sur les stèles oubliées les noms
à demi effacés déjà de ceux qui, dans tous les domaines,
voulurent ouvrir à notre jeune peuple des voies et des hori-
zons nouveaux. U Action française ne pouvait manquer
de conduire ses lecteurs à la petite église du Cap-Rouge,
devant la pierre tombale qui rappelle le souvenir de l'abbé
Léon Provancher, le premier et le plus grand des savants
canadiens.
Malgré d'évidentes faillites dans des domaines qui
n'étaient pas le sien, et où ses fanatiques avaient voulu
l'entraîner, la science a tellement détruit et créé de choses
sur notre planète, qu'il serait absurde de vouloir mécon-
naître la place qu'elle tient : une nation qui veut garder
sa place au soleil ne peut négliger de collaborer à la recher-
che des secrets de la nature, de ses lois et de ses trésors.
Issu de quelques milliers de paysans abandonnés dans
la forêt canadienne par une France vaincue, notre peuple
a passé rapidement, miraculeusement comme on l'a dit,
les phases de formation et de développement des groupes
ethniques. Il n'a pas mendié son pain à la porte du con-
quérant, il l'a demandé à la Providence et à ses bras. Soli-
dement ancré à la glèbe laurentienne, il a gardé sa foi catho-
lique et sa mentalité latine, emploj'ant pour défendre l'une
Vol. III, No 9
386 l'action française
et l'autre toutes les énergies qui n'étaient pas requises pour
le défrichement du sol. ■ Nous eûmes d'abord des labou-
reurs, des soldats et des prêtres; la lutte pour la vie nous
créa des parlementaires, des orateurs et des hommes d'État,
dont les victoires morales, en nous dotant d'une paix rela-
tive, déterminèrent l'éclosion d'une littérature et d'un art
canadiens.
L'heure est venue, semble-t-il, où une science propre-
ment canadienne-française doit se constituer. Mais si,
dans un avenir plus ou moins prochain, nous voj'ons cet
heureux développement, il ne faudra pas oublier 'qu'il y
eut des précurseurs; que, dès le milieu du XIXe siècle,
notre race produisait un savant remarquable, dont les tra-
vaux resteront classiques en Amérique. Et lorsque nous
croirons connaître à fond les trésors de la nature lauren-
tienne, les richesses des eaux, des bois et des montagnes,
il nous faudra nous incliner devant celui qui, alors que per-
sonne encore n'en voulait, nous présenta la clef d'or de ce
monde merveilleux.
L'abbé Provancher est né à Bécancour, le 10 mars
1820. Il fit toutes ses études au séminaire de Nicolet et
nous savons comment, sous l'ombre des vieux pins, il prit
par hasard la passion des sciences naturelles. Au fond
d'une bibliothèque, il découvre un vieux traité de botani-
que, qu'il dévore. Mais quand, sur les plantes du pai'c,
des prés voisins et des battures du lac Saint-Pierre, il veut
appliquer ses notions fraîchement acquises, il se trouve
que les trilles qu'il dissèque se dérobent à son analyse, que
la sanguinaire qui lui rougit les doigts refuse d'entrer dans
ses cadres, et que même les herbes les plus vulgaires gardent
soigneusement leur incognito. Autour de lui, personne
pour le tirer d'embarras et l'on sourit d'une fantaisie si
nouvelle.
l'action française 387
D'ailleurs, de plus graves soucis sollicitent le jeune
Provancher. Il se destine aux autels, et, refoulant dans
un coin de son cœur ses ambitions scientifiques, il travaille
avec vaillance et loyauté à se faire une âme vraiment sacer-
dotale. Il est ordonné à Québec, avec des collègues qui
seront les évêques Langevin, de Rimouski, et Racine, de
Sherbrooke. De 1844 à 1847, l'abbé Provancher est vicaire
à Bécancour, à Saint-François de Beauce et à Sainte-Marie
de Beauce. En cette année 1847, nous le trouvons à la
Grosse-Ile, remplissant un ministère d'héroïsme auprès
des tj'phiques irlandais. L'épidémie passée, Provancher
fait encore du vicariat à Saint-Gervais, puis occupe succes-
sivement les cures de Saint-Victor de Tring, de l'Isle-Verte,
de Saint-Joachim et de Portneuf.
Les premières publications de notre grand naturaliste
datent de Saint-Joachim. C'est d'abord le Traité élémen-
taire de Botanique (1858), puis le Tableau chronologique et
synthétique de l'histoire du Canada (1859). Mais il était
à Portneuf quand, en 1862, parut sa grande œuvre, la Flore
Canadienne à laquelle vint bientôt faire suite, la même
année, le Verger Canadien, premier ouvrage du genre au
Canada, et qui devait être tant de fois réédité.
L'abbé Provancher était un homme d'une activité
et d'une initiative incroyables. Que l'on en juge ! A
Portneuf, il réussit à opérer l'extinction de la dette parois-
siale; il introduit l'harmonium à l'église — innovation qui
fit sensation dans le temps — établit le sj^stème adminis-
tratif des marguilliers; il fonde, en 1866, la première frater-
nité canadienne du tiers-ordre franciscain et fait des dé-
marches pour obtenir le retour au Canada des fils de saint
François. Ce n'est pas tout ! Il organise, à la même
époque, une compagnie de navigation entre Québec, Port-
neuf et autres lieux, fonde une pépinière considérable et
388 l'actiox française
couronne le tout en formant une compagnie de milice !
Au milieu de tous ces travaux, il trouve le moyen de lancer
la seule revue scientifique que nous eûmes en ce paj^s jus-
qu'à l'apparition de la Revue Trimestrielle : je veux parler
du Naturaliste Canadien, fondé en 1868, que Provancher
dirigea vingt années, et que son infatigable disciple, le cha-
noine V.-A. Huard, soutient depuis trente ans, au prLx de
multiples sacrifices. En 1869, Provancher se retire du
ministère et vient résider à Saint-Rt)ch de Québec, puis
au Cap-Rouge, où, loin de se reposer, il trouve le temps
de collaborer régulièrement à la Minerve, de fonder la Se-
maine religieuse de Québec (1888), de publier ses Mollusques
et les quatre solides volumes modestement intitulés Petite
Faune entomologique du Canada.
La Petite Faune décrit des centaines d'insectes jusque-là
inconnus à la pcience, toutes les espèces canadiennes de
Coléoptères, d'Hémiptères, d'Orthoptères, de Né\Toptères
et d'Hj'ménoptères qui lui étaient alors connues; elle ren-
ferme au delà de 2000 pages de texte. Deux autres volu-
mes où l'auteur eût traité des Diptères et des Lépidoptères,
auraient complété cette œuvre unique et monumentale
si, à ce moment, les ressources ne lui eussent complètement
fait défaut. L'histoh-e de la science canadienne sera sévère
pour les hommes publics d'alors qui, pour de mesquines
raisons, privèrent notre grand naturaliste des moyens de
couronner son œuvre. Il n'eût fallu pour cela que le prix
d'une beuverie, quelques centaines de ces dollars parfois
si inutilement prodigués !
L'abbé Provancher est mort le 23 mars 1892, à l'âge
de 72 ans. Ses collections entomologiques sont au Musée
de l'Instruction publique, à Québec, et ses duplicata en
grande partie au Collège de Lévis. Son herbier, peu im-
portant, est maintenant complètement réuni à l'Univer-
l'actiox fraxçaise 389
site Laval. Sa riche bibliothèque scientifique a été incor-
porée à celle du Palais Législatif de Québec.
Nous avons fait ailleurs ^ l'étude critique de la Flore
Canadienne et nous n'j^ reviendrons pas, sinon pour en rap-
peler les conclusions : le Provancher de 1862 n'était pas
botaniste: il a appris la botanique en cours de route, c'est-
à-dire, en écrivant sa Flore Canadienne, et cet ouvrage, au
lieu de couronner une carrière scientifique ne fait que mar-
quer un début. Rappelons encore que les clefs analytiques
sont souvent imparfaites, émaillées de transpositions qui
les rendent parfois difficiles à interpréter, que la suite des
espèces est incomplète et parfois enchevêtrée. On exagère
donc, croyons-nous, en écrivant, comme on l'a fait récem-
ment,que Provancher a manipulé une à une toutes les plan-
tes canadiennes et qu'il en a maîtrisé tous les secrets.
Tout cela n'empêche que la Flore Canadienne fut un
ouvrage étonnant pour le temps où il parut et que seul un
homme taillé comme le curé de Portneuf pouvait mener à
bonne fin. Il faut d'ailleurs ne pas oublier que, depuis
longtemps, les rois de France n'envoyaient plus sur nos
bords leurs «médecins du roi» et leurs «botanistes ro3^aux)),
et que nul ici ne songeait plus aux sciences naturelles. La
botanique américaine naissait péniblement avec Nuttall,
Rafinesque, Torrey et Asa Gray. Provancher, absolument
isolé, devait travailler au milieu de l'indifférence parfois
hostile de ses compatriotes, loin des laboratoires et des
bibliothèques techniques. « On ne pourra peut-être jamais
se rendre compte, a-t-ii écrit lui-même, quelque part dans le
Naturaliste Canadien, de la somme de courage et de labeur
qu'il nous a fallu employer pour nous initier nous-même,
[seul, isolé, sans ressources matérielles, à ces sciences com-
^ Fr. M ARiE-YiCTORiN, Sciences naturelles au Canada, KevueCana,-
jdienne, nov. 1917, p. 349 et seq.
390 l'actiox française
plexes et difficiles, pour trouver même les som'ces où il nous
fallait aller puiser, n'ayant personne pour nous les indi-
quer. . . » Telle qu'elle est, avec ses imperfections et ses
erreurs, la Flore Canadienne est resté un ouvrage unique
dans notre littérature, ouvrage que nul encore n'a osé re-
prendre.
Mais, hâtons-nous de le dii-e, c'est surtout dans le do-
maine de l'entomologie que Provancher a fait œuvre per-
sonnelle et pris place parmi les pionniers de la science sur
ce continent. Ici, il cesse de compiler, il découvre, il fait
avancer à grands pas sa science favorite. Son affaire n'est
pas, comme l'ermite de Sérignan — avec qui il a d'ailleurs
plus d'un trait de ressemblance — de fouiller l'âme des
bêtes pour y trouver selon la belle expression de Mistral
. . .la vertu de V abeille et le secret du miel !
Provancher est plutôt de tradition linnéenne, appliqué
à inventorier les merveilles de la création et à dresser des
cadres où elles puissent se grouper selon leurs affinités ap-
parentes. Ces cadres, plus ou moins artificiels, ne préten-
dent certes pas à exprimer le plan divin, mais ils permet-
tent à notre intelligence d'embrasser d'une seule vue des
milliers de formes qui, sans cette opération de l'esprit, se-
raient noyées dans un monstrueux chaos.
On serait dans l'erreur si l'on croyait que les livres
de Provancher sont le vade-mecum du jeune entomologiste
en ce pays. Ils sont classiques et d'une valeur inappré-
ciable pour les spécialistes, mais peu utiles aux autres.
Van Duzu, célèbre hémiptériste américain, qui a con-|
fronté attentivement les ouvrages et les collections de Pro-
vancher, a trouvé ^ que sur 300 espèces décrites dans le traita
» Canadian Enlomologist, XLIV, pp. 317-330.
l'actiox française 391
des Hémiptères, 148 sont faussement déterminées. D'autre
part, MM. Gahan et Rohler, du Bureau d'entomologie
de Washington, D.C., ont publié une étude sur les « Hymé-
noptères de Provancher )) à la suite d'une visite à ses col-
lections en 1915 ^ Les conclusions de ces entomologistes
peuvent se résumer ainsi :
Sur 923 espèces décrites par Provancher (le groupe
des abeilles n'a pas été examiné), un très petit nombre
l'avait été auparavant, preuve d'une extraordinaire maî-
trise de ce groupe si difficile. La faiblesse de l'auteur ré-
sulte de sa conception du gem-e et des limites génériques.
Même dans les genres qu'il admet, l'on trouve qu'il place
des espèces très voisines dans des genres entièrement dis-
tincts. Provancher, de plus, n'était pas ua type-worshipper,
car il n'a pas indiciué sur les étiquettes de sa collection le
spécimen sur lequel il avait basé sa description spécifique.
La partie de la Petite Faune qui traite des Coléoptères
est beaucoup moins personnelle. L'auteur n'y décrit lui-
même qu'un petit nombre d'espèces, et ses descriptions,
faisant état plus qu'il ne faut de caractères aussi instables
que la taille et la couleur, manquent souvent de précision.
Le frère Germain, des Écoles Chrétiennes, coléoptériste
distingué qui a beaucoup pratiqué Provancher, cite comme
particulièrement topicpe à cet égard le cas des hylotrupes
où le savant abbé a été complètement mystifié par l'ex-
trême variabilité chromatique de ces insectes.
Il était nécessaire de faire ces réserves pom* ne pas
tomber dans le panégjTique éhonté qui est le pire ennemi
de la gloire des grands hommes. ^Nlais hâtons-nous de
dire que ce sont des déficiences communes à tous les sa-
vants de cette époque, et que Provancher reste l'un des
^ Canadian Entomologist, XLIX, pp. 298 et seq.
392 l'action française
grands entomologistes du monde entier. Si l'on ne consi-
dérait que les Hyménoptères, l'on pourrait avec autant!
de raison que pour le grand Linné>^ mettre en exergue à
sa gloire : Dieu créa, Provancher nomma !
La mémoire de Provancher a bénéficié du grand mou-
vement de nationalisation et de renaissance française qui
entraîne le pays. On s'est souvenu, tardivement, que
« dans le monde savant de l'univers, ce prêtre avait donné
une voix à notre Canada ». Devant les inscriptions lapi-
daires de l'église du Cap-Rouge, du Palais législatif, on
se rappelle qu'il y a soixante ans une aube scientifique se
leva sur notre province et l'on se surprend à chercher pour-
quoi cette au])e n'eut pas son midi !
Il ne faut pas en rester à une admiration à la fois très
légitime et très stérile, mais faire un énergique effort poui
nous évader de ce colonialisme scientifique, tout aussi dé-
sastreux et non moins humiliant que le colonialisme litté-
raire que, grâce à Dieu, nous sommes à dépouiller ave(
entrain. Que tous ceux à qui incombe la responsabilité
d'orienter l'évolution intellectuelle des Canadiens français
y songent; qu'ils favorisent, par tous les moyens, Téclosior
et la culture des vocations proprement scientifiques.
Comment ?
En introduisant les sciences naturelles à tous les degré
de l'enseignement, depuis l'école primaire jusqu'à l'Univer
site — ou depuis l'Université jusqu'à l'école primaire. I
semble que c'est d'en haut que la lumière doit venir, et ell
peut être faite d'autant mieux que, en cette matière, n
pèse aucune déprimante tradition de routine officielle. L'en
seignement des sciences naturelles étant à peu près inexis
tant n'a pu se fossiliser et peut tout de suite être mis sur u
pied rationnel, excellent, adapté aux besoins de notre peuple
Comment encore ?
l'action française 393
Par la création d'une société de naturalistes canadiens-
français. Il ne manque pas — une volumineuse corres-
pondance en fait foi — de jeunes gens fortement attirés
vers ce genre d'études, qui y débutent avec enthousiasme,
mais dont l'isolement fait avorter les premiers efforts, ne
laissant que des regrets.
Et pourquoi n'aurions-nous pas au lieu ou à côté de
parcs dont la banalité est patente, des jardins botaniques
qui ne coûteraient pas plus cher et seraient une école tou-
jours ouverte au menu peuple plus avide de connaissances
précises qu'on ne semble le croire ?
Enfin, il faut encourager notre littérature scientifique.
Nous nous plaisons à reconnaître ce que le gouvernement
arovincial accorde pour soutenir la Revue Trimestrielle
ît le Naturaliste Canadien. Mais le public a sa part, très
arge, à faire. Et il semble qu'aucun professeur, aucun
nédecin, aucun agronome, aucun homme instruit même,
le devrait manquer à pourvoir sa table de travail de ces
leux revues qui forment encore la totalité de notre presse
icientifique canadienne-française.
Fr. Marie-Victorin,
des Écoles Chrétiennes.
NOTRE ALMANACH
Les dernières pages de ÏAlmanach de la Langue française iront
ientôt sous presse. Li'Abnanach sera, cette année, plus varié, plus
Dpieusement illustré que jamais. Il paraîtra vers le 1er novembre,
'n est prié d'organiser tout de suite la propagande. Les prix sont les
livants : l'exemplaire, 20 sous; la douzaine, $2; de 50 à 99 exemplai-
!S, 16 sous l'exemplaire; de 100 à 499, 15 soas; de 500 à 999, 14 sous;
partir de 1,000, 12 sous }/2 (port en plus toujours). On peut grouper
« commandes.
LE CONGRÈS DE CHICOUTIMI
C'est le dernier acte de notre jeunesse. Comme tou-
jours elle y a manifesté les éléments profonds de sa vie.
On se souvient de l'état des esprits à la naissance de
y Association. La direction n'appartenait qu'aux seuls
politiques qui occupaient tous les journaux et toutes les
tribunes. Il semblait que chez nous rien ne pût se faire
que par eux. Pour tous ou à peu près ils se constituaient
fournisseurs d'idées. Quelques rares travaillem's, inconnus
et isolés, gardaient à peine un esprit libre, au prix de leur
repos et quelquefois de leur pain. Pour départager les
partis et affirmer l'unique vérité, nulle opinion indépen-
dante ou si faible qu'elle succombait sous le dédain des
forts. La foule, dressée au respect de l'orthodoxie de ses
chefs, ne voulait voir dans l'indépendance qu'un esprit
de rancune et de révolte. Pendant ce temps-là une poli-
tique d'affaires, pea large d'horizons, abordait timidement,
sans vue d'ensemble, l'un après l'autre, selon que les impo-
sait l'opinion publique, les problèmes de la vie nationale
L'originalité à^'V Association fut de préparer cette chose
rare et considérable qui s'appelle des « étudiants » et de for-
tifier ainsi, sinon de créer,une direction indépendante. Con^
vaincue que toute orientation décisive dans la vie d'un payi
veut être précédée d'un puissant mouvement des esprit
commandé par une élite, elle créa ses cercles d'études où un(
élite s'occupa de pe former. Pendant que d'autres mouve
ments, partis d'autres points, atteignaient le grand public
elle seule pouvait s'approcher de la jeunesse et, aux vieu:
préjugés de famille, à l'emprise souveraine de la routim
l'actiox française 395
substituer une pensée libre, la direction de l'intelligence.
A cette jeunesse elle apportait, du reste, un programme
d'action qui, pour être vaste, à longue échéance, n'en offrait
pas moins une vigoureuse synthèse. Aux \'ues fragmen-
taires et courtes des oracles régnants elle opposait les vues
totales de ce que j'appellerais sa politique spiritualiste.
Non point qu'elle prétendît négliger la politique d'affaires;
elle faisait une large place dans ses études aux problèmes
économiques; elle y voyait l'assiette, la garantie d'autres
progrès. Mais considérant toutes choses dans une pensée
large et ordonnée, elle reconstituait en dignité les problèmes
d'ordre moral et intellectuel; elle faisait comprendre que
les autres ne doivent être traités qu'en fonction de ceux-ci.
Ces principes proclamés par la jeunesse catholique
de 1904 ne restaient point dans sa bouche des clichés sono-
res à l'usage de la foule; elle en fit loyalement la règle
vivante de son action. Sa doctrine circula dans ses cercles
d'études; elle y fut patiemment étudiée, assimilée bientôt
par plus d'un millier de jeunes gens. On jeta par-dessus
bord le vieil empirisme si commode aux charlatans; on mit
à la mode les longues recherches, les vastes enquêtes pré-
paratoires aux congrès. Et ces méditations en commun
et tout cet entraînement intellectuel ont fixé une partie
de notre jeunesse dans d'irrévocables attitudes. Elle y
fut puissamment aidée par ses pi-emières réunions
générales presque entièrement consacrées aux problèmes
de formation intérieure. Aujourd'hui, qu'on en soit aise
ou non, une pensée nouvelle et libre existe dans la généra-
tion des jeunes qui a secoué les vieilles servitudes. Là,
dans ces milieux ardents, on aborde les problèmes sans vi-
sière et on prend l'habitude de les résoudre dans la seule
vérité. Ce goût de hberté, devenu presque une mode,
a même dépassé de beaucoup les cadres de V Association.
396 l'action française
Qui le sait mieux que les aînés voués à des campagnes d'idées
et qui ne doivent une partie de leurs succès qu'aux nou-
velles attitudes intellectuelles de la jeunesse?
Spiritualistes dans les idées dominantes de leur pro-
gramme, nos jeunes gens n'en perdirent point pour cela
le sens des réalités. Je dirai même qu'ainsi éclairé par une
lumière supérieure, lem* réalisme n'en devint que plus aigu.
En 1914, aux Trois-E,ivières, ils s'occupaient de notre ins-
truction publique. Ils tenaient un congrès d'agriculture
à Saint-Hyacinthe, en 1917. Cette année ils viennent de
clore à Chicoutimi un grand congrès de colonisation. Les
seuls objets de ces réunions d'étude suffisent à affirmer le
sens de l'actualité, les préoccupations réalistes de notre
jeunesse. Il y apparaissait peut-être davantage à Chicou-
timi par les rapports du sujet d'étude avec les problèmes de
l'après-guerre et par l'importance sociale toujours accrue
des questions économiques. Ceux qui ont observé la vie
de VAssociatio7i en ces derniers temps, ont pu constater,
au surplus, la place de plus en plus grande qu'ont prise dans
ses cercles les études sociologiques. La génération nou-
velle, semble-t-il, a prévu le jour prochain où,- même chez
nous, les disputes et les divisions seront moins politiques
que sociales.
Les journées de Chicoutimi furent plutôt des journées
d'étude que des journées d'action. La jeunesse n'a point
prétendu formuler une politique de colonisation ni proposer
des solutions infaillibles. Elle apportait plutôt au publie
des idées à peser et à discuter. Elle avait procédé, comme
toujours, par une longue et minutieuse enquête. Elle
s'était entourée de la meilleure compétence; elle avait in-
terrogé les experts, les hommes, les prêtres qui vivent avec
le colon, qui connaissent sa vie et ses besoins. Entre tous
ces hommes, elle s'efforça de provoquer des échanges de
l'actiox française . 397
vues, des expressions d'opinions; elle jeta elle-même dans
le débat le fruit de ses laborieuses recherches; puis eUe solli-
cita des pouvoirs publics et des sociétés indépendantes une
action immédiate et efficace. Mais surtout elle voulut,
en lui restituant son actualité, imposer à l'opinion le fécond
examen d'un problème très complexe.
Le congrès de Chicoutimi, comme un peu tous les con-
grès, vaudra surtout par ses lendemains, par les prolon-
gements que les jeunes voudront donner à leurs délibéra-
tions. Il est pourtant des résultats déjà acquis et qui va-
lent d'être signalés. La présence active des agents coloni-
sateurs des autres provinces, de l'Ontario et du Manitoba,
a permis de comparer notre système à celui d'ailleurs et
peut-être de mettre en un relief insupportable quelques-
unes de nos imperfections. Cette rencontre aura de même
amorcé la solution d'un vieux débat et préparé un pacifique
et profitable drainage de nos réserves colonisatrices. Tous
ont paru d'accord de ne prendre au Québec rural aucune
de ses forces véritables. A tout prix, il faut laisser au vieux
foj'er français la puissance oii viennent s'appuj'er les groupes
excentriques. IVIais aux déracinés qui veulent prendre le
chemin des villes ou celui des frontières voisines, il faudra,
plus diligemment que dans le passé, montrer les routes de
l'Ouest.
Jj' Association de la Jeunesse a su atteindre pour elle-
même des résultats appréciables. Ce congrès de Chicou-
timi a été une splendide manifestation de sa force, de sa
vie, du caractère de son œuvre. Ceux qui savent peser
ces sortes de chiffres, apprécieront la vitalité d'un groupe-
ment qui a pu amener au delà de trois cents congressistes
jeunes gens au lointain pays du Saguenay. Ils observeront
que ces jeunes gens étaient venus de toutes les parties de
Québec, mais aussi du fond de l'Ontario, de la Nouvelle-
398 l'action française
Angleterre et du Manitoba; qu'à ces congressistes s'était
joint un groupe nombreux d'hommes d'œuvres, de publi-
cistes, entraînés par l'importance de la manifestation; que,
pour la première fois, le gouvernement de la province voulut
en être et qu'il y fut avec son ministre de la colonisation
accompagné des principaux officiers de son ministère.
La jeunesse pouvait-elle souhaiter meilleur public,
occasion plus favorable à une démonstration de sa vie et
de ses effectifs? Les auditeurs fidèles des séances du con-
grès n'ont pas manqué de recenser, un peu étonnés, l'élite
nombreuse et très variée qui se développe et s'achève in-
cessamment dans les cercles d'études de l'A. C. J. C. Les
jeunes gens des premiers temps de la fondation ont pris
de l'âge, de l'expérience, une rare maîtrise dans la discus-
sion. Parce que beaucoup ont joint au talent le travail
discipliné, ils devaient atteindre à cette supériorité. D'au-
tres se sont ralliés à ce premier noyau et ils viennent de
partout et de tous les milieux, h^ Association n'est pas,
comme beaucoup le croient encore, une œuvre réservée à
la seule jeunesse d'études libérales qui, hélas ! n'y fait plutôt
que l'infime minorité. Les rapporteurs et les orateurs du
congrès appartenaient aux états les plus divers. Et c'est
l'annonce réconfortante d'une élite inattendue, recrutée
un peu partout dans la puissante réserve de nos classes
moyennes, et qui se lève, cultivée, armée pour la lutte, prête
à l'action. Et quelle élévation généreuse dans l'inspiration
commune des discours et comme en cela nous est apparue
la vigueur du groupement de l'A. C. J. C. et son emprise
morale sur ses membres. C'est toujours pour chacun la
même vision des choses dans le même ordre intellectuel.
Ces lectures d'enquêtes et ces débats du congrès de coloni-
sation nous les avons sentis animés par des préoccupations
qui les dépassent infiniment. Au-dessus de ces problèmes
d'ordre économique flotte pour la jeunesse une pensée
l'actiox française 399
idéaliste qui rattache les biens matériels à de plus hauts
qu'eux-mêmes, qui monte jusqu'à la patrie, jusqu'à la foi,
qui atteste une vae profondément hiérarchique des choses.
Ce n'est pas uniquement à un congrès que nous avons
assisté. C'est aux manœuvres d'une jeune force qui entre
en possession de l'avenir. Cet avenir nous le saluons avec
confiance. La jeunesse de VAssociation nous le donnera,
au gré de nos espérances, pom- peu qu'elle veuille accorder
davantage à l'action intellectuelle. Qu'elle ne l'oublie
jamais, l'avenir est souvent aux groupes qui disposent des
forces les plus considérables de l'esprit. Ceux-là le savent
tous qui ont essayé de l'action : nous avons besoin de
prolonger et de fortifier le mouvement d idées de ces der-
niers temps pour remettre un peu de cohésion dans nos
doctrines, pour tirer de sa somnolence un peuple passif
par tempérament. Que la jeunesse catholique ne néglige
point, oserai-je lui dii-e, les œu\Tfes purement artistiques
ou littéraires. L'honneur et le commandement de sa foi
lui imposent d'être à l'avant de toutes les initiatives, de
tous les mouvements de la pensée. Il y a tant de livres
chez nous et sur tant de problèmes urgents qui attendent
d'être faits; et il y a toute la littérature de demain qui doit
porter une empreinte chrétienne. Le rayonnement intel-
lectuel de VAssociation voudra devenir assez puissant pour
attirer à lui toute l'élite de la jeunesse pensive canadienne
qui, plus que dans le passé,ce nous semble,apparaît soucieuse
d'idées vigoureuses, ordonnées et claires. Qu'à cette fin,
les travailleurs des cercles d'études continuent de se forti-
fier dans l'unique vérité. Acquérir une solide formation
doctrinale, voilà bien, à la fin de son volume sur Les mouve-
ments de la jeunesses catholique française au dix-neuvième
siècle, l'expresse recommandation adressée par le R. P.
iMainage aux jeunes catholiques qui veulent devenir des
chefs. Plus que jamais, dans l'anarchie universelle des
400 l'action française
idées, il importe de s'attacher aux vérités traditionnelles;
et puisque nous seuls, en ce pays, tenons dans nos mains
l'intégral flambeau, acceptons le devoir de le tenir haut.
La jeunesse de V Association voudra continuer à faire
également de ses cercles d'études des écoles de culture mo-
rale et religieuse. L'expérience lui a fourni cette précieuse
leçon : il faut plus qu'une belle tête pour devenir apôtre.
L'homme d'œuvres ne s'improvise ni -ne se commande et
l'action est toujours courte et intermittente où elle n'est
point l'expansion d'une vie morale intense et profonde.
Non, ne parlons plus de sentiment d'honneur, de foi patrio-
tique qui suffisent à tout. Toujours, il faut que les volontés
et les motifs s'égalent aux buts. Et ceux-là seuls sont en
voie de devenir de vrais agissants, peuvent donner le dé-
vouement continu qui puisent dans leur foi et leur charité
les raisons et les soutiens d'une vie supérieure.
Que nos amis, les jeunes, nous pardonnent ces con-
seils qui peuvent leur paraître une exhortation. Ils nous
sont commandés par une grande expérience. Quand on
possède comme eux une telle force d'avenir, on n'a plus
le droit de devenir une déception. Puis, nous revenons
de ce pays saguenayen si merveilleux de beautés natm'elles,
plus merveilleux encore par ses empreintes humaines. Com-
ment empêcher que nos ambitions ne soient exigeantes ?
Les touristes du vingt-neuf juin dernier ont vu défiler de-
vant leurs yeux ces paroisses opulentes, ces églises super-
bes, tous ces villages blancs et prospères semés le long des
plateaux; ils ont admiré la province en puissance qui s'or-
ganise là-bas autour du lac Saint-Jean, surgie de la forêt
en moins d'un demi-siècle, vrai poème du labeur triom-
phant, et ils ont salué le rêve d'une infrangible grandeur
qui flottait, les ailes vivantes, au sommet du Cap Éternité.
Lionel Groulx, ptre.
NOTRE CONCOURS
PROLONGATION — APPEL A UX
PROPAGANDISTES
i
Ainsi que nous l'annoncions le mois dernier, nous avons
décidé de prolonger, jusqu'au 31 décembre 1919, not7'e concours
d'abonnement. C'est un avantage dont nous espérons que
nos lecteurs voudront s'empresser de profiter. Avec les
trois mois qui leur restent, les derniers venus ont toute chance
de rejoindre les autres, et même de les dépasser.
Voici les conditions générales du concours :
Seize prix seront attribués, selon le nombre des points
recueillis :
1 premier prix de S25
1 deuxième prix de $15
2 prix de $10
4 prix de $ 5
8 prix de $ 2.50
Les points seront calculés d'après l'échelle suivante :
Abonnements de 1919, 5 points chacun
Abonnements de 1920, 10 points chacun
Abonnements de 1918, 10 points chacun
Les trois abonnements
à la même adresse, 30 points
En tout cas, il ne peut s'agir que d'abonnements nou-
veaux. Les renouvellements et prolongations ne comptent
402 l'action française
point, pas plus que les soldes d'abonnements en cours. La
collection de 1918 sera tout de suite adressée aux nouveaux
abonnés, de même que les livraisons parues de 1919. La
collection de 1918 se vend S2, V abonnement de 1919 et de 1920
est de SI par année, payable d'avance.
Le concours se terminera avec le dernier courrier distribué
à Montréal Ze 31 décembre. Le résultat sera proclamé dans
la livraison de janvier 1920 de ^Action française. Les
concurrents sont libres de recueillir les abonnements où ils
voudront, de grouper leurs efforts, etc. Les membres de
cercles, d'associations peuvent travailler d'accord et inscrire
au nom de Vun d'eux les divers abonnements. Nous ferons
simplement le total des abonnements et des points obtenus.
Nous prions qu'on ait bien soin, en expédiant chaque
nouvel abonnement, de spécifier : Pour le concours Doit
être attribué à X , en précisant bien les noms et les adresses.
Que tous ceux-là prennent part au concours qui le peu-
vent ! Que ceux qui ne peuvent s'engager dans cette lutte
amicale n'en travaillent pas moins à la diffusion de la revue !
Au-dessus du concours, il y a In besogne générale de propa-
gande, et le concours n'est qu'un moyen de la faciliter et de
l'accélérer.
A V œuvre donc, tout de suite et partout !
L'Action française.
P. S. — Toute la correspondance doit être adressée à
Concours d'abonnement, Z' Action française, 32, Immeuble
de la Sauvegarde, Montréal.
GRAND-PRE
Grand-Pré ! annonçait d'une voix sonore le chef de
train. Et par une matinée ensoleillée du 12 juillet 1918,
nous descendions, M. l'abbé E. Lacroix et moi, dans un
village poétiquement assis au flanc d'une colline qu'ombrage
une végétation variée et abondante. C'est le lieu natal
de sir Robert Borden. Sur la route montante et caillou-
teuse, on nous montre la résidence de la vieille mère de
l'homme d'État. Plus loin, une église protestante dresse
son clocher. En face de nous, les routes se croisent, s'en-
foncent, en tournant sous la verdure, bordées partout de
jolis cottages. Sur les seuils et dans les parterres, jouent
de rares enfants qui nous regardent curieusement. Pas une
seule fois n'arrive à nos oreilles le verbe de France, car ici
l'œuvre de la proscription fut complète et définitive. Et
vraiment si, devant nous, le large bassin des Mines, qu'ont
décrit les historiens, n'étendait sa nappe d'eau imposante
et brumeuse, si, à notre gauche, le gigantesque éperon du
cap Blomidon n'en resserrait l'entrée, si, plus près, les
longues digues et les ingénieux aboîteaux acadiens n'arrê-
taient la mer, et si, surtout, à nos pieds ne s'allongeait cette
riche prée, aux longues herbes que berce le vent du large,,
nous ne pourrions croire qu'autrefois une race forte et ver-
tueuse vécut ici, y souffrit, et disparut en un jour de tour-
mente. Du Grand-Pré acadien il reste un puits à la mar-
gelle de pierres, quelques débris de maison et huit vieux
saules qui montent la garde près du cimetière où dorment les
pionniers de ce fertile district. C'est à leur ombre bien-
faisante que nous essaierons d'écrii'e brièvement, pour les
404 l'action feaxçaise
lecteui's de V Action française, la triste histoire de la patrie
d'Êvangéline.
Grand-Pré est situé dans une région où le sieur Prévert
de ëaint-]\Ialo prétendait avoir trouvé du cuivre. De là
le nom de district des Mines donné à la contrée environnante,
et de bassin des Mines au bras de mer ciui forme la fourche
droite du fond de la baie Française (baie de Fund}^. En
1604, Champlain s'y arrête à la recherche du cuivre, et il
constate ciue la seule mine inépuisable de la contrée, c'est
le sol. Aussi lorsque les habitants de Port-Royal songèrent
à installer leurs nombreux fils, ils se souvinrent du district
des Mines. Dès 16S0, une barque remontait une des
nombreuses rivières du bassin ; elle amenait le premier colon,
Pierre ]Mélanson dit Laverdure, sa femme, INIarguerite
ISIius d'Entremont, et ses sept enfants. Peu de temps après,
vinrent Pierre Terriau, sa femme CéUne Landry, Pierre et
Claude Landry, Pené Leblanc, Etienne Hébert, Claude
Boudrot, Martin Aucoin. Le progrès de la population fut
étonnant: en 1693, il y a dans le district 307 colons; en 1701,
on en compte 498. Aux premières familles sont venus se
joindre les Bourgeois, les Gaudet, les Daigle, les Bourg, les
Poirier, les Belliveau, les Cormier, les Richard, les Robi-
chaud, etc. Ces colons étaient dispersés sur toute l'étendue
du bassin, formant des centres déjà importants à Grand-Pré,
aux rivières aux Canards, des Vieux-Habitants, Gaspa-
reaux, Saint-Antoine, Sainte-Croix, l'Ascension, sous la
haute et bienveillante protection de leur seigneur et maître
le Borgne de Belle-Ile. Claude ]\Ioireau, récollet, fut leur .
premier desservant, et Bonaventure Masson, de la même
congrégation, fut le premier prêtre résident. Il porte le
titre de curé de Grand-Pré dès 1707.
Nous ne décrirons pas la douleur de ces braves Acadiens
lorsqu'ils se virent cédés à l'Angleterre par le traité
LACTIOX FRANÇAISE 405
d'Utrecht, en 1713, ni les vexations et les tracasseries sans
nombre dont ils furent les victimes après cet événement.
Qu'il nous suffise de dire à leur honneur, qu'ils gardèrent,
comme peuple, une stricte neutralité, selon les termes du
traité, même lorsque l'occasion leur était offerte par la
France ou le Canada de lever l'étendard de la révolte et de
reconquérir leur liberté. Au témoignage des gouverneurs
anglais eux-mêmes, lors de l'expédition du capitaine Coulon
de Villiers, en 1747, et de son éclatante victoire contre les
troupes du colonel Xoble campées à Grand-Pré, si les
Acadiens lui avaient prêté main-forte, c'en était fait de la
domination anglaise en Acadie.
Ces luttes n'empêchèrent pas cependant le progrès de
la population. Vers 1755, tout le bassin des Mines ne comp-
tait pas moins de 6,000 âmes : cinq paroisses florissantes
s'échelonnaient sur ses bords. Saint-Charles de Grand-Pré
avait, pour sa part, plus de 1000 communiants. Quelle vie
pieuse et édifiante menait cette forte population ! « En
général, nous dit l'abbé Casgrain, ils étaient bons, affables et
serviables. L'esprit français, toujours gai, toujours vif,
prompt aux réparties, s'était conservé parmi eux, bien qu'ils
n'eussent d'autre instruction que les soHdes principes du
christianisme. Modérés dans leurs goûts, simples dans
leurs habitudes, ils avaient peu de besoins, et ils étaient con-
tents de leur sort. L'incomparable fertilité de leurs terres,
moins difficiles à ouvrir et à cultiver que celles du Canada^
leur donnait en peu d'années assez d'aisance pour établir
leurs enfants autour d'eux, et pour jouir d'une vieillesse
heureuse. Quant à leur moralité, elle n'a pas besoin
d'autres preuves que l'étonnante fécondité des familles. »
Un de leurs persécuteurs n'a pu s'empêcher d'écrire cette
phrase : (( C'était un peuple honnête, industrieux, sobre
et vertueux. »
406 l'action française
Et ce sont ces braves gens que Lawrence va disperser
aux quatre vents du ciel, et parce qu'ils occupent de beiles
terres, et parce qu'ils sont et veulent rester français et ca-
tholiques. Dès le printemps de 1755, il s'est emparé par
ruse et par force, des barques et des fusils des Acadiens de
Grand-Pré. En mai, sont arrivés de Boston 2,000 miliciens
commandés par Monckton. Le 16 juin, l'armée anglaise,
victorieuse à Beauséjour, continue le désarmement de la
population. Bientôt un édit enjoint aux habitants français
de prêter serment à la couronne anglaise sans réserve. Les
Acadiens protestent, et le 5 juillet, cent délégués étaient
admis au conseil d'Halifax, en présence de Lawrence. On
lira sans doute avec intérêt le récit de cette entrevue; il est
signé d'un témoin oculaire, l'abbé Daudin, curé de Port-
Royal. C'est une page digne des actes des martyrs.
« Lorsque les délégués de tous les villages, au nombre
(( d'une centaine environ, furent arrivés, on les assigna devant
(( le Conseil où on les prévint aussitôt qu'on ne recevrait
« d'eux ni propositions ni explications. . . Sans ambages le
« Conseil leur posa la question : « Voulez-vous jurer, oui
(( ou non, au Roi de Grande-Bretagne, que vous prendrez les
« armes contre le Roi de France, son ennemi ? » — La réponse
« vint, aussi laconique que la question : « Puisqu'on ne
(( veut de nous qu'un oui ou un non, nous répondons: Non,
(( dirent-ils, tout en ajoutant que ce qu'on exigeait d'eux ne
(( tendait à rien moins qu'à leur ravir leur religion et tout ce
(( qu'ils avaient.
« Le Gouverneur donna aussitôt l'ordre de les trans-
« porter sur un îlot, distant d'une portée de canon d'Halifax.
« On les y conduisit comme des criminels et on les y laissa
« jusqu'à la fin d'octobre, n'ayant pour nourriture qu'un peu
« de pain, tiennes de tout secours et sans permission de se
« parler.
l'actiox frajstçaise 407
« Par ces rigueurs, le Gouverneur prétendait fléchir
(( leur courage; mais il les trouva aussi résolus que jamais. Il
« décida donc de se rendre en personne dans l'île avec une
« nombreuse suite et tous ses instruments de torture, pour
« tenter de les réduire. Au milieu de cet apparat, digne d'un
« t3Tan,il leur demanda s'ils persistaient dans leur résolution.
« L'un d'eux répondit : « Oui, et plus que jamais; Dieu est
« avec nous et cela suffit.» Le Gouverneur tira son épée et
(( s'écria : « Insolent, tu mérites que je te passe mon épée
(( au travers du corps.» Le paysan, s'approchant et présen-
« tant la poitrine, dit : « Frappez, monsieur, si vous l'osez;
«je serai le premier mart\T de la troupe ; vous pouvez tuer
(( mon corps, mais vous ne tuerez pas mon âme.» Le Gou-
(( verneur, outré, demanda aux autres s'ils partageaient les
« sentiments de l'insolent qui venait de parler. « Oui,
(( monsieur î oui, monsieur ! » s'écrièrent-ils tous d'uae
« voix. »
La^Tcnce remit son épée au fourreau; il avait mainte-
nant le prétexte qu'il cherchait pour justifier sa conduite.
Les prêtres, qui accompagnaient la délégation, fm-ent pro-
menés dans les rues de la ville, tambour battant, et exposés
ainsi, pendant près d'une hem'e aux moqueries, aux insultes
et au mépris de la populace.
Le 28 juillet,le conseil d'Halifax décrétait la dispersion.
Mais il fallait procéder prudemment et enlever aux Aca-
diens leiu-s conseillers et amis : les ciu"és. Dès le 5 août,
l'abbé Chauvreulx, curé de Grand-Pré, est arrêté et détenu
à Halifax sur un na^^re de guerre de l'amiral Boscawen.
« On ne peut exprimer, écrit l'abbé Daudin, quelle fût la
consternation du peuple lorsqu'il se vit désormais sans
prêtres et sans services religieux. Les missionnaires don-
nèrent ordre de dépouiller les autels, d'étendre le drap
mortuaire sur la chaire et de mettre dessus le crucifix, pour
408 l'action française
faire comprendre à lem- pauvre peuple qu'il n'avait plus que
Jésus-Christ pour missionnaire. »
Le 10 août Winslow, avec un régiment de 300 soldats,
vient camper à Grand-Pré. Il s'installe commodément au
presbj'tère, hisse sur le clocher le drapeau anglais à la place
de la croix, et fait de l'église une caserne. De concert avec
son complice Murraj^, qui campe cjuelques milles plus haut,
au fort Edouard, il rédige, le 2 septembre, une proclama-
tion. C'est un ordre à tous les habitants de Grand-Pré
et des centres voisins, de venir à l'église de Grand-Pré le
cinq courant à trois heures de l'après-midi, pour recevoir des
communications importantes de Sa Majesté Britannique.
Le refus de se rendre entraînera « la confiscation de leurs
biens meubles et immieubles. )) Le 5, une abondante
distribution de balles et de poudre fut faite aux soldats,
et baïonnette au canon, ils se rangèrent devant le portail
de l'église et attendirent lem's victimes. Elles vinrent
nombreuses. A trois heures précises, il y avait quatre cent
dix-huit Acadiens dans le temple. C'est alors qu'ils virent
apparaître, encadré de quelques officiers, un homme d'une
forte taille, joufflu, au visage d'un rouge sanguin, aux j^eux
méchants et à fleur de tête; il traversa leurs rangs et prit
place dans le chœur, près d'une table : c'était John Winslow,
colonel de l'armée de Sa Majesté. Un interprète traduisit
à mesure l'adresse qu'il lut. Elle rappelait d'abord, cette
adresse, que, depuis près d'un demi-siècle, les habitants
français de la Nouvelle-Ecosse avaient été traités par Sa
Majesté avec plus d'indulgence qu'aucun autre de ses
sujets dans aucune partie de ses états, et qu'ils en ont abusé.
Elle ajoutait qu'il avait à remplir un devoir très désagréable
et contraire à sa nature et à ses sentiments : confisquer leurs
terres, leurs maisons, leurs troupeaux, les garder prison-
niers jusqu'au jour de la déportation « Grâce à la bonté de
l'action française 409
Sa Majesté, terminait-elle,] 'ai reçu l'ordre de vous accorder
la liberté de prendre avec vous votre argent et autant de vos
effets que vous pourrez emporter. . . Je comprends que
cette déportation doit vous occasionner de grands ennuis . . .
J'espère que, dans quelque partie du monde où le sort va
vous jeter, vous serez des sujets fidèles et un peuple paisible
et heureux. »
Je renonce à décrire les tristes scènes qui suivirent cette
arrestation, et, quelques jours plus tard, les larmes, le
désespoir des mères, des époux, des enfants qu'on entassait,
pêle-mêle, sur les navires, comme un vil bétail. « Dès le
matin de l'embarquement, écrit Casgrain, des foules de
femmes et d'enfants, venus de toutes les directions, depuis
la rivière Gaspareaux jusqu'à Grand-Pré, des vieillards
décrépits, des malades, des infirmes, traînés dans des cha-
rettes encombrées d'effets de ménage, des mères portant
leurs nouveaux-nés dans leurs bras, étaient poussés vers la
Grand'Prée par des escouades de soldats sans pitié. Le
chemin qui conduisait à travers cette grande plaine jusqu'au
bord de la digue où se faisait l'embarquement, fut bientôt
tout grouillant de cette masse d'êtres faibles et désespérés
qui avaient peine à se mouvoii-, au milieu du tumulte et de la
confusion générale. Des invalides, de faibles femmes
chargées de fardeaux, tombaient de fatigue le long de la^
route, et ne se relevaient que sous les menaces ou devant
les baïonnettes. Les uns s'avançaient mornes et silencieux,
comme frappés de stupeur, les autres en pleurant et en
gémissant; quelques-uns en proférant des malédictions-
d'autres enfin, pris d'une exaltation pieuse, murmuraient
des cantiques, à l'exemple des maytyrs.
410 l'action française
(( Sans choix, sans ennui, sans murmure
Portons la croix !
Quoique très ambre et très dure,
Malgré les sens et la nature.
Portons la croix !
Vive Jésus !
Vive Jésus !
Avec la croix son cher partage.
Vive Jésus !
Dans les cœurs de tous les élus !
Portons la croix. »
Winslow lui-même se sentit ému à ce spectacle; le
remords lui dicta cette phrase de son journal : « J'en ai
pesant maintenant sur le cœur et sur les mains. » Murray,
lui, ajoutant le cynisme à la cruauté, écrivait à Winslow :
« Aussitôt que j'aurai dépêché mes vauriens, je descendrai
pour arranger nos affaires. »
C'est lui aussi, l'auteur de cette autre lettre au comman-
dant anglais à Grand-Pré : « Je suis heureux d'apprendre
que les choses aient été si adroitement conduites à Grand-
Pré et que les pauvres diables soient si résignés; ici, ils se
montrent plus patients que je n'aurais pu l'attendre de
personnes placées en de telles circonstances, et cela me sur-
prend encore moi-même, quoique ces choses me soient pres-
que indifférentes. Quand je pense à ce qui s'est passé à
Annapolis, j'appréhende le moment de l'exécution; je suis
effrayé des difficultés qui peuvent survenir quand il faudra
les embarquer tous. "\'ous savez que nos soldats les détes-
tent, et s'ils peuvent trouver un prétexte pour les massacrer,
ils le feront Je suis très content de savoir que votre camp
soit si bien assuré; j'ai hâte de voir arriver le moment oïl ces
pauvres diables seront embarqués. Alors je me donnerai
le plaisir d'aller vous voir et de boire à leur bon voyage. »
l'action française 411
Winslow, pour sa part, dispersa, de Grand-Pré seule-
ment, plus de 2510 Acadiens. Le drame terminé, « l'en-
geance démoniaque », selon l'expression d'un officier anglais,
entassée
Dans des cercueils géants balancés sur les eaux,
tous ces ignobles drôles, pendant que les vaisseaux levaient
l'ancre, se donnèrent la joie de brûler, aux yeux même des
victimes, plus de 698 maisons, granges et autres bâtisses.
Le soir venu, ils firent ripaille, tard dans la nuit, au pres-
bytère de Grand-Pré et burent plus d'un verre de vin au
bon voyage des Acadiens. Puis ils arrangèrent leurs
affaires : ils étaient maîtres, à Grand-Pré seulement, de
1269 bœufs, 1557 vaches, 5007 animaux de race bovine,
493 chevaux, 8690 moutons, 4197 porcs.
« Le noble et grand projet de chasser les Français de
la province, une des plus grandes actions qu'aient jamais
accomplies les Anglais en Amérique », comme s'exprime
Winslow, était maintenant réalisé. Restait encore à accom-
plir une dernière partie de son programme : « Placer
quelques bons fermiers anglais dans leurs habitations. »
Ils vinrent, lentement d'abord, craignant un petit
débris de la population française cachée dans les bois près
de Grand-Pré. Ces malheureux, au dire d'Halliburton,
restèrent pendant cinq ans sans manger de pain, vivant dans
les bois, de légumes et de poissons. Ils n'étaient pas' à
craindre. Aussi Lawrence, nommé gouverneur-général de
la Nouvelle-Ecosse, quatre mois après son exploit de la
déportation, invita, en 1758, des fermiers anglais à occuper
ces contrées dépeuplées. En 1760, 22 vaisseaux chargés
d'émigrés, jetaient l'ancre au bassin des Mines. Les cen-
tres français de Grand-Pré, de Gaspareaux, de la Rivière-
aux-Canards, s'appelèrent désormais Horton, Cornwallis,
412 l'action française
Canning; tout le bassin des Mines devint le comté de
Kings. En 1763, 282 familles anglaises occupaient les
terres défrichées par les Acadiens. Tout un groupe de ces
malheureux exilés revinrent à leurs anciens foyers, mais la
place était prise Ils émigrèrent à l'île Saint-Jean ou à la baie
Sainte-Marie. Quelques-uns furent forcés de réparer les
digues sur les terres de ces nouveaux maîtres; d'autres, au
nombre de 130, furent de nouveau saisis et conduits à Hali-
fax pour une seconde déportation.
Aujourd'hui Grand-Pré ne compte pas encore un seul
foj'er acadien. Seule, une croix de pierre, près d'un puits,
marque l'endroit où dorment les pionniers de cette région,
et huit vieux saules montent toujours la garde sur la route
que suivirent des martyrs de la cause française et cathoUque.
L'heure est proche où une église catholique s'élèvera sur
les bases de l'ancienne, sur un terrain restitué après des
siècles aux descendants de ces preux. Sur le clocher, on
plantera une croix surmontée du coq gaulois. Ce ne sera
qu'un souvenir. Mais pour qu'il ait son sens profond et
douloureux, qu'on tende sur la chaude un drap mortuaire
et qu'on mette dessus un grand Christ en croix.
Séminaire Ste-Thérèse, 6 sept. 1919 Emile DuBOIS, ptre.
NOS CONFERENCES
Tu' Action française commencera en novembre la série de ses confé-
rences montréalaises. Ces conférences, comme l'an dernier, auront
lieu au Monument National. La première est fixée au jeudi 13 novem-
bre. Elle sera donnée par Mgr Georges Gauthier, évêque auxiliaire de
Montréal, recteur de l'Université de Montréal. M. Montpetit parlera
en décembre.
Ij' AcHon française d'octobre donnera la liste complète des confé-
renciers, la date précise de chacune des conférences et le prix des
cartes d'abonnement. Les mêmes indications seront fournies par la
presse quotidienne. La série aura pour titre général : Noblesse oblige.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Ufl pïO^TCS Ori peut lire eu gros caractères, en tête des annon-
BflCGÎiïQQCCiyit ^^^ ^^^ publie daos les journaux de langue française
la maison Murphy de Montréal, ces mots : «Le
français est parlé à tous nos rayons. Exigez-le. »
Signe des temps. C'est une innovation Ces maisons anglaises
ont-eUes plus besoin aujourd'hui qu'iiier de la clientèle françaisy ? Xous
ne le croyons pas. Mais celle sur laquelle elles ont toujoui-s compté
commence à changer de mentalité. Elie est plus fière. EUe a ui\ cuite
plus pratique pour sa langue. Elle s'intéresse davantage aux détails.
Et poiu- ne pas la perdre, pour continuer à recevoir le bon argent son-
nant qu'elle apporte, on se rend à ses nouveaux désirs, on s'ajuste à sa
nouvelle manière, on lui parle français alors qu'hier on lui parlait anglais.
Signe des temps, encore un coup, et dont il faut profiter. Car, le jour
où le conmierce anglais, ou l'industrie anglaise, ou la, haute finance
anglaise, seront persuadés que la population canadienne-française veut
être ser\-ie dans sa langue, et le veut sans faiblesse, saas compromis,
avec intransigeance, ce jour-là, le doux parler de France sera traité dans
le monde des afifaires comme l'est actueUement le fier parler d'Albion.
L'un et l'autre marcheront, pour ainsi dire, de pair.
Lg Canada N'en avons-nous pas une nouvelle preuve dans le
StêaMShiÙ ^^^ ^^ ^^ ^^^ Canada Steamship? On se rappelle
l'incident que provoqua un garçon de table unilingue
siir le bateau qui conduisait à Chicoutimi les congressistes de l'A.C.J.C.
La requête suivante fut aussitôt signée et adressée au président de la
Compagnie :
« Xoiis, soussignés, voyageurs à bord du « Québec » et du « Murray
Bay », de la Compagnie Canada Steamship Lines Limited, avons, de
Montréal à Chicoutimi, observé avec regret, durant le temps qui s'est écoulé
entre le 28 juin et le 2 juillet 1919, que toutes les inscriptions et affiches
officielles de la Cie sur ces bateaux sont exclusivement rédigées en langue
anglaise, et qu'en particulier, le menu présenté aux congressistes de l'A. C.
J. C. est en pareille contravention avec les justes réclamations des Cana-
diens français. Cette infraction à la justice et à la courtoisie est d'autant
plus injustifiable que les deux bateaux font leurs parcours respectifs
entièrement dans la province de Québec, et que les Canadiens français sont,
pour une large part, les clients habituels de la compagnie.
414 l'action française
En conséquence, nous avons Vltonneur de -prier la compagnie de vouloir
bien déférer aux légitimes exigences des passagers canadiens-français.
Cet acte de justice et de courtoisie les dispensera de toute démarche ulté-
rieure. »
Quelques joiirs plus tard, le 25 juillet, le secrétaire de la Compagnie
répondait ainsi à M. Marchessault, de qui il avait reçu la requête :
« Cher Monsieur,
« J'accuse réception de votre lettre du 17 juillet, dans laquelle était
incluse une autre lettre, signée par un grand nombre de voyageurs, en vue
de protester contre le fait que les affiches et les menus de ta division Sague-
nay sont imprimés en anglais seulement.
« Le président me prie de vous remercier, au nom de la compagnie, de
V intérêt que vous portez à la dite compagnie aussi bien que de votre soin à
vouloir assurer aux voyageurs bien-être et confort. Le président n'avait
jamais été informé de ce dont vous vous plaignez dans cette requête.
« Après informations prises, j'ai pu constater que toutes les cartes de
menu pour le reste de la saison sont déjà imprimées; mais la chose sera
prise en sérieuse considération dès la saison prochaine.
« C'est le désir de la compagnie de donner satisfaction à tous ses clients,
et vous pouvez être assuré que la requête que vous nous avez adressée, de la
part d'un si grand nombre de personnes aussi distinguées de la province,
recevra notre plus sérieuse attention.
i( Sincèrement à vous,
{Signé) Percy Smith,
«.Secrétaire. »
Le même jour, des bureaux de la même compagnie, partait une autre
lettre, signée par le même secrétaire et rédigée dans le même esprit.
Celle-là était adressée à la Ligue des Droits du français qui avait porté
à la connaissance du gérant im certain nombre de faits, entre autres les
menus anglais, dont on se plaignait. Voici quel en était le contenu :
« La Compagnie a pris en considération votre lettre du 23 juillet où
vous votis plaignez de l'absence de menus français sur 7ios bateaux. Nous
vous remercions d'avoir attiré notre attention sur ce fait, car la Compagnie
n'entend pas publier des cartes de menu que ne comprendraient pas ses
pa.s.sagers. Nous avons constaté que ces cartes sont déjà imprimées pour
le reste de la .sarson, 7nais nous pouvons vous assurer que, pour la saison
prochaine, nous axirons des cartes qui satisferont tous les intéressés. »
l'action française 415
// fîC faut pas Comme on l'a probablement remarqué, M.
lâchfT ÙTÎSe Smith ne parle ici que des menus. Les plaintes
cependant portaient aussi sur les affiches. La
Ligue crut devoir écrire de nouveau. Elle remercia le secrétaire de ce
qu'il promettait, tout en exprimant son regret que la réforme demandée
ne pût se produire immédiatement, puis elle renouvela sa protestation
contre les affiches et les inscriptions.
La partie est à moitié gagnée. Elle ne le sera complètement que
si nous ne lâchons pas prise. Ne rien faire de plus, ou encore remettre
jusqu'en mai une nouvelle démarche,serait, je crois, compromettre notre
succès. C'est dès le début de l'année prochaine, en janvier, qu'il faut
revenir à la charge. La Compagnie, dans sa lettre à la Ligue, semble
s'engager plus à fond que dans l'autre. Elle assure qu'elle aura des
cartes qui nous satisferont dès la saison prochaine. Rappelons-lui sa
promesse avant qu'elle ne les fas.se imprimer. Je demanderais à nos
sociétés nationales, aux succursales de la Saint-Jean Baptiste, aux cercles
de V Association catholique de la Jeunesse et de l'Association catholique
des Voyageurs, aux sociétés de secours mutuels, à tous les groupements
enfin qui prétendent ser\dr la race, d'inscrire dès maintenant parmi
leurs initiatives de janvier une démarche — lettre ou délégation —
auprès de la Canada Steatnship. De cette façon, et de cette façon seule-
ment, les protestations de cet été aboutiront à quelque chose.
Lu Cotnpagnie En attendant cette victoire, réjouissons-nous
GîTOUGïd ^^ celle, plus modeste mais réelle, que notre
langue vient de remporter dans la ville de
Saint-Hyacinthe. Profitant de sa réorganisation, la E. T. Shoe Com-
pany a transformé sa raison sociale. Elle s'appelle maintenant d'un
nom bien finançais : la Compagnie Girouard. Nos félicitations et nos
meilleurs vœux à l'excellent Canadien français qu'est le propriétaire
de cette manufacture. A ses concitoj-ens, à ses compatriotes de toufe
la province, de lui prouver sans tarder que, même en affaires, un acte de
patriotisme ne nuit pas.
Combien pourraient agir ainsi ! Il suffit de parcoiuir les listes des
sociétés qui demandent, chaque semaine, leur charte civile, pour cons-
tater le nombre encore considérable des nôtres qui s'associent sous un
noin anglais. A quoi bon parler de « siu-vivance française », si on va
ensuite renier sa langue dans un but, d'ailleurs illusoire, de profits com-
merciaux ?
416 l'actiox française
PoUï Itt visite II faut en dire autant des maisons canadiennes-
du ÙT^HCC françaises qui persistent à badigeonner leui's devan-
tiu-es de réclames anglaises. Je passais l'autre jour
par la route qu'a suivie le prince de Galles lors de sa eovirte visite dans
notre métropole. Ces maisons, poui* être plus rares qu'autrefois, sont
encore trop nombreuses. Elles trahissent vraiment non seulement
notre langue mais aussi notre nationalité. Elles laissent croire aux
étrangers, et même aux nôtres, que le commerce montréalais est presque
entièrement entre les mains des Anglais. Et ainsi, chez les premiers,
elles diminuent notre importance etluiique; chez les seconds,eiles détrui-
sent toute confiance dans lem*s initiatives.
Le vent est aiLx réactions salutaires. Réagissons plus fermement
encore, plus imiversellement, contre cette folle et . dangereuse manie.
Le prochain et plus long séjorn* du prince de Galles dans notre métropole
nous en fournit l'occasion. Ayons à cœur de lui révéler une ville fran-
çaise. Manifestons à la française, pavoisons à la française, banquetons
à la française. Que non seulement les inscriptions de fête soient dans
notre langue, mais encore, mais surtout, les inscriptions permanentes !
Que nos devantures se transforment et revêtent une fraîche toilette
qu'elles garderont les joiu-s suivants. Notre royal visiteur a la réputa-
tion d'aimer la langue française : plus encore qu'en la parlant lui-même,
en la faisant parler aux nôtres, à nos marchands, à nos industriels, à nos
administrateurs — oui, à nos administrateurs siutout — il l'aura noble-
ment servie.
— Pierre Hojiier.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
La vie de V Action française prend, avec la fin des vacances, une
activité nouvelle. Nous entrons dans la période des conférences et
des publications. Ainsi qu'on le verra ailleurs, V Almanach de la Langue
française est à la veille de paraître. Nos conférences de Montréal com-
menceront en novembre et promettent d'être très brillantes. Nous
nous tenons à la disposition de nos amis qui désireraient organiser des
séances à l'extérieur.
Notons, parmi les belles manifestations de ces derniers temps, le
pèlerinage au pays de DoUard, organise sous nos auspices, le 7 septem-
bre, par la Garde indépendante Benoît XV et le Cercle paroissial de
ville Emard. M. l'abbé Groulx représentait en cette circonstance
V Action française. — J.B.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
LETTRES DE FADETTE
La quatnème série récemment parue des Lettres de Fadeite obtint
sans le mériter le silence complet de la presse canadienne. Voici la
seiile explication possible : on est tellement habitué d'entendre dans les
bureaiix, les salons, les cercles et jusque dans les couvents l'éloge verbal
des écrits de cette dame, (puisque dame et non jésuite il y a) que l'on
ne sent guère la nécessité de fixer sur le véUn cette unanime impression.
Cependant l'Action française, par souci de fidélité à son programme et
dans un sentiment de justice envers la chroniqueuse si distinguée
de son frère le Devoir, ne fut pas lente à soUiciter quelques pages de cri-
tique que j'ai su différer, mais non pas refaser.
L'important serait d'adopter un point de vue spécial, im angle de
réflexion pour tant de raj'ons divers que projette en nous rœu\Te de
Fadette, — deux cent cinquante lettres em-iron, le tirage à part étant
quelque peu limité. Passons rapidement alors, sur tant d'heureux
dons qu'admettent sans discordance les lecteurs actuels de Fadette
comme jadis ceux de Danielle Aubry : âme accueillante aux beautés de
toutes formes que lui offrent la création phj-sique et le monde immaté-
riel; âme sympathique aux chagrins de toutes nuances qui peuvent
atteindre une vie d'homme, une vie de femme, une vie de famille
surtout,et non moins ingénieuse à y porter remède et con3olation;culture
d'esprit étendue et brUlante jointe à une rare souplesse de raisonne-
ment ; dons Uttéraires de premier ordre, sens du verbe français, naturel
et clarté, élégance et nombre, prose drue et ferme, apte néanmoins à,
rendre toutes les images et toutes les sensations de la poésie: dons
d'équihbre ou qualités d'ensemble qui feraient de cette épistolière un
écrivain à souhait pour le critique soucieux de tout admirer et de rester
plausible dans son admiration.
Où l'accord cesse un peu bnisquement, c'est quand il s'agit de
reconnaître et d'apprécier comme quantité et quahté le catholicisme de
Fadette, tel qu'il apparaît dans sa correspondance hebdomadaire.
Parmi tant de fidèles qui la lisent « avec respect, attention et dévotion »
ou même l'acceptent volontiers comme directrice de conscience, les uns
418 l'action française
trouvent qu'elle manque un peu de prosélytisme, d'autres, qu'elle prêche
surabondamment et trop fort. Je me propose de diriger de ce côté mon
inspection. Personne ne voudra me contester juridiction dans cette
matière : d'autant qu'elle offre im assez vif intérêt, à l'heure où
tant de nos pubUcistes, à l'inverse des grands cathoUques de France,
mettent voile et sourdine à leiirs convictions religieuses, comme si la foi
et les moeurs n'étaient pas suffisamment menacées dans ce pays, comme
si le clergé sous ce rapport pouvait suffire à tout.
Il est vrai que l'on compte plusieurs degrés dans l'apostolat chrétien
exercé par la plume. Sans même prononcer ce grand mot d'apostolat,
les exigences de l'Église à l'égard de ses enfants laïques ne sont pas
constamment les mêmes et leurs écrits peuvent réceler le vrai doctrinal
de diverses façons. Comme quantité d'abord, si l'on veut me permettre
une formule aussi réaliste. L'auteur spirituel qui traite ex professa de
nos relations avec Dieu; le théologien mystique qui analyse les divers
états de l'âme en tendance vers sa perfection; même le journaUste
militant qui défend nos croj^ances contre l'hérésie, nos institutions contre
le sectarisme, font œuvre de spéciaUstes en matière de religion. Ils
peuvent s'adonner à leur spéciahté sans crainte d'indisposer le pubUc
que surprendrait plutôt le moindre détournement de leur pensée vers
des sujets profanes. Comme qualité ensuite. Leurs écrits non moins
que leur personne doivent « respirer la bonne odeur du Christ », selon la
merv^eilleuse image usitée par l'apôtre saint Paul. L'on exige à bon droit
de ces écrivains une spirituahté éclairée et profonde à base de définitions
et de principes. L'on ne tolère chez eux aucune équivoque dans le
langage, à plus forte raison aucune témérité disciplinaire ou dogmatique.
Le code pénal de l' Église tient même en réserve une 7iote demi infamante
pour quaUfier certaines propositions offensives des oreilles pies. Et soit
dit en passant, si l'on tenait meilleur compte de ce dispositif, quelle
fortunée sauvegarde contre les sottises occasionnelles des hommes (ou
femmes) d'esprit !
Impossible de ranger Madame Fadette parmi les « pieux auteurs,»
les théologiens mystique ou les journalistes de combat. Sa correspon-
dance, il est vrai, couvre dix pages de morale contre un ahnéa de pure
chronique; mais la religion et la morale sont deux choses distinctes,
encore que nul n'en puisse nier l'étroite interdépendance. Ce serait
se méprendre foncièrement sur le rôle qu'il a prétendu assumer au
Devoir que d'attendre un prône régulier de cet écrivain constamment
penché sur des problèmes de psychologie. Il me paraît avoir saisi la
l'action* française 419
juste mesure qu'il convient d'accorder aux choses de la foi dans une
entreprise de ce genre. Un peu plus n'irait pas sans risque d'éloigner
les mondains et les tièdes, un peu moins serait imputable au respect
hiunain, péché mignon d'vm assez grand nombre de nos intellectuels.
J'aurais par contre à me plaindre du ton de certaines lettres, de
la valeur de certaines assertions, en un mot, pour tout ramener aux
précédentes formules, de la qualité de cet apport religieux que le zèie
de Fadette fournit par intervalles à la conscience du public. Encore une
fois, n'escomptons pas trouver chez une chroniquease un exposant du
Dogme, ni dans une lettre im cours approfondi de religion. La lettre
au contraire, par sa brièveté même et son caractère famiher, expansif,
ne favorise que trop l'hétérodoxie. C'est un genre largement représenté
au catalogue de l'Index. Mais quand une lettre s'adresse à 75,000
lecteiu-s en\àron, et qu'au surplus le rédacteur a sept jours devant soi
pour la mettre au propre, ce dernier ne doit-il pas au pubhc de toujours
sui^Te le devoir contre son penchant ? Or, Fadette a un penchant
prononcé pour la contradiction et la critique. Elle pubha jadis dans le
Nationaliste un article signé « Trouvardire », et comme c'était bien
prouvé ! Telle est en effet la promptitude élastique de cet esprit dérou-
ant, que l'interlocuteur se voit astreint à la double tâche de préparer
imultanément sentence et réphque : un sport impressionnant durant
^es jovnnées chaudes. Et malgré l'innéité — comme dirait Montpetit —
d'une pareille tendance, Fadette se connaît as-sez pom- la pressentir et
la remiser en toutes occasions. Par malheur elle en a laissé passer
quelques-vmes . . .
Dans un généreux plaidoyer contre le pessimisme et la stérihté de
ses attitudes, (Troisième série, VI) elle éprouve le besoin de citer un
exemple, ce qui fait partie de son art, et de l'aller prendre chez nos
écrivains mystiques, ce qui paraît d'un goût trop recherché. Je lui
prouverai qu'elle eût pu s'adresser ailleurs avec sagesse et profit. « J'en
« veux, dit-eUe, à certaine littérature piease qui no\is accable et nous
« écrase sous son dégoût de tout ce qui est humain et qxii veut nous
« convaincre que le ciel seul importe. Le ciel ! Certes, c'est un
« beau but et je nous souhaite à tous d'y aller. Mais c'est sur
« cette terre que nous vivons et Dieu l'a faite belle afin que nous
« l'aimions ; Il nous a donné un corps aussi bien qu'une âme
« et nous devons justice aux deux. » Fadette serait bien en peine
d'énumérer ces ouvrages ou d'en faire une critique sérieuse. Mais c'est
étrange comme cet unum necessarium me fait songer à l'Évangile et ce
420 l'action française
« dégoût de ce qui est humain », à l'Imitation : deux petits livres que
ne vise sûrement pas l'intention de l'auteur. Il y eut aussi un nommé
Pascal qui décrivit dans la manière forte « l'amas de contradictions »
que Fadette et moi nous sommes. Quant à « vallée de larmes »,
expression Liturgiques pour désigner notre planète, il y a longtemps
que celle-ci s'en montre digne et je vous défie, Madame, de la baptiser
autrement depuis les tristes années . 1914-1918. Je sais que vous
admettez ces vues en théorie et que vous envisagiez simplement leur
côté pratique et leur influence sur les actions des hommes. Mais ceux
qui méprisent davantage le monde ne sont-ils pas justement ceux qui
lui ont rendu et lui rendent encore les plus méritoires services ? Témoin
ces admirables sœurs qui n'ont quitté le monde que pom* le mieux
pénétrer ensuite de leur lointaine et profonde et surnaturelle influence ;
témoin cet autre éloquent plaidoyer que vous fîtes en leur faveur
(Troisième série, p. 119) contre ime compagne ignorante qui les avait
qualifiées de princesses endormies :
« Je l'avais écoutée sans l'interrompre, amusée et charmée par ce
conte gracieux, mais un peu scandalisée de cette incompréhension abso-
lue de la vie intérieure, de la \Tie religieuse, qui fait de toutes celles qu'elle
appelle des princesses endormies, des âmes si vivantes, si ardentes, qu'à
leur contact on respire Dieu, Dieu dont elles vivent et qu'elles exhalent.
Sans doute le ciel les attire, mais elles aiment la vie où Dieu les veut et
comme II la fait pour elles.
« Elles prient, et leur inlassable prière accompagne et soutient ime
activité qui s'exerce au profit de toutes les faiblesses et de toutes les
misères hiunaines : vieillards qu'elles hébergent, orphelins qu'elles
recueillent, malades qu'elles soignent, morts qu'elles ensevelissent,
enfants qu'elles instruisent. Et celles-ci? ces contemplatives? Oh !
non, elles ne dorment pas ! Elles s'offrent en silencieux et brûlant
holocauste pour ceux qui vivent dans le monde comme s'il n'y avait ni
Dieu, ni âme, ni vie future. Elles ne dorment pas ces saintes ! Elles
goûtent dès maintenant les choses éternelles qu'elles trouveront au-delà
de la mort. Des profanes comme nous se figurent difficilement l'in-
tensité de vie intérieure des âmes à ce point purifiées. »
Cette armée mobile ou concentrée de femmes si agissantes aurait-
elle donc poiu- ration quotidienne une littérature pessimiste? Non,
le pessimisme est avant tout affaire de tempérament, plutôt que spécula-
tion d'idées; les idées n'interviennent, comme tant de fois il arrive, que
poiu- se mettre au service du tempérament. Exprimées chaque jour
l'action FRAÎSrÇAISE 421
par des catholiques de surface, elles ne font partie d'aucune littérature
pieuse approuvée ou tolérée par l'Église. C'est dans la poésie, la
correspondance, le drame et le roman mondains que Fadette de\Tait, ce
me semble, les chercher. Que ne s'en prend-elle par exemple à son
illustre consœiu-, Madame Du Deffand, patronne exquise et parfumée
de la confrérie des « plus ne m'est rien, rien ne m'est plus », qui jadis
tenait la baguette dans le grand chœur des désabusés. « Après tout,
qu'est-ce que cela me fait ? » s'écrie-t-elle après avoir failU s'intéresser
à un événement politique qui passionnait l'opinion. Dans sa Corres-
■pondance inédile pubUée par le marquis de Sainte-Aulaire, elle avoue
que le néant de la vie lui donne « des accès de désespoir ». On s'aper-
çoit à son langage que Werther approche, s'il n'est point d'avance . . .
dépassé. Au fond de son fauteml, parmi les aises d'un brillant état de
fortune et d'une grande position mondaine, cette femme, tranquille
en apparence, ennemie des attitudes tragiques, a poussé plus loin le
désenchantement volontaire que les plus bru}^ants héros du suicide.
Ceux-ci du moins eurent assez de foi dans la mort poiu lui demander
un refuge. Cette dernière ressource ou cette dernière illasion a manqué
à Madame Du Deffand : aj-ant longtemps médité ce grave sujet, pré-
tendait-elle, de quelque façon qu'elle tournât et retournât la mort, elle
ne la jugeait pas moins sotte que la vie.
Il y aurait d'autres passages à modifier dans ces quatre gracieux
opuscules, poiu qui les dépouille avec des j-eux de correcteur d'épreuves.
Ils sont en petit nombre et c'est plaisir de le constater. Une note
cria,rde parce que pessimiste (!) a même disparu de la partition, qui
me fatigue encore le tympan. Après un récit de déboires intimes dans
un ménage aux caractères opposés, Fadette qui devait plus tard écrire :
L'espérance est une vertu, une des vertus théologales . . . Ne nous alanguis-
sons pas dans les gémissements quand nous avons besoin de tant de virilité
et de confiance pour vivre une vie qui ne soit pas manquée, avait préci*
pitamment conclu : IL N'Y A RIEN A FAIRE. Mais voilà : avec
ce flair indescriptible qui ne la déserte par intervalles que pour réappa-
raître mieux armé, elle a su retrancher du recuol une lettre qui démen-
tait toute sa philosophie antérieure et postérieure. On pourrait dire
cette fois : Faute supprimée, faute avouée, donc à demi pardonnée.
Dans la forte balance des écrits de cette dame, dans ses pages de
morale et ses « recettes de bonhem* » que lui dicte une vaste expérience,
on entend toujours sonner franc la note chrétienne et cathoUque où le
bon sens ne perd jamais ses droits.
422 l'action française
Aux féministes elle dit : Yous avez réalisé des conquêtes pour le
bonheur de la femme, surtout dans le domaine de l'instruction. Mais
vous avez eu tort de fonder votre entreprise sur l'hostilité des sexes,
comme les socialistes la leiu" sur la lutte des classes. Vous avez ainsi
contribué à ruiner l'esprit de la Chevalerie qui était un féminisme plus
souple, plus subtil, plus intelligent et plus scientifique que le vôtre. ^ De
plus vous me paraissez lâcher la proie pour l'ombre en réclamant à
petits cris le suffage féminin. S'il ne devait être exercé que par notre
groupe d'intellectuelles, il avuait chance peut-être d'augmenter notre
prestige tout en stimulant le progrès national, encore que des inconvé-
nients d'ordre moral lui fassent dangereuse escorte. Mais à qui ferez-
vous croire que les croix de suffrage de milhers de bonnes femmes du
« Faubourg de Québec » marqueront un miUimètre de progrès dans la
question poUtique ou le status de la femme en ce pays ? Que vous en
semble du très failhble ajouté au faillible pour grossir les chances
d'infaiUibihté ?
Aux incomprises : Vous avez. Mesdames, tellement comphqué
la vie que vous l'avez rendue impossible à vous-mêmes et aux autres
et que vous voici devenues les premières à ne pas vous comprendre.
Vous n'étiez pas mariées, du reste, que déjà vous formiez des projets
de vie hbre; vous décidiez à part vous de « prendre des précautions »,
afin d'être dégagées de toute entrave domestique, le jour où constatant
que l'époux fait des siennes, vous jugeriez à propos de faire des vôtres.
Avec cela, trop de relations, trop de danses, trop de théâtre, trop de
lecture. Oui, la lecture ou plutôt le roman divise de nombreux ménages
qui s'entendraient à merveille, si, au heu de vivre de chimères, la femme
s'occupait à élever beaucoup d'enfants. (Deuxième série, p. 87).
Aux directeurs des théâtres : Messieurs, je renonce à vous émouvoir
par des considérations d'intérêt public et de morahté sociale, car vous
n'offrez aucune prise de ce côté. D'autre part, je sais que l'argument
des salles vides vous ira droit au cœur. Si donc vous persistez à refuser
à votre clientèle ce droit au respect qu'elle achète en entrant, à ne pas
vouloir entendre les sifflements muets qui ont accueilli certaines de vos
représentations, vous en serez réduits à pUer bagage faute de recettes
et à défrayer une fois de plus la chronique scandaleuse des gazettes et
des salons.
1 Lire à ce sujet Les sources du féminisme — L'intellectuelle et
l'amour, par Colette Yver, dans Le Correspondant du 10 juillet.
l'action française 423
L'absence de guillemets dénote suffisamment que j'interprète la
pensée de l'auteur. Fadette va rarement jusqu'aux duretés de langage
que méritent nos mœurs de viUe et l'organisation des plaisirs de société.
Vous trouverez cependant, parmi tant de sujets divers, aux titres sédui-
sants, légers et pittoresques, des sermons d'une très belle énergie que
découpent messieurs les vicaires. Et n'allez pas imaginer que cela
tombe toijjours dans le désert. « Comment voulez-vous », disait un
homme d'esprit, « que j'échappe à l'emprise de Fadette ! Ayant lu
une première fois ses biUets de chaque semaine, je les retrouve épingles
partout, aux angles du sous-main à l'heure où j'écris, au cadre du miroir
à l'heure où je me rase. . . Ma propre moitié conspire avec la femme-
apôtre. Et vous pensez si l'on me fait grâce des découpures à l'usage
des maris grincheux ! »
Doux pays, siècle idylUque, demem^es fortunées où la femme
tourne à des fins spirituelles le miroir, instrimient de sotte vanité; où
le mari, docile et tendre, se nettoie l'âme en s'épilant la face ! . . . Voilà
que moi-même, au sortir de cette lecture, j'aperçois en plus beau le
monde qui m'environne et subis sans le vouloir l'influence de la grande
Optimiste t
fr. M.-A. Lamarche, O. P.
« BRIDGING THE CHASM »
Bridging the Chasm vient de s'ajouter à la série d'études où des
Canadiens de langue anglaise ont traité, ces temps derniers, les questions
de race. C'est, comme le Clash, une œuvre de bonne volonté et d'ifer-
monie. L'auteur, M. Morley, est im écrivain de talent, qui a voulu
étudier notre province.
L'Action française pubUera le mois prochain un article de M.
Antonio Perrault sur le Clash, Bridging the Chasm et The Birthright, de
M. Arthur Hawkes.
Nous avez-vous trouvez un nouvel abonné ?
TRIBUNE DE NOS LECTEURS
FAUT-IL TANT D'ANGLAIS AU PROGRAMME?
« N'y a-t-il pas une tendance parmi nous à exagérer l'importance
pour tous les Canadiens français de savoir -parjailement l'anglais?
Quelques-ims des nôtres voudraient faire du peuple canadien-français
un peuple bilingue. Que nous serions puissants, dit-on, si tous les
Canadiens français parlaient également bien l'anglais et le français ! —
Prenons-y gardé ! C'est un piège qu'on nous tend, un piège doré,
peut-être, mais vm piège tout de même. Connaissez-vous beaucoup de
peuples bUingues ? Pour moi, je n'en connais aucim. Je connais, par
e.xemple, un peuple qui a perdu sa langue nationale, parce qu'on lui a
fait apprendre de force une autre langue. N'allons pas, de notre plein
gré, tenter une expérience aussi dangereuse.
« Que ceux des nôtres qui ont réellement besoin de savoir l'anglais
l'apprennent, qu'ils l'apprennent bien. Mais qu'ils apprennent d'abord
le français, et que le français reste toujoius leur langue maternelle, leur
vraie langue. Soj'ons convaincus que feu Mgr Laflèche, ce grand
Canadien français, avait raison de dire qu'il n'aimait pas à entendre ses
compatriotes parler l'anglais sans au moins un petit accent français.
Le mot est profond et renferme vm grave avertissement. Méditons-le . . .
Ne nous berçons pas d'illusions : on n'a pas renoncé au projet de faire
du Canada im pays exclusivement de langue anglaise »...
Cette page du toujours regretté Tardivel m'est revenue à la pensée
en lisant l'admirable article du P. Adélard Dugré, S.J., sur VEnseigne-
ment du français, dans V Action française du mois dernier. 11 faut une
bonne fois nous chasser de l'esprit que « l'anglais est nécessaire aujour-
d'hui. » Ce n'est pas exact. Dans les villes, les hommes de profes-
sions, les employés de magasins, de banques, de bureaux, etc., doivent
savoir très bien l'anglais; les hommes politiques ont avantage à le savoir
même parfaitement, cela fait bonne impression dans les conventions
bilingues; les travailleurs, eux, se trouvent bien de le comprendre et de
le parler un peu. Voilà pour les classes urbaines, et il n'y a pas ici de
programme à changer, cela se pratique déjà.
Mais, pour /es campagnes, ce serait une faute immense que de pous-
ser l'anglais dans toutes les écoles. C'est une perte de temps, une perte
l'action française 425
d'efforts, une diminution de la fierté nationale dans les petites cervelles
qui seraient obligées de déranger la langue maternelle poiu* faire une
place à l'étrangère; ce serait un pas de plus dans la désertion des cam-
pagnes: ces enfants, teintés d'anglais, espéreraient trouver aisément de
bonnes places à la ville, et leurs parents voudraient les perfectionner;
n'ayant plus de raison pratique de rechercher les milieux français, ils
se lanceraient à loisir dans l'assimilation de l'Ouest et des Etats-Unis,
et les mariages mixtes ne se compteraient plus.
En vérité, le moment semble mal choisi pour faire cadeau à l'anglais
d'ime plus large part du temps, du cerveau et de la mentalité de noS
enfants. Si les Français se reprochent avec honte d'avoir élargi la
place de l'allemand sur leurs programmes après 1870, comment pouvons-
nous, après les bordées d'injures de 1914-18, et en pleine persécution
ontarienne, manitobaine et canadienne, nous offrir à enlever nous-mêmes
ici partiellement l'enseignement du français qu'on veut arracher totale-
ment ailleurs? Car il faut bien savoir que l'heure qu'on ajoute à
l'anglais sera enlevée au français. Et le désir de procurer plus ou moins
efficacement à notre peuple la richesse hors de chez lui menace d'enlever
à notre âme nationale ses quahtés supérieures d'hvmianité de race latine
pour en faire un vague mélange franco-anglais, c'est-à-dire ni français
ni anglais
On peut, en effet, infuser du sang d'un individu à un autre, mais non
du génie d'un peuple à un autre, quand l'histoire des deux peuples
dénote des caractères absoliiment opposés, dont l'un chasse l'autre.
... Ne disons pas que c'est pousser bien loin les conséquences d'une
heure d'anglais par jour. La mentalité se forme avec les enseignements,
les idées viennent avec les mots qui les expriment. Si les expressions
de business, de make money, de time is moneij, de struggle for life, etc.,
sont les plus usitées du vocabulaire et sur les journaux qu'on lit, on ne
met bientôt plus rien au-dessus des affaires et de l'argent; le maté-
rialisme étouffe vite la petite fleur d'idéal qui germe au fond de toute
âme française, et cette spiritualité traditionnelle, que les Anglais
eux-mêmes nous envient, disparaît bientôt, comme on peut le remarquer
facilement chez quantité de nos hommes d'affaires, qui s'improvisent
ou non réformateurs des fidèles tenants de notre vieille garde. C'est
une maxime reconnue que « le langage forme les hommes bien plus qu'ils
ne le forment. » Les mots pénètrent jusqu'au fond de l'individu où se
forment les pensées; ils allument l'idée qui, à son tour, produit le senti-
ment qui engendre l'acte. Les anathèmes dont les Anglais accablent
426 l'action française
la brumeuse langue allemande, mère des folles erreurs du kantisme,
peuvent se retourner contre la leur, où s'incarne le plus grossier utili-
tarisme commercial. C'est Dickens, dans Hard Times, qui appelle les
temps durs ceux qui voient le triomphe d'une féodalité industrielle sans
goût et sans cœur. Aurions-nous par nos fautes mérité ce fléau. . . de
Dieu? '
Si l'on voulait toucher du doigt quelle imprécision et quel vagabon-
dage de pensée occasionne l'étude simultanée de l'anglais et du français,
il suffirait de recueillir dans les devoirs de classe les énormités d'angU-
cismes et de bourdes qui échappent même aux bons élèves. Le seul
fait reconnu par Tardivel et bien d'autres, que ce soit le langage des
Canadiens instruits qui laisse le plus à désirer, témoigne fort contre cette
forme de biUnguisme : « Proportion gardée, nos habitants parlent
mieux que nos hommes de profession, y compris les joiu-nahstes . . .
L'anglicisme est l'omploi de mots français auxquels on donne un sens
propre à des mots semblables de la langue anglaise. » Or, voilà ce qui
fiturit comme le chardon dans le langage de nos commerçants et les
copies de nos jeunes bilingues : Vous prenez exception à ce que j'ai dit . . ;
Ceux qui s'objectent à l'envoi d'un contingent. . . prendre profit de. . . la
chicane senblait vouloir prendre place ... ; Combien contents nous
sommes ; je suis confortable ici ; je suis positif de ce fait; plusieurs gens
croyaient ... ; il a eu une injection dans son bras droit; après votre départ,
nous vous avons manqué . . .
On pourrait allonger cette floraison de métissage. Souvent, c'est
l'orthographe qui abuse de l'entente cordiale : Le language, Vobject,
le Project (puisqu'on écrit aspect et respect) la dance, Vancient temps,
etc. etc.
Quelle sorte d'écrivains, quelle sorte de penseurs, quelle sorte
d'hommes, quelle sorte de milUonnaires même voulez-vous que devien-
nent ces enfants dont le cerveau de ciel clair s'est embrouillé en cette
vague nébuleuse? Au simple point de vue utilitaire, pour la stricte
acquisition de la richesse, ne vaut-il pas infiniment mieux dire en fran-
çais à nos garçons que la province de Québec possède des ressources
naturelles à les rendre tous milliardaires; que nos épargnes canadiennes
rap])ortent du 4% alors que l'industrie, elle, gagnerait du 10 et du
20%, que des millions d'acres dans leurs forêts les attendent pour être
convertis en pulpe, en papier, en or, puis en paroisses catholiques où nos
gens garderont la tradition française? que des millions de chevaux-
l'action française 427
vapeur se perdent chaque année dans ces chutes d'eau inexploitées qu^*
attendent nos capitaux et nos ingénieurs pour fournir l'électricité, la
chaleur, la richesse ? que des mines d'or, d'argent, de nickel, d'amiante
sont enfouies dans notre sous-sol aux quatre coins de Québec, et que les
Américains viendront les dépouiller à notre barbe, en y faisant pelleter
nos compatriotes, qu'ils commanderont en anglais, alors qu'eux, nos
écoliers, devenus grands et bons bilingues, seront à salaire dans des mai-
sons anglaises de Montréal, d'Ottawa, de New York ou de Toronto,
où lem- connaissance des deux langues leur aura valu de bonnes places ?
Savoir deiLx langues, c'est souvent avoir deux mots poxu- ne dire
rien du tout. N'en sachons qu'une, mais parfaitement, mais pleine
d'idées et de faits. Acquérons des comiaissances, semons-en chez nos
enfants toujours et de toutes manières, dans les dictées, le calcul, les
leçons d'histoire et de géographie, les li\Tes de la bibliothèque de classe
(que toutes les écoles doivent absolument tenir à avoir), développons
l'initiative et l'espoir du succès en affaires grâce au français : inspirons
le désir de créer des entreprises toutes françaises où tout se fasse par
les moins bilingues de nos gens; il n'est pas nécessaire de lire Shakespeare
et le Star, ni de réussir parfaitement le th pour découvrir des mines dans
l'Abitibi, pour bâtir des pulperies comme celle de Chicoutimi, pour
acheter un bon pouvoir hydraulique et vendre de l'électricité. Il suf-
fit d'avoir étudié nos ressources, même en français, d'organiser nos
capitaux nationaiLx ou d'importer des fonds français ou belges, comme
le font les Américains et les Ontariens, qui ne parlent pas français et qui
trouvent contre nous l'argent de la France . . .
Voilà bien des affaires plus payantes que le bilinguisme de nos
comptables et de nos fonctionnaires; voilà qui peut s'enseigner vite sans
nuire à la formation française, sans nous angliciser la mentalité, en atten-
dant le reste. Nous sommes en Amérique trois millions contre ou parmi
cent vingt millions; nous n'avons pas à jouer au grand seigneur, à faire
du luxe, de la largeur d'esprit et des concessions. Les Anglais rient de
toutes leiu-s dents de nous voir faire leur propre ou lem* sale besogne.
Ça va tout seul, le français se proscrit automatiquement, par le fait qu'il
cède de sa place à l'anglais : car, sachons-le bien, depuis l'expansion du
cinéma, les enfants travaillent de moins en moins, et s'ils ne savaient pas
leur langue au sortir de l'école il y a dix ans, ils ne seront pas des acadé-
miciens après les anglicisantes réformes !
Ptessaisissons-nous, faisons plutôt machine en arrière, soulageons le
programme des écoles rurales d'un fatras inutile et dangereux, déhmitons
428 l'action française
bien les cours de commerce des villes, enseignons aux enfants qu'à l'école
on apprend à apprendre, et que c'est ensuite que commencent les vraies
études qui durent jusqu'à la mort. Préservons notre petit peuple de
l'anglicisation de l'âme comme les trente-neuf millions de Français se
raidissent contre la germanisation de l'esprit par les mots, ainsi que le
témoigne cette page du clairvoj'ant Léon Daudet : « L'action intime
du langage inculqué est telle que je me suis souvent demandé si la
diffusion de la langue allemande en France, après 1870, n'avait pas
grandement servi les ravages, chez nous, de la métaphysique et des pro-
cédés germaniques ... Il y a ime mesure à garder. Il en est de l'abus
du langage étranger comme de celui de certains remèdes, qui aboutis-
sent à l'intoxication chronique. Mettons nos fils en garde contre la
germanomanie. » Et nous, contre l'anglomanie et l'utilitarisme mal
entendu.
Un Professeur.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LE TRAITÉ POLONAIS ET LES DROITS
DES MINORITÉS
Voici le texte de lo partie du traité polonais, signé à Versailles le
28 juin 1919, au bas duquel les représentants du Canada ont apposé
leur signature, qui traite des droits des minorités :
CHAPITRE 1er
ARTICLE 1
La Pologne s'engage à ce que les stipulations contenues dans les
articles 2 à 8 du présent chapitre soient reconnues comme lois fonda-
mentales, à ce qu'aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle
ne soient en contradiction ou en opposition avec ces stipulations et à
ce qu'aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle ne prévalent
contre elles.
ARTICLE 2
Le gouvernement polonais s'engage à accorder à tous les habitants
pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans distinction
de naissance, de nationalité, de langage, de race ou de religion.
l'action française 429
Tous les habitants de la Pologne auront droit au libre exercice, tant
public que privé, de toute foi, religion ou croyance, dont la pratique
ne sera pas incompatible avec l'ordre public et les bonnes mœurs.
ARTICLE 3
La Pologne reconnaît comme ressortissants polonais, de plein droit
et sans aucune formalité, les ressortissants' allemands, autrichiens, hon-
grois ou russes domiciliés, à la date de la mise en vigueur du présent
Traité, sur le territoire qui est ou sera reconnu comme faisant partie
de la Pologne, mais sous réserve de toute disposition des Traités de paix
avec l'Allemagne ou l'Autriche, respectivement, relativement aux per-
sonnes domiciUées sur ce territoire postérievuement à une date déter-
minée.
Toutefois, les personnes ci-dessus visées, âgées de plus de dix-huit
ans, auront la faculté, dans les conditions prévues par les dits Traités,
d'opter pour toute autre nationalité qui leur serait ouverte. L'option
du mari entraînera celle de la femme et l'option des parents entraînera
celle de leurs enfants, âges de moins de dix-huit ans.
Les personnes ayant exercé le droit d'option ci-dessus devront,
dans les douze mois qui suivront, et à moins de dispositions contraires
du Traité de Paix avec l'Allemagne, transporter leur domicile dans l'État
en faveur duquel elles auront opté. Elles seront libres de conserver
les biens immobiliers qu'elles possèdent sur le territoire polonais. Elles
pourront emporter leurs biens meubles de toute nature. Il ne leiu- sera
imposé de ce chef aucun droit de sortie.
ARTICLE 4
La Pologne reconnaît comme ressortissants polonais, de plein droit
et sans aucime formaUté, les personnes de nationahté allemande, autri-
chienne, hongroise ou russe qui sont nées sur ledit territoire de parents
y étant domicihés, encore qu'à la date de la mise en vigueur du présent
Traité elles n'y soient pas elles-mêmes domicihées.
Toutefois, dans les deux ans qui suivront la mise en vigueur du pré-
sent Traité, ces personnes pourront déclarer devant les autorités polo-
naises compétentes dans le paj^s de leur résidence, qu'elles renoncent à la
nationalité polonaise et elles cesseront alors d'être considérées comme
ressortissants polonais. A cet égard, la déclaration du mari sera répu-
tée valoir pour la femme, et celle des parents sera réputée valoir pour
les enfants âgés de moins de dix-huit ans.
430 l'action française
ARTICLE 0
La Pologne s'engage à n'apporter aucune entrave à l'exercice du
droit d'option, prévu par les Traités conclus ou à concliue par les Puis-
sances'alUées et associées avec l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie ou la
Russie et permettant aux intéressés d'acquérir ou non la nationalité
polonaise.
ARTICLE 6
La nationalité polonaise sera acquise de plein droit, par le seul fait
de la naissance sur le territoire polonais, à toute personne ne pouvant
se prévaloir d'une autre nationalité.
ARTICLE 7
Tous les ressortissants polonais sont égaux devant la loi et jouiront
des mêmes droits civils et politiques sans distinction de race, de langage
ou de religion.
La différence de reb'gion. de croj^ance ou de confession ne devra
nuire à aucun ressortissant polonais en ce qui concerne la jouissance
des droits civils et politiques, notamment pour l'admission aux emplois
publics, fonctions et honneurs ou l'exercice des différentes professions
et industries.
Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage par tout
ressortissant polonais d'une langue quelconque, soit dans les relations
privées ou de commerce, soit en matière de religion, de presse, ou de
publications de toute nature, soit dans les réunions pubUques.
Nonobstant l'établissement par le gouvernement polonais d'une
langue ofScielle, des facilités appropriées seront données aiLx ressortis-
sants polonais de langue autre que le polonais, pour l'usage de leur lan-
gue, soit oralement, soit par écrit, devant les tribunaux.
ARTICLE 8
Les ressortissants polonais, appartenant à des minorités ethniques,
de reUgion ou de langue, jouiront du même traitement et des mêmes
garanties en droit et en fait que les autres ressortissants polonais. Ils
auront notamment un droit égal à créer,diriger et contrôlcr,i\ leurs frais,
des institutions charitables, rchgieuses ou sociales, des écoles et autres
l'action française 431
établissements d'éducation, avec le droit d'y faire librement usage de
leur propre langue et d'j' exercer librement leur religion.
ARTICLE 9
En matière d'enseignement public, le gouvernement polonais accor-
dera dans les viUes et districts où réside une proportion considérable
de ressortissants polonais de langue autre que la langue polonaise, des
facilités appropriées pour assurer que,dans les écoles primaires, l'instruc-
tion sera donnée, dans leur propre langue, aux enfants de ces ressortis-
sants polonais. Cette stipulation n'empêchera pas le gouvernement
polonais de rendre obligatoire l'enseignement de la langue polonaise
dans lesditrcs écoles.
Dans les villes et districts, où réside ime proportion considérable
de ressortissants polonais appartenant à des minorités ethniques, de
reUgion ou de langue, ces minorités se verront assiu^er une part équi-
table dans le bénéfice et l'affectation des sommes qui pourraient être
attribuées sur les fonds pubhcs par le budget de l'État, les budgets muni-
cipaux ou autres, dans un but d'éducation, de reUgion ou de charité.
Les dispositions du présent article ne seront apphcables aux res-
sortissants polonais de langue allemande que dans les parties de la Polo-
gne qui étaient territoire allemand au 1er août 1914.
ARTICLE 10
Des comités scolaires désignés sur place par les commimautés juives
de Pologne, assureront, sous le contrôle général de l'Etat, la répartition
de la part proportionnelle des fonds pubUcs assignés aux écoles juives,
en conformité de l'article 9, ainsi que l'organisation et la direction de
ces écoles.
Les dispositions de l'article 9, concernant l'emploi des langues dans
les écoles, seront applicables auxdites écoles.
ARTICLE 11
Les Juifs ne seront pas astreints à accompb'r des actes quelconques
constituant une violation de leur Sabbat, et ne de\Tont être frappés
d'aucune incapacité s'ils refusent de se rendre devant les tribunaux
ou d'accompUr des actes légaux le jour du Sabbat. Toutefois, cette
432 l'action française
disposition ne dispensera pas les Juifs des obligations imposées à tous
les ressortissants polonais en vue des nécessités du service militaire,
de la défense nationale ou du maintien de l'ordre public.
La Pologne déclare son intention de s'abstenir de prescrire ou d'au-
toris^ des élections, soit générales, soit locales, qui aiiraient lieu un
samedi; aucune inscription électorale ou autre ne devra obligatoirement
se faire un samedi.
ARTICLE 12
La Pologne agrée que, dans la mesure où les stipulations des articles
précédents affectent des persoimes appartenant à des minorités de race,
de religion ou de langue, ces stipulations constituent des obligations
d'intérêt international et seront placées sous la garantie de la Société
des Nat'ons Elles ne pourront êtro modifiées sans l'assentiment de
la majorité du Conseil de la Société des Nations. Les Etats-L'nis
d'Amérique, l'Empire britannique, la France, l'ItaUe et le Japon s'en-
gagent à ne pas refuser leur assentiment à toute modification desdits
articles, qui serait consentie en due forme par une majorité du Con-
seil de la Société des Nations.
des Nations. Les États-Unis d'Amérique, l'Empire britannique, la
France, l'Italie et le Japon s'engagent à ne pas refuser leur assentiment
à toute modification desdits articles, qui serait consentie en due forme
par une majorité du Conseil de la Société des Nations.
La Pologne agrée que tout Membre du Conseil de la Société des
Nations aura le droit de signaler à l'attention du Conseil toute infrac-
tion ou danger d'infraction à l'une quelconque de ces obligations, et que
le Conseil pom-ra procéder de telle façon et donner telles instructions
qui paraîtront appropriées et efficaces dans la circonstance.
La Pologne agrée en outre,qu'en cas de divergence d'opinion, sur
des questions de droit ou de fait concernant ces articles, entre le gouver-
nement polonais et l'une quelconque des Principales Puissances alliées
et associées,ou toute autre Pui.ssance, Membres du Conseil de la Société
des Nations, cette divergence sera considérée comme un différend aj-ant
un caractère international selon les termes de l'article 14 du Pacte de la
Société des Nations. Le gouvernement polonais agrée que tout diffé-
rend de ce genre sera, si l'autre partie le demande, déféré à la Cour per-
manente de Justice. La décision de la Cour permanente sera sans appel
et aura la même force et valeur qu'une décision rendue en vertu de l'ar-
ticle 13 du Pacte.
l'Action fbançaiiis
OCTOBRE 1919
LA VOIX DE LA TERRE
Pourquoi donc, 6 mon fils, désirer en tes veilles
Le minaret mauresque et Vombre des palmiers f
Tes rêves, à l'envol des migrateurs ramiers,
Pourquoi leur voudrais-tu d'exotiqu£s merveilles f
Sur mes monts, j'ai des lacs aux teintes sans pareilles..
J'ai des bois dont la paix guérit les maux premiers^
Des gaves grondeurs, des rocs de mousse habillés,
Des fleurs que le vent mêle et des chants dans mes treilles.
Chaque saison pour toi, je change de beauté.
L'automne, j'ai la pourpre. En mai, j'ai la verdure,
Et la neige me sert d'hivernale parure.
Dis, n'ai-je pas assez plaisante variété ?
— Au terroir de chez nous qui nourrit ton enfance
Garde à jamais tes vers d'angoisse ou d'espérance.
Hermas Bastien.
Vol. III, No 10
Les précurseurs
CALIXA LAV ALLEE
Dans la série d'études que V Action française a entrepris
de publier sur les Précurseurs, Calixa Lavallée semble avoir
sa place tout indiquée, non qu'il fût, à la vérité, un précur-
seur dans la large acception du mot, mais parce qu'il occupe
une place considérable à une époque oii la vie musicale com-
mençait chez nous à se manifester.
Pour le peuple canadien, Lavallée reste par-dessus tout
l'auteur de notre hymne national 0 Carmda, et ce mérite,
que les musiciens ne sont peut-être pas enclins à exagérer,
n'en constitue pas moins une auréole de gloire légendaire à
jamais attachée à son nom.
Avant de parler de Calixa Lavallée il serait intéressant >
croyons-nous, de jeter un coup d'œil sur le passé, de cherchei"
ainsi à reconstituer brièvement le milieu social, — je ne dirai
pas encore le milieu artistique, — qui vit éclore le talent de
celui que nous voulons étudier quelques instants. Et ceci
se passait vers le milieu du siècle dernier.
On peut afïu-mer sans crainte que la vie musicale, telle
que nous la concevons aujourd'hui, n'existait pas, à propre-
ment parler, avant 1850. Quelques concerts à de rares
intervalles, donnés par des artistes de passage, précédés
d'une réclame tapageuse, venaient seuls rompre l'existence
monotone de nos pères et faire trêve à leurs préoccupations
politiques. Durant cette période où les luttes parlemen-
taires passionnent les esprits, les gazettes, on le conçoit,
l'action française 435
ne se livrent guère à la critique des choses de l'art; et si
elles mentionnent parfois les événements artistiques, ce
n'est que sous forme d'annonces. Mais, fort heureusement,
grâce à ces annonces où les programmes sont pubUés en
entier, nous pouvons aujourd'hui reconstituer les soirées
musicales de ce temps, comme aussi les soirées dramatiques.
Le Théâtre Royal, à Montréal, où avaient lieu ces exploits,
souvent organisés par des amateurs, voyait aussi se réunir
des corps de musique de la garnison anglaise, tel celui du
79e régiment sous le commandement du colonel Douglass.
Citons en particulier la soirée du 23 avril 1829, où des ama-
tem's jouèrent L'Avare, de Molière, avec le concours de la
bande du 79e régiment, qui fit entendre ce soir-là, durant les
entr'actes, les morceaux de son répertoire. Mais des con-
certs étaient aussi donnés au Masonic Hall, comme en
témoigne la soirée du 20 mai 1830, organisée par le Signor
Jean Muscarelli, « de l'opéra de Milan, » ainsi que le pro-
clamaient les affiches. Le programme de ce concert n'indi-
que pas un degré notable de goût artistique par le choix des
pièces. Quant au public, il faut croire qu'il avait peine à
soutenir longtemps une oreille attentive, puisque le signor
Muscarelli trouva prudent de terminer la soirée par une
pièce burlesque, dans le but évident de renvoyer son public
gavé de rire et de bonne humeur.
Y avait-il, par contre, à cette époque, de la musique
intéressante dans nos églises ? Si l'on en excepte le chant
grégorien et nos vieux Noëls français qui se sont perpétués
jusqu'à nous grâce à nos offices religieux, il ne semble pas
qu'il y eût souvent dans nos temples de la musique d'une
réelle valeur. Nous avions pourtant dans le pays, notam-
ment à Québec, des orgues et des organistes depuis l'époque
lointaine où Mgr de Laval écrit que « nos orgues mêlent leurs
voix harmonieuses à celles des chantres ». Dans les
436 l'action française
registres de la paroisse de IMontréal, il est question également
d'orgues dès 1713. Des notes, curieuses pour les érudits,
traitent du salaire des organistes, des réparations d'ins-
truments, mais n'apportent aucune indication instructive
au point de vue artistique. Toutefois, ces notes nous
apprennent les noms, la plupart oubliés, des artistes qui se
succédèrent aux orgues de notre vieille paroisse, et parmi
lesquels il faut citer : Guillaume-Joseph Mechtler (natif
de Bruxelles) organiste de 1792 à 1833, J.-C. Brauneis,
Allemand d'origine, Léonard Eglaugh, Berlj-n, Patrice
Lacombe et Jean-Baptiste Labelle, dont la nomination date
de 1849.
La plupart de ces artistes étaient, comme on le voi t
d'origine belge ou allemande, ce qui laisserait présumer que
les études musicales n'étaient pas alors très avancées parmi
les nôtres, ou bien que l'on professait, déjà en ce temps, un
certain engoûment pour l'étranger.
Quoi qu'il en soit, la position d'organiste à la Cathédrale
de Québec fut offerte en 1849 à un musicien français,
Antoine Dessane. Celui-ci, en cette même année, traversa
les mers pour venir se fixer au Canada. Antoine Dessane
était un musicien de race. Ancien élève du Conservatoire
de Paris, où il avait étudié sous la direction de Cherubini;
plus tard disciple du compositeur Onslow, Dessane était
un artiste sérieux, trop sérieux peut-être à une époque où
l'on ne prisait que les flonflons et où le style classique était
inconnu. Néanmoins Antoine Dessane prit son rôle
d'initiateur, de missionnaire de l'art, avec une conscience et
une ardeur qui sont la caractéristique de sa longue carrière.
« Un organiste nouveau et étranger à la Cathédrale de
Québec était à cette époque un événement,» écrit lui-même
Dessane dans des mémoires intimes qu'il a laissés. « Aussi
mes débuts furent-ils heureux. D'aucuns me trouvèrent
l'actiox fraxçaise 437
sérieux clans mon style, mais convinrent avec la majorité
qu'ils avaient acquis un artiste comprenant sa mission .»
Ajoutons qu'Antoine Dessane était admirablement
secondé dans les concerts qu'il organisa, par le talent de
sa femme que l'on dit avoir été une chanteuse et une
diseuse parfaites. ^ladame Dessane a été un professeur de
chant dont le talent fut toujours associé à la carrière de son
mari. La société de concerts fondé par lui et appelée la
Société harmonique paraît avoir donné, vers 1855, une cer-
taine impulsion à la musique et créé à Québec un mouvement
artistique.
C'est vers cette époque que l'on voit surgir le talent
impétueux d'Ernest Gagnon, l'auteur futm- des Chansons
populaires du Canada, l'écrivain charmant, précurseur de
nos folkloristes d'aujourd'hui. Nommé organiste à l'église
Saint-Jean Baptiste de Québec en 1853, Gagnon fait alors
les déHces de la société québecquoise par son talent prime-
sautier, un peu nature, vibrant à l'excès, talent qu'il ira
discipliner plus tard à Paris, pour revenir après quelques
années reprendre ses fonctions à Saint -Jean-Baptiste, puis
à la Basilique en 1865.
Vers le même temps, deux musiciens français, Paul
Letondal et Charles Sabatier, donnent à ^Montréal une vive
impulsion à leur art. Le premier, ancien élève de l'Ins-
titution des jeunes Aveugles de Paris, est un violoncelliste
remarquable en même temps que pianiste et théoricien.
Après avoir consacré plusieurs années à donner des concerts,
il se livre ensuite à l'enseignement et forme de nombreux
élèves, parmi lesquels il faudrait citer la plupart des musi-
ciens de cette époque. Le second, Charles Sabatier
enchante les dilettantes d'alors par son talent de pianiste.
Il compose, en 1860, à l'occasion de la visite du jeune prince
438 l'action française
de Galles, (plus tard Edouard VII) une cantate qui fait
sensation. Une mélodie de lui, une romance plutôt, dans
le goût de l'époque, composée sur un poème de Crémazie,
Le drapeau de Carillon, rend son nom populaire. Sabatier
a laissé pourtant des choses assez intéressantes, des motets
dont l'écritui'e révèle un bon musicien. Malheureusement
l'influence de Sabatier fut de courte durée, car le 22 août
1862, il expirait à l'Hôtel-Dieu de Montréal à l'âge de 42
ans.
Mais l'élan est donné. Bientôt ce sera toute une
floraison de jeunes talents. Relevons, à Montréal, les
noms d'Emma Lajeunesse, — qui deviendra la célèbre
Albani, — Marie Regnault, Dominique Ducharme, Moïse
Saucier, Charles Panneton, Gustave Gagnon, Romain-
Octave Pelletier. Les deux derniers que je viens de citer
sont aujourd'hui, au Canada, les seuls survivants de cette
pléiade. Gustave Gagnon, frère d'Ernest Gagnon, a suc-
cédé à celui-ci comme organiste à la Basilique de Québec,
et durant sa longue carrière, a été l'âme du mouvement
musical en cette ville. R.-Octave Pelletier, le précurseur
à Montréal du vrai style de l'orgue, est le doyen respecté de
nos musiciens. Chargé d'années mais encore vert, il est
l'organiste actuel de la cathédrale. Sa vie a été un long
apostolat artistique; son enseignement a été des plus féconds.
Telles étaient les conditions dans lesquelles se déve-
loppait déjà la musique lorsque Calixa Lavallée entra en
scène.
Né le 28 décembre 1842, à Verchèrcs, Calixa Lavallée
montra dès l'enfance des dispositions extraordinaires pour
la musique. Doué d'une rare précocité, il apprit tout
enfant à jouer un peu de tous les instruments. Le père du
l'action française 439
jeune Calixa, habile à fabriquer des violons, quitta bientôt
son village pour aller travailler à Saint-Hyacinthe chez
Pierre Casavant,facteur d'orgues, père des frères Casavant,
nos facteurs actuels. C'est à Saint-Hyacinthe que le jeune
Calixa donna les premières marques de son talent naissant.
A l'âge de onze ans, il touchait déjà les orgues de la Cathé-
drale lorsqu'une circonstance le fit particulièrement remar-
quer, A l'occasion de funérailles extraordinaires, on avait
cru devoir demander le concours du Chœur de l'Église
Notre-Dame de Montréal, que dirigeait alors l'abbé Lazare-
Arsène Barbarin, prêtre de Saint-Sulpice, l'un des maîtres
de chapelle réputés de ce temps-là.
L'abbé Barbarin comptait évidemment sur l'organiste de
la cathédrale pour jouer les accompagnements. Quelle ne
fut pas sa surprise lorsqu'il vit apparaître à la tribune . . .
un enfant ! Il voulut d'abord le renvoyer, ne pouvant
croire qu'un gamin de cet âge pût exercer les fonctions d'or-
ganiste. Mais l'enfant paraissait sûr de lui-même, la flam-
me d'une intelligence vive brillait dans ses yeux. « Laissez-
moi essayer, voulez-vous? )) dit-il. — « Allez-y, mon enfant,
nous verrons bien,» reprit l'abbé. D'une seule enjambée
le gamin fut aussitôt perché sur le banc de l'orgue. En
quelques minutes il avait déjà fait ses preuves, déchiffrant
ce qu'on lui présentait avec une sûreté étonnante. L'abbé
Barbarin en fut émerveillé et prédit à l'enfant une carrière
brillante. Vers ce temps-là le jeune Calixa devait fréquen-
ter le petit séminaire de Saint-Hyacinthe,où il ne fit du reste
que passer de 1852 à 1853. Puis il suit naturellement son
père, Augustin La vallée, qui vient se fixei' à Montréal pour
y exercer l'état de luthier. C'est alors qu'il aurait, d'après
un biographe^, débuté à 11 ans comme pianiste au théâtre
^ Ch. Labelle, L'Echo musicale, janvier 1888.
440 l'action française
Royal de cette ville. Il eut pour professeurs Paul Letoiidal,
et plus tard, Ch.-W. Sabatier qui lui enseignèrent le piano.
Les .progrès durent être rapides puisque, à dix-huit ans,
il se sent déjà de taille à donner des concerts aux États-Unis.
Il avait au surplus la ressource de jouer passablement du
violon et aussi la plupart des instruments à vent. Avec
cette heureuse confiance que lui inspirent ses dix-huit ans
et son adresse débrouillarde, il part pour la Nouvelle-
Orléans, où il débute assez heureusement; après quoi, en
compagnie d'un certain violoniste espagnol, du nom de
Olivera, il fait une tournée de concerts au Brésil et aux
Antilles.
Un détail peu connu de la vie aventureuse et nomade
de Lavallée, c'est la part qu'il prit, en 1861, à la guerre de
Sécession. Nous le voyons à ce moment quitter le clavier
pour prendre rang dans l'armée du Nord, servir d'abord
comme simple soldat, pour s'élever ensuite jusqu'au grade
de lieutenant, par sa belle conduite à Antictan, où il est
blessé. De retour au pays, il séjourne au miheu des siens
pendant deux années, faisant du concert et aussi de
l'enseignement. Dans l'hiver de 1864, il prend part à dix-
sept concerts dans la seule ville de ^Montréal. ^
Mais il se fatigue bientôt de l'existence monotone que
l'on mène en notre ville à cette époque reculée. Dès lors,il
ne reste plus en place, voj'age un peu de tous côtés, et cette
existence de troubadour durera jusqu'en 1873, alors que
des citoyens de ^lontréal, à la tête desquels il faut citer
' Nous relevons, dans la Minerve du 21 janvier 1864, l'annonce d'un
concert donne par Calixa Lavallée en la « nouvelle salle des Artisans,
grande rue Saint-Jacques ». « M. Lavallée a l'honneur d'annoncer au
public de Montréal et des environs qu'il exécutera sur trois instruments
différents tels que piano, violon et cornet à pistons. Il est assisté par
les artistes amateurs suivants : Dlle Bourassa, Dlle Derome, AL H.
Gauthier, F. Lavoie, J. Boucher, F. X. Valade, P. V. Baril et Maître (sic)
Jos. Galaise. »
l'action française 441
M. Léon Derome, lui fournissent les moyens d'aller étudier
en France. Il passe deux années à Paris, étudie le piano
avec Antoine Marmontel, l'harmonie et la composition avec
Bazin et un certain Boïeldieu, — qu'il ne faut pas confondre
avec l'auteur de la Dame Blanche. Son retour à ^Montréal
est signalé dans les journaux du temps par les articles du
du ton le plus élogieux. Il rapporte des compositions pour
le piano : une marche, une mazurka et une étude, dont le
Canada musical ( (livraison du 1er août 1875) fait, sous la
signature de R. -Octave Pelletier, une appréciation sérieuse.
C'est vers cette époque que Lavallée organise des concerts
avec Jéhin-Prume, le célèbre violoniste belge qui, comme Ju-
les Hone, avait faitdu Canada son pays d'adoption. En 1877,
ils entreprennent ensemble de donner Jeanne d'Arc, le dra-
me lyrique de Gounod,avec gi-and orchestre. Madame Jéhin-
Prume tenait le rôle de Jeanne d'Arc. Ce fut un événement
considérable signalé en termes enthousiastes par les journaux
d'alors. Il est vrai que le ton superlatif qui règne dans
toutes ces gazettes ne suffirait pas pour renseigner les géné-
rations futures sur la valeur des choses que l'on appréciait
ainsi. Pas plus qu'aujourd'hui le sens de la mesure n'exis-
tait alors, et l'on versait volontiers dans un dithyrambe où
la candeur de l'admii-ation n'avait d'égale que la gaucherie
à l'exprimer.
Toutefois cette littérature et les applaudissements du
public ne suffisent pas à assurer l'existence des artistes quand
tous ces souffrages ne se traduisent pas par quelque bon-
ne recette. Lavallée en fit la triste expérience lorsque, à Qué-
bec, il dirigea plus tard une cantate qu'il avait composée pour
une réception en l'honneur du Marquis deLorne et de la Prin-
cesse Louise. Il avait formé un chœur de 250 voix et un or-
chestre de 80 musiciens. Le succès fut très gi'and, dit-on, et
la Princesse félicita vivement l'auteur. Seulement, l'orga-
442 l'action française
nisation de ce concert avait nécessité des dépenses très
lourdes, et la recette laissait un déficit à combler, que le
compositeur dut solder de ses deniers. Avait-il, avec trop
de confiance conipté sur des promesses plus ou moins vagues
du monde officiel ? Cela peut bien être. « J'ai eu, disait-il,
avec quelque amertume, l'honneur de recevoir la princesse
pour le compte du gouvernement de Québec, mais c'est
moi qui ai payé les violons. »
Cette cantate est restée, je crois, en manuscrit. Au
dire des musiciens contemporains de Lavallée, c'était
une composition de circonstance, bâclée à la hâte et sans
grande consistance. Lavallée avait de la facilité, un cer-
tain métier pour écrire des pièces de piano d'un style élégant,
des romances bien tournées, mais pas suffisamment de
science pour aborder de grandes œuvres. A l'égal de
Guillaume Couture, — notre véritable précurseur dans l'art
de la composition musicale, — il n'avait pas suffisamment
étudié ce que l'école peut enseigner; aussi dans l'âge mûr
était-il tourmenté d'un désir impuissant d'aborder le genre
symphonique. Ajoutez à cela peu de méthode dans le
travail et une certaine répugnance à terminer, à mettre au
point ce qu'il avait commencé. M. Alfred De Sève, qui ■
l'a bien connu à Boston, me disait avoir joué de Lavallée un
concerto de violon, dont la partie d'accompagnement, jouée
par l'auteur, n'avait jamais été écrite, sinon par quelques ^
notes jetées à la hâte. Vers le même temps, toutefois, ^
Lavallée avait composé; pour une circonstance, un Tu es f
Petrus, motet pour soli, chœur et orgue. Cette composition-
gravée à Boston, eut un certain succès et valut à son auteur
le suffrage des musiciens de cette ville.
C'est là, à Boston, où il était allé chercher gloire et
fortune que Lavallée mourut en 1891 à l'âge de 49 ans. IL
s'y était conquis une réputation enviable. Croyant faire j
l'action française 443
mieux, il avait depuis dix ans quitté « son ingrate patrie ».
A la vérité il ne fut jamais oublié des siens. L'erreur de
Calixa Lavallée c'est d'avoir en son pays voulu vivre du
concert à une époque où pareille chose, plus encore qu'au-
jourd'hui, était impossible. Quant à faire de l'enseigne-
ment, Lavallée en fit certes, d'une façon intermittente, et
du meilleur. Toutefois le professorat, alors trop peu
rétribué, condamnait un musicien à l'esclavage d'une vie
laborieuse, monotone et sédentaire, toutes choses insuppor-
tables à une nature comme la sienne. Mais à Boston fut-il
plus heureux et plus riche que parmi les siens? Nous ne
le croyons pas, car il y mourut dans une situation de for-
tune assez précaire, laissant presque sans ressources sa
veuve et son fils. Il avait cru trouver des succès sur une
scène plus vaste, dans une ville réputée alors comme aujour-
d'hui le centre le plus artistique de la République voisine.
Ce grand enfant qui aimait son pays, et qui l'aimait plus
qu'il ne s'en doutait lui-même, fut comme tant d'autres
victime d'un mirage. Pouvons-nous l'en blâmer? Il
manquait alors précisément parmi nous cette vie nationale
qui commence à peine aujourd'hui à se dessiner. Cette vie
nationale du Canada français, — chose étrange ! — Laval-
lée en a été, par l'hymne qu'il nous a légué, le précurseur
inconsciemment inspii'é. Sur les strophes écrites par le
juge A.-B. Routhier pour les fêtes de 1880 à Québec, il a
su trouver un chant qui par sa beauté, peut-être aussi par
un concours de ch'constances, s'est depuis imposé au
Canada tout entier.
Ce chant, sorte d'hymne choral, est son plus beau titre
de gloire, et perpétuera à jamais la mémoire de son auteur.
Nous ne voulons pas nous préoccuper de savoir jusqu'à
quel point cette simple chose est une œuvre d'art. Ce qui
n'est pas douteux c'est que ce chant, large, pénètre d'émo-
444 l'action française
tion les étrangers qui l'entendent pour la première fois.
D'aucuns, parmi les nôtres, , se plaisent à y découvrir des
réminiscences de la Flûte enchantée de Mozart, et que sais-je
encore? Je me demande ce que tout cela peut bien faire.
Il y a longtemps que l'on jongle avec les sept notes de la
gamme, et, au surplus, créer n'est-il pas un peu se souvenir ?
Il y certes plus de mérite à subir inconsciemment l'influence
des maîtres qu'à faire de l'érudition à la seule fin de dépister
des tours mélodiques qui appartiennent à tout le monde et
que l'on retrouve un peu partout.
Le mérite de notre chant national, c'est le peuple qui,
en l'adoptant, l'a en quelque sorte sanctionné. Tout est là.
Ce chant traduit, dans sa simplicité, un sentiment vrai,
sincère, un élan de fierté qui, à l'heure actuelle est quelque
chose de doublement précieux. Sait-on combien il peut
donner de réconfort à nos frères de l'Ontario, et de partout
où la lutte se fait pour la survivance française ? Car, ne
l'oublions pas, c'est aujourd'hui un chant de ralliement.
Il a la puissance mj'stérieuse que ne possède pas la parole
seule : il eirtraîne, il subjugue. Il est l'expression, — con-
ventionnelle je le veux bien, mais éloquente quand même, —
de notre idéal national et religieux.
Le rhapsode qui a trouvé ce chant, le poète qui en a
écrit les strophes, sont de ceux que, dans la vie des peuples,
la Providence choisit parfois pour exprimer l'âme de la
nation. Ce bon Lavallée, bohème incorrigible, n'avait
pourtant rien de l'austère majesté d'un barde ou d'ini
prophète. Et pourtant cet honneur lui fut réservé.
Arthur Letondal.
i
QUE LES FEMMES S'EN MELENT!..,
Après un long séjour de Vautre côté de la frontière, un
brave Canadien revenait s^ établir au pays avec toute sa famille.
Le vieux curé qui V avait vu partir, jadis, avec appréhen-
sion et regret, songeant tristement : « Encore un de perdu /...))
V écoutait aujourd'hui, étonné et ravi. . . Dans le plus authen-
tique parler du terroir, son ancien paroissien évoquait les souve-
nirs de sa vie là-bas : les misères du début, la venue des temps
prospères; il disait comment, un beau jour, la nostalgie du
sol natal lui était entrée dans le cœur. . . Puis il y avait les
garçons, solides gaillards bientôt en âge de se marier. . . Ils
ne voulaient épouser que des filles de leur religion et de leur
race et avaient hâté le retour.
— Mais enfin, remarqua tout ému le curé, vous habitiez
une ville protestante, vous n'' entendiez jamais parler votre lan-
gue. . . Comment avez-vous pu rester ainsi bons catholiques
et bons Canadiens f...
— Hé ! monsieur le curé, pas bien malin... avec la
femme !... C'est qu^ elle n^ était pas co7nmode, allez ! Figurez-
vous qu'elle n'a jamais voulu apprendre un mot d'anglais,
pas un ! Alors il n'y avait pas à regimber : on parlait fran-
çais à la maison. . . Si, par hasard, un des enfants s'oubliait^
vlan ! « Parle donc comme du inonde, toi !...))
Pour la religion, c'était la même chose. Le dimanche^
par exemple. . . souvent on aurait bien voidu se" reposer un
brin. . . Pas d'affaires ! . . . Il n'y avait qu'ime petite cha-
pelle catholique à l'autre bout de la ville. Il fallait se lever
matin et arriver à la messe à l'heure. Pas de messe, pas de
446 l'action française
dîner ! . . . Je trouvais cela dur, allez, dans le temps, pour les
petits. . . mais aujourd'hui, je remercie la mère. Si on est
ce qu'on est, c'est à elle qu'on le doit. Ah ! les femmes, mon-
sieur le curé, quand elles s'en mêlent / . . . »
Quand elles s'en mêlent ! . . . Il avait raison, le brave
homme. Dans combien de familles exilées du foyer de la race,
le même prodige de conservation religieuse et nationale s'est-il
réalisé, grâce uniquement à une intelligente et énergique inter-
vention féminine !
Quand elles s'en mêlent ! . . . La voix du bon sens popu-
laire le proclame, toid comme l'expérience le prouve, tout comme
l'atteste l'histoire de notre survivance : où se porte la femme,
là est la victoire.
Que les femmes s'en mêlent donc ! . . .
A cette heure surtout où l'on suppide plus haineusement
que jamais, en certains quartiers, les chances de vie ou de mort
pour notre peuple, une lourde mais glorieuse responsabilité
nous échoit. D'impérieux devoirs sollicitent notre action
et réclament la mobilisation de toutes les volontés. Ils s'impo-
sent particulièrement à nous. Canadiennes des provinces en
majorité anglaises. Ils se résument presque tous en un mot :
la sauvegarde de la langue.
Ah ! si les mères tout d'abord le voulaient ! . . . Elles
sauraient bien « boiUer dehors » ces redoidables complices
de l'anglicisateur si fréquemment installés à la table même
de famille : le snobisme des uns, la lâcheté des autres, l'indiffé-
rence du plus grand nombre. Elles sauraient bien, comme la
vraie patriote qui ne pouvait souffrir qu'aucun des sie^is, chez
elle, ne parlât pas « comme du monde », elles sauraient bien
l'action française 447
trouver, dans l'amour de leur race et le fier désir de la voir se
continuer sans défaillance, le courage d'une intransigeance de
bon oloi et des répressions parfois nécessaires.
Grâce à elles, chaque maison canadienne redeviendrait
ce « petit nid bien français » oiX les âmes qui s'éveillent ne
subiraient que des influences propres à développer et à fortifier
en elles le sentiment national. Les beaux livres qui relatent
les luttes de nos ancêtres et ceux qui évoquent le pittoresque
ou l'héroïsme de leur vie remplaceraient, sur les tables et dans
les bibliothèques, les ineptes et dangereux magazines améri-
cains. Les feuilles anglaises, semeuses d'erreurs et défor-
matrices de notre mentalité, seraient détrônées par les revues,
les journaux qui montent vaillamment la garde autour de nos
droits. Ceux-ci, on les lirait, on les commenterait, le soir,
en famille. Parfois, le chant de quelque « refrain de chez nous ))
clorait la veillée et graverait au plus profond des cœurs et des
mémoires la suavité de nos doux accents. . .
Comme alors les enfants grandiraient dans l'amour, le
respect et l'orgueil de leur titre de Canadiens français ! Et le
désolant spectacle de jeunes gens, de jeunes filles méprisant
leur langue et ridiculement infatués de coutumes étrangères
n'existerait plus.
Après avoir ainsi allumé et avivé dans les jeunes âmes
la flamme patriotique, les mères canadiennes pourraient-elles
se désintéresser de l'œuvre qui assure le succès de leur tâche
première ou en ruine les effets : l'école f
Il est un strict devoir, là où la chose est possible, de pro-
curer une éducation française aux enfants. Tous les prétextes
sont futiles ou méprisables qui tentent de justifier la défection
sur ce point. Les grands intérêts à sauvegarder sont au-dessus
des petites vanités ou des petites combinaisons personnelles.
448 l'action française
Ne retranche-t-on rien, mesdames, dans vos écoles, aux
quelques bribes d'enseignement du français qui nous restent ?
Veillez ! Protestez ! Réclamez !
Quels bienfaisants résultats n^aurait pas encore une plus
intime collaboration de la mère et de Vinstitutrice ! C'est
par là seulement que la classe de français écourtée donnera
son plein rendement et que pourra s'inscrire, en marge des
études scolaires, une efficace campagne d'épuration de notre
langue si profondément altérée dans nos centres mixtes.
Une autre tâche de fierté et d'honneur nous incombe :
celle de la faire rayonner, cette langue injustement honnie et
proscrite, dans toutes les manifestations de notre vie sociale.
On l'a répété maintes fois, c'est dan^ les petits détails qu'elle
veut être défendue. Ne nous contentons pas de parler fran-
çais entre nous. Exigeons de nos fournisseurs qu'ils aient
au moins des commis qui nous comprennent. Faisons nos
commandes par la poste en français. Abdiquer sa langue
en même temps que l'on doyme son argent, c'est trop.
Nos maris, nos frères, nos amis, tout à leurs affairest
^ont parfois bien. . . distraits. Ils oublient la piimordiale
importance, pour une minorité cjui veut vivre, de proclamer
bien haut soji existence. Les enseignes bilingues, les cartes
^ofessionnelles bilingues, les en-têtes de lettres, les factures
bilingues sont autant d'éloquentes et subtiles voix entendues
par tous. Rappelons-le à l'occasion. Réveillons avec tact,
mais avec une persistante énergie, le patriotisme endormi.
Que les femmes s'en mêlent ! . . . C'est le trésor de notre
langue pieusement gardé et invinciblement défendu; c'est toute
Vâme de la race revivifiée et raffermie; c'est, aujourd'hui comme
hier, la pleine et lumineuse joie du triomphe assuré.
Annette Saint-Amant.
Prince- Albert, Sask.
LE TEMOIGNAGE DE TROIS
ANGLO-CANADIENS '
Je n'ai mis nul empressement à lire The Clash. Cette
voix protestataire n'avait-elle pas arrêté par sa lenteur la
promptitude de notre remercîment? L'attaque contre les
Canadiens français se poursuivait depuis des ans dans les
provinces anglaises. La cause de l'opprimé n'avait pas
encore trouvé chez la majorité une demi-douzaine de justes
qui consentissent à la défendre. Je trouvais inopportune
la réclame retentissante dont on saluait l'apparition de
ce livre. C'était enlever à notre tenue un peu de sa dignité.
Nous risquions de nous donner l'attitude de ces gens dont
l'honnêteté douteuse est trop diligente à répéter le premier-
témoignage de sympathie venu du côté des adversaires.
De la pile de livres qui sur ma table attendent d'être lus,
The Clash, malgré le vert et le rouge de son titre, ne parve-
nait pas à arrêter mon regard. Bridging the Chasm parut,
puis The Birthright. La voix de William Henry Moore
n'était donc pas isolée. Percival F. ]\Iorley et Arthur
Hawkes manifestaient des sentiments pareils aux siens.
Ces trois livres, publiés, à de courts intervalles, à Toronto,
foyer du fanatisme, révélaient un état d'esprit. 11 n'était
que juste de le connaître. Mon regret de n'avoir pas lu
plus tôt l'ouvrage de M. Moore fut atténué par la joie de
parcourir d'un trait les trois volumes et de trouver au long
des neuf cents pages qu'ils forment l'occasion fréquente
d'admirer, de remercier. Ces feuilles, dont quelques-unes
1 The Clash, par William Henry Moore, Bridging the Chasm, par
Percival Fellman Morlet, The Birthright, par Arthur Hawkes, édités
par J. jNI. Dent & Soxs, Ltd, à Toronto.
450 l'action française
portent la condamnation la plus sévère qu'aient reçue les
Anglo-canadiens, sont un précieux témoignage rendu aux
Canadiens français. Elles attestent le mérite. de quelques-
uns d'entre eux et l'excellence de leur conduite. Les hom-
mes d'élite qui, au nom de notre race, poursuivent la lutte
contre les persécuteurs canadiens de l'âme française, trou-
vent dans ces recueils une approbation, presque une revanche.
Ce sont leurs observations que répètent ces représentants
des adversaires; on leur emprunte leurs jugements. C'est
Arthur Hawkes et non plus Henri Bourassa qui attribue à
notre colonialisme, plus moral que politique, certaines de
nos faiblesses, la plupart de nos maux. Morley s'unit à
l'abbé Lionel Groulx et constate que la Confédération n'a
pas produit, durant les dernières cinquante années, le régime
que la lettre et l'esprit de la constitution promettaient. Ce
n'est plus Orner Héroux qui appelle Boches les Ontariens,
c'est Bill}^ Moore.
Les trois ouvrages traitent la même thèse sous des
aspects différents. Il y a unité de but, mais diversité de
moyens. Assurer le développement harmonieux de la
Confédération, pour cela étudier les maux qui l'arrêtent et
leurs remèdes, forme l'objet que poursuit chacun de ces
écrivains. The Clash, c'est la défense totale des Canadiens
français. Elle ne pouvait être ni plus complète, ni mieux
faite. M. Morley a ramené son étude autour d'un point
central, la question langue. C'est un document. Il
dénonce l'attitude de l'Ontario, dont l'injustice s'est accrue
par la promulgation du règlement 17. C'est toute la
situation politique du Canada qu'étudie M. Hawkes. Lui
assignant sa vraie place dans l'empire britannique, l'auteur
cherche le moyen de donner à chacun des habitants de ce
pays l'esprit canadien et d'en assurer l'essor. En cours de
route, les rapports d'harmonie nécessaires à la Confédéra-,
l'actiox fraxçaise 451.
tion l'arrêtent un instant. Ce lui est occasion de faire
entendre une note de justice. De ces trois volumes,
V Action française, sentinelle avancée de notre race, veut
dégager les idées essentielles, marquer leur importance et
leur portée. Du même coup elle exprime son tribut d'hom-
mage au talent de ces trois anglo-saxons et à leur com'age.
The Clash est un plaidoyer. Ce mot est-il approprié ?
Les Canadiens français n'ont rien à justifier. L'un des
éléments constitutifs de la Confédération, ils sont au Canada
chez eux. Ils n'ont point attitude d'intrus, ni figure de
criminels. j\Iais ]\I. Moore vit au milieu d'une population qui
nous veut écraser, ciui essaie d'expliquer cette oppression en
dénaturant nos façons de penser et de sentir. Il a donc
voulu nous défendre. Nous ne connaissons pas de Cana-
dien de langue anglaise qui ait su mieux présenter notre
cause.
Commençant par le commencement, ]M. Moore prouve
l'existence de la nationalité canadienne-française, distincte
de l'anglo-saxonne. There are within Canada two national-
iiies, squarely opposed on issues which men hâve always con-
sidered Jundamental. Je suis reconnaissant à M. Aloore
de ne point nous mettre au rang des récents immigrants et
de nous reconnaître plus de droits qu'aux Doukobors.
Cette vérité a été méconnue même par quelques compa-
triotes. Ils oubliaient l'ancienneté de notre race sur terre
d'Amérique, ses services, l'appoint que ses fils apportent
à l'héritage commun. La similitude d'origine et d'aspira-
tions, l'unité de langue et de religion, lient les Canadiens
français entre eux. Elles les différencient des autres
éléments de la Confédération. Ce 'sont des islanders in a
452 l'action française
sea of continental anglo-saxon-amer icanism. Folie de vou-
loir les noj'er dans cette mer. Erreur, tentative injuste et vai-
ne de vouloir les assimiler. /7i seeking to limitFrenchCanadian
culture in Ontario, in Manitoba or in any other section of the
country once French, we are not only fighting against God as
Toynbee puts it — a pretty large order — but also against the
principle of freedom which Great Britain has said should
regulate the lives of a people made British hy the fortunes of
war. L'orgueil anglo-saxon est une corde prompte à
vibrer. M. Moore n'a garde de l'oublier. Il cherche à
faire rougir ' de honte les Ontariens en leur rappelant la
façon dont l'Angleterre use à l'égard des peuples qu'elle
conquit. Comparez l'attitude de la Grande-Bretagne
envers les Canadiens français au temps de l'Acte de Québec
et celle des gouvernants de Toronto en l'an 1918. Ceux-ci
ne savent plus faire écho aux paroles d'un Thurlow, d'un
Fox. Nombreux, en effet, sont les hommes d'État britan-
niques qui manifestent une conception des choses plus large
que celle que s'en forment les politiques coloniaux. Lord
Finlay nous en donnait récemment une preuve. Comment
les petits maîtres de Toronto et de Winnipeg ont-ils accueilli
les déclarations que fit au banquet du barreau montréalais
le grand avocat anglais, fier de mettre la gloire de l'Angle-
terre dans le souci de respecter les races, les langues, les
religions, quelque différentes qu'elles soient, des peuples
soumis à sa domination ? C'est, au dire aussi de M.
Moore, the Briiain's way. ]Mais il y en a une autre, celle
où marchèrent les Prussiens pour assimiler Polonais, Alsa-
ciens et Lorrains. C'est celle-ci que suivent les Anglo-
canadiens. Leurs méthodes à notre égard n'ont rien de
l'esprit britannique. Elles ont tout emprunté à la mentalité
teutonique. M. Moore fait mieux que de l'affirmer, il le
prouve. Comme il est douloureusement intéressant son
I
l'action française 453
parallèle entre les procédés de l'Allemagne et ceux de l'On-
tario ou du ]\Ianitoba ! La lecture des chapitres III, XI,
XII ouvrira, je l'espère, les yeux de maints Anglais. Ils se
diront qu'il est vain de dénoncer les tj'rans des minorités
en Europe quand il y a si près de nous de ces persécuteurs.
Pourquoi ceux-ci ont-ils choisi, pour multipHer leurs moyens
d'oppression en Canada, l'heure où la Grande-Bretagne,
précédée par la France, justifiait, au nom des petites nationa-
lités, son entrée dans la grande guerre ? Si les épithètes de
Hun, de Prussien, de Boche, signifient le fort, impitoyable
au faible, le vainqueur, injuste à l'égard du vaincu, ne crai-
gnons point de les appliquer aux gouvernants de l'Ontario
et du Manitoba. It is essentialîy a Prussian idea — celle
de ne pas permettre aux conquis de vivre en présence du
conquérant — hut not exclusively Prussian; for others,
including many English-Canadians, hâve accepted it.
Mais la question des langues n'est-elle pas, dans
l'Ontario, qu'une question de méthode pédagogique ? Non,
répond M. Moore : it is, as in Poland, a clash between two
rtationalities in which one believes that the other is seeking
ils destruction — and the évidence compels us ta admit not
without reason. Et cette tentative d'écrasement n'est que
la mise en pratique de théories allemandes. Entre autres,
l'une, d'ordre socialiste, qui réclame le racial homogeneity
comme condition nécessaire à l'établissement des réformes
sociales; l'autre, d'ordre économique, préconisée par les
marchands. Ceux-ci refusant d'apprendre l'anglais, s'op-
posent au peuplement de leur province par des Canadiens
français, de crainte que ces nouveaux colons ne créent de
Montréal au Nord de l'Ontario une route au commerce.
Que de raisons, pourtant, invitent les Ontariens à agir
autrement. Détaché de l'ancienne province de Québec,
l'Ontario fut tout d'abord colonisé par des hommes de notre
454 l'action fkaxçaise
race. Ce sont les Relations des Jésuites qui racontent le
commencement de son histoire. Dès 1615, le père LeCaron
visita la baie Géorgienne. Les corps mutilés de Brébeuf
et de Lalemant furent inhumés à Sainte-oVIarie. INIaints
endroits de l'Ontario portèrent d'abord des noms français.
On n'est pas parvenu à effacer complètement cette première
empreinte, même en les dotant, pour les démarquer, de
noms — tels Tiny, Tay, Floss — empruntés aux trois pet
poodle dogs de Ladj' Simcoe. Les traits d'héroïsme, accom-
plis par nos ancêtres dans l'Ontario d'autrefois, ne sauraient
émouvoir les Anglo-Canadiens d'aujourd'hui. Ils sont de
la race supérieure ! Peuvent-ils avoir rien de commun, ne
serait-ce que l'admiration des héros, avec l'inférieure, la
nôtre ? « Est-ce vrai que vous ne connaissez pas Philippe
Hébert, l'un des Canadiens les plus distingués » ? demandait
un jour lord Grey à un riche marchand de langue anglaise.
Oh ! a French-Canadian !, répliqua celui-ci avec une moue
dédaigneuse. Herein lies the well of Canada^s national
trouble, écrit avec raison M. Moore. Les Anglo-canadiens
nous méprisent. C'est un obstacle insurmontable à toute
entente. Nous ne sommes à leurs j'eux que des vaincus,
une gent bonne à exploiter, à bousculer à coup de botte.
N'est-ce pas un professeur de McGill qui, ces mois derniers,
nous comparaît à des coquerelles ? Si au moins leur morgue
(non des coquerelles, mais des Anglo-canadiens) était
justifiée. Elle ne l'est pas. INI. Moore proclame que pour
le moins nous les valons. Notre généalogie, dont nul ne
saurait douter, nous rattache à des ancêtres de haute
renommée. Au reste, M. Moore, posant de façon érudite
des distinctions nécessaires entre les mots race et nationalité,
retraçant l'origine des peuples modernes, conclut des dif-
férences qu'il trouve entre eux qu'elles ne sauraient assurer
la supériorité de sang ou de mentalité de l'un sur l'autre.
l'action française 455
Les Anglo-canadiens auraient-ils du moins celle que con-
fère la culture de l'esprit ? Nous sommes des marchands,
clament-ils; les Canadiens français n'en sont pas, donc ils
sont inférieurs. C'est le ty^ade argument. M. Moore
porte jusque sur ce terrain la défense des Canadiens fran-
çais. Vous les accusez, apostrophe-t-il les Anglo-canadiens,
de n'être pas intéressés dans les grandes entreprises; vous
ne l'êtes pas davantage. Et, chiffres à l'appui, il leur prouve
que les affaires de haute envergure, les chemins de fer, par
exemple, sont soutenus par l'or anglais et américain. Ces
derniers temps, on retraçait dans les compagnies de voies
ferrées canadiennes au moins 2,914 millions de dollars
anglais et 637 millions de dollars américains. Chaque
année, des sommes phénoménales de dividendes et d'intérêt
entrent dans le gousset des prêteurs de Londres ou de New-
York. Les Canadiens français empruntent moins à l'étran-
ger pour maintenir leurs industries. La conclusion, dit
M. Moore, c'est que les profits qu'elles produisent restent
au Canada. Mais des nations, parce que catholiques, ne
sont-elles pas inférieures, au chapitre de la prospérité
matérielle, à d'autres nations, parce que celles-ci protes-
tantes ? M. Moore n'en est pas convaincu et si les affaires ,
ajoute-t-il, étaient le critérium suprême, il faudrait mettre
le juif au-dessus du protestant. Elles ne le sont pas. Et
la philosophie de M. Moore est assez éclairée et assez pro-
fonde pour qu'il écrive : Neither religions nor national ideas
are tangible matters to be weighed like wool and sait on com-
mercial scales. Il quitte le sujet, non sans avoir donné un
dernier coup à ceux qui tiennent par-dessus tout à la supré-
matie des affaires. Il retourne contre eux le trade argument.
Faites votre commerce avec l'étranger et rappelez-vous qu'il
parle français. Que le gouvernement canadien se mette
donc en mesure d'inscrire, au nombre de nos ressources
456 l'actiox fkaxçaise
les plus précieuses, à côté de la colonne énumérant nos forces
hydrauliques et nos chemins de fer, our ability to use as
working tools the tico great languages in which the world's
•commerce is conduded. M. Moore se joint à M. Léon
Lorrain pour attester la valeur économique du français.
Le système éducationnel des Canadiens français est-il
inférieur à celui des Anglo-canadiens ? Les dénigreurs de
notre régime d'instiniction publique réformeront peut-être
leur jugement à la lectm'e du li\Te de ]\L ]\Ioore. Ils seront
étonnés de le voir préférer à l'école nationale et neutre l'école
confessionnelle qui non seulement instruit mais éduque, au
ministère de l'instruction publique dont est doté l'Ontario
notre Conseil de l'instruction publique. Retraçant la part
prise en tout pa^'s, notamment dans le nôtre, par le clergé
à l'instruction du peuple, l'auteur a excellemment montré
l'influence heureuse de l'Église sur l'école. Combien chez
nous seront surpris de trouver dans The Clash ces pages
remarquables. Il nous conseille de porter nos efforts du
«ôté des sciences appliquées. La faiblesse de nos étabUsse-
ment d'enseignement supérieur se trouverait in the labora-
tory. Mais, même sur ce point, ne généralisons pas trop
vite, reprend M. Moore. En matière d'instruction tech-
nique, Québec devance Ontario. Nous pourrions ajouter :
même en fait d'enseignement commercial. A la dernière
réunion tenue par les représentants des universités cana-
diennes à Ottawa en mai 1919, M. Frank Béer, de Toronto,
nous fit une conférence sur la nécessité de promouvoir
l'enseignement du commerce. Sa causerie terminée, M.
Arthur Surveyer, l'un des délégués de l'université Laval à
Montréal, rappela l'œuvre accomplie à ^Montréal, depuis
plus de dix ans, par notre école des hautes études commer-
ciales. Son exposé, clair et complet, apprit aux professeurs
des universités anglaises que Laval avait su mieux qu'elles
i
l'action française 457
organiser renseignement de cette branche du savoir. Et
ils n'hésitèrent pas à admettre que sur cet autre point
Québec, l'idéaliste, donnait l'exemple à l'Ontario le pra-
tique. Certes, ne nous trompons pas nous-mêmes. Notre
système d'instruction publique réclame notre attention
la plus active. Il reste dans ce sens beaucoup à faire.
Est-ce une raison pour méconnaître les œuvres que nous
avons créées ? Nous avons les cadres. Remplissons-les.
Ne les détruisons point. Je sais gré à M. Moore d'avoir
fait cette opportune observation. Pour nous convaincre
davantage, il admire les produits de notre enseignement,
il prend plaisir à signaler que, dans tous les domaines, en
littérature ou en politique, nous ne sommes pas inférieurs
aux Canadiens anglais. C'est en s'appuyant sur de telles
prémisses que M. ]Moore conclut à notre droit de vie libre
et fière en terre canadienne. Chercher à écraser un tel
peuple, c'est provoquer la réaction rédemptrice et assurer
sa survivance. A propos, les Canadiens français survi-
vront-ils ? S'inspirant des théories de Thomas Buckle, M.
Moore croit que le milieu, le climat, par exemple, fera peut-
être à la plupart des Canadiens une âme pareille. Oui, il
se peut. Combien de bordées de neige et de jours de pluie
et de matins torrides exigera cette fusion ! Il se peut que
l'homogénéité soit iné\atable. M. Moore ne le souhaite
pas parce qu'il y a mieux : l'harmonie dans la variété des
tempéraments, la possibilité pom* le Canada, terre du Nou-
veau-]Monde, de conserver, unis mais non fondus, les héri-
tiers des deux esprits qui, dans l'Ancien, apportèrent à la
civilisation sa lumière et sa force.
Peu de livres m'ont autant intéressé sur les choses de
mon pays que The Clash. Riche de données philosopliiques
et historiques, il nous éclaire, non seulement sur la mentalité
des Anglo-Canadiens et leurs menées à notre égard, mais
458 l'actiox française
aussi sur nous-mêmes. C'est par là surtout qu'il nous est
utile. Connaître l'adversaire est bien; se connaître vaut
mieux. L'on se sent plus fier et plus ardent au travail
quand, le livre fermé, l'on emporte le témoignage de cet
Anglo-âaxon siu" certaines institutions de chez nous. L'on
admire son courage à défendre cette race, tant injuriée, à
justifier la conduite de Benoît XV au cours de la récente
guerre et l'attitude des Canadiens français à l'égard de la
loi de conscription. Il possède la lumière et la liberté
d'esprit qu'il faut pour étudier avec succès les problèmes
canadiens. Son Polly Masson révèle son intention de ne pas
abandonner sitôt cette tâche. Il continuera de l'accom-
plir à l'honneur de son talent et au profit du Canada.
]Même si, le jour où parut The Clash, le manuscrit de
Bridging the Chasm n'était pas terminé, ainsi que s'en
glorifie M. Percival F. ]\Iorley, il n'y avait nulle raison
de craindre que ces deux livres fissent double emploi. Cou-
vrant un champ moins vaste que celui exploré par M. Moore,
i\I. ]Morle\' groupe ses observations autour de la question
langue. Le règlement 17 est non seulement l'appendice de
son livre, il en est le centre. D'où vient qu'en 1919 les
Canadiens anglais et français ne sont pas plus unis qu'en
1867? Ne le sont -ils pas moins '? La tentative de les unir
peut-elle se justifier? Placer Français et Anglais
au nord de l'Amérique, côte à côte, sans une Planche qui
les puisse séparer, c'était un coup d'audace de la Providence.
N'est-ce pas folie d'aller plus loin et de les vouloir unir en
une nation ? Appliquons-nous du moins à faire disparaître
les causes de heurt. Voyons tout d'abord la situation d'un
œil tranquille. Repoussons les préjuges. Anglo-cana-
l'action française 459
diens, cessez de penser que runion des races en ce paj-s est
étranglée par un prétendu ogre, nommé tantôt influence
papale, tantôt domination cléricale. Il y a bien d'autres
choses. Le point de vue religieux nous sépare; il ne creuse
pas un abîme. ^'What one finds over and over again in their
columns is plaint of "injustice", "insulV "persécution".
Their pet nanies for us is not "hérétiques" , hut "Boches"
The trouble is racial rather than religious" . ]Mettez-vous
dans la peau des Canadiens français, conseille INI. ]Morley
à ses coreligionnaires. Repassez en esprit leur histoire;
revivez leur défaite de 1760, les souffrances, les exactions,
les injustices qui s'ensuivirent. Vous connaissez tout des
défauts de ce peuple, son provincialisme, ses goûts moj^en-
nageux et arriérés, regardez un peu ses ciualités. Terminez
cette heure de réflexion en scrutant vos faiblesses et vos
lacunes. Nous tirerons ensuite la conclusion. Au cours de
cet examen de conscience, ^I. Morle}' étudie la question
langue. Quelle que soit la lutte que les Canadiens français
eurent à soutenir à ce sujet depuis 1760, c'est dans les écoles
de l'Ontario que les attaques les plus dangereuses furent
portées au parler français. Manitoba imita cet exemple.
Jusqu'à la fin du 19ème siècle les Canadiens français de la
province voisine furent libres de se servir du français dans
leurs écoles. En 1889, le gouvernement de l'Ontario inau-
gura une politique d'anglicisation c^ui trouva son point
culminant en 1912 dans le règlement 17. Quelle est la
portée de ces dispositions nouvelles? The measures ins-
tituted then and later, though not aimed directly at the suppres-
sion of the French longue, icill be none the less effective in that
direction and will contribute inevitably to the slow but sure
extinction of the pioneer languuge of the Dominion in the
provinces concerned. Le règlement 17 met fin, dans
l'Ontario, à l'existence des écoles bilingues. D'un trait de
460 l'actiox française
plume est raj^é le droit des Canadiens français — the well-
established title of the French-speakirig minority in our
province — à faire donner en langue française à leurs
enfants partie de l'enseignement (a reasonahle 'proportion of
iheir éducation.) Ce système est remplacé par what is
really an institution for the transformation, as rapidly as
possible, of young French-Canadians into young Anglo-
Saxcns. Les auteurs de cette loi inique étaient -ils du moins
de bonne foi? ]\I. Morley le croit, mais tout de suite i\
déclare que l'article 4 et son fameux hitherto fournissent une
raison suffisante d'en douter. Quel que soit l'esprit qui
l'inspira, the regidation sounds, in fad, the death-knell of the
French tongne in our province. C'est là détruire rœu\Te
développée en 18.67. Les pères de la Confédération
auraient pu montrer plus de clairvoyance et, précisant
certains points, nous éviter maints problèmes. Les auteurs
d'une constitution peuvent -ils tout prévoir et tout définir ?
A nous de découvrir l'esprit qui les anima et de l'appliquer
à la solution des difficultés qui surgissent. En demandant
un status égal pour la langue française et l'anglaise, les
Canadiens français ne réclament rien qui soit contre la
lettre ni l'intention du pacte fédératif.
Le perfectionnement de l'enseignement de l'anglais
n'exige pas l'abolition de la langue française. Au lieu
d'édicter le règlement 17, pourquoi, demande M. jMorley,
n'a-t-on pas plutôt ouvert des écoles normales où se forme-
raient des professeurs bilingues ? Le bilinguisme se pra-
tique en d'autres endroits de l'empire britannique. Pour-
quoi l'Ontario serait-il réfractaire à ce régime de justice?
Cette province n'a-t-elle souci que pour les méthodes alle-
mandes? Combattant l'idée de la reserve du Québec,
rappelant que nous ne sommes pas des Indiens, INL ]\Iorley
revendique pour nous, dans et hors Québec, le droit {the
l'actiox française 461
privilège — or should we not say the right — ) de conserver
les traditions de notre race, la langue française, en parti-
culier. Les Canadiens français ont exploré tout le Canada.
Ils sont chez eux partout. Reconnaissons-leur le droit d'y
vivre, de s'y développer, faculté dont nous, Anglo-Saxons,
nous usons naturellement, en quelque endroit que ce soit,
as a matter of course. Voyez comment la majorité dans
Québec traite 350,000 Anglais. Pourquoi sommes-nous
incapables de cette justice ? Notre devise est -elle : je
prends tout : Heads I win, tails you lose. Renversez les
rôles. Que la législature de Québec édicté un règlement 17
contre la langue anglaise. C'est les armes à la main que
tous les Anglo-canadiens protesteraient. Où est dans tout
cela la trace du British faii-play ? Non seulement votre
façon d'agir est injuste, anti-britannique; elle est malhabile.
Comment les Canadiens français peuvent-ils être un élément
de force si vous les dénationalisez, si, en les privant du mo-
yen d'instruction qui leur est propre, la langue française,
vous n'en faites que des moitiés de cito^-ens ? Cessez donc de
les mépriser, de les considérer comme une anomalie. Ce
qu'il faut c'est a frank récognition, hy work and deed, that the
French-Canadian possesses a Canadian citizenship equal with
our own. Après avoir exposé avec clarté le problème à
résoudre, M. Morlej^ indique donc avec franchise la condi-
tion essentielle au maintien de la Confédération. Il a du
coup projeté sur son avenir une éclatante lumière. A lire
ces pages, empreintes de haute poHtique, de vision droite
et lucide, l'on se reprend à croire à la possibilité de créer une
nation canadienne forte et durable.
C'est aussi à la poursuite du vrai Canadien, Canadian
Canadian, que s'est mis M. Arthur Hawkes. Les routes
462 l'action française
où il le cherche diffèrent de celles que remontent ^MM.
Moore et Morley. C'est de la situation du Canada dans
l'empire britannique et de sa politique intérieure que se
préoccupe ]M. Hawkes. L'auteur relève le défi lancé par
]M. Lionel Cm'tis dans The Prohlem of the Commonwealth et
The Commonwealth oj nations. Reflétant l'esprit d'une
association londonnienne, The Round Table, Curtis assigne
au Canada le choix entre ces deux régimes : l'indépendance
ou l'établissement à Londres d'un gouvernement impérial
qui, taxant notre pa3"s, ferait en son nom la paix et la
guerre. Au dire de Curtis, le Canada n'est qu'une dépen-
dance de l'Angleterre, though a nation, is not a state; nous ne
sommes que des coloniaux, dépourxiis d'un esprit canadien
comme étaient privées de l'esprit américain les treize colo-
nies avant 1783. Réveiller ce sentiment canadien, au
besoin le faire naître, c'est le but que se propose M. Hawkes.
La dignité nous commande d'abandonner la position humi-
liante où nous ont vais les gens du Round Table. Sortons
de l'impasse. La solution du problème est ici même, c'est
the Canadian birthright. Pour que notre pays se meuve à
l'aise dans l'empire britannique, à côté des autres nations,
exaltons tout d'abord l'esprit canadien. Les deux maax,
entre autres, qui ont jusqu'ici arrêté son développement, ce
sont, au témoignage de ]\L Hawkes, le colonialisme et la
partisannerie outrée. L'auteur critique avec véhémence le
régime politique imposé au Canada depuis 1914 et dénonce
à la fois les faiblesses et l'absolutisme de nos parlementaires
fédéraux. Sur les événements canadiens contemporains de
la grande guerre, M. Hawkes émet une opinion que sa fran-
chise recommande à tous ceux qui s'intéressent à la chose
publique. Il projette une lumière crue sur chacun de ces
faits politicjues, depuis l'abandon par notre parlement du
contrôle de l'armée canadienne en Europe jusqu'à l'achat
l'action française 463
du Canadian Northern, en passant par la loi de conscription
et le rappel de l'Habeas Corpus, les protestations des fer-
miers et l'attitude des classes ouvrières. Le lecteur appren-
dra, chemin faisant, de quelle façon hardie un anglo-saxon
critique parfois les autorités constituées. Ce sera pour lui
leçon de choses que la lecture de certaines pages où M, Haw-
kes apprécie l'attitude du gouvernement de Londres et
commente l'opinion de la majorité des juges de la Cour
Suprême dans la cause de Gray. C'est vers d'autres do-
maines que V Action française dirige ses préoccupations.
Elle s'arrête de préférence aux chapitres où M. Hawkes
étudie la question des races au Canada.
Libres de colonialisme, habitués à nous gouverner, à
regarder haut et loin, nous serions moins enclins à enveni-
mer nos blessures. C'est en élargissant les cadres, en éle-
vant nos aspirations, en projetant plus d'air et plus de
lumières sur nos querelles que nous les rendrons de solution
plus aisée. The roacl to glory is the straight and hilly road
ta national union; not the easy, sinuous descent into interne-
cine strife. M. Hawkes souhaite la réconciliation entre
tous les habitants de ce pays. Que l'appoint des Italiens,
des Russes, voire des Allemands, récemment établis chez
nous, soit incorporé into the nationality which préserves the
best that Wolfe and Montcalm knew. Le Canada doit respect
et tolérance à ceux qui en ont fait leur patrie et qui, par la
naissance, lui ont donné des citoyens. L'union de tous est
la première condition du développement de la Confédéra-
tion. To make it good demands the unity of ail the people
who are within Canada, and particularly of the English and
French who established the Confédération on which the hopes
of nationality are stayed. Les Canadiens français s'im-
posent par leur ancienneté, leurs services, leur valeur. Ils
sont, mieux que les Anglo-Canadiens, enracinés à ce sol.
464 l'action française
Ils en ont fait les premiers leur unique patrie. Quoi d'éton-
nant, poursuit M. Hawkes, qu'ils aient lentement donné
dans l'enrôlement organisé au cours de la dernière guerre ?
Les Canadiens français n'ont aucun goût pour l'impérialis-
me. Oette attitude n'entraîne pas chez eux la haine de
l'Angleterre. Leurs sentiments à son égard sont conve-
nables. Que lui doivent-ils? You owe nothing to a man
who is simply keeping his contrad. Au reste, les Canadiens
français redoutent plus Toronto que Londres. Ne sont-ils
pas en cela justifiables ? A l'heure où l'on cherchait à les
enrôler pour servir outre-mer, pourquoi persistait-on au
Canada à persécuter un certain nombre d'entre eux? On
aurait dû comprendre depuis longtemps qu'ils constituent
pour notr( pays une force, are one of the deep-founded
walls of the Canadian House. C'est à eux que l'Angleterre
doit la conservation comme colonie du Canada. Sans leur
collaboration, la fédération de 1867 n'eut pas été possible.
That truth should he graven on every British heurt, and com-
mended to every heliever that the Canadian Constitution' s
guarantee of a duality in officiai language should go the way
of a German guarantee to Belgium.
M. Hawkes est favorable au maintien ici de la langue
française. La lutte que l'on poursuit contre elle soulève
une question nationale, qui, par-dessus l'Ontario, intéresse
tout le Canada et son avenir. C'est en invoquant des prin-
cipes de justice, garantis de 1774 à 1867, que les Canadiens
français demandent equality of treatment in their native
land — not in their native province, he it observed. Ces
garanties sont aussi inaliénables que le droit à la vie, à la
liberté, au bonheur. C'est sur l'article 133 de l'Acte de
l'Amérique britannique du Nord que M. Hawkes appuie
son principal argument en faveur de l'enseignement du
français dans chacune des provinces canadiennes. L'usage
l'action fraxçaise 465
de deux langues, la française et l'anglaise, est officiel au
parlement fédéral. Comment le député peut-il remplir
tout son devoir s'il ne comprend pas tout ce qui se dit et
se fait au parlement central ? It is impossible to root bi-lin-
gualism ont of Ontario until the Parliament oj Canada is
overturned. Le bilinguisme admis par la Chambre des Com-
munes, le Sénat, les différents ministères et les tribunaux
fédéraux, présuppose le bilinguisme dans les provinces. M.
Hawkes conclut que la langue française possède un status
légal aussi bien dans l'Ontario que dans le Québec. Répé-
tons ce témoignage. Qu'il porte avec lui la conviction. Et
que M. Hawkes soit remercié de l'avoir exprimé. Sa lar-
geur de vue dans l'analyse de notre politique et son courage
à dénoncer ses vices, sa générosité à prêcher l'entente et sa
clairvoyance à signaler ses moyens de succès, placent M.
Hawkes au rang des Canadiens soucieux de la dignité de
leur pays et de sa grandeur.
Harmony in diversity, imity in diversity, English-
French marriage and national ma/?/îooc?,recommandent tour
à tour MM. Moore, Morley et Hawkes. Ces mots d'ordre
sont chargés du même sens. La Confédération peut aider
à la formation d'une nation puissante au Xord de l'Améri-
que. On n'y parviendra point en s'écartant de l'esprit qui
dicta le pacte de 1867. Il a uni deux peuples, le français et
l'anglais. Respectons cette convention en entier. ]Mais,
dit-on, la minorité disparaîtra tôt ou tard. Il se peut.
Est-ce une raison d'a<?célérer ce mouvement de fusion ?
^OI. ^Nloore, ^Nlorlej' et Hawkes, qui ne désirent nullement
cette homogénéité, montrent leur sagesse en laissant aux
événements leur cours. Il ne faut point violenter les lois
466 l'action française
de l'histoire. Les Canadiens français constituent une race;
leur valeur n'est point chose négligeable. Ces trois Anglo-
Canadiens A^eulent donc pour notre peuple le droit reconnu
de se développer dans le sens de ses traditions, de conserver
sa langue aussi bien que sa religion. Que le Canada con-
tinue donc de tirer de la variété des éléments qui le compo-
sent son originalité et sa force.
A la lecture de ces trois livres, les Canadiens anglais
réformeront leurs jugements; les éclaireurs, qui dans le
Québec, l'Ontario ou le jManitoba, dirigent la résistance,
redoubleront d'efforts; les autres, que leurs besognes détour-
naient des hauts problèmes et qui voyaient, dans la lutte
contre les persécuteurs du français, futilité et tapage inutile,
voudront reprendre le temps perdu. Comment ne pas
comprendre, en écoutant ces trois Anglo-Canadiens, que ces
attaques redoublées de la majorité visent la disparition de
notre race? La lecture de ces trois livres amène à leurs
auteurs un merci et aux Canadiens français un appel à la
lutte.
Antonio Perrault.
ERRATUM
En toute justice nous devons cette rec-
tification à M. l'abbé Groulx : il avait écrit,
p. 400 de notre dernière livraison: «Ils (ces
conseils) nous sont commandés par une
grande espérance. » — Le prote lui a fait dire:
«par une grande expérience.» — La nuance
en vaut la peine.
A UAUBE D'UNE VOCATION
Des épisodes gracieux entourent, à ses premières heures,
la vocation de Marguerite Bourgeoys. Il s'en dégage un
charme prenant. Il semble que s'irise devant nous, que
brille dans sa diaprure chatoyante, quelque fin vitrail des
siècles de foi. Les scènes candides baignent dans une lu-
mière joyeuse et crue.
C'est tout d'abord le cadre d'un couvent, à Troj^es,
cette ancienne capitale de la Champagne. Des religieuses,
jeunes, riantes et vives, sont groupées au parloir autour de
M. de Maisonneuve. Au milieu d'elles on reconnaît, à
une certaine parité de traits, la sœur du fondateur de Mont-
réal, Sœur Louise de Sainte-Marie. A cet instant, de mer-
veilleux récits d'outre-mer sont racontés. L'on écoute
avidement. Un peu de rêve voile les doux yeux des nonnes.
Le désir des lointains et mystiques voyages traverse leurs
âmes. Elles frémissent. La cruauté iroquoise, les tris-
tesses, les transes, les fatigues que l'on souffre là-bas, leur
font entrevoir la possibilité d'un lent martyre. « Qui d'en-
tre nous, songent-elles, refusera cet appel à la vie héroïque ? »
Elles écoutent. . . Leurs cœurs brûlent d'émoi. . . La voix
du narrateur cesse soudain. Alors, vibrantes, harmonieuse-
ment d'accord, les moniales supplient qu'on les conduise
sur la terre canadienne. Paul de Chomedey sourit. Il
hoche la tête. Non, il ne faut pas de cloître dans la colonie
naissante de Ville-Marie. Son regard se fixe sur la préfète
de la Congrégation des externes, Marguerite Bourgeoys,
présente à l'entretien. « Celle-ci, fait-il doucement, en dési-
gnant laj eune femme, me suivra bientôt par-delà les mers.»
Et docile, Marguerite Bourgeoys acquiesce à ses paroles.
468 l'action française
Une onde fine d'envie glisse sur les ph^'sionomies féminines
<{ Oh ! Sœur Marguerite, soupire -t-on, vous ne deviez vous
rendre qu'avec nous au Canada. » Et la jeune préfète
subtile, souriante de répartir : « Ai-je donc promis, mes
sœurs, si vous tardiez trop, de ne pas y aller sans vous ? »
Sœur Louise de Sainte-Marie demeure à l'écart. Elle
est grave et pensive. « Dieu, se dit-elle, exauce toujours
nos vœux, mais, hélas ! c'est en toute liberté qu'il le fait
Voilà la réponse divine à notre demande, à la prière gravée
jadis en lettres d'or sur l'image de la Vierge. Avec quelle
ferveur, nous avons remis ce gage d'espoir entre les mains
de mon frère de Chomede3^ Nous ne nous lassions pas
de murmurer :
Saitite Mère de Dieu, pure vierge au cœur loyal,
Gardez-nous une place en votre Montréal.
Sœur Louise de Sainte-Marie détourne ses yeux lim-
pides, des larmes s'y enchâssent.
— Quelques mois plus tard, le Saint-Nicolas a fait
voile. Il vogue vers la pleine mer. Déjà, Saint-Nazaire,
le port d'où l'on s'est embarqué, n'est plus, à l'horizon,
qu'une mince ligne noire, telle l'estompe d'un fusain délicat.
Marguerite Bourgeoj's appuie sa belle tête sereine contre
l'une des ouvertures du navire. Avec mélancolie, elle re-
garde fuir les côtes de France. Sa main, un instant immo-
bile, plonge à demi dans des dentelles précieuses. Autour
d'elle, la brise soulève doucement de fines pièces de lingerie.
Ce sont là, rassemblés, des objets confiés à sa garde par
Madame de Chuly, la sœur de M. de Maisonneuve. L'ai-
mable grande dame se préoccupe de la mise de son îvho,
même dans un coin perdu de la Nouvelle-France. La jeune
femme tressaille tout à coup. Elle a un geste sauveur. Une
vague énorme, rapide, venue d'on ne sait d'où, entraîne
d'assaut ces merveilles. Ses efforts demeurent vains. La
l'actiox française 469
vague, victorieuse, fuit avec son riche butin. Déjà très
loin, elle écume, satisfaite, élevant et abaissant tour à tour,
ces patients chefs-d'œuvre de l'art humain.
^Marguerite Bourgeoj's serre convulsivement ses mains
^ mpuissantes. Un peu d'angoisse lui vient au cœur. Que
va-t-on dire ? Elle se raidit. Il lui faut sur l'heure révéler
I accident. Elle monte. ]M. de ]\Iaisonneuve est demeuré
Scul à l'avant du navire. A la vue de la jeune fille, un peu
d étonnement. de l'inquiétude se lisent dans son regard.
II s'approche. Délicatement, il interroge des yeux. ]Mais
aux premiers mots qu'il entend, le voilà rasséréné, un bon
rire, un rire frais et gai le secoue. « Voyons, sœur ]SIar-
guerite, fait-il, les choses ne sont-elles pas mieux
ainsi ? Xous voilà tous deux débarrassés du soin de ces
babioles ».
Qu'eussiez-vous dit, Madame de Chuly, qu'eussiez-
vous dit en entendant de telles paroles ? Sans doute, vous
eussiez tancé l'irrévérencieux, le doux gentilhomme qu'é-
tait ce frère que vous chérissiez !
— Au Canada, l'automne, en cette année 1653, déploie
toute sa magnificence. Québec rutile. Sur son roc puis-
sant, il se drape, impérieux et superbe, dans la pourpre de
ses érables, et le velours sombre de ses pins. Il apparaît,
aux yeux de Marguerite Bourgeoys, merveilleux de coloris,
de beauté hautaine et dominatrice. On y débarque. Les
humbles maisons de bois des colons se détachent miséra-
blement, ici et là, dans le décor royal de la nature. « Tout
est si pauvre que cela fait pitié, s'exclame sœur Marguerite».
Elle surmonte l'impression pénible ciu'elle en ressent. Sa
vaillance doit demeurer entière. Chez les Ursulines, où
vient la rencontrer Jeanne ]\Iance, où elle cause avec Marie
de l'Incarnation et Madeleine de la Peltrie, son apaisant
470 l'action française
et clair visage lui crée des amitiés. Elle refuse cependant
de séjourner dans ce milieu d'ardente spiritualité. Sa place
est marquée ailleurs. Elle le déclare. M. de Maisonneuve
lui a» confié, — comme jadis à Jeanne Mance, — le soin de
la nouvelle recrue de Ville-Marie. Ses mains veilleront
aux provisions des soldats. Marguerite Bourgeoys ira
loger dans la basse ville, au magasin de la Compagnie de
Montréal.
Sous ce toit, un délicieux spectacle s'offre bientôt à
nous. C'est l'heure de la ration. Marguerite Bourgeoys,
gracieuse et digne, apparaît à la porte de la salle d'armes.
Elle plie légèrement sous le fardeau des comestibles. Les
soldats accourent. Ils s'empressent autour d'elle. Ce
sont de rudes gaillards, au franc parler, aux regards hardis.
Leurs rires cessent, le respect raidit les attitudes, dans les
yeux toute lueur mauvaise s'éteint. L'on vénère cette
jeune femme à la haute conscience. L'on se nourrit, tout
autant que du pain qu'elle offre, des conseils qui tombent
de ses lèvres, étonnés qu'à suivre ces avis, une dou-
ceur pénétre les cœurs. Marguerite Bourgeoys s'émeut
de leur estime, et plus tard, se remémorant ces heures,
elle dira : « Les soldats de la recrue étaient devenus doux
comme de vrais religieux, ce qui me donnait bien de la joie
d'aller avec eux à Ville-Marie. Ces cent hommes étaient
changés comme le linge mis à la lessive ».
A cette transformation, si pittoresquement décrite,
Marguerite Bourgeoj^s contribua par sa grâce miséricor-
dieuse, et le rayonnement de son âme ardente et désinté-
ressée.
— A Ville-Marie, quelquefois encore elle devait exercer,
à l'égard de ces hommes, sa commisération. Les
historiens nous ont conservé un trait ravissant. C'est
l'action française 471
un geste de pure tradition. Cette jeune femme à la
générosité spontanée, demeure de la lignée des saint Martin
de Tours. Écoutez. Le froid, en ce premier hiver passé
à Ville-Marie, se montre d'une rigueur excessive. Mar-
guerite Bourgeoys, comme les autres Français du reste,
s'étonne de la rudesse sans merci du climat. Et, seuls l'en-
chantent, par les matins ensoleillés, les paysages de neige,
ces fêtes du givre où tout au dehors s'enveloppe de blan-
cheur. Or, un jour de bise très âpre, un soldat se présente
chez M. de Maisonneuve. Il demande Sœur Marguerite.
Il sait, on le lui a appris, qu'elle dirige la mai-
son du gouverneur de Montréal. Marguerite Bourgeoj's
accourt à la voix bien connue du militaire. Elle le trouve
tout bleui par le froid, et les yeux si tristes !. . . Elle écoute
ses plaintes, le récit de ses tortures en ces nuits d'hiver,
(( alors qu'il n'a pas, dit -il, sur quoi se coucher ». Mar-
guerite Bourgeoys rayonne à ces derniers mots. Elle le
quitte, revient presque aussitôt, tramant après elle, toute
rose de l'effort, un matelas, le sien ! Ce qu'elle se garde
bien de dire. Le soldat ne peut croire à sa bonne fortune,
et s'empresse à son retour au camp, de raconter l'incident
à trois de ses camarades. Voici, qu'à leur tour,eux aussi vien-
nent implorer la pitié de Sœur Marguerite. L'un reçoit
sa paillasse, les deux autres ses couvertures. ^Marguerite
Bourgeoys en demeure toute réjouie,se voyant dans l'obliga-
tion, à l'insu de tous, de coucher sur la dure. Elle a, à cet
instant, l'un de ces mots délicieux que trouvent les saints:
« Hélas ! dit-elle, personne ne se présenta pour l'oreiller ! »
L'on ne saurait clore la série de ces petits tableaux
sans y joindre une scène dernière. Elle se présente, il est
vrai, beaucoup plus tard, à une époque où la vocation de
Marguerite Bourgeoys s'est nettement afBii-mée. Qu'im-
porte ! Ce petit fait gUssé par l'historien, tel un sourire
472 l'action française
discret, entre deux pages sévères, a le charme aimable de
jadis. Il s'encadre bien ici.
Nous sommes en 1670. M. de Maisonneuve, relevé
de ses fonctions de gouverneur de Montréal, habite Paris
avec .son serviteur Louis Frin. Quoi que fasse Paul
de Chomedey, sa pensée revient, incessante et fidèle, vers
ses héroïques compagnons de Ville-Marie. Et dans l'es-
poir de leur offrir parfois l'hospitalité, il tient à leur disposi-
tion une chambre garnie « à la façon du Canada », dit-il.
Et qui donc, croyez-vous, habitera tout d'abord ce domaine
du souvenir ? Marguerite Bourgeoys et l'une de ses com-
pagnes, toutes deux venues à Paris dans des circonstances
décisives pour leur Institut. M. de Maisonneuve qui vient
lui-même ouvrir la porte aux voyageuses, — son serviteur
étant absent, — se montre ravi de la coïncidence. Il est
en même temps touché des démarches tentées par les reli-
gieuses pour découvrir sa retraite à Paris. La délicate
amitié de Marguerite Bourgeoys avait ses exigences.
Paul de Chomedey, dans la joie de recevoir de tels
hôtes, fait des largesses. Il dépose sur la table dressée
pour le repas, une bouteille de vin qu'il est allé lui-même
se procurer. Ainsi que le remarque spirituellement l'abbé
Faillon, « ce bon gentilhomme avait un serviteur qu'il ser-
vait beaucoup plus qu'il n'en était servi».
Et ce soir-là, la fête du cœur fut complète pour ces
âmes qu'unissait une affection bien au-dessus des contin-
gences mesquines et des brisures du temps.
Il semble bon parfois, de revoir nos héros dans cette
atmosphère d'intime simplicité; de substituer, à l'attitude
hiératique où les fixe, immuables, notre vision, ces mouve-
ments de douceur, de tendresse et de grâce.
Marie-Claire Daveluy.
18 octobre 1919.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Les De revoir une ville, après plusieurs années
TTOis-Rivièl êS deloignement, porte l'esprit à établir une com-
paraison entre son état actuel et celui d'autrefois.
A-tr-elle progressé ou reculé ? Ou encore, est-eUe demeurée immobile ?
Tel fut récemment mon cas. Une bonne fortune me conduisit,
vers la fin de septembre, aux Trois-Rivières, où j'étais demeuré quelques
jours, il y a environ xdngt-cinq ans. On m'avait dit alors que la cité
fondée par La\àolette datait de 1634, qu'elle avait été établie après
Québec, mais avant Montréal, qu'elle était donc très ancienne. Et
c'est l'impression qu'en rapporta mon cerveau d'enfant : petite ville
charmante, mais d'un autre âge, conservant pieusement sa physionomie
d'autrefois, et se gardant des innovations modernes.
Ufie Ville Je m'attendais à la retrouver ainsi l'autre jour.
ÙTO^T€SSive ^^ même, suivant la loi de la \'ie, plus ridée encore,
plus vieilKe, plus antique. Instinctivement je
pensais, en m'y rendant, à ces villes de province qu'on rencontre en
France, aux rues étroites, pleines d'ombre et de paix, à l'allure familiale
et im peu endormie, et qui reposent des bruits de la capitale.
Le train stoppe. Des groupes bruyants animent le quai de la gare,
cependant que les cornes des automobiles luttent avec les appels du
tramway . . . Vraiment ! Sommes-nous bien aux Trois-Rivières ?
La réflexion m'a échappé. Mais il n'y a pas à en douter. Un ami est
là qui m'entraîne dans sa machine. Et nous filons bon train. Une
course à travers la rue Des Forges m'a Aâte fixé. La v-ille des Trois-
Rivières — et je devais le constater encore mieux les jours suivants —
a secoué sa léthargie d'autrefois. C'est maintenant une cité prospère
et qui se développe rapidement.
Fidélité Mais on conçoit qu'une pensée s'empara aussitôt
ÛUX OTÎëÎHêS ^® '^^'^ esprit. Ce développement, dans quel sens
s'est-il opéré? Le deuxième poste français établi
au Canada a-t-il, en se transformant, renié ses origines? S'est-il angli-
cisé peu à peu, comme Montréal et Québec ?
Je veux en avoir le cœur net. Aussi durant les quelques jours vécus
au-x Trois-Rivières, j'ou\Te les j-eux, je tends l'oreille, je cherche à dé-
474 l'actiox française
couvrir, derrière les physionomies des hommes et des choses, au fond des
conversations, quelle âme palpite, quel idéal commun anime cette collec-
tivité. Je puis me tromper. Ces enquêtes menées hâtivement,en marge
d'une autre besogne absorbante, entre deux séances de travail, par des
observations prises à la volée, sont parfois décevantes. Il me semble
bien toutefois avoir vu juste, et que le vieux fond français, l'héritage de
traditions légué par nos pères, s'est conservé aux Trois-Rivières presque
intact, résistant victorieusement à l'emprise saxonne.
U élite Sur quoi repose cette impression? Sur les hommes et
SOCîGle ^^^ choses. Les hommes d'abord. Que quelques Triflu-
viens ou Trifluviennes soient piqués de snobisme, je n'ose-
rais pas le nier — quelle ville, si française soit-elle, peut se dire exempte
de ce mal? — mais la majeure partie de la population me paraît avoir
conservé ces vieilles vertus françaises qui meurent si vite dans nos
grandes villes : distinction naturelle, politesse prévenante, simplicité
cordiale et gaie. L'éhte sociale : membres du clergé et des professions
libérales, n'y mène pas, certes, une \'ie oisive, mais ce n'est pas non plus
une vie affairée, nerveuse, trépidante. On trouve le temps de s'asseoir
dans le courant de la journée, de caxiser familièrement et d'autre chose
que du cours de la bourse, du prix des denrées et de la vente des immeu-
bles. On parle Uttcrature, art, rehgion, questions sociales. On est
resté français, quoi !
J'entre dans l'étude d'un avocat. Ce n'est pas l'austérité froide
de nos bureaux montréalais où, juchés derrière un comptoir qui se
dresse comme une haute barrière, clavigraphistes et comptables vous
dévisagent de la tête aux pieds avant de décider si vous méritez d'être
introduits auprès du maître. . . Ici l'avocat lui-même m'ouvre la
porte, m'installe dans son bureau, et nous causons de souvenirs d'antan,
cependant que son jeune fils saute gaiement sur ses genoux. Chez un
confrère voisin, même cordial accueil; j'y reçois, en outre, les bonnes
feuilles d'un ouvrage professionnel que celui-ci vient d'écrire, en bon
français.
A. tïQVeïS Et maintenant les choses. J'entends par là les rues
les TUeS ^^ ^^^ magasins, les affiches, les tramways, tout ce qui -
constitue la physionomie d'une ville et lui donne trop
souvent, chez nous, un aspect anglais. En cette matière, je voudrais
distinguer : aux Trois-Rivières ce qui relève des citoyens est presque
l'action française 475
toujours français, ce qui relève des étrangers est presque toujours
anglais. On ne rencontre pas comme à Montréal — ou du moins très
rarement — des boutiques aux noms français que décorent des affiches
anglaises. J'y ai vu, et même savouré, pour la première fois, des eaux
gazeuses, (marque Rousseau), portant des étiquettes françaises, telles
que soda à la crème — ce qui ne les empêche pas d'être excellentes — .
Sur cinq maisons trifluviennes, dont les annonces couvraient la paroi
droite d'un tramway, quatre se servaient du français, et une du français
et de l'anglais. Voilà des faits, des détails si l'on veut, mais qui ont leur
importance, qui sont révélateurs d'un état d'âme et me paraissent
fournir les éléments d'un jugement ferme.
Par contre, l'élément étranger, là comme ailleurs, semble ignorer
la langue de la population. Ainsi à côté des cinq armonces dont je
viens de parler, il s'en trouvait sept autres au compte d'industriels ou de
marchands n'habitant pas les Trois-Rivières. Une seule était rédigée
en français, les autres uniquement en anglais. Ce sont les mêmes
qu'on rencontre dans nos tramways de Montréal, et il est bien
probable que les braves gens qui les paient ne savent pas que leur argent
est ainsi dépensé presque en pure perte, qu'il pourrait du moins, si
l'aimonce s'adressait à la population dans sa langue, rapporter beaucoup
plus. Pourquoi quelque Trifluvien n'écrirait-il pas à l'un ou l'autre de
ces gros annonceurs pour leur signaler l'évidente maladresse de leurs
agents de pubUcité ?
CoMpG^nicS Ce n'est pas la seule faute d'ailleurs qu'on relève
ètT(lH'^èï€S dans les tramways. Si les avis, à l'intérieur des
voitiues, sont bilingues, il n'en est pas ainsi des
affiches qui indiquent, à l'extérieur, la route à parcourir. A moins que
le mot ne soit nécessairement biUngue, comme Cap et spécial, vous vous
trouvez en face d'un Belt Line qui trône seul dans toute sa morgue d'en-
vahisseur. Unilingu&s aussi, sur leiu face principale, les reçus que vous
remet le percepteur; xmilingues encore les casquettes des employés oii
vous Usez : Three Rivers, Traction No. . . On dit que les Allemands
dans Bruxelles envahie affectionnaient ainsi de décorer les fonctionnaires
d'inscriptions dont la langue devait rappeler aux habitants la domina-
tion germanique . . . Quand on ne peut pas se rendre maître des cœurs,
dame ! il reste les casques et les placards !
Même ignorance de notre langue pour de larges annonces étrangères
qui couvrent les clôtures, au cinéma dont les affiches révèlent l'origine
I
476 l'aCIICN IFiiKÇAISE
américaine, dans des pharmacies où s'étalent des produits venant auss'
des États-Unis : Lister' s Fumigator, Zo adhesive Plaster, etc., etc
COYltïQStC Des démarches énergiques ne pourraient-elles pas.
TévélûtCUy ramener à la raison ces compagnies ? Je le crois. Mais
quoi qu'il en soit, leur attitude contribue à mettre en
relief la conduite tout opposée des \Tais Trifluviens, en particulier, dans
le commerce et l'industrie.
Et de cela il faut féliciter ceux-ci. Quand bien même quel-
ques-uns, cachés sous une raison sociale anglaise, auraient échappé à mes
rapides investigations, il me paraît évident que la majorité d'entre eux
a résisté, mieux que les Montréalais et les Québécois, à l'engouement
anglo-saxon, et est demeuré inébranlableinent fidèle à sa langue.
PqTYÏII les Cette fidéhté, un incident imprévu est venu soudain
OUVïiCTS ™® permettre d'en mesurer toute la profondeur au sein
du peuple, en même temps qu'il confirmait mes con-
clusions. C'était durant le banquet donné par les Sœurs de la Pro-
vidence, aux membres des unions ou\Tières cathoHques réunis en con-
grès. Sur l'estrade, dans la grande saUe des séances de l'Hôpital Saint-
Joseph où les congressistes avaient pris place, un groupe de jeunes
orpheUnes égayaient le repas de leurs joj'eux refrains. Tout à coup,
un chant vibrant retentit. Les mots, vm peu indistincts dès le début,
devinrent \-ite clairs. A mesure qu'ils en comprenaient le sens, les
convives émus, cessaient de manger, pris tout entier par l'attrait
irrésistible de ces vers bien rythmés dont les fières paroles remuaient
leurs âmes. Quand éclata le refrain :
Ils ne Vauront jamais, jamais,
L'âme de la Nouvelle- France!
Redisons ce cri de vaillance :
Ils ne l'auront jamais, jamais !
ce fut dans la salle une longue acclamation. D'elle-même, spontané-
ment, la classe ouvrière manifestait de façon vibrante son attachement
profond à la langue et aux traditions des aïeux.
Et je suis revenu des Trois-Rivières, emportant cette fois l'impres-
sion d'une ville hautement progressive, et qui sait quand même rester 7
française. Gloire à elle ! et puisse son patriotisme être imité !
Pierre Homier.
15 octobre 1919.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
« Noblesse oblige » — Comme nos lecteurs ont pu l'apprendre par
la voix des quotidiens, la série des conférences de l'Action française pour
la saison 1919-20, qui porte en titre général : «Noblesse oblige », aura
tout le brillant qu'on prévoyait : six orateurs des plus estimés ont bien
voulu nous prêter leur concours et tout fait augurer un succès égal à
celui de l'an dernier. Les conférences seront données tous les deuxièmes
jeudis de chaque mois, à partir de novembre, dans la salle de la bibliothè-
que Saint-Sulpice, réputée poiu- son spacieux aménagement et son excel-
lente résonnance. La première conférence aura donc lieu le 13 novem-
bre; elle sera sous la présidence de M. Athanase David, secrétaire pro-
vincial. L'orateur, dont il serait oiseux de faire l'éloge, sera Sa Gran-
deur ^Monseigneur Georges Gauthier, évêque auxihaire de Montréal,
recteur de l'Université de Montréal; il traitera un sujet d'une haute
actualité : « La mission de l'Université.» Cette conférence marquera
pour ainsi dire l'ouvertiu-e de la campagne en faveur de notre université
montréalaise. M. l'abbé Philippe Perrier, curé du Saint-Enfant
Jésus, directeur de la Ligue des Droits du français, présentera le confé-
rencier à cette soirée d'ouverture.
Les autres conférenciers seront les su'vants : ils parleront aux dates
mentionnées sur des sujets qui seront annoncés en temps opportun :
M. Edouard Montpetit, le jeudi 11 décembre 1919;
Le R. P. Louis Lalande, le jeudi 8 janvier 1920;
M. Antonio Perrault, le jeudi 12 fé\Tier;
M. l'abbé Ohvier Maurault, le jeudi 11 mars;
M. Guy Vanier, le jeudi 8 avril.
Les cartes d'abonnement mises en vente le 20 octobre se sont enle-
vées rapidement; il en reste encore un certain nombre qu'on pourra
se procurer à l'Action française, bureau 32, Immeuble la Sauvegarde,
au Devoir, 43, rue Saint-Vincent et autres endi'oits dont la hste sera
pubUée dans les jom'naux de Montréal. Cette année, nos amis sont
priés d'en prendre note, tous les sièges sont réservés et tous les billets,
cela va de soi, numérotés, afin d'éviter tout ennui; les séries se vendent
S3, $2.50 et $2.
Après le magnifique résultat de la première série de 1918-19, et
grâce surtout à la réputation des conférenciers dont nous venons de
donner les noms, l'Action française compte sur un nouveau et grand
succès. A cette propagande par la parole, elle ajoutera la propagande
par le livre, en publiant la plupart des conférences, sinon toutes, qui
, seront prononcées à Saint-Sulpice. De cette façon, nos amis de l'ex-
térieur ne perdront rien de la bonne semence. Nous reviendrons du
478 l'action française
reste sur ce sujet. En- attendant, nous réitérons notre invitation à
tous ceux qui pourront assister aux conférences de 1919-20, de bien
vouloir différer le moins possible l'achat de leurs cartes d'abonnement.
h'Almanach — Nous tiendrons parole. A la date fixée, le 1er no-
vembre, notre Almanach de la Langue française sera mis en vente par-
tout à travers le pays. Son tirage qui, de 25,000 en 1919, passe à 40,000
cette année, en prouve la popularité et l'utilité. Le sommaire, dont
nous ne pouvons donner qu'un faible aperçu, témoigne de la valeur
de plus en plus appréciée de la publication. L' Almanach de la Langue
française de 1920, tout inédit, contiendra des articles de MM. les abbés
Cyrille Gagnon, Ph. Perrier, Edmond Lacroix, de MM. C.-J. Magnan,
Victor Morin, Louis Dupire, Emile Miller, Jean Beauchemin, Pierre
Homier, Léon Lorrain, et autres; des poésies de Mlle Blanche Lamon-
tagne et de MM. Lozeau et Ferland; trois contes canadiens de Mlle Ma-
rie Claire Daveluj^, de MM. l'abbé Lionel Groulx et Jacques Hertel; deux
chansons du terroir avec musique : « C'est la belle Françoise » et « Moi,
je suis fou de mon pays ». Au calendrier très complet, ont été ajoutés
une foule de renseignements ,1a plupart introuvables dans les publica-
tions similaires : les évangiles du mois, les saints patrons du travail,
les dictons populaires, des grains de sagesse, etc. Pour la ménagère,
ont été insérées des recettes culinaires et des renseignements pratiques,
en plus d'un vocabulaire de deux ou trois pages sur les termes de cui-
sine.
Enfin l'illustration a été particulièrement soignée : la plupart des
articles et tous les contes sont ornés de dessins inédits, auxquels s'ajou-
te toute une série de petites caricatures intitulées « Maux à guérir » et
destinées à secouer, sous ime forme gaie, l'apathie partout où elle se ren-
contre. Bref, nous avons voulu « faire de mieux en mieux » , comme le
disaient nos circulaires, et nous croyons avoir quelque peu réussi.
Rappelons que V Almanach de la Langue française de 1920 inaugiu^e sa
cinquième année. De plus en plus connu, il est déjà, pour nous servir
d'un terme du commerce, « un article fort en demande ». C'est dire
que pour éviter les désappointements de l'an dernier,alors que les 25,000 ^
exemplaires furent écoulés en quinze jours, nos amis feraient bien de
nous faire tenir leurs commandes sans retard. En dépit de l'augmen- .
tation du coût de l'impression, TAhuanach reste à 20 sous l'exemplaire ..
(23 sous franco). Des prix très avantageux sont consentis aux propa-
gandistes comme suit :
De 50 à 99 exemplaires, 16 sous; de 100 à 499 exemplaires, 15 sous; ^
de 500 il 999 exemplaires, 14 sous; pour 1000 exemplaires et plus,
12 sous }/2 ( Port en plus dans tous les cas) .
l'action française 479
Comme toujours, les propagandistes peuvent grouper autant de
commandes qu'ils le veulent et bénéficier des réductions accordées au
chiffre global de leurs commandes. Xoas faisons quand même les expé-
ditions aux adresses individuelles, siu" simple indication de leur part.
Ainsi, dans une même région, sept ou huit personnes peuvent s'associer,
constituer une commande d'un millier et bénéficier du prix de $125.00;
chacune recevra chez elle les cent ou cent cinquante exemplaires qui
lui reviendront.
Xous ne ferons cependant qu'une seule facture : à celui qui enverra
la commande.
Conférences à Ottawa — En même temps que nous inaugurons à
Montréal nos conférences « Noblesse oblige », vme autre série portant
sur divers sujets est organisée par l'Institut Canadien français,à Otta-
wa, sous le patronage de V Action française. Ces séances marqueront
un premier et un grand pas dans la voie de l'action par la parole à la-
quelle nous entendons nous dévouer pour faire connaître et étendre
notre œu\Te à l'extérieur. Xous nous étions mis à la disposition de
nos amis : l'Institut Canadien français est venu frapper à notre porte
et c'est avec grand plaisir, inutile de le dire, que nous lui avons prêté
notre modeste collaboration. MM. Emile MUler, secrétaire adjoint
de la Société Saint-Jean-Baptiste et professeur de Géographie cana-
dienne à l'Université de ^Montréal, parlera de « l'histoire et de la géogra-
phie canadienne », en novembre; M. Jean Désy, diplômé de l'école des
Sciences poUtiques de Paris, professeur aux Hautes Études, parlera,
lui, de « la plus Grande-Bretagne »,en décembre, et M. Léon Lorrain,
notre distingué coUaborateiu-, a pris pour sujet « les trois anghcismes. »
Il parlera en janvier.
Et de ce bon grain rien ne sera perdu : ces coaîérences seront comme
celles de Montréal, mises en brochiu-es.
Voilà le bilan de la vie de V Action française pour octobre. Ce
n'est pas tout : nous avons en plus préparé la série des articles de notre
revue pour 1920. Le titre général « Comment servir » fait déjà con-
naître tout un vaste programme. Dès la li^Taison de novembre, nous
serons en état de fournir tous les détails voulus. Révélons pour l'ins-
tant que le premier article: «jcomment ser\-ir » le mieux son pays et sa
race, quand on est cultivât eiu", sera signé par M. J.-Edouard Caron,
ministre de r^4griculture de la province de Québec, et que Mgr L.-A.
Paquet clora la série ave'*, le « comment servir » du prêtre.
Intérim.
PARTIE DOCUMENTAIRE
UN TEMOIGNAGE ANGLAIS
L' Industrial Canada a reproduit, dàiis sa livraison d'août 1919,
page, 51, un extrait du London Times Trade Supplément, dont voici la
majeure partie :
The inteUigently directed organization and enterprise which are
being employed by Canadian maniifacturers and merchants in their
endeavors to secure a full share of the markets of the world for the
Dominion, will undoubtedly produce remarkable results in
the near future ... At the Lyons Fair this year most of the
Canadian exhibitors displayed explanatory literattu-e, printed in
several Eiu-opean languages. Fiu-thermore, offices and showTooms are
being opened in both Paris and Brussels by the Export Association of
Canada. Canadian trade commissioners hâve been estabhshed in
most of the important coimtries of the world for some years past.
They are "hve" men, and their work has imdoubtedly been very
valuable to Canadian exporters. The Canadian Trade Mission in
London is also rendering good service in the development of Canada's
export trade. AU this shows that Canada is becoming more and more
important as a manufacturing State. Although the population of
the Dominion is still under 9,000,000, and its chief industry is and will
long remain the production of foodstuffs, the industrial development of
the countrj' is going ahead so fast that Canada must soon become an
active competitor in many of the world's markets. This will be hasten-
ed in one way which was perhaps unforeseen when Impérial Préférence
was first proposed. In order to take advantage of the preferential
treatment of British-made goods American manufactiuers, in constant-
ly increasing niunbers, are establishing branch factories in Canada.
American capital is, therefore, being employed in the industrial develop-
ment of the Dominion to some extent at the expense of that of the
United States. Whatever poUtical effect this extension of the close
lies between the Dominion and the Republic may hâve, it is clearly
highly advantageous to Canada's industrial progress.
One remarkable advantage Canada posscsses for attacking the Con-
tinental market is the présence of two and a half millions of French- .?^
speaking people in the Dominion. This mcans that there is scldom
much difïicult}' about seciuing a thoroughly compétent French-speaking
représentative. French is still the most useful language over a large
area of Europe.
Fred Willi.\ms.
l'action françjlisb
novembre 1919
SURVIVANCE
C'était l'heure du rêve calme et du mystère.
L'air était im-prégné des parfums de la terre,
Et le soir sentait bon. Au fond de la forêt
La nuit silencieuse et vagabonde errait. . .
La maison paysanne, à la blanche fumée,
Rêvait dans la paix parfumée.
La porte était ouverte, et, dans l'ombre endormi,
A mes yeux le foyer paraissait à demi.
Mais le malheur semblait peser sur toute chose.
Le seuil était sans vie, et la fenêtre close
Semblait un œil éteint. J'écoutai : par moment,
Les êtres du foyei se parlaient tristement ...
La table murmurait : « J'étais jeune naguère.
Et joyeuse en tout temps. Mais cette horrible guerre
Qui prit nos fils a ravagé nos jours.
Et la maison est triste pour toujours . . .
Voici l'été venir; en vain je me fais belle.
Et riche des présents que la saison nouvelle
M'apporte sur ses bras radieux et puissants;
T'ai toujours devant moi le vide des absents . . .
Depuis qu'ils ont sombré dans le fracas des armes,
Quils sont morts dans Vaffreux tumulte des combats.
Et qu'ils se sont couchés dans les champs de là-bas.
Mon pain a l'acre goût des larmes ! »
La vieille porte dit : « Qui me consolera
De ces longs jours de deuil ? Hélas ! qui me rendra
V'oi. III.NoU
482 l'action française
Les joyeuses chaîisons, lentement égrenées,
Dans V éveil des matins et la fin des journées f »
La fenêtre, à son tour, dit : « Que sont devenus
Les fours de gai soleil et les soirs ingénus,
Où je voyais paraître, au-dessus des collines.
Leur figure joyeuse aux lèvres cristallines ? . . .
Ils ne reviendront plus, au sein des midis clairs,
Le cœur rempli de joie et Vœil rempli d'éclairs ! . . . »
« Je ne les verrai plus hélas ! reprit la lampe.
Près de moi, recevant ma chaleur sur leur tempe. . .
C'est fini. N^os espoirs d'avenir sont brisés :
Ils ne goûteront plus mes tranquilles baisers ...»
Le ber, lui, se taisait, car que pourrait-on dire
Quand on est le rayon et qu'on est le sourire,
Quand on sent sa puissance intacte respUnàir,
Sa sève bouillonner et sa force grandir! . . .
Le ber, lui, se taisait. N'était-il pas la vie f
N'était-il pas la grande force, la survie.
Le fier rempart d'amour, où déjà se brisait
L'effort des ouragans futurs f . . . Il se taisait.
La fenêtre reprit : (( Je vois un champ immense.
Où le flot des jnoissons sans cesse recommence;
Les matins sont brillajits et les épis soiit beaux.
Mais là-bas, nos enfants dorment dans leurs tombeaux . .
Quels bras moissonneront les récoltes prochaines?
Quels bûcherons viendront abattre les vieux chênes,
Et faire reculer l'ombre des monts lointains ? . . .
Avenir ! Inconnus ! Mystérieux destins !
Que réservez-vous donc à cette jeune race
Que la haine a brisée et que le deuil terrasse ?
Le peuple de Champlain et de Louis Hébert,
Qui donc le salivera ? » — « C'est moi ! » dit le vieux ber
Blanche L.\montaone.
Les précurseurs
JULES-PAUL TARDIVEL
IJ Action française devait à Tardivel un hommage par-
ticulier. Je regrette qu'elle ne lui apporte aujourd'hui que
ces pages hâtives, giiffonnées dans le brouhaha de la besogne
quotidienne; j espère qu'elle lui offrira bientôt quelque chose
de plus digne de sa mémoire, quelque chose aussi d'infini-
ment plus utile au public. J'entends par là une œuvre que
tout le monde accueillera avec plaisir, dont les circonstances
seules ont retardé la publication : le recueil des articles et
des conférences que Tardivel, au cours de ses trente années
de journalisme, sut inlassablement consacrer à la question
du français.
Car ce fut l'étonnante destinée de ce demi- Anglais, né
et élevé aux États-Unis, qui, à seize ans, ne savait pas un
mot de français, d'être dans tous les domaines l'irréductible
champion de notre langue. Rappelez vos souvenirs qu
feuilletez d'une main rapide la collection de son journal,
vous serez étonné de la part que Tardivel fit toujours à la
question de langue. C'est que, dès le début, il en avait
compris la souveraine importance.
« La langue, c'est l'âme d'une nation, disait-il à Qué-
bec, dès 1879. Si les Basques ont pu conserver si longtemps
intactes leurs antiques institutions au miUeu des révolu-
tions et des guerres qui ont bouleversé la France et l'Espa-
gne, si les Bretons et les Gallois sont restés distincts des
races qui les entourent, c'est grâce à leur langue. Si l'Ir-
lande lutte en vain pour reconquérir son indépendance,
c'est qu'elle ne parle plus la langue de ses anciens rois. ^
^ On sait que les champions actuels de l'indépendance irlandaise
sont en même temps les plus fermes, les plus ardents propagandistes de
la vieille langue nationale. Le Dail Eirann conduit toutes ses délibé-
rations en irlandais. De Valera a fait en faveur de la renaissance du
gaélique des appels vraiment pathétiques. Beaucoup d'observateurs
estiment que c'est dans l'étude renouvelée de l'antique langue d'Ir-
lande qu'il faut chercher la principale cause du grand mouvement politi-
(juc d'aujourd'hui.
484 l'action française
Voulez-vous faire disparaître un peuple, détruisez sa langue.
C'est parce qu'elles comprennent cette vérité que la Russie
se montre si inexorable envers la langue polonaise et que
l'Allemagne cherche à proscrire la langue française de
l'Aisace-Lorraine. Il est donc important pour un peuple,
surtout pour un peuple conquis, de conserver sa langue » ^
Et vingt-deux ans plus tard, le débutant de 1879, éclairé,
fortifié par l'expérience d'un quart Ûj siècle, donnait à son
cri de jeunesse une conclusion plus ferme s'il se peut, d'une
portée plus lointaine et plu? \aute encore. Il liait à la
question nationale la question religieuse, il enveloppait d'un
même hommage les deux gi-ands amours de sa vie. « La
langue française, disait-il, c'est notre drapeau national.
C'est elle qui fait que nous sommes une nation distincte sur
cette terre d'Amérique, et que l'hérésie a si peu de prise sur
nous. . . Soyons persuadés que, parmi les Anglais qui nous
entourent, beaucoup désirent ardemment voir disparaître
la langue française du sol canadien. C'est qu'elle forme
obstacle à la réalisation de leurs rêves. Impossible pour
eux, ils le sentent bien, de détruire la foi catholique tant que
restera debout un des piincipaux boulevards de cette foi
au Canada : la langue de nos mères, la langue de nos
premiers missionnaires, de nos guides les plus illustres, de
nos glorieux martyrs — la langue des Champlain, des Bré-
beuf, des Laval, des Plessis, des Bourget. » ^
Tardivel avait trop vécu, il connaissait trop son his-
toire, il suivait de trop près le mouvement de la pensée
anglaise pour se faire la moindre illusion sur les dangers qui
nous menacent. « Ne nous berçons pas d'illusions, disait -
, ' L'dnyliciwie, voilà l'enHcmi .' Causerie fait»' an Cercle catholique
de Québec, le 17 décembre 1879.
- //O langue française nu Canada, ci^Mifôreitce !ur dev.'int VCuion
catholique de Alontréal, Ic.lO mars 1001.
L'ACTIOX FRANÇAISE 485
il dans cette mémciable conférence de 1901 : on n'a pas
renoncé au projet de faire du Canada un pa^'s exclusive-
ment de langue anglaise. » Et, faisant une réserve ciui ne
serait plus de mise après le Règlement XVII, la loi du
Manitoba, les menaces de l' Alberta et de la Saskatchewan,
il indiquait le point stratégiciue où doit se porter encore et
toujours l'effort de notre défense. « La guerre que l'on
fait à la langue française au Canada, disait -il, est sans doute
moins ouverte aujourd'hui que jaelis; mais n'en est -elle pas
que plus dangereuse ? Notre langue est une eles langues
officielles du Dominion. Cela sonne bier ; cela nous flatte;
mais aussi cela nous endort. Veillons sur les mille et un
détails, souvent insignifiants pris séparément, mais c^ui for-
ment un tout formidable. C'est par là que se ferait,
giaduelle et silencieuse, la proscription du français en ce
paj's. » Vous reconnaissez l'accent, les justes et pathéti-
ques avertissements de ]\Igi- Béliveau, de ^Igr Latulipe;
l'accent des chefs qui combattent aux avant-postes et qui
ont éprouvé la valeur et le elanger des armes dive'-ses. Vous
rrconraissez la thèse tant de fois soutenue dans VAction
françaïsc, indéfiniment répétée dans ses conférences et ses
tracts et qu'elle voudrait enfoncer dans la tête de tous nos
compatriotes. Et vous voyez par tout cela que Tardivel
est assurément l'un des « précurseurs » dont notre œuvre
peut se réclamer avec le plus de justesse, qu'elle avait le
plus rigoureux cle^•oil• d'honorer,
Tardivel ne savait point laisser d'écart entre sa théorie
et sa pratique. Il portait dans sa conduite, dans ses luttes,
une persévérance, une ténacité dont il faisait volontiers
hommage à ses ancêtres maternels. Cette hérédité an-
glaise ajoutait à sa fieité française une nuance particulière.
Il éprouvait une sorte d'irritation à voir certains de ses
compatriotes canaeHens-français prendre à l'endroit de
486 l'action française
leurs concitoyens anglais une allure de parent pauvr
accepter tacitement le stigmate de l'i/iférionté; il affirme
son droit, non seulement en paroles, mais dans la pratiqu
avec la tranquille assurance de l'Anglo-Saxon. Il n'avg
point de ces timidités qui semblent chez trop des nôtres
lointain effet de la défaite de 1759. Il n'éprouvait p
davantage, à l'endroit des vainqueurs, ce sentimeDt d'adn
ration irraisonnée qui subsiste parfois chez le vaincu,
se sentait deux fois l'égal de l'Anglais et il ne comprena
pas qu'on pût agir avec lui autrement qu'en égal. Il n'e
tretenait au reste ni haine ni mépris à l'endroit d'une ra
qui était à moitié la sienne, où il comptait certaines de s
plus chères affections; ^ il ne mettait, même dans ses pi
catégoriques affirmations françaises, aucune colère. « Qi
ces rêves d'anglicisation générale ne nous étonnent pas et
nous exaspèrent pas, disait-il encore à Montréal : ils so
naturels. Mais à ces rêves opposons sans aigreur, sa
haine, avec fermeté, toutefois, une grande réalité historiqu
Et cette réalité, c'est que, si la divine Providence a implan
la langue française en Amérique, c'est pour qu'elle y rest
pour qu'elle s'y développe, qu'elle y remplisse son rôle
atteigne à de hautes destinées. »
Cette lutte pour le français, Dieu permit que Tardiv
la portât sur tous les terrains. Il assista à la reprise d
luttes politiques contre notre langue et, naturellement,
s'engagea à fond dans la résistance. Il défendit not
parler contre l'anglicisme et contre le mépris de ceux qi
' Dans la préface de Pour La Patrie, le roman de la Nouvel
Fiance, le livi-e où il a formulé ses plus hautes aspirations françaises
écrivait même en toutes lettres : « Rôves ou aspirations, ces pens(
planent sur les lieux que j'habite; siu- ces hauteurs, témoins des luti
suprêmes de nos pères; elles sortent de ce sol qu'ont arrosé de leur sa
les deux races vaillantes|que j'aime, je puis le dire, également, pai
(1 u'également j'appartiens aux deux ».
\
l'action française 487
)ar haine, ignorance ou demi-science, en méconnaissaient
a réelle valeur. Peu de Canadiens ont aussi bien que
Cardivel connu leur langue. Il avait dû l'étudier comme
me science nouvelle, éprouver la valeur de tous les termes
lent il se servait. Cela l'avait amené à pousser très loin
les recherches pour lesquelles il s'était passionné. ^ Je sais
luelques personnes qui n'oubheront jamais la curieuse
lémonstration qu'il fit un jour à Montréal, dans la vieille
aile de l' Union catholique. Il venait de raconter l'histoke
anadienne de notre langue, il avait dit : « Si la langue
rançaise s'est maintenue au Canada; si elle y est devenue
a langue officielle du paj'S, ce n'est gi'âce ni à la France, ni à
'Angleterre, mais aux Canadiens français. C'est une
enquête exclusivement canadienne. C'est une \'ictoire
lue seuls nos ancêtres ont remportée sur les Anglais, après
e départ de l'armée française et du drapeau fleurdelisé,
est une conquête pacifique de notre clergé, de nos hahi-
ants, de nos seigneurs et de notre bourgeoisie, du peuple
anadien-français tout entier. C'est la France, sans doute,
lui nous a donné cette belle langue; mais, je le répète, ce
ont les Canadiens qui l'ont conservée; ce sont eux qui ont
orcé le vainqueur à la reconnaître comme langue du gou-
ernement; » il avait rassemblé en faisceau quelques-unes
les preuves qui démontrent que le peuple canadien-français
)arle bien la vraie langue française, il avait dit la nécessité
le purifier notre langage, de la protéger contre l'angU-
isme; il ajouta : « . . .Le français que parlent nos gens de
a campagne, particuhèrement ceux qui ne sont jamais
'enus en contact intime avec l'élément anglais, est un fran-
ais très pur, bien que quelque peu archaïque. Et ce fran-
ais que nous parlons n'est pas tant le langage du petit
^ Tardivel fut tout naturellement l'un des pramiers membres de la
'•ociété du Parler français.
488 l'action française
peuple du XVIIe siècle, que celui de la cour et de la haute |
société. Nos cultivateurs, nos braves habitants parlent i\
comme parlait Louis XIV : voilà si je le sais, une proposi- ij
tion qui a le don d'exciter l'hilarité des contempteurs du *]
canayen, mais qui n'est pourtant pas très éloignée de In ;(
stricte vérité. L'exagération qui s'y trouve ne dépasse i^
pas, à mon humble avis, les bornes d'une figure de rhétori- «
que permise. )) Sur plus d'une figure, nous vîmes courir un \i.
sourire d'ironique incrédulité. Mais Tardivel sortit ses ^
vieilles grammaires, ses vieux lexiques et commença tran- |
quillement sa preuve. Il démontra à coups de textes, en |
citant soigneusement pages et volumes, que (( lorsqu'un
bon Canadien de nos campagnes dit : c'est difficile à
crère; il fait fret aujourd'hui; le chemin est élret ici; il ne
peut pas marcher diet; j'ai failli me nèyer; il faut nétàyer cela;
que le bon Dieu soè béni;^oè et moè,)) «cet.habitant s'exprime
absolument comme s'exprimaient ceux qui au commence-
ment du XVIIe siècle, se piquaient de parler le bon langage.»
Il établit que tel spécialiste du XVII le siècle recommande
de prononcer i zaiment pour ils aiment, note maison, note
chambre, pour notre maison et notre chambre, sfoiseau,
sthonneur, stefemnie, pour cet oiseau, cet honneur, cette femme,
quèque et quèqu'mi pour quelque et quelqii'un, su lui pour sur
lui. La démonstration, que l'on trouvera tout entière dans
la Langue française au (-anada, s'acheva au miheu des
applaudissements. Vous entendez bien que Tardivtl — et
il le précisait avec soin — ne \onlait point qu'on m revint
à ces vieilles formes de la prononciation française, mais
il prétendait qu'en se conformant à la prononciation mo-
derne, on n'avait pas le droit de ti'aiter do patois ou de jar-
gon ce cjui n'est qu'archaïsme fidèlement conservé. VA,
pour un motif analogue, il démontrait que les Canadiens
fran(;ais n'ont prestiue pas iiiV(Mité de mots, qu'(>n dehors
l'actiox française 489
jdes anglicismes que tout le monde déplore, les vocables qui
déroutent les demi-renseignés appartiennent au vieux fonds
français, aux parlers populaires de là-bas, que nous avons
importé de France jusqu'à nos fautes les plus usuelles.
L'ardent polémiste défendait ainsi contre la légende
du French Canadian patois, la langue de ses compatriotes
en même temps qu'il s'efforçait de la purifier de ses princi-
pales scories, de la protéger contre l'anglicisme et d'opposer
à ses ennemis politiques la plus vigom^euse défense. Il
faisait autre chose, dont nous lui sommes particulièrement
reconnaissants ici et qui le classe spécifiquement parmi
les « précurseurs ». Il apprenait à ses compatriotes l'im-
portance de cette lutte par le détail dont nous parlions plus
haut, il en donnait énergiquement l'exemple. Nous nous
demandons même s'il n'a pas été le premier à réclamer avec
méthode, avec persévérance, l'emploi du français sur les
timbres, les monnaies, etc. Ses voj'ages en Suisse et en
Belgique l'avaient rendu particulièrement intransigeant
sur ce point. Il savait aussi que le meilleur moyen d'assu-
rer à notre langue la place qui lui convient c'est de commen-
cer par la lui faire. « Ne craignons pas de la parler en
toute circonstance, disait-il. Ne mettons jamais notre
drapeau dans notre poche . . . N'y a-t-il pas une tendance
parmi nous à nous servir trop facilement, sans nécessité
réelle, de la langue anglaise ? Je le crains. Réagissons
contre cette tendance. » On tirerait facilement de ses
œu\res une collection de mots d'ordre, dont l'actualité est
aussi vive que jamais.
Dans ces pages trop rapides, déplorablement incom-
plètes, il n'a été question encore que de Tardivel et du fran-
490 l'action FEANÇAIgE
çais. C'est l'aspect d'une rude et belle carrière qu'il nous
a semblé particulièrement opportun de souligner ici. Le
lutte pour le français est du reste l'un des domaines où Tar-
4ivel a le plus visiblement fait œuvre de pionnier. Mais i
faut ajouter qu'en mainte autre sphère encore il fit figuri
de précurseur. Cet homme dont toute la vie extérieur(
pourrait se résumer en quelques phrases, ^ qui n'a pour ains
dire vécu que par et pour ses idées, a exercé une infiuenci
dont la profondeur apparaît chaque jour plus gi'ande
Dégagé de tout lien de parti, n'exerçant que sa professioi
d'écrivain, faisant du jom-nahsme hebdomadaire et débar
rassé par conséquent des mille superfluités qui submergen
presque ses confrères de la presse quotidienne, il a pu main
tenir sur les choses un regard clair, qui savait aller à l'essen
tiel. Il a été pour maints hommes qui forment aujourd'hu
l'opinion un excitateur et un guide. Je sais tel d'entr
eux, parmi les plus grands, qui le révère comme un maîtr
et répète volontiers : Plus je vis, plus je l'étudié, plu
je trouve qu'il a raison . . .
Tardivel a remué trop d'idées pour que l'accord
soit fait sur ses opinions, mais, dès le lendemain de sa mori
tout ce qui compte parmi ses compatriotes s'inclinait devan
l'admirable désintéressement, devant l'héroïque dignité d
sa vie. On saluait en lui, par-dessus tous les dissentiments
cet être rare : un homme. C'était déjà, devant sa tomb
à peine ouverte, le jugement de la postérité.
Omer Hfrotjx.
1 Tardivel, né aux Etats-Unis d'un père français et d'une mère ai
glaise, est décédé au printemps de 1905, à l'âge de 53 ans. Presqt
toute sa vie d'homme a été employée à la rédaction de la Vérité.
est mort à la tâche.
COMMENT SERVIR
'[J Action française continuera, l'année prochaine, la
érie de ses articles de tête sous même rubrique. Ce genre
.'études paraît plaire et rendre service. Un de nos amis
'eut bien nous écrire : « Il n'y a que l'introspection,
;omme disent les philosophes, pour nous fah'e sortir de
lotre inconscience, pour nous révéler le fond mystérieux de
'être, pour rectifier et ordonner nos vies. Ainsi en est-il de
^os larges et lumineuses enquêtes sur nos forces nationales
m sur les états d'âme du passé. Elles nous révèlent à
lous-mêmes avec un réalisme impitoyable qui commande,
lui détermine de l'action ».
Pour procéder méthodiquement, V Action française débuta,
l y a deux ans, par l'inventaire de nos ressources. Elle
îonsacra à l'analyse de nos forces nationales, douze études
)ù furent exposés, avec netteté, nos richesses et nos déficits.
étte année la revue a fait comparaître les précurseurs. Les
lommes du passé sont venus dire leur effort, leur façon d'en-
iendre le devoir, d'utiliser les forces de leur temps. Pour
aire suite à la direction des morts nous voudrions mainte-
lant l'action des vivants. Douze collaborateurs viendront
épondre à cette question : « Comment, à l'heure actuelle,
doit-on servir la cause française ? »
Les douze collaborateurs représenteront, croyons-nous,
1 peu près toutes les catégories sociales. Fidèles à la pensée
ie nos fondateurs, nous n'entendons point borner notre
effort aux seules questions de langue, à la seule lutte contre
angHcisation. Chacun de nous, à quelque profession, à
quelque état qu'il appartienne, a sans doute des devoirs
492 l'actiox française
directs et précis à l'égard de la langue française. Et ces
devoirs nous allons demander qu'on les accomplisse. Tous
nous avons à fournir notre contribution de travail et d'éner-
gie pour défendre et illustrer notre parler,cl'abord chez nous,
sur nos lèvres et dans nos écrits, en lui gardant sa correc-
tion, l'intégrité de son verbe, la lo\'auté de son génie. Pour
tous, l'heure presse d'une croisade qui restituera à ce même
parler ses droits dans les administrations fédérales, dans les
services d'utilité publique, qui le remettra à sa place dans
le commerce anglais ou canadien-français, qui refera à nos
villes, à nos villages une physionomie française. Les reculs
trop réels que notie langue a subis par notre faute dans ces
divers domaines, depuis cinquante ans, ont déplorablement
trompé l'étranger superficiel sur la realité de nos états
d'âme en même temps qu'ils ont inspiré à notre peuple le
goût morbide des capitulations. Que l'on décide enfin de
ne plus s'en tenir aux revendications de quelques petits
groupes de patriotes courageux. ]\Iais que les corps publics,
que les sociétés nationales, que les journaux, que tout le
peuple 3' aille de sa collaboration si des demi-victoires ne
doivent pas nous suffire.
Toutefois, ne nous faisons pas illusion. Une action fran-
çaise qui voudra être efficace devra être faite d'autre chose
que ces revendications partielles, si nobles, si in-gentes
soient-elles. La langue ne saurait survivre comme une
force isolée, indépendante. Si elle soutient d'autres élé-
ments et d'autres traditions, elle s'appuie elle-même sur
un sj'stème de forces que nous ne pouvons négliger sans
accepter la vanité de nos efforts. Quelcpies-unes de ces
forces pourront être dénonunées inférieures, elles n'en
gardent pas moins la valeur et la vocation d'indispensables
fondements. Toujouis, quoi que l'on fasse, l'harmonie des
fonctions sociales, la sage coordination de toutes les acti-
l'action française 493
vités seront requises pour maintenir l'équilibre et le progrès
d'une communauté humaine. Et c'est ainsi que notre
langue ne peut durer que si nos prêtres nous gardent nos
croyances, premier soutien de notre nationalité, que si nos
mères, nos éducateurs façonnent à nos enfants l'âme héré-
ditaire, que si nos publicistes, nos politiques conservent
au parler national son prestige officiel, que si nos écrivains,
nos artistes, inspirent par un art supérieur l'orgueil de la
pensée française. Mais de même pouvons-nous écrire,
avec autant de vérité, que nulle survivance n'est possible
si nos économistes, nos agriculteurs, nos financiers, nos com-
merçants, nos industriels, nos ouvriers, non seulement ne
nous conquièrent l'indépendance économique, mais aussi
ne construisent une production, une organisation du tra-
vail,un commerce de qualité et d'aspirations françaises, au
service de nos traditions. Aucun effort, aucune activité
n'a le droit de s'isoler dans la vie d'un peuple. Et c'est
donc l'ensemble de tous les biens qui soutiennent la vie de
notre race que doit avoir en vue et que doit vouloir coor-
donner une intelligente et vigoureuse action française.
Et une telle action, cela va de soi, ne saurait être le monopole
ni le devoir d'une petite minorité.
Ajouterons-nous que ce labeur, nous voudrions qu'on
l'acceptât avec toutes ses relations morales, ce qui veut dire
avec la pleine conscience de notre situation en ce pays et de
notre rôle à l'égard des autres groupes français d'Amérique ?
Foyer et point d'appui de la race française sur ce con-
tinent,nous ne pouvons ignorer les obligations de cette pater-
nité spirituelle. Notre grand devoir est d'accumuler assez
de puissance, assez de vigueur matérielle et morale pour
qu'au loin nos frères dispersés ne regardent jamais du côté
de la province de Québec qu'avec confiance. Aux groupes
lointains, plus abandonnés, plus tentés contre la fierté de
494 l' ACTION FRANÇAISE
leurs origines, nous devons avoir l'ambition de démontrer,
avec une victorieuse évidence, que, loin d'entraver aucun
progrès, nos hérédités françaises peuvent devenir le moyen
de toutes les supériorités. Ne faisons pas plus vaines
qu'elles ne le sont ces préoccupations idéalistes. Elles peu-
vent avoir la valeur d'un stimulant et il faut à toutes les
œuvres de l'homme des vues qui les dépassent. Quand
nous aurons mis ce souci de charité patriotique au fond de
toutes nos activités, nous aurons le goût et la volonté de
passer à une assistance plus pratique et nos frères appren-
dront enfin que sur nos lèvres la fraternité française n'est
pas un vain mot. Après avoir eu tant de zèle pour toutes
les œuvres de l'étranger nous finirons peut-être par en avoir
pour les œuvres de chez nous. Nous éviterons que de
l'Ontario, de l'Ouest, de l'Acadie et des États-Unis, l'on
ne nous jette à la figure ces reproches d'oubli et d'abandon
que si généreusement nous avons nous-mêmes adressés à la
France. Peut-être aussi, quand des délégués de nos groupes
éloignés viendront nous demander assistance ou simplement
nous entretenir des luttes et des sacrifices que, dans leur isole-
ment et leur pauvreté, ils soutiennent pour leur durée
française, auront-ils chance de rencontrer dans notre
monde qu'ils croient dirigeant, un peu moins de ces airs
distraits ou ennuyés ou de ces sourires sceptiques et dépri-
mants qui leur font dire parfois : « Ces gens-là ne se sou-
viennent plus; ils ont perdu tout sens national ».
Nous n'hésitons pas à l'écrire, ce souci d'action et de
charité française importe infiniment plus que beaucoup
d'autres préoccupations vers lesquelles on essaie, depuis
quelque temps, d'attirer nos esprits. Que l'on ne
vienne pas nous dire que vouloir concentrer ainsi le labeur
vers les œuvres nationales c'est nous isoler en ce pays, c'est
faire preuve d'exclusivisme de race, c'est fermer les yeux
l'action française 495
aux plus évidentes contingences. Bien au contraire, une
action française clairvoyante professera toujours que la
politique des frontières fermées ne saurait être celle d'un
patriotisme intelligent ni même simplement habile. Les
Canadiens français, où qu'ils se trouvent, doivent d'abord
regarder autour d'eux et plus loin qu'eux-mêmes, pour se
rappeler sans cesse leur état de minorité. Ils doivent se
souvenir que, par le seul fait de leur cohabitation avec
une majorité puissante, opposée à leur race par sa consti-
tution mentale, aucun des éléments de leur nationalité,
ni leur foi, ni leur langue, ni lem-s lois, ni leurs traditions
ne se trouvent en sécurité. Un sentiment très net de cette
situation devra même leur révéler avec quelle hâte, quelle
vigueur, leurs forces de résistance doivent être niobilisées
et quel relief il importe de maintenir sans cesse aux caractè-
res psychologiques de la race. Pour les mêmes motifs ils
seront amenés à observer, plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici,
le mouvement des idées dans les provinces anglaises. Une
vue plus largement ouverte nous am-ait, dans le passé,
marqué notre place, à côté de nos rivaux, dans des domaines
trop lestement abandonnés, d'un geste qui n'a pas même le
mérite du désintéressement. Que de fois également, une
observation plus vigilante des idées et des projets que
remuait l'autre race, nous am-ait valu de nous trouver moins
désorganisés devant quelques-unes de ses attaques, moins
hésitants sur le choix de nos armes, de nos tactiques de
défense.
L'Action française, telle que nous l'entendons, voudra
même essayer de comprendre ceux qui, en ce moment,
nourrissent la noble illusion de former un esprit canadien.
Les Canadiens français ont le droit d'exiger que pour cette
fois on précise la formule, mais ils ne sam-aient s'abstraire
de cette plus grande communauté à laquelle les lient la
496 l'action française
géographie, la politique et l'histoire. Parce que ce pays est
à eux plus qu'à tout autre, parce que plus que tout autre ils
ont le sens du passé, le culte des vieilles traditions politi-
ques, on veut, présumons-nous, que plus que tous les autres
ils donnent leur effort pour maintenir l'autonomie de leur
pays, pour le délivrer de tous les impérialismes, pour faire
triompher la personnalité nationale. A personne des
nôtres, nous en sommes sûrs, il ne vient à l'esprit de préten-
dre former une « mentalité » canadienne par une sorte de
réduction de l'esprit et des aspirations des races ramenées à
un type plus uniforme. Nul n'a le droit de l'ignorer :
ce pays est à base de provincialisme. C'est le principe
qu'ont fait triompher, il y a cinquante ans, les pères de la
Confédération et ce principe leur fut imposé par une
politique essentiellement réaliste. Prenons garde de tou-
cher à cet ordre de choses. Nos pères n'ont point accepté
en 1867 d'autres devoirs, d'autres sacrifices que ceux que
leur imposait le fédéralisme. Et les fédérations politiques
n'échappent point à la nature des autres sociétés : aucune
n'existe d'abord pour elle-même mais bien plutôt pour le
bénéfice des parties. Surtout ne laissons pas dire que
de pareilles théories rétrécissent singulièrement nos pensées
et nos horizons. N'est-ce pas toujours en restant nous-
mêmes que dans le passé nous avons le mieux sei'vi notre
pays? A l'heure actuelle vous semble-t-il que l'on com-
prenne autrement, même parmi ceux de la majorité, l'utilité
de notre groupe? Goldwin Smith nous désignait un jour
très aimablement comme <( un débris antédiluvien de la
vieille société française avec sa torpeur et sa bigoterie, sans
valeur aucune pour la civilisation moderne : » ^ Mais
depuis lors, nous le savons, l'histoire a marché. Et
^ Cité^par Seely, L'Expansion de l'Angleterre, p. 02.
l'action française 497
aujourd'hui, ce n'est pas, que je sache, comme CaaadieDS
tout court, mais bien comme Canadiens français, avec tout
le fond de nos qualités ethniques, avec l'intégi-ité de nos
institutions, que nous paraissons aux yeux des compatriotes
de Goldwin Smith, et que nous sommes en réalité, une
force conservatrice, le meilleur élément de civilisation. Ne
soj^ons pas les seuls à l'oublier. C'est uniquement par
les vertus qui nous viennent de notre foi catholique et de
notre vieille formation française, que, devant l'anarchie des
idées et l'écroulement universel nous représentons la sta-
bilité de la famille, le respect de la justice et de la propriété,
le culte de l'autorité.
Non, ce n'est pas en dépouillant notre élément de sa
richesse foncière que nous enrichirons notre pays. Bien
plutôt est-ce dans la mesure où nous allons nous développer
dans le sens de nos qualités historiques, que nous attein-
drons à l'esprit le plus largement canadien. Et non point
seulement parce qu'ainsi le veut notre atavisme ancien,
pai-ce que nous tenons de notre passé l'habitude de regarder
très au loin, jusqu'à ces régions où les gestes des aïeux
fixaient jadis les frontières de la patrie, mais encore parce
que l'âme catholique et française fut toujours à base de
sain humanitarisme, à fond de sympathie universelle, parce
qu'avec ses sentiments idéalistes elle comprend mieux que
toute autre, le respect du droit et de la justice, la vraie
fraternité humaine. Xotre passé est là pour attester que
nous avons gardé beaucoup de cet héritage. N'avons-
nous pas été les seuls à comprendre et à respecter, dans
leur intégi'ité, la lettre et l'esprit du pacte de 1867 "? Qui
a consenti plus de sacrifices que nous pour le maintien de la
communauté canadienne, et quelquefois les sacrifices les
plus excessifs et les plus impolitiques? Au fond de nos
498 l'action française
luttes de ces derniers temps, nous avons cherché, sans doute,
la reconnaissance des droits de notre race, le respect de la
liberté de nos • frères. Mais en même temps nos vrais
chefs ont-ils cessé de nous montrer, au bout de ces luttes,
l'intéi'êt plus général de notre pays, qui, plus que de canaux,
d'élévateurs et de chemins de fer, a besoin des notions du
droit et de la justice, du maintien de toutes ses forces mo-
rales ?
En voilà assez, croyons-nous, pom' nous justifier
d'orienter l'action française vers des œuvres françaises.
Là est l'avenir parce que là est la vérité. Continuer les
lignes traditionnelles de son histoire, développer sa part
d'originalité, défendre son patrimoine moral, sauver son
âme, ce fut toujours le premier devoir d'une race.
Lionel Gkoulx, ptre.
NOTRE CONCOURS
Nous touchons à la fin de notre concours d'abonne-
ment. L'approche des Fêtes fournit aux concur-
rents une magnifique occasion de donner un dernier
effort. Nous espérons qu'ils n'y manqueront pas.
On trouvera dans la dernière partie de cette
livraison les conditions et le programme du concours.
LE LIVRE DE LA GENÈSE
Je me rappelle avoir lu, il y a bien des années, et pris
au pied de la lettre, la phrase suivante : (( En art, le sujet
l'est rien ». C'était Brunetière qui écrivait cela. Or, le
jiiaître m'en imposait. !Mais j'ai réfléchi depuis, et je me
~uis, comme qui dirait, ressaisi. Et, si le grand critique
a toujours à mes yeux beaucoup d'autorité, et si je n'ose-
rais, certes, dire de lui ce qu'en affirme ]M. Alfred Poizat,
savoir « qu'il a tout mesuré avec une chaîne d'arpenteur »,
il me semble pourtant que celle de ses assertions que je viens
de rapporter peut et doit être discutée, sinon entièrement
rejetée. A l'appui de son principe, le maître citait ces deux
vers de ^lusset, où la rime n'est pas liche — le poète des
Nuits a si peu d'art, disait dédaigneusement Fromentin —
mais le sentiment très beau :
Et pour que le néant ne songe point à ha,
Il suffit d'un enfant sut sa mère endormi.
C'est de Raphaël que ]\Iusset parlait. Or, ce distique,
loin de corroborer la proposition émise, ne l'infirmait-il
pas plutôt ? Et Brunetière était-il heureux dans le choix
de son argmnent ? « Un enfant sur sa mère endormi », ■ —
si ordinaire que soit ce spectacle, il n'en demeure pas moins
l'un des plus admii-ablcs que présente la nature, l'un des
plus émouvants et des plus inspirants. Jt crois bien qu'une
telle scène pouvait suffire au génie d'un Raphaël !
Quoi qj'il en soit du sujet en art, et que son rôle soit
nul. indifférent, ou au contraire capital, il me paraît cer-
500 l'action française
tain qu'en histoire du moins il importe beaucoup, et qu'il
influe profondément sur le caractère d'une œuvre, qu'il
pèse d'un grand poids sur le talent de l'écrivain, qu'il « dé-
termine » en quelque sorte sa pensée, l'abaisse ou l'élève,
la tient dans une sphère modeste ou lui peraiet de planer,
de gravir les sommets. Le même écrivain pourra se mon-
trer sous un jour tout à fait divers, suivant que la matière
dont il tîaite, qu'il pétrit en quelque sorte, est plus ou moins
plastique, est d'une essence plus ou moins généreuse. Les
mêmes facultés, appliquées à décrie une période terne et
pauvre, — ou se mouvant dans un cadre tout fourmillant
de vie, s'exerçant à l'essusciter une époque si belle, si noble,
si riche, si fraîche, si pleine de promesses, qu'elle ressemble
à un rêve, — aboutiront à des réalisations qui paraîtront
à peine venir de la même source, tant il y aura de diffé-
rences, sinon de contrastes, entre les unes et les autres.
Ces i'éflexions me sont inspirées par la comparaison
du dernier ouvrage historique de M. l'abbé Groulx avec
les deux que nous lui devions déjà. M. l'abbé Groulx avait
abordé notre histoire par l'étude de- nos Luttes constitution-
nelles. Il y manifestait de très beaux dons; d'un ferme
pinceau il y brossait des portraits qui sont bien touchés;
la revendication de nos droits religieux et ethniques, menée
par nos pères, y était évoquée en ime documentation cons-
ciencieuse et précise. Mais cette période de notre exis-
tence est confuse et embi-ouillée ; c'est une vraie « forêt
obscure » au sein de laquelle on a l'impression que des hom-
mes honnêtes et droits se débattent avec des serpents.
L'historien se cherchait en quelque sorte, et parvenait mal
à se définir, au milieu de c(>s louches ténèbres, seulement
éclairées de loin en loin par de rassurantes apparitions.
Il nous a donné ensuite les Origines de la Confédération.
La confédération ! Piètre entreprise,, à laquelle ont tâché
l' ACTION FRANÇAISE 501
'les hommes dont aucun ne dépassa la moyenne, et dont
les résultats, après cinquante ans, se soldent par une régres-
sion. Avec cette machine, au lieu de marcher vers une
nationalisation plus complète, but de la vie d'un peuple,
l'on est revenu en arrière, et l'on se trouve plus que jamais
enserré dans les mailles du colonialisme. Au moment où
se fondait ce beau pacte, l'Angleterre tii-ait des ficelle? dans
la coulisse — témoin l'incident MacDonakl-Cartier — et
se réservait d'intervenir ouvertement à son heure et de
montrer que Ton avait travaillé à son profit. L'étude de
yi. l'abbé Groulx a sans doute de grands mérites : elle repo-
se sur de judicieuses recherches. Mais y avait-il dans ce
sujet, dans la contemplation et ranal3'se de cette « œuvre
manquée )), de quoi favoriser l'essor de l'esprit'? La ma-
tière ne se prêtait guère aux grands coups d'ailes. De
tous les chapitres de ce livre, le meilleur à mon avis, celui
où se laissait deviner le plus clairement la puissance de vol
dont l'auteur était capable, est le dernier; et il n'est si beau,
si annonciateur de facultés qui ne demandent qu'un emploi
digne d'elles, que parce que l'historien, brisant le cadre
étroit et mesquin où il étouffe, embrasse tout l'hoi'izon et
se promène à travers le passé et le futiu'.
Un emploi digne de ses facultés, ou mieux un sujet
qui fût en pleine harmonie avec elles, qui les sollicitât à se
produire toutes, les invitât à se déployer largement, c'est
cela que M. l'abbé Groulx devait trouver en remontant
aux sources de notre vie. Le fleuve qui emporte et roule
notre race et nos destinées, il s'était souvent assis sur ses
bords, il l'avait observé à telle de ses courbes; le mj^stère
de ses flots l'avait à la fois attiré et troublé. Cédant enfin
à une légitime curiosité, et aussi comme pour se libérer de
certaines émotions infligées à son patriotisme par les misères
du présent et les menaces qui assombrissent l'avenir, il s'est
502 l'action française
plongé dans nos origines,, il a voulu saisir notre existence
dans toute la fraîcheur de son éclosion. Et il en a éprouvé
un enchantement. Ce décor, cette ambiance lui convien-
nent à merveille. Comme il se sent bien chez lui dans un
tel milieu ! Il semble qu'il ait la sensation de s'évader dans
l'irréel. Notre genèse a eu en effet quelque chose d'idéal.
Rien de plus reposant que d'attacher son regard sur le mys-
tère déjà lointain qui a présidé à tout ce que nous sommes.
Jamais le génie latin ne s'est montré aussi artiste que dans
la création de là Nouvelle-France. Sans doute, il y a eu
des fautes de commises dans l'exécution et les détails de
cette œuvre. Mais elle est née d'une si grande pensée et
d'un si noble vouloir! D'ailleurs, l'élément humain tout
seul ne l'explique pas. Il y a eu des faits proprement di-
vins à la base de l'entreprise, des impondérables surna-
turels. Et l'on conçoit qu'un talent comme celui de M.
l'abbé Groulx ait travaillé avec amour sur toute cette subs-
tance, et en ait tiré un livre qui a la spontanéité et la gi'âce
d'un poème. Faut-il donc qu'un poème ne soit jamais
que le fruit de l'imagination et de la fantaisie? N'y en
a-t-il pas, au contraire, et parmi les plus beaux, dont le
fond est d'une solidité scientifique à toute épreuve ! Par
exemple la Divine Comédie. Et encore, les Élévations de
Bossuet sont une suite d'odes d'un incomparable lyrisme.
Quelle profondeur de pensée cependant et quelle précision
de doctrine dans ces chants ! En disant de la Naissance
d'une Race qu'elle est un poème, je ne fais abstraction de
rien de ce qui en constitue le mérite au point de vue des
recherches, de la documentation nourrie, de l'enchaîne-
ment des preuves, de la discussion des données positives;
elle se présente à nous avec tout l'appareil dont doit s'en-
tourer celui qui traite d'histoire. Seulement, l'auteur a
su animer tout cela d'un tel souffle, le vivifier d'un si sin-
l'action française 503
cère enthousiasme, répandre sur le tableau une coloration
à la fois si vive et si nuancée, en ordonner toutes les parties
selon un tel rythme soutenu et croissant, que j'ai eu, en
le lisant, l'impression de lire un poème.
Cela est surtout remarquable à partir du chapitre
deuxième : Le Milieu. Car le chapitre premier : Le Colon^
a un caractère un peu à part. Les statistiques qu'y donne
l'auteur sont d'un grand intérêt : il n'est pas du tout indif-
férent de savoù' que presque toutes les provinces de France
ont contribué à enrichir notre berceau. Mais, si le registre
est le premier document d'archives, les renseignements
qu'il fournit ne sont guère une matière d'art. L'auteur
pose les substructions de son œuvre. Et ce n'est pas dans
les fondations d'un monument que l'on s'attend à voir bril-
ler la virtuosité d'un architecte. Il faut se résigner de bon
cœur à la sécheresse nécessaire de cette partie. Je me per-
mettrai plutôt de faire remarquer à M. l'abbé Groulx, qu'il
me semble qu'il ne le prend pas d'assez haut avec ceux qui
nous accusent d'être le fruit d'un métissage. 11 est de cer-
taines calomnies auxquelles l'on répond, sinon par le silen-
ce, du moins par un dédain de haut vol. L'accent de la
polémique perce au contraire dans la défense que l'auteur
oppose à Quatrefages et Cie. Et quant à M. Maurice
Barrés, je me demande si son malheureux article méritait
l'honneur seulement d'une allusion. Péguy disait : « Vic-
tor Hugo, incomparable lorsqu'il touche à l'Éternel ! »
L'historien doit tâcher de s'élever à l'éternel : il doit négli-
ger l'éphémère, le fait divers, pour bâtir avec des matériaux
durables. Et Barrés, tout aussi bien que Vogue, a, à
propos de ses cousins du Canada, brodé un fait divers.
Ce n'était guère la peine de s'en occuper ici. Nous ne des-
cendons pas des sauvages. Cela, c'est prouvé. Contre
des faits, il n'y a rien à dire. Mais, le contraire serait vi'ai,
504 l'action française
faudrait-il regarder cela comme un déshonneur? Cela
eût-il en soi constitué une mésalliance, le mariage des blancs
avec des Indiens ? Nous en eussions été un peu moins
français, mais. . . Il y a eu chez nous des cas particuliers
de mélange de ces deux sangs, et ces cas donnent à réflé-
chir. Mgr Laflèche avait du sang indien, et en forte pro-
portion, Chapleau de même. Cependant, ces deux types
d'hommes furent pai'mi les plus brillants que nous ayons
eus.
M. l'abbé Groulx attache également une trop grande
importance à ce que dit La Bru^'ère du paysan français
de son temps. Ce portrait est une charge. L'auteur des
Caractères est un ps^^chologue, amer si l'on veut, mais psy-
chologue, il est un stjdiste merveilleux, mais il n'a aucun
droit au titre d'iiistorien, et ce n'est pas chez lui qu'il faut
aller se documenter. Quant à la Hontan, btaucoup trop
d'espace est consacré à ses gasconnades. Pour résumer
tout mon sentiment sm* ce premier chapitre, je dirai que
le fond en est très bon, mais les citations pas toujours heu-
reuses, et que la matière générale n'en est pas assez fondue,
assez assimilée : l'auteur ne paraît pas suffisamment la
dominer. Vers la fin cependant le ton se relève, prend une
ampleur qui va s'étendre, se communiquer de chapitre en
chapitre jusqu'à la fin. Avec le Milieu, on effet, l'allure
devient grave sans être compassée; l'auteur maîtrise davan-
tage le document, dont le choix est d'ordinaire très judi-
cieux; et toutes ces pièces d'archives s'insèrent dans la trame
de l'ouvrage qu'emporte un grand soufîle lyrique. Le Mi-
lieu, ce sont les trois forces auxquelles le Colon a été soumis,
et qui lentement l'ont forgé et l'ont modelé : le Pays
d'abord, savoir le climat, le sol, les espaces immenses. Les
considérations que ceci inspire à l'auteur pourraient avoir
l' ACTION' FRANÇAISE 505
pour épigraphe un mot — de qui donc ?. Mais de ce Barrés
précisément, qui sait, quand il le veut, dire à notre sujet
autre chose que des incongruités. Ce patricien de lettres
avait dû écrire l'article mentionné plus haut à l'une de ces
heures où, selon sa propre expression. « il se sent diminué ».
Mais le mot ciue je vais rapporter ne rachetait-il pas à
l'avance sa bé\'iie? a Au Canada, la race française s^est
aérée. » Vérité profonde, que M. l'abbé Groulx met en
relief. Il est indubitable que, sous l'effet des causes physi-
ques, le vieux sang français s'est régénéré sur nos plages,
au sein de nos forêts, grâce à un climat dur mais extrême-
ment salubre. Le Gouvernement ensuite. Et enfin, et
par dessus tout, VEçjlise. L'on n'insistera jamais trop sur
le rôle providentiel de cette dernière à l'égard de nos desti-
nées. Cela permet à l'auteur de faire défiler les nobles
figures de nos missionnaires et de nos saintes femmes et de
rendre un hommage ému à leur désintéressement, leur pé-
nétration de \'nes, la hauteur surnaturelle de leurs desseins.
J'effacerais cependant, dans le portrait de Mgr de Laval,
l'expression « candidat à la sainteté ». Elle a dû échapper
à l'auteur.
Les deux chapitres Cjui suivent ont trait à V Établissement
de la colonie. Pourquoi faut-il qu'ils s'ouvrent par des
références à Sismondi ? Simonde de Sismondi n'a absolu-
ment aucune valeur. Et je préférerais ne pas le voir invo-
quer dans un travail si bien ordonné et si sérieux. L'au-
teur adopte, si je peux dire, l'ordre chronologique, pour
relater les succès ou les faillites, les reprises et les revers,
dans l'établissement de la Nouvelle-France. C'est la meil-
lem-e méthode en l'espèce, probablement, quoiqu'il s'en
présente une autre à mon esprit, savoir celle du gi'oupe-
ment, qui eût consisté à ramasser, d'un côté les a\antages
506 l'action française
des divers systèmes qui ont été essayés, de l'autre leurs
inconvénients et leurs défectuosités. Je ne tiens pas du
tout à cette idée, encore qu'il me paraisse qu'elle eût peut-
être permis à l'auteur d'éviter l'écueil de toute narration
un peu longue, je veux dire quelque monotonie. Ce dont
je suis surpris, c'est qu'à propos de la tenure seigneuriale,
l'ouvi'age de Munro ne soit pas cité. C'est pourtant l'étude
classique là-dessus. M. l'abbé Groulx, quand il en vient
à parler des « coureurs de bois », fait allusion aux Crusaders
of New France, du même autem*. Or, dans Crusaders of
New France, il y a un chapitre sm* l'éducation ou l'instruc-
tion en Nouvelle-France qui appelle la réfutation la plus
complète. J'espérais que dans son étude finale, où ce sujet
est abordé, M. l'abbé Groulx y reviendrait pour mettre
les choses au point. Et encore, sinon d'une façon générale,
du moins ça et là au cours de la Naissance d'une Race, et
en particulier dans le chapitre premier de V Établissement,
par exemple page 157, il y a des choses qui sont un peu
trop « tribune » et « discours de circonstance ». Je cite :
« Et voilà cet homme, ce type de l'habitant canadien, non
pas demi-sauvage et demi-barbare, comme l'a caricaturé
Pat'kman, mais héros d'idéal, de courage et de simplicité,
fondateur de pays et fondateur de race, pionnier de la civi-
lisation et pionnier de la foi, ancêtre qui, dans notre his-
toire comme dans le bronze, n'est à sa place que sur un socle,
dans une attitude de foi et de labeur, la tête nue sous notre
grand ciel, la faucille d'une main, et, de l'autre, élevant vers
le Créateur sa première gerbe de blé. »
C'est très beau, mais n'est-ce pas un peu bien oratoire ?
Je me disais que pareille envolée eût admirablement con-
venu pour le dévoilement du monument Louis Hébert.
En cours d'histoire, elle semble un peu trop « parlée ». Ces
l'action française 507
quelques réserves marquées, il reste que ces deux cha-
pitres sont pleins de doctrine, de faits, et qu'ils enregistrent
avec la plus parfaite impartialité les rayons et les ombres
de notre primitive histoire. Une dernière observation —
l'esprit critique, hélas ! ne cède pas volontiers ses droits —
qui porte sur tout l'ensemble de l'ouvrage. Il y a tel pro-
cédé par quoi l'on s'incorpore l'érudition documentaire,
l'on se s'assimile, on la digère, on la fait sienne, en sorte
que l'on bâtit dessus,mais sans qu'il y paraisse, de telle façon
que les thèses sont fortement étayées, et que l'on peut don-
ner sa référence pour chacune de ses afl&rmations, et que
le lecteur peut aller à la source et vérifier les textes; mais
la substance empruntée s'est tellement mêlée à la forme
de l'auteur qu'on ne l'en distingue pas. Or, chez M. l'abbé
Groulx, la trame personnelle est trop hachée de longues et
copieuses citations qui entravent et alourdissent l'éian de
la pensée. L'érudition est l'un des éléments de l'histoire,
un élément partiel; mais, parce que l'histoire est une
science et un art, il faut faire subir à la matière brute une
transformation qui la hausse aux lois idéales qui régissent
ce domaine.
Le dernier chapitre, ou mieux le dernier chant de ce
poème, est synthétique. C'est le complément superbe des
données acquises, la conclusion enflammée d'une enquête
qui n'a rien négligé pour s'instruire de tout ce que la Provi-
dence et les hommes ont mis dans le berceau de notre race :
les richesses naturelles du nouveau type humain qui y a
été élaboré, aussi les défauts inhérents à tout ce qui est
de la terre; mais les ressources l'emportent sur les inévita-
bles déficiences. Il y a là des pages sur le degré de culture
intellectuelle qui distinguait nos pères, par conséquent sur
ôOS l'action française
la langue qu'ils parlaient, — • double héritage que les écoles
ont tout de suite transmis de génération en génération,
qui mériteraient d'être serties dans l'or. Et que de beau-
tés dc'tout ordre sont semées dans cette finale, qui est, avec
le Milieu, ce qui vibre le plus dans la Naissance d'une
Race, ce qui s'enveloppe de plus de charme, ce qui se colore
de plus savoureuse poésie !
L'on connaît ce mot d'un penseur ; « Les cù-constances
ne font pas le génie; les circonstances fournissent au génie
l'occasion de se révéler ». Et de même, le sujet ne fait
pas l'historien; mais le sujet fournit à l'historien l'occasion
de montrer sa puissance. Dans ce Livre de notre Genèse,
nous avons rUlustration de ce que peut la vertu d'un
incomparable sujet sur un beau talent, que ses affinités
électives, sa culture, toutes ses aptitudes, prédestinaient à
une telle rencontre, j'allais mettre : à de telles fiançailles.
Car il y a vraiment ici quelque chose de mj^stique, et
comme une harmonie préétablie, entre la matière de
rœu\Te et l'artiste qui allait lui faire rendre des accents
d'un si pénétrant et si suave lyrisme. . .
« il suffit d'un enfant sur sa mère endo> 7ni. »
Il aura suffi à j\L l'abbé Groulx de contempler, avec
les yeux de l'âme, notre race, notre race providentielle et
privilégiée, à son éclosion, dans ses langes, d:"^ la voir ber-
cée par la France très chrétienne, sa mère, plus amoureu-
sement bercée par son autre mère, sa mère immortelle,
l'Église catholique,
«... pour que le néant ne touche poini à lui. »
Henri d'An les
LE PELERINAGE DE JACQUES
Petit Jacques a fait Vautre jour son pèlerinage à Carillon,
Sa mère a voulu, avant l'ouverture des classes, lui mettre au
cœur la passion cVun beau devoir.
Vous, petits écoliers qui êtes allés, le dernier printemps,
« au pays de Dollard », vous devinez toutes les émotions qui, au
départ de la maison, ont pris d'assaut le cœur du petit bon-
homme. . . Il s'en allait au pays des rêves héroïques, de ses
rêves à lui, qui lui venaient, le soir avant de s'endormir, quand
il avait lu quelque histoire merveilleuse. Je passe rapidement
sur le voyage en bateau, à bord de la Duchess of York, le long
du lac Saint-Louis, puis, sur le lac des Deux-Montagnes.
Petit Jacques ouvrit bien giands ses yeux qui se baignaient
dans l'eau bleu foncé, qui s'élançaient vers les rives ombreuses
derrière lesquelles apparaissaient des maisons, des fermes
et des clochers tout blancs. Après la grande nappe d'eau du
lac des Deux-Montagnes, vaste comme un pan du ciel tombé
sur terre, la rivière Outaouais se rétrécit, et la mère de Jacques,
lui montrant un point sombre dans le lointain, lui dit : « C'est
là ».
La mémoire et le cœur de l'enfant parlaient encore plus
fort que la voix de sa maman,que tous les paysages. Qu'était ce
Dollard qu'on l'amenait vénérer ? — C'était le héros de sa toute
première enfance, le héros d'un affreux combat dont sa mère,
un Eoir, lui avait fait le récit. Aussi, malgré les attraits du
voyage, il aime que sa mère V entretienne des martyrs de 1660.
Jacques a tant hâte d'arriver, que le bateau à peine obordéy
510 l'action française
le premier il enjambe la passerelle, entraînant sa mère avec
lui. Tous deux ils marchent quelque temps en silence dans
une route que les pèlerins ont maintenant tracée et que jonchent
les prçmières feuilles de l'automne; puis, à un détour du che-
min, Jacques et sa mère se mettent à gravir une route légère-
ment m.ontante qui conduit à Venceinte sacrée. Déjà ils aper-
çoivent, à droite, un enclos que -garde une grande croix blan-
che. . . « C'est bien ici, dit la mère, en montrant le petit tertre
fleuri de peiisées, de marguerites et d'immortelles. C'est ici,
mon enfant, qu'il y a deux cent cinquante-neuf ans, le com-
mandant Dollard et ses soldats de la Sainte-Vierge disputèrent
aux Iroquois, Montréal, Québec et Tr ois-Rivières, toute la
Nouvelle-France. Cela leur était venu, tu t'en souviens, un
soir que la grande nature leur avait parlé, que leur patrie nou-
velle avait crié : « à l'aide ». Les barbares avaient décidé d'en
finir avec elle, dans un carnage suprême. Quel dommage
que le fortin oit ils s'étaient retranchés ait disparu ! tu verrais,
mon Jacques, de quel héroïsme presque téméraire nos petits
chevaliers ont fait preuve. Leur rempart n'était fait que de
jnisérables pieux; au dedans, ils manquaient d'eau et ils souf-
fraient de la faim. Huit cents guerriers à face de démon
ont combattu et hurlé pendant deux jours autour de celte poi-
gnée de héros. Eux se sont battus et ont prié, ils se sont battus
« jusqu'au bout )) malgré la trahison ». — Oui, interjeta
Jacques, la trahison de ces méchants Hurons! » — « Quand
ils ne furent que quelques-uns à se battre, les Iroquois abatti-
rent la palissade et entrèrent dans le fort. A ce moment eut
lieu une lutte corps-à-corps; les agonisants furent achevés et
les derniers survivants français périrent dans des tortures
effroyables. Oui, mon Jacques, c'est bien ici que reposent,
confondus avec les sauvages tiiés de leurs maitis, les chevaliers
de Ville-Marie, si vaillamment tombés. Le sol qui a bu si
avidement leur sang, garde dans son sein une seînence qui
l'actiox française .511
germera, si la jeunesse de plus tard veut être fidèle aux gran-
des leçons des a/niés. »
« Mais voyez donc, maman, dit Jacques, il produit déjà,
le sol, regardez comme les immortelles ont poussé dru sur la
tombe des martyrs )) — « Mon petit Jacques, c'est la fleur
de la reconnaissance^ celle-là. plantée par des mains pieuses.
Mais je veux parler d'une autre fleur qu'attend cette terre tour-
mentée. Ce n'est pas pour obtenir l'immortalité que les braves
de 1660 ont donné leur vie. Quelque chose de plus saint, de
plus noble, leur commandait le don d'eux-mêmes. Ce qu'ils
voulaient, vois-tu, c'était d'abord répondre^ au commandement
du devoir, puis, montrer aux petits Canadiens qui viendraient
après eux, que la patrie est ce qu'on a de plus cher au ni'ynde,
après la famille, et qu'on doil être prêt à tout sacrifier pour
l'empêcher de mourir. La fleur qu'attend la terre de Dollard,
c'est l'amour de notre patrie française du Canada. ))
(( Ils étaient des saints, chère mère, nos grands frères de
ce temps-là », répond l'enfant avec enthousiasme, et les yeux
fixés sur les coteaux verts et le firmament plus bleu, il continue,
avec beaucoup d'exaltation: « Je voudrais choisir un aussi
beau décor pour mourir, moi. »
f- Descendons, dit la mère, le monument n'est pas loin'
Vois-tu cette tête de bronze au haut d'une stèle de granit f C'est
lui.yt A mesure qu'ils approchent, tout le monumerit se dresse.
Le médaillon du bas attire tout de suite les yeux de Jacques.
((Mère, voyez donc cette tête. Avec ses cheveux épars, son nez
pincé et ses lèvres amincies, on dirait un homme qui projette
toute son ânie dans un effoit suprême. C'est lui Dollard f »
— « Oui, cest Dollard, répond la mère, reprenant son récit.
C'est Dollard qui jette désespérément son dernier comman-
dement. Il vient de parer à un désastre, comme tu sais. Un
baril de poudie chargé coniie l'ennemi vient d'éclater dans
512 l'action française
Je Jort, se7nant la mort 'parmi les combattants français. Dol-
lard qui reste debout avec quelques autres, lève une dernière
fois son épée pour la Nouvelle-France qui là-haut — tu vois
cet autre médailhn — accueille le sacrifice du héros. . . »
« Et ces noms gravés dans le granit, reprend l'enfant,
ah ! oui, ce sont les noms des seize. » Et Jacques commence,
olennel, V appellation des héros, des soldais de Ville-Marie
qui, au mois de mai 1660 « donnèrent généreusement leur
vie pour la Nouvelle-France. » Comme ils résonnaient
fièrement sur ses lèvres les noms de Dollard des Ormeaux, de
Christophe Augier. dit Desjardins, de Jacques Brassier, de
René Doussin, etc., etc.
« Je te Vai déjà dit, compléta la maman, ces braves étaient
pour la plupart de petites gens, de simples gens de métier;
il y avait parmi eux un armurier comme Jean Tavernier, un
serrurier comme Nicolas Tillemont,. un chaufournier comme
Alo7iie de Lestres. Ce qui prouve, mon Jacques, que les beaux
devoirs, les nobles sacrifices sont à la portée de tout le monde;
il suffit qu'on soit généreux, qu'on garde bien son cœur et qu'on
le laisse grandir. Le bon Dieu quand II veut opérer de grandes
choses, ne demande pas à un jeune homme s'il a du bien ou
s'il vient d'une grande famille. Il lui demande s'il a du cœur,
de la volonté, du courage. Alors, Il le remplit de sa grâce et
lui confie ime missioyi. Les petits soldats de Dollard travail-
laient beaucoup, mais priaient de même; ils vivaient dans une
compagnie de très nobles gens oit il y avait M. de Maison-
neuve, Lambert Closse, Jeanne Mance, Marguerite Bour-
geoys; ils respiraient une atmosphère d'héroïsme. Aussi
quand sonna l'appel de Dieu et de la N ouvelle-France, il les
trouva prêts. Le matin de leur départ, comme tu sais, ils
communièrent et tous, entre les mains du prêtre, firent le ser-
\
l'action française 513
7nent de ne jamais demander quartier, de combattre jusqu^au
bout. »
Jacques écoutait, bouleversé, ému, le récit où Iq, maman
avait mis toute son âme et toute sa force persuasive. « Maman,
dit-il vivement, si je demandais au bon Dieu de me confier une
mission, à moi aussi? » — « Mais, mon "petit Jacques, elle
est tout indiquée, ta mission. Elle est celle de tout Canadien-
français catholique. Etre digne de sa foi, être digne de sa
race, et les servir, les défendre toutes deux. Jacques, demain
peut-être la patrie aura besoin de héros. Lève la main vers
Dollard et vers les héros du Long-Sault et fais ton serment à
la Nouvelle-France, ce serment que j'ai formulé pour toi. »
Jacques s'approche du monument, la main droite vers
la stèle des héros, Vautre un peu tremblante, tenant le petit
carré de papier que vient de lui tendre sa mère, et, la poitrine
gonflée par Vémotion, les yeux remplis d'une flamme ardente,
il prononce bien haut :
« 0 Dollard, je t'apporte le serment de mon enfance.
Comme toi, je veux être le chevalier de ma race et de ma foi.
Par ma vie d'aujourd'hui, je veux apprendre le goût des nobles
devoirs, l'amour des grands dévouements. Je me souviendrai
que le héros est le fruit de nobles semences. Je serai\fort, géné-
reux, laborieux, pur dans ma jeunesse, pour être un jour vail-
lant et héroïque. J'écouterai la voix de la terre, de la patrie,
la voix des morts; je laisserai entrer dans mon âme les inspi-
rations de notre histoire; je laisserai tout féconder par la prière,
par la vertu divine, et, jusqu'au bout, ô mon grand frère, je le
promets, je servirai la Nouvelle-France. »
Jacques prononça ces derniers mots pendant que sa mèret
les yeux mouillés, regardait au loin l'écume blanche du
Long-Sault et, par delà, le mirage sombre de la terre ontarienne.
Joyberle Soulanges.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Quelques-unes
de nos faiblesses
Un ami, dont le zèle pour la langue française
est inlassable, m'adresse une longue lettre
où il signale, point par point, quelques-unes
de nos faiblesses dans la vie courante et en indique, du même coup, les
remèdes.
Nous allons parcourir ensemble, si mes lecteurs le veulent bien,
cet intéressant mémoire.
Les pïOdUltS Et d'abord, écrit notre ami, « pourquoi nos
des distillciteUTS distillateurs, même canadiens-français, nous
ofïrent-ils des bouteilles flanquées d'inscrip-
tions anglaises? Mexican Cream Soda, Minerai Water, Ginger Aie,'
Cidcr, etc., ne peuvent-ils pas se traduire? »
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I AUX SUCS DE FRUITS FRAIS l
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1^^^ parELZ. PORTIER &CIE. ^^J
fiIlSS?i!]ÎS!^'^
QUEBEC
^wm^^'
l'action française 515
En effet, le geste des fabricants de bonbons et de biscuits devrait
être imité par nos fabricants de bière et de liqueurs. Ceux-ci peuvent
même le faire plus facilement, puisque le nombre de leurs produits est
très restreint. Quelques-uns d'ailleurs ont déjà adopté des étiquettes
françaises. J'ai signalé dans ma récente chronique sur les Trois-Rivières
l'initiative de la maison Rousseau qui met sur ses bouteilles : soda à la
crème. Mais voici mieux encore. C'est l'étiquette : Limonade de
Vichy que nous reproduisons sur la page précédente. ^
Une réunion des fabricants canadiens-français d'eaux gazeuses
sera bientôt convoquée par V Action française. Nous y utiliserons cette
pièce et toute autre du même genre qu'on voudrait bien nous envoyer.
FoUTflitUTeS Après les distillateurs, les Kbraires. « Pourquoi
SCOlQlTêS P''6sque tous les blocs-notes de nos librairies sont-ils
affligés de mots anglais ? The Favorite, Eagle, Linen
paper, Note book, Litlle Chief, Wriling tablet, etc. ? Allez dono visiter
les étalages de cahiers, de buvards et autres fournitures scolaires, vous
serez choqué de la disproportion qui existe entre le nombre des articles
et celui des clients de langue française, et pourtant toas, manufactu-
riers, vendeurs, Libraires et acheteurs sont de notre peuple. Imagine-
t-on des Français de Paris plaquant des mots allemands ou riisses pour
leurs clients parisiens ? »
Ce mal est réel. Il a déjà été dénoncé (Le Devoir, 24 mars 1912) .
Et aussitôt les intéressés sont venas protester. Ils ont quaUfié d'in-
4«mpestives les remarques faites et proclamé leur patriotisme. Des
paroles ! Mais les astes. . . ? Nous les attendons encore. La pape-
terie a peu changé depuis sept ans. Qui pourra convertir nos libraires ?
Jeux de î^^ais voici un projet intére-ssant. L'Adion française,
COîteS ^^ demande notre correspondant, ne nous dotera-t-elle
pas, un jour, de « jeiLX de cartes bien français » ? Quel-
ques lecteurs vont sans doute s'étonner de cette proposition. Des jeux
de cartes français? Les cartes contiennent des figures, non des mots.
EUes ne sont d'aucune langue. Mais on précise : « français par l'enve-
loppe, les lettres des figures et le dos. » On a dû en effet le remarquer :
^ Cette étiquette véritablement artistique est en caractères noirs
et rouges sur fond crème, avec filets d'or. Noue regrettons de ne pou-
voir la reproduire en couleurs.
516 l'action française
« la boîte annonce toujours Playing cards, etc. ; sur les coins, les figures
portent J. — Q. — K. au lieu de V. — D. — R. qu'exigent nos Valets,
Dames et Rois; enfin sur le dos des cartes, pour amuser ceux qui n'ont
pas d'atout, on pourrait représenter quelque chose d'intéressant, des
scènes historiques avec ou sans légendes, les monimients de IMaison-
neuve, Montcalm, Dollard ou Frontenac, un dessin vieux-canadien
de Massicotte ou Franchère, que sais-je ? On tirerait dix ou vingt mille
jeux de chaque série qui s'enlèveraient vite, sans coûter plus cher que
les insipides cartons roses ou bleus qui nous trichent notre langue chaque
hiver. Ce ne sera pas pour cette année, mais sûrement pour 1920 si
l'entreprenante Action française le veut. »
IJ entre-prenante Action française. . . C'est dit comme sans en avoir
l'air, mais ça y est quand même ! Et allez donc résister à ces qualifi-
catifs ensorceleurs, fussiez-vous débordés par vingt autres initiatives :
l'Almanach, les conférences, l'exposition de biscuits, etc., etc. Aussi
je crois bien que les directeurs de V Action française, à qui le projet a été
soumis, feront en sorte qu'il se réalise le plus tôt possible.
Scèfie Mais arrêtons-nous. Ce diable de correspon-
txulcfyieyitdiy C ^^"^^ ^^^ ^^^^ ^"^^^ entreprenant. A le suivre jus-
qu'au bout, il nous mènerait très loin. Nous
le retrouverons peut-être plus tard.
Et notons d'un mot, avant de terminer, la jolie scène dont le Parle-
ment fédéral fut récemment le théâtre. Ce jour-là, notre ministre du
commerce était en verve. Avait-il ouï dire que quelques-uns de ses
collègues s'étaient montrés sceptiques sur sa fameuse heure de français,
lors de son séjour à Paris, ou que d'autres en avaient fait des gorges
chaudes? Toujours est-il qu'il voulut donner des preuves irréfutables
de ses progrès linguistiques. De lui-même, sans aucune provocation,
il ouvrit le bal en présentant en français le nouveau ministre des Finan-
ces. Des députés de Québec le relancèrent aussitôt: il leur tint tête
avec succès à chaque assaut, si bien qu'un grand Écossais, peu habitué
à ce spectacle et qui s'ennuyait de ne pouvoir prendre part à la danse,
se fâcha tout rouge ! Mais sa colère est passée. Et la démonstration
reste. A soixante-douze ans, on peut apprendre le français; on pont
même y être obligé, fût-on député de Toronto, pour représenter digne-
ment son pays. Alors, ne vaut-il pas mieux commencer, quand on est
jeune, dans les petites écoles ... ?
Pierre Homier.
15 novembre 1919.
NOTRE CONCOURS
$100. EN PRIX — LES CONDITIONS
Voici le dernier mois de notre concouiis d'abonnement. A nos di-
vers amis, aiLx différents groupes d'accentuer leur effort. Les derniers
venus peuvent encore l'emporter. Tout dépend de ]'inten.sité de l'ef-
fort, et le mois de décembre offre aux conciu-rents une période d'ac+ion
particulièrement fructueuse. On peut à la fois vendre les collections
de 1919 et recueillir les abonnements de 1920.
Pour l'information des nouveaux venus, nous répétons ici les con-
ditions générale;:! du concour.» :
Seize prix sei-ont attribués, selon le nombre des points recueillis :
1 premier prix de $25
1 deuxième prix de $15
2 prix de .$10
4 prix de $ 5
5 prix de $ 2 . 50
Les points seront calculés d'après l'échelle suivante :
Abonnements de 1919, 5 points chacun
Abonnements de 1920, 10 points chacun
Abonnements de 1918, 10 points chacun
Les trois abonnements
à la même adresse,, 30 points
En tout cas, il ne peut s'agir que d'abonnements nouveaux. Les
renouvellements et prolongatiotus ne comptent point, pas plus que les soldes
abod'nnements. en cours La collection de 1918 sera toui de suite adressée
518
L ACTION FRANÇAISE
aux nouveaux abonnés, de inêtne que les livraisons parues de 1919. La
colleclion de 1918 se vend $2, l'abonnement de 1919 et de 1920 est de SI
par année, payable d'avance.
Le concours s'est ouvert le 1er juillet pour se terminer avec le dernier
courrier distribué à Montréal le 31 décembre. Le résultat sera proclamé
dans la livraison de janvier 1920 de rAction française. Les concurrents
sont libres de recueillir les abonnements où ils veulont, de grouper leurs
efforts, etc. Nous ferons simplement le total des abonnements et des points
obtenus.
Nous prions qu'on ait bien soin, en expédiant chaque nouvel abonne-
ment, de spécifier : Poxir le concours . . . Doit être attribué à X . . . ,
en précisant bien les noms et les adresses.
Que tous ceux-là prennent part au concours qui le peuvent ! Que
ceux qui ne peuvent s'engager dans cette lutte amicale n'en travaillent pas
moins à la diffusion de la revue ! Au-dessus du concours, il y a la besogne
générale de propagande, et le concours n'est qu'un moyen de la faciliter et de
l'accélérer.
A l'œuvre donc, tout de suite et partout !
L'Action française.
P. S. — Toute la correspondance doit être adressée à Concours d'abon-
nement. TAction française, 32, Immeuble de la Sauvegarde, Montréal
POUR LES ËTRENNES
Offrez à vos amis l'abonnement à
l'Action française (1920)
et la collection de la revue de 1919.
S2.00
LA VIE DE r ACTION FRANÇAISE
A Montréal — Noas ne pouvions souhaiter pour nos réunions de
Montréal plus brillant début. Nos lecteurs savent déjà par les quoti-
diens que la conférence de Mgr Gauthier sur La Mission de l'Université
est l'une des pièces leS plus remarquables qui aient été données à
Montréal, depuis longtemps. Elle a été précédée et suivie d'allocutions
éloquentes et spirituelles, prononcées par M. l'abbé Philippe Perrier et
M. Athanase David. Le tout sera prochainement pubUé en une
brochure de la Bibliothèque de l'Action française, série verte. C'est
une plaquette que tout le monde voudra avoir sous la main.
Elle apportera à la campagne qui va s'organiser en faveur de l'Uni-
versité de Montréal — si douloureusement atteinte ces jours-ci — une
force et un appoint précieux.
La deuxième conférence de la série montréalaise (Xohlesse oblige)
aura heu, salle Saint-Sulpice, le jeudi 11 décembre prochain. Elle sera
donnée par Isl. Edouard Montpetit, professeur à l'L'niversité de Mont-
réal, sous ce titre énigmatique et prometteur : La caravane passe. . .
M. le juge Lafontaine, doj-en de la Faculté de Droit, a bien voulu accep-
ter la présidence d'honneur de cette réunion. M. Léon Lorrain, profes-
seur à l'École des Hautes Études commerciales, présentera les orateurs
au nom de l'Action française.
Les quatre autres conférences, données par le R. P. Louis Lalande
S.J., M. Antonio Perrault, M. l'abbé Olivier Maurault, P.S.S., et M'
Guy Vanier, se succéderont régulièrement, salle Saint-Sulpice toujours"
les deuxièmes jeudis de chaque mois, de janvier à avril. Nous prioUg
nos amis de ne pas l'oubher et de faire autour d'eux une active propa.
gande. Outre les cartes d'abonnement de $3, S2.50 et $2, des billetg
détachés, au prix de 75 et de 50 sous, seront mis en vente pour chaque
séance. Tous les sièges sont réservés et numérotés. Les porteurs de
cartes d'abonnement ont droit aux mêmes sièges pendant toute la saison.
520 l'action française
A Ottawa — C'est M. l'abbé Grouk, membre de notre comité
db-ecteur, qui inaugurera la série de conférences que l'Action française
donnera à Ottawa, d'accord avec l'Institut canadien. Il parlera le 7
décembre. Les conférences se succéderont ensuite de mois en mois.
M. Emile Miller, professeur de géographie canadienne à l'Université
de Montréal, M. Jean Désy, professeur à l'Ecole des Hautes Études
commerciales. M. l'abbé Olivier Maurault, P.S.S., M. Léon Lorrain, pro-
fesseur à l'École des Hautes Études commerciales. M. Louis Durand,
avocat, des Trois-Rivières, donneront les autres conférences. Les
journaux indiqueront l'ordre dans lequel parleront les divers orateurs.
*
* *
A Sherbkooke — Nos amis de Sherbrooke préparent de leur côté,
sous Je patronage de l'Actiori française, une série de conférences qui se
poursui\Tont pendant les prochains mois. La première aura lieu le
jeudi 11 décembre, dans la grande saUe du séminaire Saint-Charles Bor-
romée. Elle sera donnée par M. l'abbé Groulx et traitera des Raisons
de notre fierté.
Cette série de conférences n'est que le début d'initiatives intéres-
santes, au courant desquelles nous tiendrons nos lectem-s.
*
Aux Tkois-Rivieres — Aux Trois-Rivières s'est donnée, à la fin
d'octobre, une conférence qui n'était point sous le patronage de l'Action
française, mais que nous avons le devoir de signaler avec une particulière
gratitude. Cette réunion avait été organisée, à notre bénéfice, par nos
amis de l'Éveil. M. Edouard IMontpeiit y parla, avec un grand succès,
de la France vivante et M. Louis Dm'and, avocat, fit à V Actio7i française
une très aimable publicité. On avait eu le soin en même temps de faire
distribuer dans la salle une notice fort élogieiLsc sur V Action française et
ses œuvres.
h'Éveil donnera cette année quatre ou cinq conférences publicjucs.
M. Athanase David vient de prononcer la conférence de novembre et
M. Henri Bourassa parlera en décembre.
Comment servir — M. l'abbé Groubc indique plus haut le caractère
de notre enquête de 1920. Nous pouvons tout de suite montrer ici
par la liste des sujets et de ceux qui les traiteront l'intérêt profond qu ellr
ne saurait manquer d'offrir.
l'action française 521
Ainsi que nous l'avons déjà dit, la série s'ouvrira en janvier,avec un
article de M. Caron, ministre provincial de l'Agriculture, sur le cultiva-
teur, pour se terminer en décembre avec l'étude de Mgr Paquet sur le
prêtre. Dans l'intervalle, et selon un ordre à déterminer, paraîtront des
articles de Mme Fadette sur la mère de famille, de M. C.-J. Magnan,
inspecteur général des écoles catholiques, sur l'instituteiu', de M. J.-E -
A. Dubuc, le grand industriel de Chicoutimi, sur l'industriel, de M.
Thomas Viens, député de Lotbinière, sur le député, de jM. Jules Dorion,
directeur de VAcUoti catholique, siu- le publiciste, de M. J.-A. Bernier,
président de V Association catholique des Voyageurs de commerce, sm- le
voyageiu- de commerce, de M. Damase Saint-Maurice, cigarier, prési-
dent de l'Union régionale montréalaise de l'A.C.J.C, sur l'ouvrier, de
M. Arthur Laurendeau, l'artiste bien connu, siu* l'artiste, de M. Léo-
Paul Desrosiers, im jeune de talent, sur l'étudiant, et de M. Antonio
Perrault, professeur à l'Université de Montréal, sur le professionnel.
Notre Almanach — Plus de trente miUe exemplaires de notre Alma-
nach de La Langue française sont déjà vendus. Il nous en reste donc
moins de dix mille. A ceiux de nos amis qui veulent faire de la propa-
gande, nous conseillons vite de se hâter et de donner un dernier couji
de collier. Il faudrait, non seulement que ces quelques milliers d'alma-
nachs fussent très rapidement vendas, mais qu'ils fussent dispersés aux
quatre coins du Canada et des États-Unis. Ainsi s'amorcerait pour
l'arjiée prochaine une fructuease propagande. Que chacun voie donc
ce qu'il peut faire autour de lui et se demande s'il n'est pas tel ou tel de
ses amis qui pourrait aussi donner ailleurs im peu d'aide. Les conditions
de vente facilitent beaucoup le travail. Les commandes un peu im-
portantes comportent des réductions considérables et il est loisible à
plusieurs de grouper lem's commandes, de les faire expédier à des adres-
ses différentes et de bénéficier quand même des réductions, pourvu que
notre service de librairie n'ait affaire qu'à un client. Ainsi, des amis de
quatre ou cinq paroisses différentes peuvent s'entendre pour commander
cinq ou six cents almanachs, les faire expédier par paquets de cent ou
cent cinquante, à leurs adresses respectives, et les obtenir à 14 soas
l'exemplaire (frais de port en plus), pourvu qu'un seul écrive en leur nom
et se tienne responsable du paiement. On connaît l'échelle générale
des réductions : de .50 à 99 exemplaires, 16 .sous; de 100 à 499 oxomplai-
522 l'action française
res, 15 8ous; de 500 à 999 exemplaires, 14 sous; poiH- 1,000 exemplaires
et plus, 12 sous \4- (Port en plus toujours).
En beaucoup d'endroits, la vente s'est faite par des écoliers; en
certains autres, par les membres d'im cercle qui se sont assuré de la sorte
quelque profit pour les œuvres.
La variété de V Almanach, son abondante illustration aident beau-
coup à la vente. * * *
Les Refr.uns de chez nous — Quinze mille exemplaires des
Refrains de chez nous sont déjà épuisés. Une nouvelle édition s'impose.
Elle sera bientôt faite, avec des améliorations. Une nouvelle série de
Refrains est aussi en préparation. Nous saurions gré à nos lecteurs de
nous signaler les morceaux qu'ils désireraient particulièrement voir
paraître dans cette seconde série. Nous ne pourrons natm-ellement
satisfaire les goûts de tous, mais ces indications nous seront sûrement'
précieuses. D'ailleius, ce qui ne pom-ràit prendre place dans la deuxiè-
me série sera peut-être utilisée dans uae troisième.
*
* *
Do THE French Canadian speak patois? — On sait
quelle est la persistance de la légende du French Canadians Patois et
quel mal elle nous fait en certains milieux. Poiu- aider à la destruc-
tion de cette légende, l'Action française vient de publier, en anglais,
l'étude, déjàremar quée, de M. L.-A. Richard sur La Langue que nous
varions. Une jeune Franco-Américaine, IMlle Gladys-L. Légaré, a bien
voulu traduire cette étude en anglais.
Do the French Canadians speak patois f inaugure une série nouvelle
à 5 sous l'exemplaire ($4 le cent, $35 le mille) port en plus. C'est une
brochurette qu'il faut répandre dans les milieux anglais particulièrement.
*
* *
M. Napoléon Lafortune — M.Napoléon Lafortunc qui,depuis près
d'un an déjà, nous apportait le précieux concours d'une vive énergie et
d'ime activité toujours en éveil, consacrera désormais tout son temps
aux œuvres de VActioii française. Il assume, sous le contrôle du comité
général, la direction de nos services administratifs.
*
* *
PotiR LES Fêtes — Les Fêtes ramènent les cadeaux. Excellente
occasion de faire pénétrer dans les familles des ouvrages canadiens. On
trouvera avantage à consulter, avant de choisir ses étrennes, le catalogue
de notre service de librairie. jpan Beattchemin.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
NUANCES 1
Mlle Charette débute avec grâce dans le monde des lettres. Son
volume de chroniques rappelle la gerbe sjinbolique, que tient en ses
mains fines, l'adolescente conviée à sa première fête. Cette vision de
jeunesse fleurie s'évoque dès que l'on ouvre le livre délicat. L'auteur '
penche son ardent et méditatif visage sur les fleurs dont, sans doute,
elle se pare et s'entoure volontiers. Et violettes, marguerites, tulipes
blanches, chrysanthèmes tendent vers elle leurs mélancoliques ou pâles
corolles. D'un léger trait de plume ]Mlle Charette les anime. Elle
scrute leur charme frémis-sant. Elle le définit. C'est merveille de
l'entendre. Aux violettes de serre, s' épanouissant sous l'œU d'un jardi-
nier savant, elle reproche avec douceur leur « air de mystérieuse auda-
ce », qui les rend, semble-t-il, « d'une autre famille que leurs timides
sœurs du printemps ». Les pétales d'une marguerite, effeuillée d'un
joU geste ancien, apparaissent à l'écrivain ainsi que « des doigts uni-
formément longs et blancs, autour d'un cœur jaune ». Et quelle déli-
cate ironie voile l'apologue où est narrée la révolte, par un soir de prin-
temps, des hautaines tulipes blanches. « Sûrement, fait l'auteur toute
triste, sûrement, les fleurs ressemblent aux hommes ! »
Quel saisissant regard Mlle Charette pose sur les choses ! Sur
ce qui bruit et chante, brille et se colore, s'agite et frissonne. Sa vision
se reflète dans des mots qui fixent le mouvement et l'attitude des êtres.
Habilement, les vocables s'agencent, se rapprochent et s'opposent. Tra-
vail d'artiste, de chercheuse de syllabes harmonieuses et fines. Son
don plastique nous étonne parfois. Elle modèle les formes fuyantes
1 N'uaiices,''p&T Yvonne Charette. — Édité au Devoir. 60 sous,
plus 5 sous pour le port. ('Distributeur pour le commerça : Ser\-ice de
librairie de 1 Action française, 32,Immeuble de La Sauvegarde, Montréal.)
524 l' ACTION' FRANÇAISE
des choses eu d'emblématiques figmes dont elle perçoit et nous révèle
le sens. La grande ombre de Verlaine, invoquée au début de l'ouvrage,
la guide, sans doute, à travers « la forêt de sj^mboles ». • Peut-être aussi,
« les doigts longs et blancs » de la lettrée s'attardent-ils souvent aux
pages de l'auteiu* de « Sagesse ». Elle subit l'ascendant de ce beau
génie .du repentir... littéraire. Elle s'en libère cependant. Avec un
tact discret, elle s'éloigne, allant puiser à d'autres sources sa moralité
saine. Mlle Charette, et c'est là, il me semble, ime note personnelle,
originale, entend sans cesse une autre voix, une voix austère, limpide
et grave. Son âme se rythme aux lois dune morale très élevée. Elle
est doucement dominée, disciplinée par sa foi de chrétienne. Et alors,
avec quelle sérénité apaisée, sans ce charme légèrement capiteiux qui
'a distingue parfois, Mlle Charette nous parle d'actes dé.sintéressés,
fraternels et pacifiants !
L'auteur de Nuances nous donnera sans doute bientôt, — ses essais
littéraires nous rendent exigeants, — une œu\Te plus ample, plus forte,
où elle gardera ce même souci de la forme délicatement ornée.
Et je ne puis clore ce mot d'appréciation sans lui dire avec quel
plaisir attendri j'ai lu le billet intitulé : En tricotant. . . « Et la laine
mauve, chante l'auteur, glis.se sur l'ambre clair ». En tricotant ! Mlle
Charette sait-elle combien son geste, à la couleur près, rappelle un geste
coutimiier d'autrefois? A-t-eUe songé à nos mères grandes, nouant
dextrement, elles aussi, les mailles innombrables? Les revoit-elle, les
bonnes aïeules, celles de nos campagnes, allant, par les routes odorantes,
bordées de trèfle rose, les « yeux rivés au tricot », qu'elles regardaient. . .
sans voir, elles aussi ! Xos grand'mères, souvenons-nous, se rendaient
« en tricotant » chez la voisine, se refusant ainsi à distraire la moindre
parcelle de leur temps. Et la laine, grise ou noire, glissait alors sur
leurs aiguilles d'acier, qui recevaient. — tout comme l'ambre, — les
reflets lumineiLx. Elles rêvaient beaucoup moins que leurs petites -
filles, nos aïeules. La beauté des matins et des soirs les jm'lii l
sans que jamais elles songeassent à le dire. ]\Iais comme leur activité
paisible, leur silence même se cadençaient et chantaient. Ils sem-
blaient i'.hymnc s;ior<' du travail qu'elles ne .savaient plus interrompre.
Marie-Claire D.weluy.
Forcément ajourné : Un article sur les Silhouelles paj-oUsisales du
K. P. Louis Lalande, S.J.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LE DISCOURS DU PRINCE DE GALLES
Le 28 octobre 1919, à l'hôtel Viger, à Montréal, le Prince de Galles a
prononcé un discours très commenté. A'ous en empruntons le texte ci'jlais
à la Gazette du lendemain :
His Roj'al Highness expressed his thanks in English and in French
for the luncheon at which he liad been entertained and for the cordial
way in which his health had been drunk.
Continuing, in English, he said :
"I should like to say, Mr. Major, that I .vas particularly touched bj-
one passage 'in the adclress with which j'ou welcomed me to Mont-
réal yesterday — I mean the passage in which you referred to the mutual
understanding between the English-speaking and French-speaking sec-
tions of the Canadian nation as a matter which I had verj' much at
heart. You described very truly mj' feehngs in that respect. I had
it much at heart when I fir-ït landed, and I hâve it, if possible, even more
a% heart now that I hâve traversed Canada from coast to coast. The
um'on of the two races in Canada was never a matter of mère political
convenience. On the contrary, it was, and will always remain, an
example of the highest political wisdom, for which the Empire owes an
inestimable délit to Cartier, Macdonald and the other statesmen of
])oth races who brought it about.
"Much has been \ATitten and said about the success of the British
Empire in establishing political union between peoples of différent race,
language and history But when you corne to think of it, the political
.unions established in Canada and South Africa, were only later exam-
ples of the political union between England and Scotland which brought
( Ircat Britain itself into existence as a political unit only two centuries
ago. Till that time England and Scotland had been constantly and
bitterly at war; since that time they hâve grown so close that we hâve
ail forgottcn that they were cvcr scparatc peoples.
526 l'action FKAXÇA.1SE
"The union of England and Scotland has been in existence for two
centuries : the union of British and French Canada has been in existence
for Uttle more than haK a century — but who can doubt that the un'on
in Canada will produce as great, as powerful and ae united a nation as
the British nation itself ? No one can read Canadian history — much less
can anyone travel in Canada as I hâve done in the last three months—
without realizing that the spirit and genius of both races is closely inter-
woven throughout the great Dominion, not only in the East but in the
West, where both races share the honors of the early explorers and
pioneers.
"But what is the secret of the success of British polic}' in this respect ?
I can see that the secret in Canada is jiist the same as in Great Britain.
It b'es in freedom of speech, freedom of language, and mutual respect.
Montréal, gentlemen, has many daims to admiration as the largest
centre of business and population in Canada. I am deeply inipressed
by ail I hâve seen hère, and I hâve been touched to the lieart by the
wonderful welcome which INIontreal has given me. But what I value
most in that welcome is that it has been given with equal warmth by
citizens of both the great races which are united in Montréal. Your
city has the great distinction of being in this respect typical of the union
of races in the Dominion as a whole. I therefore value its welcome in a
very spécial sensé, and I thank ail its citizens, British and French, rich
and poor, young and old, from the bottom of my heart."
He concluded by repeating in the French language the closing sen-
tences of his address.
LE TRAITE AUTRICHIEN ET LA PROTECTION
DES MINORITÉS
On. trouvera ci-dessous la paitie du traité autrichien, signé à Saint-
Germain le 10 septembre 1919, qui vise la protection des minorilés. Le
représentant du Canada, M. Kemp, a apposé sa signature au bas (U ce
traité.
Section V — Protection des minorités
Art. 62. — L'Autriche s'engage à ce que les stipulations contenues
dans la présente Section soient reconnues comme lois fondamentales,
il ce qu'aucune loi, aucun règlement ni aucune action offioielle ne soient
m contradiction ou en opposition avec ers stipulations et à ce qu'aucune
l'actiox française 527
loi. aucun règlement ni aucune action oflScielle ne prévalent contre elles'
Art. G3. — L'Autriche s'engage à accorder à totis les habitants de
l'Autriche pleine et entière protection de le\u: vie et de leur liberté
sans distinction de naissance, de nationalité, de langage, de race ou de
religion.
Toas les habitants de l'Autriche auront droit au libre exercice, tant
public que privé, de toute foi, reUgion ou croyance, dont la pratique ne
sera pas incompatible avec l'ordre public et les bonnes mœurs.
Art. 64. — L'Autriche reconnaît comme ressortissants autrichiens,
de plein droit et sans aucune formahté, toutes les personnes a3'ant l'in-
digénat (pertinenza) sur le territoire autrichien à la date de la mise en
\'igueur du présent Traité et qui ne sont pas ressortissants d'un autre
État.
Art. 65. — La nationalité autrichienne sera acquise de plein droit,
par le seul fait de la naissance siu* le territoire autrichien, à toute per-
sonne ne pouvant se prévaloir, par sa naissance, d'une autre nationaUté.
Art. 66. — Tous les ressortissants autrichiens seront égaux devant
la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans di.stinction de
rar'e, de langage ou de religion.
La différence de rehgion, de croyance ou de confession ne devra nmre
à aucun ressortissant autrichien en ce qui concerne la jouissance des
droits ci\ils et poUtiques, notamment pour l'admission aux emplois
publics, fonctions et honneurs ou l'exercice des différentes professions
et industries.
Il ne sera édicté aucune restriction contre le hbre usage poiur tout
ressortissant autrichien d'une langue quelconque soit dans les relations
privées ou de commerce, soit en matière de reUgion, de presse, ou de
pubUcations de'toute natvire, soit dans les réunions pubUques.
Nonobstant l'étabUssement par le Gouvernement autrichien d'ime
langue officielle, des facUitcs appropriées seront données aux ressortis-
sants autrichiens de langue autre que l'allemand, pour l'usage de leur
langue, soit oralement, soit par écrit, devant les tribimaux.
Ar^67. — Les ressortissants autrichiens, appartenant à des minorités
ethniques, de religion ou de langue, jouiront du même traitement et des
mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants autri-
chiens. Ils auront notamment un droit égal à créer, diriger et contrôler
à leurs frais des institutions charitables, reUgieuses ou sociales, des écoles
et autres établissements d'éducation, avec le droit d'y faire Hbrement
u.sage de leur propre langue et d'y exercer librement leur religion.
528 l'action française -
Art. 68. — En matière d'enseignement public, le Gouvernement
autrichien accordera chins les villes et districts où réside une proportion
considérable de ressortissants autrichiens de langue autre que la langue
allemande, des facilités appropriées pour assvirer que, dans les écoles
primaires, Tinstruction sera donnée, dans lem- propre langue, aux en-
fants de ces ressortissants autrichiens. Cette stipulation n'empêchera
pas le Gouvernement autrichien de rendre obligatoire l'enseignement de
la langue allemande dans lesdites écoles.
Dans les villes et districts où réside une proportion considéral:)le do
ressortissants autrichiens appartenant à des minorités ethniques, de
religion ou de langue, ces minorités se verront assm^er une part équitable
dans le bénéfice et l'affectation des sommes qui pourraient être attri-
buées sur les fonds publics par le budget de l'État, les budgets munici-
paux ou autres, dans un but d'éducation, de religion ou de charité.
Art. 69. — L'Autriche agrée que, dans la mesure où les stipulations
des articles précédents de la présente Section affectent des personnes
appartenant à des minorités de race, de religion ou de langue, ces sti-
pulations constituent des ol)ligations d'intérêt international et seront
placées sous la garantie de la Société des Nations. Elles ne poiuront
être modifiées sans l'assentiment de la majorité du Conseil de la Société
des Nations. Les Puissances alliées et associées représentées dans le
Conseil s'engagent respectivement à ne pas refuser leur assentiment à
toute modification desdits articles qui serait consentie en due forme par
une majorité du Conseil de la Société des Nations.
L'Autriche agrée que tout membre du Conseil de la Société des
Nations aiua le droit de signaler à l'attention du Conseil toute infraction
ou danger d'infraction à l'une quelconque de ces obligations, et que le
Conseil pourra procéder de telle façon et donner telles instructions qui
paraîtront appropriées et efficaces dans la circonstance.
L'Autriche agrée en outre qu'en cas de divergence d'opinion sm- des
questions de droit ou de fait concernant ces articles, entre le Gouver-
nement autrichien et l'une quelconque des Puissances alliées et asso-
ciées. Membre du Conseil de la Société des Nations, cette divergence
sera considérée comme vm différend ayant un caractère international
selon les termes de l'article 14 du Pacte de la Société des Nations. Le
Gouvernement autrichien agrée que tout différend de ce genre sera, si
l'autre partie le demande, déféré à la Cour permanente de justice. La
décision de la Cour permanente sera sans appel et aura la même force
et valetir qu'une décisii^n rendue on vertu do l'article 1.1 du Pacte.
l'action FBANÇAlan
DÉCEMBRE 1919
Les précurseurs
LE PÈRE CAMILLE LEFEBVRE
On a quelquefois accusé le Canadien-français d'avoir
oublié, ou du moins négligé, son cousin d'Acadie. Je ne
crois point cette accusation fondée. Dès le commence-
ment ou plutôt dans la première partie de la vie du peuple
acadien, celle d'avant le grand dérangement de 1755, nom-
breux furent les missionnaires envoyés de Québec pour
évangéliser et guider les colons de Port-Roj'al, de la Grand-
Pré, et d'autres centres acadiens. Alors comme main-
tenant les deux groupes français d'Amérique se sentaient
frères par l'origine, les coutumes, la religion et la langue.
Le plus jeune, mais aussi le plus nombreux et le plus fort,
venait du superbe rocher de Québec au secours de son aîné
plus faible, modestement caché dans les anses profondes
de la Baie française, et l' Acadien ne perdra jamais le sou-
venir ému et profond des services qui furent rendus à ses
ancêtres par les Petit, les Thury, les Geoffroy, les Trouvé
et tant d'autres.
Cette belle tradition de cordiale sympathie ne devait
point s'éteindre. Au contraire, elle devait gi-andir en pré-
sence des malheurs qui fondirent bientôt sur le peuple
acadien. On a écrit, il est vrai: ((»Le plus grand malheur
des Acadiens n'a pas été leur dispersion, mais l'abandon
presque complet dans lequel ils ont été laissés durant près
d'un siècle ». Ce siècle s'écoula de 1755 à 1864. Il ne
faut rien exagérer, pourtant. Les Acadiens n'avaient pas
\0L. ITI.No 12
530 l'action française
été abandonnés, du moins au point de vue religieux, pen-
dant ces nombreuses années. Des prêtres de Québec tout
d'abord leur avaient donné les soins zélés de leur minis-
tère, et plus tard lorsque la Nouvelle-Ecosse fut érigée en
vicariat apostolique, et le Nouveau-Brunswick et l'Ile
Saint-Jean furent devenus territoire ecclésiastique dis-
tinct, avec un titulaire suffragant de Québec, le Canada
français continua à envoyer des prêtres de langue fran-
çaise aux exilés revenus en leur pays.
Mais si la religion n'avait pas souffert chez les Aca-
diens, il n'en fut pas de même de l'instruction profane.
Depuis des années, un saint prêtre, M. François-Xavier-
Stanislas-de-Kotska Hyanveux, dit Lafrance, avait formé
le projet d'établir dans la grande paroisse de Memram-
cook un petit séminaire pour le relèvement du peuple
acadien, abattu par la tempête de 1755. Un premier essai
ne fut pas fructueux et le saint missionnaire prit le parti
d'intéresser à son œuvre le premier pasteur du diocèse de
Saint-Jean, Sa Grandeur Mgr Sweeney. En 1864, celui-
ci se mit en quête d'une communauté qui voulut bien se
charger de l'éducation de la jeunesse acadienne. Il alla
frapper à la porte des religieux de Sainte-Croix et en obtint
un des leurs, le R. P. Lefebvre, fondateur du Collège Saint-
Joseph de Memramcook, le Précurseur heureux de l'édu-
cation secondaire française en Acadie.
Si V Action française a voulu faire paraître ce modeste
article, ce n'est point pour faire revivre l'un des plus grands
bienfaiteurs des Acadiens dans l'esprit et dans le cœur de
ses obligés. Il n'y a pas en Acadie de village si reculé, de
demeure si obscure où le nom du saint P. Lefebvre ne soit
connu et béni. Mais dans la galerie des Précurseurs de-
vait apparaître la grande^ figure du prêtre-éducateiu' qui,
l'acïiox française • 531
pendant plus de trente ans, fit profiter de ses lumières et
de son zèle le peuple dont il avait épousé les aspirations
et les luttes.
A l'arrivée du P. Lefebvre, en 1864, TAcadie ne pos-
'sédait point d'école un peu supérieure, encore moins de
collège classique. « Tout est à créer », écrivait-il au su-
périeur-général de sa congrégation. Créer une maison
d'éducation avec une construction non aménagée pour
recevoir des élèves et, pour faire l'achat des choses les plus
indispensables, huit piastres en poche, — auxquelles heu-
reusement Mgr Sweeney en avait ajouté cinquante, —
c'était une entreprise au-dessus des forces humaines. Mais
les âmes fortes et vertueuses comme celle du P. Lefebvre
ne se laissent pas rebuter par les difficultés. La grande
Carmélite ne disait-elle pas : « Thérèse et cinq sous, ce
n'est rien; mais Thérèse, cinq sous et Dieu, c'est tout. »
Le bon P. Lefebvre, lui aussi, comptait sur Dieu avec une
confiance sans limite et il eut recours à lui par l'interces-
sion de saint Joseph. Ce grand saint, autrefois pour-
voyeur de la sainte famille de Nazareth, se devait à lui-
même de venir en aide au nouvel apôtre qui allait au mi-
lieu de son peuple d'adoption fonder une famille pour
Téducation de ses enfants.
Cette famille fut modeste d'abord. La première
année, une quarantaine d'enfants seulement vinrent s'as-
seoir sur les bancs du pau\Te collège, sous la direction de
trois prêtres et de trois frères, tour à tour professeurs, sur-
veillants, vicaires et fermiers. Les fondateurs d'œuvres
similaires savent combien ces commencements deman-
dent de sacrifices, de patience, de souffrances et de désin-
téressement de la part de ceux qui les entreprennent et
Içs mènent à bonne fin. Ils savent aussi combien long-
temps durent ces commencements qu'on s'est plu en cer-
532 l'action fk ANC aise
tains endroits à appeler, avec tant de justesse, les temps
héroïques. Les temps héroïques, pour le P. Lefebvre, du-
rèrent toute sa vie; mais ils le trouvèrent toujours plus
grai^d et plus fort que toutes les situations les plus péni-
bles et les plus embarrassantes. Faut-il s'atteler lui-
même au traîneau et, suivi de ses élèves, com'ir les bois
francs pour recueillir le combustible nécessaire au chauf-
fage de son collège, il n'hésite pas un instant. Son esprit
inventif lui fait trouver un mo3^en de couper ce bois, et le
moulin à vent de la butte, tout de son invention, est resté
célèbre dans les annales du collège Saint-Joseph.
Au milieu des peines, il y tut pom-tant des moments
de joie et de consolation. Ce fut l'agrandissement de sa
maison et surtout la construction d'une chapelle par re-
connaissance à saint Joseph qui avait préservé le collège
de l'incendie. Ce fut encore l'attachement de ses chers
élèves. C'était une fête pour ceux-ci de se grouper au-
tour de leur père pour entendre le récit de ses histoires in-
téressantes et instructives. Chacune d'elles avait sa mo-
rale particulière. Pour apprendre aux petits Acadiens
à se tenir la tête haute devant les hommes de la race supé-
rieure, il aimait à leur raconter l'histoire des démêlés que
son père eut un jour avec deux Anglais. Ces derniers arri-
vaient un soir à la maison paternelle et entraient* sans
frapper. Aussitôt, ils sommaient le vieillard d'aller abreu-
ver leur cheval. « Le puits est là : allez vous-mêmes vous
servir. » L'un d'eux, voyant le ton décidé du vieux cou-
reur des bois, s'avança pour prendre un des seaux desti-
nés au service des gens de la maison. « Pas celui-là, cria
le vieillard; il y en a un à l'usage des animaux attaché à
la bringuebale du puits. )) Mais l'Anglais continua de
se diriger vers la porte, le seau en main. « D'un boncj,
racontait le P. Lefebvre avec émotion, mon père fut au-
l'actiox française 533
près de l'Anglais, lui arracha des mains le seau et lui lança
le contenu en pleine figure. » L'autre Anglais voulut dé-
fendre son compagnon: mais mal lui en prit : il fut saisi
d'une main au chignon, de l'autre un peu plus bas et lancé
dehors à travers la croisée. Le premier, revenu de la sur-
prise causée par son aspersion, s'avança vers ]\L Lefeb-
vre, menaçant et les poings fermés; mais le pau\Te homme
reçut une gifle qui l'envoya rouler à dix pieds sur le par-
quet. La leçon était donnée, le moment d'impatience
passé et le fier Canadien-français, reconduisant ses vic-
times à leur voiture, leur souhaita le bonjour, ajoutant
comme dernier avis : « Si vous buvez chez vous dans les
mêmes vaisseaux que les animaux, vous saurez, mes gars,
que les Canadiens sont baptisés et qu'ils boivent à part. »
« Et nous, ajoutait un de ses jeunes auditeurs, nous ad-
mirions le courage de ce vieillard et nous nous disions :
« Xous aussi nous saurons, comme lui, nous faire respec-
ter des Anglais ».
« C'est par le cœur que régnait le P. Lefebvre », nous
dit un de ses biographes. C'est aussi par l'intelligence
et surtout par son talent oratoire qu'il acquit un ascen-
dant immense, une influence complète sur toute l'Acadie.
Dès l'âge de dix ans, Camille Lefebvre avait déjà la répu-
tation d'être le meilleur liseiix de Saint-Philippe de La-
prairie, sa paroisse natale. Sa mémoire heureuse lui fai-
sait retenir, même dans son enfance, les prédications qu'il
entendait. Il les répétait avec tant de force et de chaleur
qu'il faisait pleurer ceux qui l'entendaient. « Dès ses pre-
miers prédications, raconte un de ses admirateurs, il
étonna ses auditeurs par le nombre et l'abondance de sa
phrase. Sa voix était sonore, vibrante, sj'mpathique ; sa
logique serrée, déconcertante. Formidable quand il dé-
fendait une opinion, il terrassait son adver.saire; mais l'ai-
534 l'action FRAXiÇAISE
dait doucement à se relever. En chaire, il était majes-
tueux et imposant, le geste approprié et souverain. Quand
on voulait faire un grand compliment à un orateur on di-
sait de lui : « Il parle comme le P. Lefebvre. ))
Cette réputation de talent et aussi la curiosité de voir
son œuvre de INIemramcook lui valment un jour la visite
de Mgr Connolly, archevêque d'Halifax. Rien dans cette,
nouvelle et pau\Te maison n'était de natm'e à séduire l'ad-
miration de ce brillant prince de l'Église; mais tel fut l'as-,
cendant qu'exercèrent sur lui la gracieuse simplicité et la
charmante distinction du P.. Lefebvi'e que Sa Grandeur
le nomma immédiatement son grand vicaire pendant le
voj^age qu'Elle allait i^ire à Rome, avec la charge de régler
les différends survenus chez les Acadiens de la Baie Sainte-
]\Iarie. « Vous les visiterez et vous arrangerez les choses,
avait dit l'évêque : vous pourrez même fonder un collège
au milieu d'eux. » Le temps n'était pas encore arrivé de
faire cet établissement : la fondation du collège Sainte-
Anne ne devait avoir lieu que vingt-et-un ans plus tard et se
faire par un autre grand bienfaiteur du peuple acadien,
le regretté Mgr Blanche, de la Congrégation de Jésus et
Marie, dite des Eudistes. Il ne fut pas plus loisible au
P. Lefebvre d'accepter l'invitation de ]\Igr Cameron, évê-
que d'Antigonish, de continuer à Arichat l'œuvre de l'édu-
cation des Acadiens commencée par les Frères des Écoles
Chrétiennes. Il fit pourtant un voyage dans cette capi-
tale du comté de Richmond et, quelques années plus
tard à Grand Étang et à Chéticamp. Là, les Acadiens du
Cap Breton eurent le bonheur d'entendre sa parole évan-
gélique et éloquente. C'était surtout les âmes françaises,
en effet, qu'il voulait évangéliser. D'ailleurs, s'il s'était
rappelé l'avis d'apprendre l'anglais que lui avait un jour
donné Mgr Sweene}-, le temps et les aptitudes n'avaient
l'action française 535
peut-être pas toujours servi assez jBdèlement sa bonne vo-
lonté dans l'étude de la langue de Shakespeare. Quel-
quefois même ses expressions anglaises prêtaient au sou-
rire et à l'équivoque, comme on peut s'en rendre compte
par l'anecdote suivante. Dans un voyage qu'il fit sm* mer,
le P. Lefebvre, que l'air vif et salin avait mis en appétit,
appela le garçon de table pour lui demander une nouvelle
portion. Il fallait bien sortir son meilleur anglais pour
se faire comprendre de ce grand Écossais de six pieds qui
ne parlait que la langue supérieure. « I will take one more
turkey again », lui signifia le bon père. Un sourire avec
pincement de lèvres sur la figure des convives lui fit com-
prendre que son anglais avait dû manquer de correction
ou au moins d'une certaine élégance. Son compagnon lui
traduisit sa phrase, dont il fut le premier à rire, provoquant
ainsi l'hilarité bruyante de ses compagnons de table. Il
en était heureux et il ajoutait avec finesse, à l'oreille de
son trucheman : « Vo3^ez comme mon dindon en a mis d'au-
tres en joie ».
Fondateur du premier collège acadien et missionnaire
de l'Acadie, le P. Lefebvre fut encore l'instituteur de la
première (et de la seule) communauté de religieuses aca-
( tienne. Dans la suite des années, son collège avait pris
de l'importance et le nombre des élèves s'était accru. L'or-
ganisation du personnel domestique devenait une néces-
sité. Le P. Lefebvre fit venir de l'Indiana un groupe de
sept religieuses de Sainte-Croix pour le service domestique
du collège. Ces sœurs étaient autorisées à recevoir des
postulantes, à condition qu'elles fissent leur noviciat à
Notre-Dame de l'Indiana. Le supérieur de Saint-Joseph
ne trouva la chose ni pratique, ni même réalisable et il for-
ma le projet de fonder une nouvelle famille religieuse. La
supérieure de sa petite communauté de Memramcook, la
536 l'action française
Sœur Marie Léonie, était remarquable par sa piété et par
son grand talent d'organisation. Elle avait aussi un culte
pour le P. Lefebvre. Elle se mit donc à la tête du nouvel
institut, qui prit d'abord le nom de Petites Sœurs et plus
tard celui de Petites Sœurs de la Sainte-Famille. La Divi-
ne Providence a fait connaître combien cette fondation
Lui était agréable en multipliant les sujets de cette com-
munauté, et leur père fondateur eut la consolation de les
voir de son vivant essaimer en quatre maisons.
La vie de l'apôtre des Acadiens était pleine à débor-
der de bonnes et saintes œu\Tes. Le grand ouvrage de
sa vie était solidement assis. Il pouvait maintenant chan-
ter son Nunc dimittis. Le lundi 28 janvier 1895, les Père s
de la communauté du collège Saint-Joseph fm-ent étonnes
de voir inoccupé le prie-Dieu de leur supériem*. Tous l* >
jom'S on était habitué à le voir à cette place, dès cinq heu-
res et demie du matin. On pénétra dans sa chambre ot
on le trouva mort, les mains croisées sur la poitrine, les
paupières closes et la bouche souriante comme celle d'un
enfant réjoui dans son sommeil par une vision d'anges.
Trois jours plus tard, sur sa précieuse dépouille, l'un de
ses anciens élèves devenu prêtre redisait à tous les assis-
tants les vertus de sa vie, et terminait cet éloge funèbre
par un chant de reconnaissance et par une prière. « Sois
assuré, cher et bien-aimé Père, que ta mémoire vivi*a dans
nos cœurs aussi longtemps que vivra le peuple acadicn.
Toi, du haut du ciel, tu veilleras sur tes enfants, sur le peu-
ple que tu as tant aimé, et pour lequel tu as tant fait î
Adieu ! Adieu ! »
Un ACADIEN.
PHILOSOPHIE ET ACTION FRANÇAISE
L'enseignement de la philosophie vient d'être remis
à l'ordre du joiu\ Les lecteurs assidus des ouvrages de
Mgr Paquet avaient déjà présent à l'esprit le magistral
chapitre de notre grand théologien sur l'histoire de l'en-
seignement philosophique canadien, dans son dernier vo-
lume. ^ L'attention du public vient d'être éveillée de nou-
veau par une conférence du P. Lamarche, 0. P., à la salle
de Saint-Sulpice, sur nos études philosophiques. Une
assistance assez nombreuse a goûté ce sujet, au dii-e de l'ora-
tem' « d'une frivolité douteuse, assez en marge des événe-
ments sociaux de l'automne. » Des lectem'S plus nom-
breux encore ont lu dans le Devoir du 21 novembre le compte-
rendu de cette conférence : ils ne se sont nullement effrayés
d'entendre parler de l'urgence d'un Institut supérieur de
philosophie, « où la jeunesse pourra garder et l'âge mûr
prendre contact avec des doctrines vitales ». Il nous plaît
assez de revenir- sm- cette suggestion, pour dire quel ser-
vice l'enseignement de la philosophie scolastique peut ren-
dre à toutes les sciences, et en particulier à la culture fran-
çaise.
Sans doute ciu'il ne s'agit pas de bouleverser l'ensei-
gnement des collèges classiques : c'est l'arche sainte qu'il
ne fait pas bon de toucher; et du reste, c'est une discipline
qui doit demeurer la base de tout : elle fournit à ceux qui
devront un jour exceller dans les différentes branches du
^ Études et appréciations, — Mélanges canadiens, Québec, Im-
primerie franciscaine missionnaire, 1918.
538 l'action française
savoir les premiers éléments de lem- cultm-e. Mais au-
dessus de cette formation première nécessaire, il faut pour-
voir à une formation d'ordre plus élevé. Notre ambition —
nous ne sommes pas modestes — ^ serait de voii' dans l'Uni-
versité de Montréal, un Institut supérieur de Philosophie . . .
comme à Louvain. Et pom-quoi pas? On nous a parlé
de la reconstruction de l'Université de Louvain. Nous
voudrions voir créer chez nous une institution comme celle
de là-bas, placée sous le vocable de saint Thomas.
Léon XIII venait de restaurer renseignement de la
doctrine de l'Ange de l'école (1879). C'était retourner
aux âges passés que d'aucuns regardaient avec dédain et
condamnaient sans les connaître. La philosophie aristo-
télicienne, telle qu'interprétée par et beau génie du Moyen
âge, revenait donc à l'honneur et à bon droit, parce qu'elle
repose sur les plus solides fondements et, « que c'est là que
se trouvent encore aujourd'hui les principes les plus sûrs
de la science la plus solide et la plus utile entre toutes ».
Les évêques belges créèrent une chaii'c de philosophie. Ils
la confièrent à M. IMercier en 1882. Dès 1888, au lieu
d'une chaue, il y avait un institut de philosophie thomiste
et M. Mercier en devenait le premier président. L'assem-
blée générale des catholiques réunie à Malines en 1891 en-
tendit avec le plus vif intérêt le beau rapport où le jeune
maître dit ce qu'il se proposait : rajeunir au contact des
sciences nouvelles, étudiées d'après leur propre méthode,
la philosophie, qui est la science des sciences : ce but très
vaste élargissait les cadres de l'ancienne philosophie, et
promettait des développements indéfinis : l'organisation
du cours des théories sociales devait suivre; puis l'organi-
sation du cours et du laboratoire de physiologie expérimen-
tale prouvait qu'on ne s'arrêtait pas sur la voie du progrès.
l'action française 539
Vous plairait-il de connaître l'organisation de ces cours ?
lui voici les lignes principales :
L'enseignement, qui comprend trois années, se divise
en cours généraux et cours spéciaux. Les premiers, obli-
gatoires pour tous les étudiants, embrassent toute la phi-
losophie de saint Thomas. Les seconds, entre lesquels
on peut opter, se divisent en section des sciences mathé-
matiques et natm-elles, et section des sciences politiques
et sociales. Cet enseignement se donne par les professeurs
ou sous forme de conférence par des savants étrangers à
ce corps. L'Institut confère des grades de bachelier, licen-
cié, docteur, agrégé. Le grade de docteur est subordonné
à la rédaction d'une dissertation. Le grade de docteur
agrégé exige un travail imprimé et la défense de cinquante
thèses.
Sous quelle forme précise pourrait-on organiser, chez
nous, pareil institut, dans le futur rouage de notre univer-
sité ? Il ne m'appartient pas de le dire. Mais si l'on prête
l'oreille aux rumeurs diverses, on se rend compte de la né-
cessité des études supérieures de philosophie chrétienne.
Un champ immense est ouvert à l'observation scientifique.
L'homme a multiplié sa puissance de vision, il pénètre dans
le monde des infiniment petits et dans l'immensité des cieux.
Le monde sidéral ne résiste pas à l'analyse spectrale. Qui
dira les progrès de la physique et de la chimie ? L'une for-
mule la loi générale de l'équivalence des forces de la nature
et le principe de la -conservation de l'énergie, tandis que
1 autre décompose les corps et détermine les lois de combi-
naison de leurs éléments. L'homme a pénétré dans les
entrailles de la terre pour refaire l'histoire de notre pla-
nète. Et que sais-je encore? Mais ce qui frappe, c'est
qu'il ne suffit pas de Se livrer aux travaux d'analyse; il ne
540 l'action française
suffit pas d'accumuler des faits, de collectionner des résul-
tats acquis, il faut les synthétiser sous la direction d'uii<
science supérieure; de là, la nécessité de la philosophi".
Écoutons à ce sujet le cardinal Newman, qui a si bien com-
prisse rôle de l'enseignement supérieur aux temps actuels :
« En présence du li\Te immense que la vérité étale, nou-
avons comme la vue basse; nous ne pouvons le lii-e qu'à la
condition de regarder de tout près les mots, les syllabe-,
les lettres dont il est fait; de là, la nécessité de sciences par-
ticulières. Mais celles-ci ne nous donnent pas la repré-
sentation exacte de la vérité. Les sciences particulièrt -
abstraient. Or les relations qu'elles isolent par la pensée
se tiennent dans la réalité; elles s'enchaînent les unes aux
autres, et c'est pour cela que les sciences spéciales appel-
lent une science des sciences, une S3'nthèse générale, en un
mot la philosophie. »
La philosophie chrétienne doit apparaître à l'L'niver-
sité avec une figure défensive et conciuérante. Elle maiii-
tiendra avec vigueur ce qu'elle ne saurait li\'i'er sans trahi-
son : les notions métaphysiques de puissance et d'acte,
le caractère objectif de la causalité, la notion de substan-
ce, celle de la liberté à la base de la morale, de la hberté
de Dieu à la racine de la création. Elle saura se rajeunir
par des acquisitions hemeuses, tout en entretenant un com-
merce habituel avec les anciens maîtres, avec Aristote et
saint Thomas. Elle ne perdra jamais contact avec la théo-
logie, non certes pour abdiquer son indépendance, mai?^
pour s'assurer elle-même contre l'esprit d'aventure et l:i
séduction des chimères. Toutefois, elle se demandori
avec les modernes ce que ferait saint Thomas, s'il dispo-
sait de l'immense appareil dont nous ont dotés cent cin-
quante années de labem* fécond dans l'ordre des sciences
expérimentales. Écoutons l'un d'eux : « Cet esprit sou-
l'action française 541
pie et si bien ouvert à tout ce qu'il y a de grand et de digne
de notre connaissance, s'approprierait avec toute l'ardeur
de son zèle les conquêtes de la civilisation depuis son épo-
que; il nous donnerait une édition corrigée de sa Somme,
ce système que nous attendons encore et qui serait le fruit
mûr d'une évolution de deux mille ans, conforme à l'éter-
nelle vérité du salut, ainsi qu'aux plus strictes exigences
de la formation intellectuelle. Ce noble esprit, si prudent
dans ses décisions, constamment en progrès, se corrigeant
fréquemment lui-même, à mesure de son développement,
serait fort étonné de voir qu'on a fait de ses écrits un dogme
rigiàe et mort. Ce penseur si modeste et si éloigné de vou-
loir se déifier lui-même, quels reproches n'adresserait-il
pas à ses partisans pour avoir mis tous leurs soins à em-
pêcher le grain semé par lui de pousser et de germer en plei-
ne terre et en plein air, et pour l'avoir laissé sécher dans
leurs granges au lieu de faire fructifier avec abondance ce
riche capital intellectuel. )) ^
U Action française, plus que toute autre association
se réjouira de la création de l'Institut de philosophie, et
de philosophie scolastique. S il est vrai, comme on l'a
dit, que <f. la littérature jaillit comme de source de la psy-
chologie exacte et de la saine morale )), il est urgent pour
quiconque veut composer, d'avoir des notions précises sur
ces sujets.
Mais en plus, il ne faut pas perdre de vue l'apport pré-
cieux que la scolastique a fourni à la formation de l'esprit
français, fait de clarté et de justesse. Si vous en doutez,
écoutez un maître de la critique dont on ne saurait contes-
ter l'autorité. Lisez cette page que vous ne me pardon-
neriez pas d'omettre : « Nous nous bornerons à dire que,
1 Dr Millier.
542 l'action française
si (( tout l'art d'écrire, selon le mot de La Bruj^ère, con-
siste à bien définir et à bien peindre », la scoiastiqiie nous
en a certainement appris une moitié. Faute d'une con-
naissance assez étendue, mais faute surtout d'une connais-
sance assez expérimentale de la nature, les définitions de
la scolastique n'ont rien de « scientifique », au sens véri-
rable du mot; mais elles n'en ont pas moins discipliné l'es-
prit français en lui imposant ce besoin de clarté, de préci-
sion et de justesse qui ne laissera pas de contribuer pour
sa part à la fortune de notre prose. Peut-être encore de-
vons-nous à l'influence de la scolastique cette habitude,
non pas d'approfondir les questions, mais de les retourner
sous toutes leurs faces, et ainsi d'en apercevoir des as-
pects inattendus, et des solutions ingénieuses peut-être,
trop ingénieuses peut-être, assez voisines pourtant quel-
quefois de la vérité, qui est complexe, et qu'on mutile dès
qu'on veut l'exprimer trop simplement. Mais, à coup
sûr, nous ne pouvons pas ne pas lui être reconnaissants
de nous avoir appris à « composer » ; et là, comme on le
sait, dans cet équilibre de la composition, dans cette subor-
dination du détail à 1 idée de l'ensemble, dans cette juste
proportion des parties, là sera l'un des traits éminents et
caractéristiques de la littérature française. C'est comme
si l'on disait qu'en même temps qu'il se manifestait comme
un esprit de satire et de fronde, l'esprit français se déter-
minait d'autre part comme un esprit de logique et de clar-
té. » '
Dans tous les centres intellectuels de notre patrie,
des esprits d'élite se livrent avec ardeur aux généreux la-
beurs de la pensée. Quand ils jettent un coup d'œil sur
> Manuel de l'Histoire de i,a Littj'.rature française, par
Brjnetière (page 24).
I
l'actioxfhaxçaise 543
le vaste domaine des connaissances actuelles et possibles,
ils constatent que les trois ordres de connaissances humai-
nes : la science, la métaphysique, la théologie réfléchissent
les aspects divers d'une seule et même vérité éternelle; elles
sont les manifestations multiples d'une même lumière. Puis-
se cette lumière s'installer dans notre Université de Mont-
réal, unir la triple clarté qui provient de la science, de la
métaph^'sique et de la foi en une seule clarté brillant du
plus vif éclat dans la plus vaste synthèse doctrinale qu'il
soit permis d'espérer ici-bas !
Abbé Philippe Perrier.
peui( national
Au moment de fermer ce numéro, nous apprenons la mort,
hélas ! trop prévue, de M. Landry, président de l'Association
canadienne française d'Éducation de VOntario, décédé le 20 dé-
cembre, après une longue et douloureuse maladie.
L'Action française essaiera, dans sa prochaine livraison,
de rendre hommage à la mémoire du grand patriote dont la dis-
parition crée un deuil national. Elle prie respectueusement
Madame Landry et la famille du défunt, ainsi
que l'Association d'Éducation, d'agréer l'hommage de ses pro-
fondes et respectueuses sympathies. Elle sollicite, pour le repos
de Vùme de M. Landry, les prières de tous ses lecteurs.
Le 20 janvier prochain, en l'église du Saint-Enfant Jésus
de Montréal, ^'Action française /ero célébrer, pour le très regrette
défunt, une messe solemielle. M. l'abbé Perrier, curé de la pa-
roisse et membre du comité directeur de /'Action française, offi-
ciera.
LES GRANDES PRESSIONS
La critique n'est plus une sorte de sinécure pour l'écri-
vain de bon goût. Cette dernière faculté est toujours in-
dispensable, sans doute, mais ce n'est plus la seule chose
nécessaire. Au xixème siècle, Villemain, puis Sainte-
Beuve et Taine ont élargi le cadre des études. Il faut non
seulement connaître l'œuvre, ses défauts et ses beautés,
mais l'homme, son ascendance, la terre où il est né, la so-
ciété où il a vécu, tous les événements et toutes les person-
nes qui ont agi sur lui. Si les influences de race,
de milieu et de moment ne sont pas une explication par-
faite d'un auteur, elles montrent du moins les racines
des productions et la matière employée. On les a appe-
lées les « grandes pressions environnantes ».
Bien qu'il faille se défier du dogmatisme littéraire,
on peut soutenir qu'un écrivain augmente sa puissance
intérieure et ses chances de succès toutes les fois qu'il faci-
lite en lui-même et qu'il sait utiliser les « grandes pres-
sions ».
* *
Que demandons-nous à un penseur ? Et qu'est-ce
qui fait sa supériorité? Nous lui demandons d'abord la
vérité et de clab-es démonstrations; non pas des vérités
banales ou des répétitions, mais des acquisitions qui enri-
chissent le capital intellectuel de l'humanité. S'il apporte
des raisons péremptoircs, des faits probants; si l'abondan-
ce de ses aperçus nous ouvre sur beaucoup d'horizons des
perspectives nouvelles, nous le lirons avec joie, dans le si-
lence des cabinets, et nous admirerons la valeur construc-
tive de son esprit. Nous exigeons surtout qu'il connaisse
l'action française 545
parfaitement son sujet; son information doit être sûre et
complète. Sa sagacité apparaîtra dans son information.
Le penseur ne pourra réunir toutes les conditions
de réussite que s'il écrit sur les questions religieuses, so-
ciales, politiques ou économiques qui se discutent de son
temps dans le milieu où il existe. Il y a vécu, il y vit ea-
core tous les jours. Il a pu observer longtemps cette so-
ciété en travail d'évolution. Une vaste expérience se pour-
suit continuellement sous ses yeux. Les doctrines mises
en pratique engendrent des résultats qui l'affectent dans
sa vie. L'intérêt rend perspicace. Placé au centre de
tout, esprit attentif et délié, l'écrivain peut voir et péné-
trer, recueillir toutes les données; il peut juger et conclure
avec aplomb. Plus il amasse de faits, plus ses idées sont
nombreuses et appuyées. Ainsi, l'amateur de théâtre,
qui chaque soir à son poste, contemple la scène, du meil-
lem- balcon: il distingue les cothurnes de l'acteur, son
fard et sa perruque, l'allongement artificiel des sourcils,
et, même, la voix du souffleur dans sa boîte. Témoin au-
riculaire et oculaire^ ses affirmations sont difiiciles à
récuser.
Se servir de l'observation des autres est délicat*
Seule l'observation personnelle est vraiment utile. Et
même alors il faut y prendre garde. Car il se creuse dans
notre esprit, des ornières où nous retombons souvent.
Nous avons des tendances inconscientes et, sans le savoir,
en accord avec elles, nous avons récolté un bien particu-
lier. Les pensées qui, soudain, s'éveillent dans notre es-
prit, ont dans notre mémoire leur lointaine préparation.
Si le littérateur veut philosopher sur les événements
qui se passent en pays étrangers, aussitôt lui font défaut
mille connaissances. Il puise dans des articles de revue,
des livres et des jom'naux, une information fragmentaire et
546 l'action française
souvent contradictoire, des faits triés, des renseignements
choisis. Toujours certains éléments lui échappent. Les
âmes nationales lui demeurent impénétrables, le passé des
races pe lui est pas suffisamment ouvert. Et s'il a en main
une série de faits, les faits économiques, par exemple; une
autre série, les faits religieux ou autres, lui est moins con-
nue. La complexité des uns et des autres, leur mutuelle
interdépendance ne sont pas claires à son esprit, ni vivan-
tes sous son regard, et l'opinion qu'il se forme n'est pas
toujours juste. Il dit une vérité approximative et l'erreur
lui est facile.
De plus, une intelligence un peu haute et fière ne se
fie qu'à elle-même, autant que possible. ■ Elle se croit le
meilleur interprète et le meilleur juge. Elle veut être cons-
ciencieuse, et tient à s'informer de tout avant de se pro-
noncer. Quelle époque, quel milieu réunissent toutes les
circonstances qu'elle exige ? . . . C'est pourquoi, travailler
pour son paj's lui est une joie. Le patriotisme est un amour,
et l'amour est intelligent.
En étudiant le passé, les historiens ont souhaité sou-
vent vivre au temps qu'ils décrivaient. Un certain nom-
bre d'événements dont tous conviennent, des témoigna-
ges écrits: c'est tout ce qu'ils avaient pour se guider. Aussi
leur marche reste-t-elle un peu tâtonnante et hésitante,
comme celle de l'aveugle qui réussit à aller partout, à force
de flair, d'attention et d'habitude. Un effort redoublé
lem* est indispensable. Beaucoup d'indications leur man-
quent qui seraient nécessaires, surtout ces connaissan-
ces que les contemporains possédaient sans s'en rendre
compte, et qui donneraient aux reconstitutions plus dé jus-
tesse et de précision.
l'actiox française 547
Lorsqu'on en vient à la littérature lyrique et d'ima-
gination, quelques-uns ouvrent à l'essor de leius ailes l'in-
fini du monde. Il faudrait pourtant se défier.
Le poète est un homme capable de sentir les choses
jusqu'au paroxysme et de pénétrer le tréfonds des âmes.
La moindre émotion s'amplifie chez lui et se gonfle sans
mesure. Abstraction faite de la forme, il marquera sa
supériorité sur tel autre poète par l'originalité, le nombre
et la force de ses impressions.
Or l'originalité n'existe pas sans le contact immédiat
et direct des êtres. Si quelque scène décrite en des pages
merveilleuses, a le don de plus émouvoir, nous devons en
louer l'autem-, qui a su nous communiquer sa vision. Mais
si, après lui, nous voulons dire l'émotion éveillée par le même
objet, sans l'avoir vu, nos productions resteront colorées
de son esprit . Nous travaillons sur une matière qui appar-
tient à autrui, nous suivons des traces qu'il a gravées dans
notre âme. L'étoffe est toujours reconnaissable sous les
arabesques dont nous voulons l'embellir. L'écrivain a
vu un aspect de l'objet, et qui l'émeut d'une certaine ma-
nière; écrivant après lui, nous ne décou\i-irons pas autre
chose.
Un poète passe à travers le monde, sensible à tous les
attouchements, vibrant à tous les chocs, à toutes les ren-
contres. De tout cela s'empare sa méditation. Selon
la qualité de chaque expérience, il s'élève d'un jet jusqu'au
ciel, ou se laisse écraser par le dégoût, à moins qu'il ne se
réfugie dans un hautain mépris. Les hem-es, les unes
après les autres, voient s'accmnuler en lui un riche trésor
intérieur.
Et pour que les impressions soient profondes et non
pas seulement à fleur d'âme, il est sans doute nécessaire
qu'elles soient répétées, et qu'elles reposent au fond de nous-
548 l'action française
mêmes pendant des joui-s. Une chose, quand nous étions
petits et que notre nature était malléable comme une cire,
une chose a insinué en nous des sensations, sans que notre
esprit s'en soit occupé. Par la suite, comme la goutte de
pluie inlassable, la même émotion nous a frappés. Un
jour, elle est montée du fond de l'être pour s'épanouir au
monde ! Il y a de même une éducation de la sensibilité
qui nous permet de mieux sentir certains objets. Des liens
spéciaux s'étabUssent de notre âme au monde extérieur
qui laissent passer une sève généreuse.
Enfin on n'imagine bien que les choses dont on a quel-
que notion. L'homme n'est pas créateur. Il ne peut s'en-
lever dans le vide absolu. L'imagination nounie de réali-
tés est la plus puissante. Lorsque nous aurons bien ob-
servé notre société, les intrigues et les scènes de roman naî-
tront d'elles-mêmes dans notre esprit; et quand nous au-
rons bien senti et bien vu notre milieu physique, les images
se presseront, touffues, lumineuses et diverses.
Afin de tracer des directives utiles à notre littérature,
nous avons exposé les avantages dont un écrivain peut pro-
fiter s'il s'attache à exprimer son pays et sa race. Nous
n'avons pas tenu compte, — bien qu'elles soient réelles,
mais cependant réfractaires à l'analyse, — de toutes les
manières subtiles, laborieuses et sûi-es, par lesquelles pays
et race infiltrent en nous des sentiments et des idées. Et
c'est ce qui constitue proprement les (( grandes pressions
environnantes ». Des influences extériem-es nous pé-
nètrent : perpétuel phénomène d'endosmose. Nous nous
enrichissons sans y penser. Nous ne pouvons empê-
cher nos 3'eux de voir, nos oreilles d'entendre. Intéressés
par les problèmes particuliers à notre pays, toujours nous
l'actiox française 549
y réfléchissons sans le trop remarquer. Les journaux amas-
sent des faits; les conférences, les discours, les écrits dé-
posent de la matière dans nos mémoires. Les causeries
entre amis et les discussions nous instruisent et nous éclai-
rent. Les rêves, les pensées, le songe ambiant des multi-
tudes, épars dans l'air,, tous les désirs inassouvis, empri-
sonnés au fond des âmes, emplissent de leurs exhalaisons
l'atmosphère qui exerce sur nous sa pression immense.
Et les grands paysages oii s'ouvrent les larges issues qui con-
viennent aux aventm-es, aux poursuites merveilleuses de
gloire, nous forment silencieusement à leur ressemblance.
Il serait inintelligent de dédaigner en nous rœu\Te
de la nature. Laissons nos préventions tomber. Armons-
nous de sympathies, d'enthousiasmes ardents, pour que
notre nationalité grandisse dans le désir des supériorités.
Par les faits particuliers bien étudiés, bien compris,
élevons-nous aux principes généraux. On ne lem* donnera
jamais de bases solides avec des connaissances vagues.
Quant à la nature humaine, c'est le diamant aux multiples
facettes. Nos émotions canadiennes et nos rêves sont
humains. Nous pouvons les dire mieux que d'autres; ils
les diraient plus mal que nous.
Toute littératm-e qui tend au régionalisme, au parti-
cularisme, au nationalisme, réunit, par le fait même, plus
de chances de succès.
Notre monde littéraire est aujourd'hui partagé en
deux écoles. L'une s'est acharnée à la perfection de la
forme; elle n'avait pas tort. Cette réaction fut très utile.
Mais aboutissant plus tard à une doctrine de l'art pom*
l'art, réduisant la production Httéraire à une œuvre de mots,
550 l'action française
elle risquait de la vider de réalités, elle la condamnait à
l'étiolement. Alors vint l'autre école qui, voulant remplir
le verbe d'une riche matière, a cru qu'elle ne pouvait
mieux faire que de le combler de réalités canadiennes. La
forme n'eut pas toujours, chez elle, son importance; elle
a reproduit trop servilement son modèle. Que les uns
affinent et cisèlent leur instrument, que les autres ne lais-
sent pas une macliine fonctionner à vide; que les uns ne
méprisent plus les beautés, les ressources de la langue, que
les autres ne se cuirassent point contre notre nature, nos
mœurs, nos originalités, et la réconciliation sera parfaite.
A nous cependant, il semble plus opportun d'insister
sur la matière des œuvres. Dans ce domaine, il faut pres-
que tout commencer à pied d'œu^Te, tandis que les mo-
dèles de style sont éternels. Il faut que notre littératm-e
se pose sur une assiette solide : notre âme canadienne, les
réalités canadiennes. Aujourd'hui nos connaissances
livresques ne sont pas les mêmes que nos connaissances
réelles. Il en est de même de nos émotions. Cette situa-
tion écartèle, en quelque sorte, notre âme, entre deux pays,
deux races, deux mondes. Nous connaissons aussi bien
la France, par ses livres, que nous connaissons le Canada,
par l'observation; nous ne connaissons parfaitement ni
l'un, ni l'autre pays. Les lectures ne nous aident pas à
nous comprendre, n'accusent pas les tendances innées qui
feraient notre force; elles n'éclairent pas nos observations.
Et le poème de Charles Gill, les romans et les nouvelles
du terroir, n'ont pas rempli toutes leurs promesses, parce
que la matière canadienne n'a pas encore été travaillée,
ni triturée, ni maîtrisée par des intelhgences assez robus-
tes. Devant l'obstacle, ne pensons pas à nous asseoir,
tranquilles. . . et gouailleurs.
l'action française 551
M. OKvar Asselin, parlant de M. ISIarcel Dugas, dit
quelque part : ^ « Il est d'avis que le meilleur nationalisme
littéraire, au Canada, serait encore de produire des chefs
d'oeuvre, peu importe que les sujets fussent ou non cana-
diens; et si ce n'est pas là du pur bon sens, nous aimerions
à en avoir d'autres démonstrations que celles que nous ap-
portent la plupart des plaidoj^ers en faveur de la nationa-
lisation de notre littératm'e ». Pour nous, la question
ne se pose pas ainsi. Nous voulons tous le chef d' œuvre
vainement attendu jusqu'ici. Il s'agit d'en faciliter la
venue. Et si nous avons quelque idée, quelque doctrine
que nous croyons utile, il est opportun de la prêcher afin
que notre attente soit plus vite comblée. Et si elle ne sert^
pas à tous, il nous restera toujours le bénéfice d'une disci-
pline appropriée à nos tendances.
Pom^'atteindi-e au succès, exciter en nos âmes l'influen-
ce des «grandes pressions environnantes»; marcher tou-
jours avec sa hotte sur l'épaule afin de glaner, de récolter,
le long des routes; contempler, d'un regard attendri et
accueillant, d'un bon regard fraternel, ami des choses ;
écouter les harmonies chanter, les harmonies des forêts
d'automne et des grands vents crépusculaires battant les
monts comme des récifs; dans la solitude, sm* son pays,
sur sa race, s'exalter un peu; s'exalter ensuite beaucoup,
et de plus en plus, jusqu'aux sommets sublimes; et tout
contenir, tout retenu-, tout refouler : souffrances, obsti-
nations, tumultes, révoltes, détresses qui nous laissent
pleins de défaillances; tout comprimer en soi énergique-
ment et sans pitié; pour que jaillisse un jour, hautaine,
violente et superbe, la fleur de son âme ! . . .
Léo-Paul Deseosiers
^ La Revue Moderne, 1er numéro.
POUR 1920
L'Action française commence, avec une vigoureuse volon-
té de vivre et de grandir, sa quatrième année. Chose plus
singulière, en dépit de la hausse du papier et de V augmenta-
tion du prix de la mxiin d' œuvre — toutes choses qui reten-
tissait douloureusement sur le prix de revient des publica-
tions — elle prétend ne pas élever son tarif d'abonnement.
Elle compte, pour le même piix, donner à ses lecteurs une ma-
tière aussi abondante, toujours plus substantielle et plus va-
, riée. De toute évidence, elle ne réussira ce tour de force qu'avec
l'appui, actif et constant, de ses ajnis.
Cet appui, Z' Action française le sollicite avec une par-
faite aisance. Elle travaille pour tous et ne vit que de dévoue-
ment. Ceux qui sont à la tâche depuis le début ont, ce nous
semble, le droit de demander aux autres un coup de main.
Premier sernice : régler immédiatement tous ses arréra-
ges. L'abonné ne pense point assez à ce fait qu'en acquit-
tant son abonnement à la fin de l'année au lieu du début, ainsi
que le prévoit le tarif, il frustre sa revue de l'intérêt de l'ar-
gent, sans compter les nombreuses lettres et démarches qu il im-
pose à l administration — ce qui, pour une revue à SI, a tôt
fait de représenter 10, 12, 15 et parfois 20 pour cent du prix
de l abonnement. Si la proportion vous paraît élevée, faites
le compte de l intérêt, des frais de correspondance exigés par
les retards. Pour chaque abonné, ces 12 ou 15 sous sont peu
de chose, mais, pour la revue et multipliés par qu£lqv£s mille,
cela finit par faire une somme — plus exactement peut-être,
un trou dans le budget. Et, notez bien que, de la majeure par-
tie de ce dommage infligé à la revue, l abonné ne profite aucu-
nement.
l'actiox française 553
Donc, régler tout de suite tous les arrérages. Puis, pour
éniter de nouveaux arrérages, pour ne pas frustrer la revue
de ce qui lui appartient, acquitter immédiatement Vahonne-
ment de 1920. Puis encore, pour apaiser peut-être des re-
mords, pour faire en tout cas une bonne œuvre, p) ovoquer et
susciter de nouveaux abonnements. Ainsi s'étendra le rayon
de notre influence; ainsi grandiront auprès des clients d'an-
nonces, notre prestige et la puissance d'attraction de nos pages
rouges. — On nous pardonnera ces détails prosaïques; mais,
si nous poursuivons un dessein très élevé, nous savons aussi
que Vun des moyens de notie progrès, cest la possession d'une
solide armatwe économique. Et cette armature, nous nous
efforçons de la constituer le plus rapidement possible.
Recueillir de nouveaux abonnés est souvent la chose du
monde la plus facile. Beaucoup de gens n'at'endent pour
donner leur nom et leur piastre qu'un appel opportun. La
publicité faite autour de notre œuvre, la connaissance frag-
mentaire qu'ils en possèdent les ont depuis longtemps pré-
parés à s'abonner ■ — • mais il faut, pour les décider- à faire le
dernier pas, une légère poussée. A nos amis de la donner.
S'ils veulent y mettre un peu d'ensemble, nous auions tôt fait
de doubler notre liste actuelle d'abonnés.
De notre côté, nous sommes assurés de fournir à nos lec-
teurs une matière fort intéressante. Ils connaissent déjà noire
série d'articles de tête, ils savent qu'elle réunira quelques-uns
des noms les plus remarquables et des compétences les plus
certaines du Canada français. A elle seule, cette collection
vaudrait plus que l'abonnement. Nous inaugurerons dès
janvier une série de chroniques trimestrielles qui traiteront
de la vie des groupes français en dehors de notre province, du
mouvement artistique, des livrées anglais et français publiés
au Canada. Nou^ donnerons en même temps des articles
554 l'actiox fraxçaise
d'actualité, la Vie courante de Pierre Homier, la Vie de l'Ac-
tion française et cette précieuse Partie documentaire, dont
le temps augmente chaque jour la valeur. Pour en citer qu'un
exemple : où trouverez-vous facilement, en dehors de Z' Action
française, ces extraits des traités de paix qui visent la pr-
tection des minorités et qui permettent de si intéressantes com-
paraisons ? Où, trouverez-vous un texte comme celui du con-
grès de Winnipeg, que nous citons ce mois-ci ?
Il faut donc propager la revue. Il faut la propager à
force. Il faut la propager pour soji intérêt propre. Il faut
la propager parce qu'elle est le centre et le moteur de toutes nos
œuvres, le lien entre le comité directeur de Z' Action française
et le grand public. Il faut accentuer aussi la diffusion des
brochures, multiplier les conférences, les manifestations et
les interventions fécondes. Sur tous les terrains le mot d'ordre
reste le même : Agir.
De mois en mois, dans la revue même, dans les tracts,
des conseils précis sont venus illustrer ces observations géné-
rales. D'autres suivront. Nous n' entendons pas ici tracer
les détails d'un programme. Nous voulions simplement aver-
tir nos amis que nous commençons Vannée 1920 avec la ferme
volonté de faire — et de leur faire faire — le plus de travail
possible. Nous voulions les prier de nous aider de toutes leurs
forces. Nous voulions par-dessus tout — nous avons gardé
le plus a-gréable pour la fin — les remercier, du fond du cœur,
de ce qu'ils ont fait pour Z'Action française et ses œuvres.
Nous avons reçu de beaucoup des témoignages répétés
de la plus efficace et de la plus touchante sympathie. Que
tous nos collaborateurs, connus et inconnus, veuillent bien
eux-mêmes recevoir, au seuil de Vannée nouvelle, Vhommage
de notre profonde gratitude.
Orner Héroux.
A TRAVERS LA VIE COURANTE
Les lauréats de Sous ce titre, nous annoncions dans
V actiofl iyancaise notre chronique de juin une initiative que
voulait réaliser notre œiTvTe : couronner
les gestes fiers accomplis par les nôtres. Différents projets étaient à
l'étude dont une séance solennelle où l'un de nos directeurs raconte-
rait, dans un rapport vivant, les exploits de l'année et proclamerait les
lauréats de l'action française.
Déjà plusievirs dossiers nous sont parvenus. L'un relate le geste
de M. Dupré, de Ver chères, protestant contre l'article paru dans le
Tooke Talk ; un autre celui de l'avocat Demers, de Montréal, exigeant
du percepteur de biUets, sur un train du Pacifique-Canadien, qu'il lui
parle en français; im troisième, l'intervention d'un marchand de l'Al-
berta obtenant d'une compagnie ontarienne d'Hamilton qu'elle mette
de côté son Parisian Franck ; un quatrième, l'attitude du conseil mu-
nicipal de la Rivière-du-Loup décidant de retourner au Bureau d'hy-
giène provincial la circulaire anglaise qu'il lui avait envoyée et d'en
eager une rédigée en français.
liîfOTTnationS Comme on le voit, nos informations viennent
et doSSieïS ^^ différents endroits. Cela démontre l'oppor-
tunité de notre projet, et nous encourage à le
mettre à exécution. Nous faisons donc de nouveau appel à nos lec-
teurs pour qu'ils nous signalent leurs interventions ou celles de leurs
amis, dignes d'être couronnées. Il restera au rapporteur de glaner à
travers ces faits et d'en recueiUir les plus méritoires.
Ce sera nous rendre service — qu'on me permette d'j' insister —
de rédiger les dossiers aussi clairement que possible, d'y mettre les dates
précises ainsi que les noms des compagnies ou des individus en cause
(nous les omettrons, si on le désire, dans le rapport), d'y joindre enfin
tous les documents nécessaires. A titre de modèle, voici une lettre
qui m'arrive de Québec. Elle était accompagnée de chacime des pièces
indiquées, dûment numérotées.
556 l' ACTION FRANÇAISE
« Cher monsieur,
Aij mois d'août dernier, je recevais deux prospectus d'ime maison
anglaise-américaine de Toronto : « The Canadian Laitndry Machinery
Co. ». L'un de ces prospectus ( dociunentation i ) était écrit dans
un tel français que je résolus, pour le bien de la cause canadienne-fran-
çaise, de signaler à l'encre noire les incorrections les plus saillantes sans
les corriger,afin d'attirer l'attention des éditeurs et de les obliger à cher-
cher près d'eux les compétences françaises. Quant au prospectus an-
glais (documentation ii) je me contentai de le retourner, en écrivant :
Du français, s. v. p. J'accompagnai le tout d'une lettre digne autant
qu'aimable, disant que le public de la pro\'ince de Québec se refuserait
à acheter leurs machines tant qu'ils ne respecteraient pas notre langue
et que ce n'était pas en « massacrant » notre parler qu'ils « laveraient »
notre linge. Et j'attendis la réponse jusqu'au. . . 28 octobre. Le
président m'écri\-it (documentation m) poiur m'annoncer qu'il avait
fait préparer un texte nouveau des deux prospectus, me priant de les
revoir en dernière main. Malheureusement on avait oublié de glisser
dans l'enveloppe ladite épreuve. Je me permis alors de corriger sa
letlie, et dans un mot à part, tout en l'encourageant à bien faire, je lui
montrai les avantages qu'il aurait à s'entourer d'employés bilin-
gues. Il me répondit aussitôt (documentation iv) en m'envoyant les
copies d'épreuves (documentation ibis, ii bis). Vous constaterez qu'il
y a progrès continuel dans cette bonne volonté. J'ai cru devoir m'im-
poser tout ce travail pour faire ma petite part dans le grand travail na-
tional que vous avez entrepris et que vous menez si vaillamment. Avant
de corriger les dernières épreuves (certes, elles en ont besoin) j'aimais
à vous faire connaître le tout, que vous pourrez utiliser quand bon vous
semblera.
Croyez-moi votre tout dévoué,
J... J... »
l'action française 557
IntBYVCntioU H est une intervention qui mériterait certes,
OÙÙOïtUHC ^^ ^^^^ réussissait, un diplôme d'honneur. Dès
maintenant nous nous engageons à couronner
l'heureux mortel capable d'obtenir de quelque marchand montréalais
du papier à photographie avec l'inscription française : Carte postale.
Impossible actuellement, paraît-il, d'en trouver. J'ai déjà raconté
comment, de passage à Paris, j'étais allé aux bureaux de la maison
Lumière exposer mes doléances. Notre succursale montréalaise,
m'avait répondu le gérant, relève de notre agence de New- York qui
fabrique elle-même la plupart des produits utilisés en Amérique. Rien
d'étonnant qu'ils portent des inscriptions anglaises. Mais que cette
agence, mise en branle par des cHents de Montréal, nous demande les
cartes que vous désirez, elle les aiu-a sans tarder. De loin, je confiai
aussitôt l'affaire à un ami. Elle ne me paraît pas avoir abouti. Pour-
quoi ne pas la reprendre aujourd'hui ? Je suis persuadé qu'un ama-
teur de photographies, qui fait ime dépense courante assez considéra-
ble de ces cartes, peut finir par les obtenir. De quelle manière ? Voici.
Qu'il se présente chez son foiuriisseur habituel et expose sa demande.
Il essuiera un refus. Qu'il s'adresse alors directement au gérant du
magasin et lui explique son cas :
— Je suis un de vos bons clients. J'achète chez vous, chaque mois,
tant de cartes et vous fais faire tel et tel ouvrage. Or vous me refu-
sez une chose bien simple : des cartes avec inscriptions françaises, une
chose que vous pouvez m'accorder, si vous le voulez. Vous n'avez,
en effet, qu'à en commander soit à la maison Lumière, — elle en a, —
soit encore, ce qui ira plus vite, à votre fabricant de Toronto : c'est facile
pour lui d'en imprimer. Devant votre inertie ou votre mauvaise vo-
lonté, je me vois obligé de vous retirer mes commandes. J'irai ailleurs.
— En obtiendrez-vous ailleurs ?
— J'essaierai. Et si je ne réussis pas du premier coup, parce que
nouveau chent, probablement qu'avec le temps et de grosses comman-
des je finirai par gagner mon point.
— Mais c'est une dépense supplémentaire que vous nous deman-
dez. Le débit de ces cartes n'étant pas considérable — vous êtes le
premier qui en exigez — elles nous coûteront plus cher.
— Je vous promets que vous en vendrez beaucoup. Nous vous
ferons une grosse réclame, nous les signalerons dans V Action française
que lisent tous les patriotes ( ! ) etc., etc.
558 l'action française
Si le marchand ne se rend pas, qu'on mette à exécution le projet,
qu'on aille aillevirs, même si on n'est pas mieux servi. L'important
est de faire marcher son homme. Puis on reviendra le voir au bout
de quelque temps pour savoir s'il persiste toujours dans son refus, pour
lui dirç qu'il a perdu ce mois-ci telle et telle commande, et qu'il en per-
dra encore bien d'autres ...
Lq, lice est Un seul client réussira-t-il avec cette tactique?
OUVêTtê ^^ ^^ crois. Dans tous les cas, ce dont je suis abso-
lument certain, c'est que trois ou quatre, agissant
de concert auprès du même fovu-nisseur, réussiront infailliblement.
Allons ! qui va commencer ? qui va rendre ce service à sa langue ?
qui va devenir lauréat de l'action française ? Il n'j^ a pas de temps à
perdre. C'est aujourd'hui même qu'il faut se décider, qu'U faut dres-
ser ses plans, qu'il faut voir à leur prompte exécution. La lice est ou-
verte : jeunes gens, jeunes filles, hommes ou femmes qui aimez le clair
parler français, entrez-y. C'est pour lui, poiu: sa sm^ivance, que vous
allez guerroyer ! Si vous le voulez, les paysages de chez nous ne s'en
iront plus à l'étranger — comme j'en ai vu jusque sur les tables de notre
commissariat à Paris et jusque dans les Salles de l'Exposition univer-
selle de Gand — promener des inscriptions anglaises et laisser croire
que la langue des pionniers de la terre canadienne y est maintenant
éteinte. Il dépend de vous qu'on nous sache fidèles au parler ances-
tral, et qu'en admirant la beauté de notre sol on admire aussi la vita-
lité de nos traditions et l'irréductible fierté de notre sang.
L€S fêtes du Comme je ne sais si cette chronique par^-ien-
HOUVCl GH ''^^^ ^ °^^^ lecteurs avant les fêtes du nouvel an,
j'hésite à leur en parler. Un mot du moins pour
demander qu'on les célèbre suivant l'esprit de la race. Échanges do
cadeaux et de bons souliaits, dîners de famille, — au foyer et non dans
les hôtels, — bénédiction paternelle: conservons ces saines coutumes,
telles que les ont établies nos pères. Ne permettons pas qu'on les amé-
ricanise, qu'on les vide de leur parfum français et catholique. Elles
sont puissantes sur l'âme de notre peuple, elles le gardent des assimi-
lations funestes et des dégradations mortelles.
Pierre Ho.mier,
8 décembre 1919.
JOURNAUX, LIVRES ET REVUES
« COULEUR DU TEMPS » i
Michelle Le Normand réunit, sous un titre qui en indique assez
la variété de tons, un certain nombre d'articles parus dans le Devoir
et le Nationaliste. Ces chroniques — ou billets — dont aucune ne se
rapporte étroitement à l'actualité, ont conservée la fraîchem* et la nou-
veauté de l'inédit.
Michelle Le Normand est cette jeune fille qui, en 1916, eut l'au-
dace de se présenter au public, — plutôt sceptique quant aux talents
de son âge et de son sexe — tenant d'une main ferme un premier livre
immortel ! Le public le lut d'abord pour voir; le charme opéra, et la
masse des lecteurs fut conquise au point que le petit Uvre : Autour de
la Maison, en est au cinquième nulle, en attendant les autres.
C'est que l'auteur avait fait entendre une musique nouvelle aux
oreilles blasées, qu'il avait parlé des enfants de chez nous sans puéri-
lités, — ce qui est extrêmement difficile — et qu'il avait mis sous les
yeux de tous des choses que tout le monde avait vues et que personne
n'avait dites aussi bien que lui. Il s'était penché affectueusement sur
le coin de terre natal, avait regardé, écouté, puis écrit. Il en résulta,
n'hésitons pas à l'affirmer, un chef-d'œuvre du terroir, un li^nre qui res-
tera tant que des enfants canadiens joueront dans les vieux \-illages,
autoiu" des vieilles maisons, et tant qu'il y aura des papas et des mamans
cjui voudront revi\Te leur enfance.
Le nouvel ou^Tage de Michelle Le Normand, s'il n'a pas l'unité
de composition de son prédécesseur, démontre de pareils dons de style
et d'observation. Les pièces qui le composent pourraient être divi-
sées en trois groupes principaux, sous la désignation respective : ana-
lyse du « moi », d'un « moi » non haïssable ! — portraits ou « carac-
tères » — description ou tableaux de nature. Chacim de ces genres
est marqué d'un signe original qui l'apparente à une personnalité bien
distincte. Chaque page présente un aspect de ce riche talent. Rien
de prétentieux, de tendu, de femme de lettres, mais la parfaite simpli-
' Couleur du Temps, par Michelle Le Normand. Édition du
Devoir, Montréal, 1919. (Prix : 75 sous, plus 5 sous pour le port. Dis-
tributeiu: pour le commerce : Service de librairie de l'Action français e.
560 l'action française
cité dans le bon sens et la joie de vivre, où les dons de l'esprit et d u cœur
s'équilibrent, s'harmonisent et se fondent : charme, grâce, intelligen-
ce !
Michelle Le Normand regarde curieusement en elle-même; elle
s'examine, réfléchit, médite. . . En apprenant à se connaître, elle ap-
prend à se décrire, elle et les autres, puisqu'il est un fond commun par
quoi tous les humains se ressemblent. Bien qu'elle s'étonne de l'étran-
ge compUcation de son « moi » et qu'elle déclare maintes fois n'y rien
comprendre, nous pouvons en déduire que c'est déjà posséder vme gran-
de connaissance de soi-même que de se rendre compte qu'on n'y com-
prend rien ! C'est se connaître autant qu'il est possible que de se sa-
voir « divers et ondoyant ». Xe se « déchiffre » pas qui veut; l'âme
est im abîme où l'on s'enfonce, où s'accimaulent d'épaisses ténèbres qui
n'ont pas de fin; c'est déjà beaucoup que d'y rencontrer un peu de lu-
mière et de la faire briller aux yeux d'autrui, par charité chrétienne.
Michelle Le Normand revient souvent du fond d'elle-même avec
des rayons dans les mains, qu'elle offre aux moins bien douées, en di-
sant : Voyez comme je suis, voyez comme vous êtes ! La lumière qui
m'éclaire vous éclaire aussi. Regardons en nous : il y a du bon et du
mauvais. Extirpons le mauvais, cultivons le bon, améUorons le meil-
leur. Embellissons-nous, mes sœurs, pour Dieu et la patrie ! Sau-
rait-on mieux prêcher ?
Presque tous les mouvements de l'âme sont envisagés dans ce vokune
La tristesse s'y montre quelquefois, et même l'angoisse devant l'inconn,
de la vie. Mais ces troubles, ces inquiétudes sont vite maîtrisés, com
me supérieurement dominés par une confiance illimitée en la divine
Providence, et suivis de l'abandon serein du petit enfant dans les bras
de sa mère ! Si nous ne craignions d'écraser l'auteur délicat sous le
poids de termes trop lourds à porter, nous dirions que Michelle Le Nor-
mand est par-dessus tout un moraliste pénétrant, un excitateur de bien,
un professeur de vertu sociale et patriotique. Et nous ajouterions au
plus vite: tout cela est coupé d'éclats de rire, de propos enjoués, d'en-
train . . . endiablé, — dont s'accommodent fort bien la mora le et le
lecteur ! Un parfum de saine jeunesse flotte entre les chapi très, un
souffle frais et pur circule dans les phrases, tandis qu'une pieus c ardeur
spiritualise souvent le style, qui prend alors des ailes.
Méditez sur les morceaux suivants : Mauvais silences, Paroles vives,
La Girouette, Les pires heures. Anxiété, Le Phare, etc.
l'action française 561
Isolons - — car il ne cadre bien nulle part — l'article intitulé Psycho-
logie dentaire, si plein de verve et d'enfantine drôlerie. Il y a là une
admirable étude en raccourcis de la lâcheté commune aux deiLx sexes,
devant la perspective d'une sieste dans le fauteuil de torture, de la peur
qui temporise et retarde la fatale opération. Une page où tout le mon-
de revit ses transes est mie page parfaite.
Un des côtés les plus brUlants du talent de Michelle Le Normand
consiste en une faculté d'observation aiguë. Les types, tous les per-
sonnages sortant de l'ordinaire uniformité, sont croqués sur le vif com-
me par un appareil cinématographique, avec leurs tics, leurs manies,
leurs mouvements caractéristiques des membres et du visage, et cam-
pés siu" la page gesticulants, grimaçants, — nous serions tentés d'écri-
re : pantelants, — ridicules ou touchants. Voyez, par exemple : Atti-
tudes de qucteux, La Commère, Sa Clairvoyante, etc.; et les autres, ceux
qui frappent par leur frivolité ou leur snobisme : La jeune jllle bien, etc. ;
et ceux qui sont presque sublrhies dans leur accoutrement ancien et dont
le cœur est un ti'ésor toujours neuf : Le « docteur » ; et encore, cette
courageuse vieille paysanne qui se détache en relief : Grand' tnkre Audet,
noble fille des ancêtres qui sauvèrent la race en l'implantant ferme-
ment dans la campagne canadienne.
Il faut aussi s'arrêter un moment, pour l'admii'er en détail, devan t
ce morceau de sentiment exquis : La -petite fdle au turban ; elle est la
sœur, par la délicatesse et la grâce, de cette autre petite morte nommée
Gabnelle, et qu'une page à'Aidour de la Maison a tendrement ressus-
citée.
Michelle Le Normand ne fait jamais de description toute pure;
ses paysages sont des états d'âme, selon le mot d'Amiel. Ils n'en sont
que plus vrais. Sa touche est fine, les détails abondent sans nuire à
l'ensemble, les couleurs sont justes. Elle a du goût, de l'ordre, de la
mesure. Elle dessine d'un trait net, sans hésitations, presque sans
retouches. Bref, elle a le don. Lisez : Raquetteurs, dans la nuit sereine,
Les Quais, Chez 7wus, chez vous. Qui me donnera. . ., etc.
Si ces notes rapides — c'est l'heure d'aller sous presse ! —
avaient la prétention d'être une critique, il nous faudrait, pour doimer
du poids à nos éloges, reprocher quelque chose à MicheUe Le Normand.
On peut toujours signaler des négligences ou des faiblesses aussi bien
chez un auteur jeune que chez un vieux ! Personne n'est parfait. Et
puis, nous préférons avouer tout de suite que nous n'avons relevé aucun
gros défaut dans ce livre. Au contraire, nous en avons goûté le style
562 l'action française
nuancé mais solide, riche mais discipliné, harmonieux et. . . facile, qua-
hté que l'on remarque plutôt avec inquiétude, tant elle dégénère rapi-
dement à l'usage. Nous sommes tranquilles pom* le reste. Que l'au-
teur garde profondément enraciné cet amour du terroir qui le classe à
part, et qui l'a élevé si haut dès son premier essai. Et qu'il continue !
Albert Lozeau.
LE QUART DE SIÈCLE DU BULLETIN DES RECHERCHES
HISTORIQUES
Laissez-moi vous signaler l'événement du jom- : un périodique de
langue française, entièrement consacré à l'histoire cauacUenne,va attein-
dre ses vingt-cinq ans !
Ce périodique extraordinaire, c'est le Bulletin des recherches histo-
riques fondé par Pierre-Georges Roy, à Lé\'is, au mois de janvier 1895,
en pleiae jeunesse, en pleine illusion, en pleine audace !
Oui, le Bulletin a vécu \-iugt-cinq ans, mais si vous croyez que son
existence s'est écoulée dans les fleurs et dans la soie, vous ne connaissez
pas notre pubhc.
Qui dira ce que Pierre-Georges Roy a dépensé d'activité, de volonté
et d'argent pour maintenir sa pubhcation à flot ?
Qui dira combien sa revue lui a appris à mesurer l'apathie et la mes-
quinerie des uns, ou l'ignorance et la fatuité des autres ?
Pas Roy, assurément, car U garde son expérience « éditoriale »
poui" lui-même et ne veut même pas y penser.
Faible de constitution, mais puissant d'énergie, Pierre-Georges
se traça un programme et se fixa un but; il décida que le Bulletin vivrait
aussi longtemps que lui-même et il accompht le prodige ! 11 réussira
jusqu'au bout, .n'en doutez pas.
Donc, malgré les embarras et les tracas, depuis cinq fois cinq ans,
le Bulletin tous les mois, fournit à ses lecteurs des pages inédites, des
documents oubhés ou inconnus, des notes précieuses, des études syn-
thétiques et des nomenclatures qu'on chercherait vainement ailleurs.
A telle enseigne que le Bulletin constitue, aujourd'hui, une collection
indispensable qu'on songe à consulter d'abord, qu'on aime à garder près
de soi toujours, ]\arcc que c'est une mine dans laquelle les historiens
l'action française 563
comme les simples cui'ieux vont puiser sans l'épuiser des informations
de toutes sortes sur toutes sortes de gens et de choses d'autrefois. '
Aussi, des œu\Tes nombreases et justement appréciées de Pierre-
Georges Roy, c'est celle-là, j'imagine, qui auréolera davantage sa mé-
moire, aux jours éloignés, nous l'espérons tous, où le vaillant écrivain
ne sera plus.
Et maintenant, distingué collègue, au seuil de la vingt-sixième
année du Bulletin, je voudrais formuler un souhait mirifique, de réali-
sation tellement improbable et impossible que l'imagination, rien qu'à
l'entendre énoncer, s'élance dans le monde des fées et des gnomes.
Je souhaite au Bulletin, durant son prochain quart de siècle, au-
tant d'abonnés payant leur abonnement d'avance qu'il y en a sur ses
listes qui n'ont jamais versé un sou !
Après un tel souhait force m'est bien de mettre un point final.
E.-Z. Massicotte.
SILHOUETTES PAROISSIALES i
Nous comptions publier dans cette livraison une étude détaillée
des Silhouettes paroissiales du R. P. Louis Lalande, s. J. Un contre-
temps imprévu nous contraint d'ajoiu-ner au mois prochain cette étude,
mais nous voulons tout de suite, pour donner à nos lecteurs quelque
idée du volume, inscrire ici quelques extraits de la préface qu'écrivit
pour lui M. l'abbé Groulx. Nous citons donc :
« Des Silhouettes ! Voilà une étiquette qui annonce mal un beau
livre. En réalité il y a beaucoup plus et beaucoup mieux que des sil-
houettes en ce volume de silhouettes. Plus que dans Causons et plus
que dans Entre amis l'on retrouve ici l'attachante personnalité de l'au-
teur. Elle y est avec toute la force qui lui vient de la variété de ses
dons, de la souplesse de ses ressources.
« Le Père Louis Lalande a trop fait de conférences pom* cesser d'en
faire tout à fait. Et c'est tout d'abord leur conférencier favori, le pein-
1 Silhouettes pakoissialbs, par le R. P. Louis Lalande, s. J.
Imprimerie du Messager. Prix : 75 sous, plus 5 soas pour le port. Dis-
tributeur pour le commerce : Service de librairie de l'Action française,
32, Immeuble de la Sauvegarde, Montréal.
564 l'action française
tre des brillants tableaux de mœurs, l'oratexir des censures intrépides
que beaucoup croiront retrouver en ce dernier volume. Des pages
nombreuses passeront sous leiu^s doigts, pleines d'idées serrées, entraî-
nantes, d'allure oratoire, à grand orchestre, d'ime rare puissance ver-
bale, phrases parlées qu'il faut écouter plus que lire, qui portent avec
elles la véhémence d'ime action.
« Parfois entre ces morceaux plus graves, d'autres se gUssent, d'un
ton plus léger, d'une prose qui veut soiuire ou charmer. Le conféren-
cier se fait tout à coup miniatiuiste, ciscleiu- de figurines, j'allais pres-
que dire billettiste. L'esprit et le cœur du Père Lalande se donnent
ici plein triomphe. Quelle vie et quelles ressources du crayon ! Les
johs traits, les jolis mots abondent, les uns à facettes, d'ime finesse jail-
lissante, ailée; les autres qui font penser, qui remuent plus que la tête,
qui sont tout mouillés d'émotion. Lisez Dvfour, Mon casque, le Capot
de mon curé, DcJaïte. Il y a là beaucoup de cœui. presque trop d'es-
prit. Et tout cela soutient sans doute des caricatures amusantes, des
éreintements spirituels, mais aussi et toujours de soUdes leçons morales,
des portraits de beauté mâle, de \ alliance laborieuse, presque toujours
croquis de tj'pes de chez nous cueillis au passage par le missionnaire.
« Les portraits font le nombre, ccmmie il convient, en ce recueil
de silhouettes. Et par là s'affirme une fois de plus la personnahté de
l'écrivain. Voudrais-je définir le talent du Père Lalande que tout spon-
tanément j'écrirais le mot « moraliste ». Et le mot, ai-je besoin d'y
appuyer? évoque de très nobles facultés. Il veut dire la pmssance de
voir, le don d'une intelligence active, qui réagit au contact des choses,
du vaste spectacle humain, qui a le goût des paysages d'âme, qui voit
plus loin que les apparences, qui, sous les paroles et les gestes, va cher-
cher une psychologie. Il veut dire encore et par-dessus tout une âme
en hauteur, de droiture honnête,, vigoureuse, capable d'aimer le bien
fortement, de beaucoup souffrir des laideurs. Et j'ajoute qu'au mora-
liste qui veut s'achever en écrivain il faut enfin le don du mot, le don
du pittoresque, la puissance même de la satire qui renvoie en fresques,
en eaux-fortes, en peintures à relief les visions aiguës du p.çychologue. »
NOTRE CONCOURS
Nous prions ceiLx qui ont bien voulu prendre part à notre concours
d'abormements de se rappeler que les derniers abonnements comptés
seront ceux qui seront apportés par le dernier courrier distribué à Mont-
réal le 31 décembre.
LA VIE DE L'ACTION FRANÇAISE
Nos CONFÉRENCES — La séiie de nos conférences montréalaises
se déroule, avec un su:'ccs croissant, à la salle de la Bibliothèque Saint-
Sulpice. Nous avons débuté avec Mgr Gauthier, rectem* de l'Univer-
sité de Montréal; nous avons eu poiu deuxième conférencier M. Edouard
Montpetit et la série se poursuivra, le jeudi 8 janvier prochain, avec
M. l'abbé Olivier Maurault, p. s. S. M. l'abbé Maurault a pris pour
sujet Noblesse oblige et sera présenté par M. le docteur Joseph Gauvreau,
premier secrétaire général de la Licjve des Droits du français. M. Ar-
thur Surveyer a bien voulu accepter la présidence d'honneur de cette
séance.
M. Montpetit a traité d'un sujet d'importance très considérable :
le progrès numérique des Canadiens français et les dangers qui le me-
nacent. Cette conférence, parlée sur des notes, sera bientôt rédigée.
Nous ne savons encore toutefois si elle prendra place dans une brochu-
re spéciale ou dans un volume d'ensemble que prépare l'auteur. Peut-
être les deux modes de publication pourront-ils être successivement
adoptés.
C'est M. Léon Lorrain, professeur à l'École des Hautes Études
commerciales et Vxm des premiers directeius de la Ligue des Droits du
Jrançais, qui avait bien voulu accepter de prononcer l'allocution d'ou-
verture. Il en a profité pour évoquer, de façon très spirituelle, les mo-
destes débuts de la Ligue et de V Actioii française. Le président d'hon-
nexir, M. le juge Laf ont aine, doj^en de la Faculté de Droit de l'Univer-
sité de Montréal, a déclaré — et c'était bien l'un des plus grands éloges
qu'on pût nous faire — que V Action française est un professeur d'éner-
gie et de fierté.
En même temps que M. Montpetit donnait à Montréal cette con-
férence du 13 décembre, M. l'abbé Groulx faisait à Sherbrooke une pre-
mière conférence d'Action française, où il traitait des Raisons de notre
fierté. Quelques jours plus tôt, il avait inauguré la série que nous don-
nons à Ottawa, d'accord avec V Institut canadien français, par une puis-
sante, pittoresque et touchante évocation de la Vie de nos pères. Le
deuxième orateur de cette série a été M. Jean Désy, professeur à l'École
des Hautes Études Commerciales, qui a traité de Marc Lescarbot. H
sera suivi de MM. l'abbé Olivier Maurault, p. s. S., Emile Miller, pro-
fesseur de géographie canadienne à l'Université de Montréal, Louis
Durand, avocat, et Léon Lorrain.
566 l'action française
Notre Ai,m.o«*ach — Trente-cinq mille exemplaires de notre
almanach ont déjà été enlevés. La vente dépasse déjà de dix mille
le chiffre total de la précédente édition, et nous ne sommes qu'aux der-
niers jours de 1919. Il faut que les quelques mille qui sont encore dis-
ponibles partent au plus tôt. Les quinze jours qui restent d'ici les Rois
devraient régler leur compte. Notons à ce propos que nous tenons à
la disposition de nos amis un certain nombre d'exemplaires reliés, pleine
toile, de V Almanach, au prix de 35 sous (40 sous franco). C'est un joli
cadeau de Jour de l'An.
Nous ne pouvons signaler tous les efforts faits pour la diffusion
de y Almanach — nous remercions à ce propos nos amis connus et in-
connus — mais il en est im que nous ne pouvons nous empêcher de
noter, parce qu'il a été l'occasion d'une manifestation particulière et
qu'il tend à créer une tradition. C'est l'école Sainte-Madeleine, à
Ahuntsic, qui en a été le théâtre. Cette année, comme l'an dernier,
on y a établi une sorte de concours entre les élèves pour la diffasion de
V Almanach et l'on a organisé en l'honneur des vainqueurs une fort johe
fête. Il' Action française a été heureuse de s'associer à cette manifes-
tation par la présence et la parole de M. l'abbé Maïu^ault, l'un de ses
meilleurs amis, et de son secrétaire général, M. Anatole Vanier, avocat.
Rappelons, pour qui l'aïuait oublié, les conchtions de vente de
V Almanach : 20 sous l'exemplaire (plus 3 sous pour le port); $2.00 la
douzaine; de 50 à 99 exemplaires, 16 sous l'exemplaire; de 100 à 499
exemplaires, 15 sous; de 500 à 999 exemplaires, 14 sons; poui- 1000 exem-
plaires et plus, 12 sous l^. Port en plus dans tous les cas. On peut
grouper les commandes, les faire expédier à des adresses différentes et
bénéficier quand même des réductions justifiées par la commande glo-
bale, pourvu que l'administration n'ait affaire qu'à un correspondant.
L.-v Mission de L'IlNivEnsiTÉ — La première de nos publications
sera la Mission de l'Université, texte de la grande conférence de Mgr
Gauthier, qu'accompagneront les brèves allocutions prononcées le même
soir par M. l'abbé Perrier et M. Athanasc David. Il a été finalement
décidé de publier ce texte, dont il sera fait un grand tirage, dans notre
collection orange, à dix sous. (A la douzaine, $1; au cent, $S; au mille
S70 (.port en plus toujours). Au moment où s'organise, en faveur de
l'Université de Monttéal, une retentissante campagne, jette brochu-
rette offrira un intérêt tout particulier.
D'autres publications, sur lesquelles nous donnerons en janvier
des détails précis, sont pareillement en préparation, notamment Au
l'action française 567
service de la Tradition française, de M. Montpetit, uiie édition copieu-
sement illustrée de Chez nos ancêtres de M. l'abbé Groulx et les Lenae-
mains de conquête du même auteur.
Changements d'adresse — Chaque changement d'adresse com-
porte des frais de composition nouvelle,nous est charge à part par nos
imprimeurs et diminue d'autant le prix réel de l'aboimement. Si l'Ac-
tion française était ime revue à 88 ou SIO, cela n'aurait guère d'impor-
tance; mais, sur un maximum de $1, alors que le coût de revient aug-
mente avec tant de rapidité, tout compte. C'est pourquoi, à l'avenir,
nous ne pourrons effectuer qu'un seul changement sans frais, et cela
pour les aboimés qui seront en règle avec l'administration. Une som-
me de 10 sous devra être paj'ée pour tous les autres changements.
Cette petite modification ne surprendra guère la plupart de nos
lecteurs. Il y a longtemps qu'un grand nombre de publications fran-
çaises font payer à part les changements d'adresse.
Notre service de librairie — Plusieurs de nos clients sont en
retard aA-ec notre Service de librairie. Xous les prions de s'acquitter
au plus tôt, afin de nous éviter d'inutiles frais de correspondance. Nous
fermons nos livres au 31 décembre et A'oulons lefplus^possible^simplifier
le travail de notre administration.
Abonneiîexts de So et de SIO — On sait que Tabonnement de .?5
donne droit à l'envoi, sans commande spéciale, de toutes les publica-
tions de l'Action fraiiçaise, sauf la revue; l'abonnement de $10 donne
droit à l'envoi des principales nouveautés canadiennes, en plus de nos
publications — jusqu'à épuisement des deux souscriptions, cela va
de soi. Le grand avantage de ces deux abonnements, c'est d'éviter
d'inutiles frais de correspondance. Si telle brochure, par exemple,
vous plaît, vous n'avez, après avoir reçu le premier exemplaire, qu'à
jeter une carte à la poste pour en commander deux, trois ou dix autres.
Autrement, il vous aurait fallu faire deux lettres et deux chèques ou
bons postaux.
Les abonnements sont naturellement payables d'avance.
SI et plus — Plusieurs de nos amis nous ont souvent dit : Nous
paierions volontiers $2 ou $3 pour l'Act^^on française. . . Au prix où
sont le papier et la main d'œuvre, ils iieuvent, sans le moindre danger
de trop nous enrichir, se passer cette futile fantaisie.
Jean Reauchemin.
PARTIE DOCUMENTAIRE
LES VOEUX DU COXGEÈS DE WIXXIPEG
Voici, textuellement reproduits, avec leur préambule et les notes qui
les accompagnent dans la brochurette officielle, les vœux du congrès de Win-
nipeg. Ces vœux appellent des commentaires que fera prochainement l'un
de nos collaborateurs.
Resolutions adoptée! by National Conférence on Character Educa-
tion in relation to Canadian Citizenship, October 20, 21, 22, 1919, Win-
nipeg.
PERSONNEL OF NATIONAL COUNCIL
BRITISH COLUMBIA
Principal W. H. Vance H. Charlesworth, Esq.
W. H. Leckie, Esq. Mrs. R. C. Boyle
John Sully, Esq.
ALBERTA
Mrs. L. C. Mcivinney, M.L.A. W. G. Carpenter, Esq.
H. W. Wood, Esq. J. T. J. Collisson, Esq.
Alex. Ross, M.L.A. Dr. A. M. Scott
Saskatchewan
Dr. J. A. Snell C. M. Hamilton, M.L.A.
Jas. F. Bryant, Esq. Miss Jean Brownc
J. A. Maharg, Esq. Dr. J. T. ]\L Anderson
Manitoba
W. J. Bulinan, Esq. Dr. D. Mcintyre
Prof. W. F. Osborne Rev. E. Leslie Pidgeon
Mrs. R. F. McWilliams William Iverach, Esq.
L ACTION FE ANC AISE
569
Hon. Dr. Cody
Sir John Eaton
Tom Moore, Esq.
Hon. Athanase David
Howard Murray, Esq.
William Birks, Esq.
Dr. Soloan
Chas. J. Burchell, Esq.
W
Ontahio
Sir Robert Falconer
Prof. H. T. J. Coleman
Dr. Helen MacMurchy
H. Sedgwick, Esq.
QtTEBEC
Hon. Cyrille Delage
Dr. G. E. Parmalee
Prof. Carrie M. Derrick
Sir George Garneau
Nova Scotia
Mrs. Se.xton
Rev. Dr. J. J. Tompkins
John T. Joy, Esq.
New Brunswick
Rt. Rev. Bishop Richardson Inspector Peacock
Ex-Governor Josiah Wood Mrs. James F. Robertson
Prince Edward léLAND
Dr. McLellan Dr. S. E. Roljertson
J. G. Hyndman, Esq. Miss Carrie EUen Holman
THE National Conférence on Character Education in Relation
to Canadian Citizenship was held in Winnipeg, October 20th, 21st and
22nd, 1919. This gathering was the culmination of a campaign
inaugurated by a group of citizens of Winnipeg some two and a half
years ago, and participated in by interested groups in ail parts of Can-
ada.
The extent of the interest aroused may be inferred from the fact
that fifteen hundred and fovir accredited delegates attended the Confér-
ence and took part in the proccedings. The popular attendance at
several of the sessions ran as high as five thousand and at no session
were there fewer than two thousand persons présent.
The formai programme included at least thirty speakers. Anlong
thèse were : One from Great Britain, Mr. Peter Wright; four from the
United States : Président Suzzallo of Seattle, Dr. Soares of Chicago,
Dr. Milton Fairchild of Washington, Président Finley of Albany, New
570 l'action française
York. The remainder of the thiity speakers were Canadians, eminent
in their respective fields of scholarsliip or other activity. Six of the
nine provinces of Canada were represented bj^ the chief administrative
officers of their Departments of Education. The presiding ofBcers
of the various sessions included the Lieutenant-Governor of Manitoba,
the Chief Justice of the ^urt of the Iving's Bench of ]\Ianitoba, the
Primate of Canada and the Premier of Saskatche\A-an.
As an outcome of the Conférence a Council of fîftj' members, to
carry on the work done by the Conférence, was appointed. Copies of
the various resohitions passed are given herein. The proceedings of
the Conférence will be printed and made available for the use of the
delegates. A hmited nvunber of copies will also be available for pur-
chase by others than delegates who may be interested.
The f unds for carrying on the campaign and holding the Conférence
were obtained by popular subscription mainly through the interest of
the Rotary Clubs throughout the Dominion.
NATIONAL EDUCATIONAL CONFERENCE
RESOLUTIONS
EDUCATION PROGRESS
THAT the whole question of the best methods of carrying out the
purposes of the Conférence be ref erred to the National Council for their
fuUest considérations and such action as they decm wise to take. Said
action to be reported upon to the next meeting of the Conférence.
THAT for purposes of cducational investigation ând as a clearing
house for educational data, a NATIONAL BUREAU be estabUshed
under the direction of the National Council of the Conférence, and that
such Bureau be maintained by voluntary support and such financial
assistance as may be given by Provincial and Dominion GoA'cruments
without any restrictions as to policy.
CHARACTER EDUCATION
THAT this Conférence puts itself on record as rccognizing the
necessity for the deepening and strengthening of the moral and spiritual
factors in our National Education, alike in the School, the Church and
the Home, and instructs the newlj- appointed National Council to make
a considération of the prolilom hère involved a first charge upon its
délibérations.
l'action française ^ 571
THAT this Conférence recognizing that development of child
morality is largely achieved through the objective side of his nature,
expresses its hearty approval of ail those auxiliary agencies, such as
the Boys' Brigade, The Boj- Scouts, the Cadet Corps, the Canadian
Standard Efficiencj' Training, and the Canadian Girls in Training,
the Girl Guides and the Little jMothers' League, ^vhich aid in developing
among children of school âge physical fitness and the spirit of service
and citizenship in the community.
BELIEVING that the moral éducation of the youth of our countrj-
must dépend on the development of sound phj'sical bcdies, the Confér-
ence desires to express its conviction that every possible means should
be taken for safeguarding and promoting the hcalth of the children in
ail parts of the countrj-. To this end we believe that a complète System
of médical and dental inspection imder compétent doctors and nurses
should be organized in every Province for both rural and urban schools;
also thaht provision should be made for the adéquate and spécifie train-
ing of ail teachers in the principles of hygiène, particularly applied
to the conditions o'f school life.
THAT inasmuch as the prcvailing emphasis on compétitive me-
thods in industrj- and commerce has tended to a weakening of the sensé
of sohdarit}' among the citizens of Canada, and the perversion of mo-
tive resulting from imdue regard to the rewards of work as compared
with interest in the service rendered, this Conférence reccmmends that
ail our schools promote by every rcasonable means the spirit and practice
of co-operative effort both in teani-games and in class work.
THAT this Conférence expresses its conviction that provision
should be made for free and compulser}^ éducation up to the âge of 16
j'^ears and part-time éducation for ail the youth of Canada up to the
âge of eighteen.
WHEREAS on accomit of the waste of the récent ■nar and the
demands of the présent task of reconstruction the conservation of the
youth of our comitry is of such vital importance; Resolved that this
National Conférence on Character Education expresses its conviction
that provision for state aid should be made for parents \\ho would other-
wise be forced through économie necessity to take their children away
from school during the compulsory period :
AND further, in the opinion of this Conférence, there_should be
Factory Acts or other légal enactments rigidly cnforeed in every Prov-
ince prohibiting the em]-)loymont bf children under the âge of compul-
sory school attendance.
572 ^ l'action française
THAT inasmuch as éducation cannot fuJfil its proper functioii
without the playgroimds and equipmcnt siiitable for the développent
of organized play, this Conférence calls the attention of our Canadian
School authorities to the fact that many of our school groimds are in-
adéquate to this purpose.
THAT this Conférence having regard to the fact that Canada is
largely an agricultm-al countrj', expresses its conviction that it is in the
best interests of the whole country that a high type of rural schools be
developed; AND THAT as a means to this end continuation work in
rural schcols be encouragcd and every inducement be offered to rural
pupils to attend thèse schools iintil such time as attendance to the âge
of 16 years be made compulsory.
WHEREAS the effect of the Moving Pictiue on school children
is incalculably powerful for good or evil, and whereas much of what is
now offered as entertainment is based upon suggestions that tend to
familiarize the minds of children with situations that are sensational
and frequently immoral and vulgar;
THEEEFORE be it resolved that this Conférence direct attention
to the vital necessity of developing an active public opinion, demonstrat-
ed by attendance at théâtres, for the support of good pictures — which
oan only be hcped for when it bcconies good business to exhibit such
pictures, and also for the strengthening of the hands of the varions
boards of censorship in their efforts to raise the standard of the Moving
Picture industrj-; and that every effort be made to secure films depicting
Canadian and British life and sentiment.
WHEREAS it bas been coiiclusively shown that posters and ad-
vertisements of a suggestive and immoral natui-e are used to attract
attendance to performances and moving pictmes otherwise compara-
tively harmless; be it recolvcd that this Conférence urge a strict censor-
ship of posters and advertisemcnts.
THE TEACHING PROFESSION
THIS Conférence records its opinion that to obtain the highest
ediicational rcsults for our people the commimity must provide enlarged
opportunity for the éducation and training of tcachers, raise the stand-
ard of éducation for admission to the teaching ];rofession, taking mea-
surcs at the samc time to attract men and womcn of spécial giflsforthis
high service by raising the social status of the tcachers and providing
a scale of rémunérât ion so libéral as tofrce them from économie anxiety.
THAT having regard to the pvincij)le of fair and opcn discussion
as a fundaiiienlal principle of deniocracy, the Conférence lU'ges ujxin
i-'ACTIOX FRANÇAISE 573
ail bodies in -wliom is vested the control of educational affairs tbe neces-
sity of dcaling in a franlc and public manner with cases involving the
réduction in rank or dismissal of teachers or instructors luider their
control.
CAXADIAXIZATIOX
THAT this Conférence recommends to the Fédéral Government
the adoption of a distinctive Canadian flag.
THAT Avith a view to ectablishing a more gênerai appréciation
of the dignity and responsibilities of Canadian Citizenship the Confer-
encre recommends that under the auspices of the National Govern-
ment an appropriate fimction be held in eacli commimity preferably
on Dominion Daj' in each j-ear for the Public réception into citizen-
ship of those who hâve met ail the conditions of natiu-aUzation.
WHEREAS vmder the Canadian constitution the administration
of Public éducation is assigned to the Provinces;
AND WHEREAS in piu-suance of pohcies approved by the Parha-
ment of this Dominion and carried into effect by Fédéral Governments,
great bodies of immigrants imf amihar with Canadian and British institu-
tions and ideals hâve been settled in varions parts of Canada;
AND WHEREAS the initiation of thèse new Canadians into effi-
cient Canadian citizenship is a National problcm of vital concern to ail
Canada ;
AND WHEREAS the solution of the problem through the main-
tenance of the propaganda essential to the adéquate support of this
great National enterprise, through the provision of such spécial equip-
ment as the work demands and through supplying teachers who are
expert settlement workers wilhng to make their home in thèse immi-
grant settlements for prolonged periods calls for a financial support diffi-
cult if not impossible for Provincial revenues, unaided, adequately to
support ;
THEREFORE be it resolved that it is the duty of the Fédéral
Government to assimie without avoidable delay its fair share in the
financial burden incidental to the Canadianizing of an immigi-ant popu-
lation by ])roviding suitable spécial Dominion grants to be expended
and administered bv the Provincial Government concerned.
The National Comicil will meet at Ottawa; early in February, 1920.
The Honorary Secretary will be glad to rcceive any suggestions
that will aid the National Conférence in its work.
Office: 511 Electric Railway Chambers, Winuipep.
TABLE DES MATIERES
JANVIER —
Les Clôtures, vers, (Jean Nolin) •, ■ ' W ' ' ' i ' "^
Les précurseurs — Errol Bouchette et l'indépendance économique du Canada
français (Edouard Montpetit) 5
Les Précurseurs, (abbé Lionel Groulx) ^-
A travers la rie courante. (Pierre Homier) ^^
La Vie de l'Action française, (O. H.) .";"■,■■; 07
Journaux, livres et revues — La puissance du Canada, (Henri d'Arles) ^7
A propos d'instruction obligatoire *1
Jj'anglais et le français 1 ' ' ' i, aI
Partie documentaire — La loi Lavergne et les Tribunaux, — En Saskatchewan ... 4-1
FÉVRIER —
Une lettre de S. E. le Cardinal Bégin ■ • J^
Les précurseurs — Napoléon Bourassa, (abbé Olivier Maurault, p. s.S.K .- • • ■ ol
La Nationalisation de notre littérature par l'étude de l'histoire, (éo-Paul Desrosiers) d5
A travers la vie courante, (Pierre Homier) ; ; V ' ' ' '
Journaux, livres etrevues — Les "Billets dusoir" de M. Albert Lozeau, (Alphonse
de Grandpré, C. S. V.) |^
La Vie de l'Action française — (Jeau Beauchemin) ^
Tribune de nos lecteurs ,■ : ^f
Partie documentaire — Ligue de Ralliement français eu Amérique »■*
MARS —
A la mémoire de Charles Gill, vers, (Albert Lozeau) ^J7
Les précurseurs — Le docteur Jacques Labrie, (abbé Georges Courchesne) Î^S
Il nous faudra combattre longtemps — (Orner Héroux) 1-0
La Colonisation française dans l'Ontario, (Fr. Alexis, cap.) |^^
L'École et la rue, iLéon Lorrain) 1^|
A travers la vie courante (Pierre Homier) 1^1
La Vie de l'Action fra7içaisc, (Jean Beauchemin) 140
Partie documentaire — En Saskatchewan — La Fédération franco-américaine et
l'américanisation * l '^
AVRIL —
Les précurseurs — Ferdinand Gagnon et la survivance française aux Etats-Unis,
(Henri d'Arles) }ji;,'
Le pèlerinage Dollard, (abbé Lionel Groulx) JVr
A nos amis, (Orner Héroux) |'.':.'
A rarers la vie courante — (Pierre Homier) J'"
La vie de l'Action française — (Jean Beauchemin) 17.j
Noms français des bonbons et des biscuits 1 1 •)
Journaux, livres et revues — Les "Cailloux", de ilSI. Jean Nolni, (Alexandre
Ducré 8. J.) ''^'
— Les Syndicats catholiques, une digue contre le bolchevisme, (A. D.) lSt>
• — Le Droit paroissial de la province de Québec, (G. P.) J^''^
Tribun f de nos lecteurs — Pour la Saiiit-Jrnn-Bapfistc, (Yves) l'-'n
l'actiox française 575
MAI —
Les précurseurs — Edmond de A'eiers, (Antonio Perrault) 193
Les Contes de la Société Saint-Jean-Baptiste, (Louis Dupire) 219
A traversa vie courante — (Pierre Homier) v^ . • • 222
Journaux, Utrea et rerues — Un Chevalier de nos jours : Paul-Emile Lamarche
(abbé J.-A.-M. Brosseau) 226
— Les rôcits laurentiens, (M. H. B.) ; 229
— En veillant avec les petits de chez nous, (Adélard Dugré, s. J.) 230
Propagande ! Propagande ! (Jean Beauchemin) 232
La Vie de l'Action française, (J. B.) 234
Partie documentaire — La question bilingue ontarienne — Mgr Rice et les Fran-
co-américains — La renaissance de la langue irlandaise 235
JUIN —
Les précurseurs — Pierre Bédard et la esponsabilité ministérielle, (Léon Mer-
cier-Gouin) 241
Un grand concours de propagande 251
Le pèlerinage au Long-Saul, (abbé Olivier Maurault, p.s.S.) 252
Souvenirs d'hier. Menaces de demain, (Omer Héroux) 257
Jeanne Mance et la fondation de Montréal, (Marie-Claire Daveluy) 260
A travers la rie courante, (Pierre Homier) 265
La vie de l'Action française, (Jean Beauchemin) •• ■ • ^^^
Journaux, livres et revues — Pour la défense de nos lois françaises, (abbé Lionel
Groubc) : 272
— Les Rapaillages, (Louis Dupire) 274
Pour la fête nationale — Quelques projets de discours, (Yves) 278
Partie documentaire — Discours de M. l'abbé Groulx au Long-Sault 286
JUILLET —
Les précurseurs - — Mgr Langevin, (abbé PhiUppe Perrier) 289
Le patriotisme de Jeanne Le Ber, (Marie-Claire Daveluy) 300
Innocens Ego Sum, (Henri d'Arles) 306
On demande un mécène, (Léon Lorrain) ; . 317
A travers la vie courante, (Pierre Homier) 321
Journaux, livres et revues :
— Le Canada apostolique, (C.-E. Dorion) 324
— Le petit monde, (L. L.) 326
La Vie de l'Action française — (Jean Beauchemin) 327
Partie documentaire — Le Saint-Siège et les Canadiens-français de l'Ontario —
Discours de M. le Dr Gauvreau au Long-,Sault 329
AOUT —
Les précurseurs — Jérôme-Adolphe Chicoyne, (chanoine Emile Chartier) 337
La mère des Le Moyne, (Marie-Claire Daveluy) 345
Question de pédagogie — L'enseignement du français, (Adélard Dugré, s. J.) . . 350
A traters la rie courante, (Pierre Homier) 362
Journaux, livres et revues — Charles Gill, (abbé 01i\"ier Maurault, p.s.S.) ....
La Naissance d'une race, (Léo-Paul Desrosiers) 360
Tribune de nos lecteurs — L'Action française et nos collèges classiques, (Gérard
Tremblay)-. 375
Xotre^ concours 378
La Vie de V Action française, (Jean Beauchemin) 379
Partie documentaire — En Saskatchewan — L'influence du nombre, (J. -Albert
Foisy) 3S1
5/6 L ACTION FRANÇAISE
SEPTEMBRE —
Les précurseurs — l'abbé Lr.on Pro:anch-.r, (Fr. Marie-Victorin des É. C.) SSô
Le Congrès de Chicoutimi, (abbé Lionei Groulx) 39 1
Xotre concours 401
Grand-Pré, (abbé Ernest Dubois^ 403
.4. trsrers la tie courante (Pierre Homier) 413
La Vie de l'Action française, (J.B.) 416
Journaux, litres et revues Lettres de Fadette,(R. P. ^L-A. Lamarche) 417
Tribune de nos lecteurs — Faut-il tant d'anglais au programme? (Un profes-
seur) 424
Partie documentaire — Le traité polonais et le droit des minorités 428
OCTOBRE —
La toix de la terre, vere, (Hermas Bastien) 433
Les précurseurs — Calixa LaralUe, (Arthur Letondal) 434
Que les femmes s en mêlent . . (Annette Saint- Amant) 445
Le témoignage de trois Anglo-canadiens, (Antonio Perrault) 449
A l'aube d'une tocation, (Âlarie-Claire Daveluy) 467
A travers la vie courante, (Pierre Homier) 473
La Vie de V Action française, (Jean Beauchemin) 477
Partie documentaire — L'n témoignage anglais, (Fred WiUiams) 4S0
XO\'EMBRE —
Survirance, vers, (Blanche Lamontagne) 481
Les précurseurs — - Jules-Paul Tardirel, (Orner Héroux) 483
Comment servir, (abbé Lionel Groulx) 491
Le livre de la Genèse, (Henri d'Arles) 499
Le pèleririage de Jacques, (.Toyberte Boulanges) 509
A travers la tie courante — (Pierre Homier) 514
Notre concours 517
La Vie de V Action française, (Jean Beauchemin) 520
Journaux litres et rerues — Nuances, (Marie-Cla re Daveluy) 523
Partie documentaire — Le discours du prince de Galles — Le traité autrichien
et la protection des minorités ô25
DÉCEMBRE —
Les précurseurs — Le P. Camille Lefebvre,(,Vn Acadien^ 529
Philosophie et Action française, (abbé Philippe Perrier) 537
Deuil national, 543
Les grandes pressions, (Léo-Paul Desrosier*) 544
Pour 1920, (Omer Héroux) 552
-4 travers la rie courante — (Pierre Homier) 55.'j
Journaux, livres et revues — "Couleur du temps", (Albert Lozeau) 559
I.p quart de siècle du "Bulletin des Recherches historiques", (E.-Z. Massicotte.) 562
'.Silhouettes paroissiales' 563
Deux Almanachs 564
/.a Vi> de l'Action française, (Jean Beauchemin) 565
Partie documentaire : I.<es vaux du congrès de Winnipeg 56S
Taille des matières ■ 57-4
BINDING SECT. OCT 811966
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F L» Action canadienne-française
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